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Le processus du bricolage Section 4

1. Conditions initiales

Comme défini par Lévi-Strauss (1962) et Baker et Nelson (2005), le principe du bricolage est de « toujours faire avec » et de s’arranger avec les moyens du bord pour faire face à des environnements soumis à des contraintes de ressources (Baker et Nelson, 2005 ; Di Domenico et al., 2010 ; Gundry et al., 2011 ; Fisher, 2012 ; Halme et al., 2012 ; Desa et Basu, 2013 ; Salunke et al., 2013 ; Cunha et al., 2014) ou des environnements de crise (Weick, 1993 ; Johannisson et Olaison, 2007 ; Bechky et Okhuysen, 2011 ; Engelen et al., 2012), ou encore des environnements nécessitant un changement de routines à cause de problèmes de coordination ou de communication (Ciborra, 2002 ; Johri, 2011), d’une

100 absence ou d’un manque d’appropriation (Chae et Lanzara, 2006 ; De Vaujany, 2011), d’une charge de travail qui évolue (Comtet, 2009) ou la nécessité d’une rupture avec les anciennes routines (Ciborra, 2002). En fait, les contraintes de ressources deviennent des opportunités qui poussent à bricoler pour profiter de ces opportunités (Di Domenico et al., 2010 ; Gundry et al., 2011 ; Desa et Basu 2013) ou encore profiter d’un environnement inventif et créatif comme dans le milieu de la recherche et développement (R&D) ou des industries créatives dont les jeux vidéo (Cohendet et Simon, 2007 ; Ansart et al., 2012). Au-delà du contexte, le bricolage nécessite le développement d’une structure favorable (Ciborra, 2002 ; Tan et al., 2016). Des dispositifs organisationnels comme les groupes de

travail (De Vaujany, 2011), l'intrapreneuriat ou des équipes de projet ad hoc (Ciborra,

2002), le développement de communauté de bricoleurs (Ciborra, 1996) peuvent favoriser le bricolage (Ciborra, 2002 ; De Vaujany, 2011). Le bricolage dépend aussi de l'existence d’une mémoire organisationnelle facilitant le maintien d’une base des connaissances générées à partir des expériences sur le terrain (Duymedjian et Rüling, 2010), une base de connaissances exploitable pour générer de nouvelles solutions face à des problèmes similaires (Hargadon et Sutton 1997). Le discours officiel, le soutien des dirigeants, le mode de gestion de projet et l’humeur des acteurs ont une influence sur la dynamique du processus de bricolage (Ciborra, 2002 ; Vacher, 2004 ; De Vaujany, 2011 ; Jaouen et Nakara, 2014). Il convient de favoriser une culture de bricolage stratégique (Jaouen et Nakara, 2014), ou une approche décisionnelle basée sur le bricolage (Weick, 2001).

L’acceptation du bricolage nécessite un effort d’investissement de forme, et sa diffusion nécessite une certaine formalisation (documentation, structure de maintenance…), utile pour préserver les capacités de bricolage (Duymedjian et Rüling, 2010). En effet, pour Duymedjian et Rüling (2010), le bricolage collectif décuple les potentialités de dialogue entre les éléments du répertoire. Cependant le bricolage collectif ne se développe que sous certaines conditions : 1. des bricoleurs perçus comme légitimes grâce aux investissements de forme (manuels d’utilisation, etc.) rendant visibles les apports des solutions bricolées, 2. la possibilité d’opérer des ajustements mutuels constants avec les autres acteurs impliqués dans un climat de confiance (Duymedijian et Rüling, 2010). Ces auteurs distinguent deux types de bricolage collectif : « familiar bricolage » et « convention-based bricolage ». Le bricolage collectif de type « familiar bricolage » suppose un partage de répertoires, une période de temps suffisamment prolongée, pour

101 favoriser des relations de confiance, un apprentissage mutuel et collaboratif, un partage des répertoires spécifiques à chaque acteur impliqué et des connexions potentielles entre les différents répertoires (Duymedijian et Rüling, 2010). Cependant, un bricolage collectif de type « convention-based bricolage » est possible entre des individus non habitués à travailler ensemble, à condition qu’il existe des investissements de forme (normes, type de réunions, modalités d’échanges, sphère d’applicabilité limitée, etc.) permettant de compenser le faible partage d’expérience (Duymedjian et Rüling, 2010). Le processus de bricolage collectif suppose aussi une grande ouverture d’esprit afin d’envisager de nouveaux modes d’utilisation et combinaison des répertoires en fonction du problème posé (Duymedjian et Rüling, 2010).

Favoriser et réussir le bricolage nécessite le développement de capacités comme la résilience (Weick, 1993 ; Coutu, 2002 ; Duymedjian et Rüling, 2010), l’art de faire plus avec moins et de tirer le meilleur profit des ressources à disposition (Coutu, 2002 ; Tan et al., 2016), une souplesse et polyvalence technique (Ansart et al., 2012), une capacité à diagnostiquer les ressources de l’entreprise, à faire preuve d’écoute, à encourager le feed-back et combiner les idées des différentes parties prenantes (Weick, 2001). Favoriser le bricolage passe aussi par un laisser-faire des acteurs, une atmosphère de relative permissivité et une liberté d’action (Ciborra, 2002), mais aussi par une connaissance intime du monde concret (Lévi-Strauss, 1962 ; Duymedjian et Rüling, 2010) et une orientation vers l’action (Baker et Nelson, 2005). Le bricolage nécessite aussi des compétences relationnelles. La personnalité du bricoleur joue sur le projet de bricolage,

car « le bricoleur y met toujours quelque chose de soi » (Lévi-Strauss, 1962, p.32). Pour

accéder aux ressources, le bricoleur doit entretenir et mobiliser son réseau, favoriser le bricolage réseau (Baker et al., 2003), mais aussi développer de nouvelles relations pour accéder à de nouvelles ressources grâce, par exemple, à la participation des clients ou utilisateurs (Salunke et al., 2013).

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Éléments Catégories / explications Auteurs

La règle du jeu

« Making do » S’arranger avec les moyens du

bord

Lévi-Strauss, 1962 ; Baker et Nelson, 2005 Contextes/environnements Environnement avec peu de ressources -Contraintes de ressources -Manque de ressources -Pauvreté…

Baker et Nelson, 2005; Fisher, 2012; Halme et al., 2012; Desa et Basu, 2013; Salunke et al., 2013; Cunha et al., 2014 Environnement

de crise -Incendies -Crise financière

-Catastrophe naturelle…

Weick, 1993; Johannisson et Olaison, 2007; Bechky, et Okhuysen, 2011; Ansart et al., 2012 ; Englen et al., 2012

Environnement problématique

-Problèmes de coordination -Absence d’appropriation -Charge de travail qui évolue

Ciborra 2002 ; Chae et Lanzara, 2006 ; Comtet, 2009 ; De Vaujany, 2011 ; Johri, 2011

Environnement

les

contraintes sont des opportunités

Le manque de ressource devient une opportunité pour innover, inventer et faire différemment

Baker et Nelson, 2005 ; Di Domenico et al., 2010; Gundry et al., 2011 ; Desa et Basu, 2013

Environnement

créatif ou

inventif

-R&D

-Industrie des jeux vidéo -Industrie du digital…

Cohendet et Simon, 2007 ; Ansart et al., 2012

Structures et capacités

Développer une

structure -Equipe projet -Intrapreneuriat ad hoc, -Communautés de praticiens -Mémoire organisationnelle -Discours officiel favorable -Investissement de forme

Hargadon et Sutton 1997 ; Ciborra, 2002 ; Vacher, 2004 ; Duymedjian et Rüling, 2010; De Vaujany, 2011 ; Ansart et al., 2012 ; Tan, 2016 ;

Inculquer une culture de bricolage

-Considérer le bricolage comme stratégique,

-Approche décisionnelle basée sur le bricolage,

-Mode de gestion projet -Autonomie et permissivité -Favoriser le laisser-faire

Ciborra, 1994, 2002 ; Weick, 2001 ; Comtet, 2009 : De Vaujany, 2011 ; Jaouen et Nakara, 2014

Capacités collectives

-Favoriser l’action collective, -Avoir un biais pour l’action -Bricolage collectif de type

« familiar bricolage » ou

« convention-based bricolage »

Baker et Nelson, 2005 ; Duymedjian et Rüling, 2010

Capacités

relationnelles -Bricolage réseau -Nouvelles relations à travers l’implication des utilisateurs -Personnalité du bricoleur

Lévi-Strauss, 1962 ; Ciborra, 1996 ; Baker et al., 2003 ; Salunke et al., 2013 Capacités

individuelles - Résilience - Créativité

- Faire plus avec moins - Polyvalence technique - Ecoute et feed-back - Combiner les idées - Intimité avec le concret

Weick, 2001 ; Coutu, 2002 ; Baker et Nelson, 2005 ; Duymedjian et Rüling, 2010 : Ansart et al., 2012 ; Tan et al., 2016

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