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Conclusion du cadre théorique et proposition d’un cadre d’analyse

Le premier chapitre expose, sur le plan théorique, le contexte de la recherche : implémenter un ERP standard dans des petites filiales d’un groupe. Le second chapitre explore le bricolage comme voie alternative à une implémentation standard.

Chapitre 1

L’internationalisation des PME tend à dénaturer leurs spécificités, en impliquant des pratiques de managérialisation plus fortes (Torres, 1999, 2004), alors que l’exploitation des ressources et des compétences spécifiques constitue un point central pour la recherche d’un avantage compétitif dans les filiales (Torres, 1999). La littérature sur les relations siège et filiales montre le paradoxe de la gestion des ressources et compétences dans les filiales : intégration globale versus adaptation locale, flexibilité versus standardisation à travers l’installation de nouveaux outils managériaux comme les ERP. Les recherches sur l’implémentation d’ERP dans des PME sont très limitées (Esteves et Bohorquez, 2007 ; Hadarra et Zach, 2012 ; Deltour et al., 2014) ce qui nous invite à essayer de combler ce manque en explorant la mise en place d’un ERP dans un groupe de petites entreprises. La littérature grandes entreprises favorise des méthodes « vanille » basées sur les best practices (Wagner et Newell, 2004), même si elles sont source de conflits (Meissonier et al., 2012). Les rares recherches sur le sujet montrent les multiples défis et paradoxes à gérer dans une PME pour implémenter un ERP : la flexibilité, spécificité des PME vs la standardisation des ERP, le manque de ressources des PME vs le coût et la durée des projets ERP. La mise en place d’un ERP constitue une décision stratégique pour la PME (El Amrani et Saint Léger, 2013 ; Deltour et al., 2014). Ces développements théoriques conduisent à poser la question : comment une PME internationalisée peut-elle mettre en place un ERP, SI stratégique ? Cette question nous invite à étudier la littérature sur les approches stratégiques en SI (Chapitre 2).

Chapitre 2

Dans un premier temps, nous présentons les deux approches stratégiques en SI : le

114 l’approche basée sur les ressources, plus émergente et valorisant davantage le bricolage (Ciborra, 1999 ; 2002 ; Orlikowski ; 2000 ; De Vaujany, 2005a, 2011 ; Girard, 2012). Les PME, confrontées au manque de ressources, tendent à développer des pratiques de bricolage pour la mise en place d’un SI (Ciborra, 1997, 1999 ; Ferneley et Bell, 2006 ; Jaouen et Nakara, 2014). Le bricolage peut être considéré comme une stratégie pour construire et approprier un SI (Ciborra, 2002 ; De Vaujany, 2011 ; Jaouen et Nakara, 2014). Ciborra propose une stratégie basée sur un ensemble d’oxymores pour construire un SI stratégique et atteindre ou développer une valeur stratégique d’appropriation (De Vaujany, 2005a, 2011). Cependant, les travaux en SI n’exploitent pas en profondeur la notion de bricolage et son processus.

Afin d’enrichir la littérature et de pouvoir mieux appréhender de façon empirique les processus de bricolage, nous présentons le concept de bricolage en utilisant l’analogie avec la notion d’ingénieur et en exposant les différences avec des notions voisines, comme l’innovation, la créativité, etc. La revue de littérature hors le champ des SI permet d’identifier les caractéristiques d’un processus de bricolage (Lévi-Strauss, 1962 ; Baker et Nelson, 2005 ; Duymedjian et Rüling, 2010) : des conditions initiales propices, un répertoire constitué d’éléments hétéroclites, et des capacités à faire dialoguer les éléments du répertoire afin d’atteindre des résultats inattendus, souvent créatifs et innovants. Cette revue de littérature nous permet de définir le cadre d’analyse de la recherche, ainsi que les différentes propositions qui en découlent (P1, P2…).

Figure 10 : Cadre d’analyse : ERP et bricolage collectif

Pratiques de bricolage Créativité Innovation Valeur d’appropriation Conditions initiales et répertoire Conciliation intégration VS adaptation P1 P2 P3a P3b

115 La démarche de bricolage semble être intéressante, particulièrement pour la mise en place de TI au sein de PME confrontées à la rareté des ressources. Pour Ferneley et Bell (2006), il est important que la PME puisse apprendre des nouvelles opportunités et des performances du passé en interne ou en externe (mimétisme, bricolage réseau), pour implémenter un changement rapide (nouvelle technologie, ERP) à moindre coût afin de rivaliser techniquement avec les grands concurrents et être plus compétitive. Le bricolage semble constituer une voie possible pour l’implémentation d’un ERP au sein de petites filiales, tout en améliorant le SI stratégique du groupe. Le contexte de mise en place d’ERP dans des petites filiales se caractérise par une institutionnalisation très forte (présence du groupe, ses normes, sa volonté de rationalisation et de coordination), et par des facteurs de contingence importants au niveau local, ce qui crée des tensions et des dilemmes (dualité institutionnelle) pour les acteurs impliqués dans ce type de projet. Vacher (2004,

p.136) explique qu’« au décalage entre logique globale et locale répond donc ce mécanisme

que nous appelons « bricolage informationnel » ». Le bricolage semble être une voie intéressante pour réaliser cet arbitrage (Meyer et al., 2010).

Proposition 1 : Le bricolage permet de concilier les besoins d’intégration globale et d’adaptation locale au sein d’un groupe de petites filiales, disposant de ressources limitées.

Grâce à l’expérience et l’intuition individuelle, mais aussi à la capacité de coopération et d’intelligence collective, le bricolage permet aux entreprises de développer une certaine efficacité et réactivité face aux changements dans l’environnement et d’encastrer la technologie dans leurs pratiques (Ciborra, 1997, 2002). L'infrastructure du SI est reproduite, renforcée, transformée, contournée, détournée par un ensemble large de pratiques de bricolage, de dérapage et d’improvisation (De Vaujany, 2005a ; Ciborra, 1997, 1999) pour l’insérer dans les ressources spécifiques de l’entreprise, atteindre la valeur stratégique d’appropriation et disposer d’un avantage compétitif (De Vaujany, 2005a, 2011). D’autres auteurs (Comtet, 2009 ; Duymedjian et Rüling, 2010 ; Jaouen et Nakarra, 2014) suivent la vision de Ciborra et s’accordent sur le fait que le bricolage est une stratégie d’appropriation SI.

Proposition 2 : Le bricolage permet aux petites filiales de construire une valeur stratégique d’appropriation SI.

116 Selon Innes et Booher (1999), dans leurs moments les plus productifs, les participants à la formation de consensus s’engagent dans une sorte de bricolage collectif et spéculatif où ils jouent avec des concepts, des stratégies et des actions hétérogènes, et essayent de les combiner jusqu'à ce qu'ils créent un nouveau scénario qu'ils croient collectivement

capable de fonctionner. Le bricolage est une sorte de créativité collective : « Ce bricolage,

discuté ci-dessus, est un type de raisonnement et de créativité collective fondamentalement différent des types de consensus les plus familiers basés sur l'argumentation et le compromis » (Innes et Booher, 1999, p.12). Les idées créatives émergent, renforcent la mémoire active des communautés de pratiques et constituent un réservoir créatif grâce à une culture de bricolage et d’improvisation collective (Cohendet et Simon, 2015). Ce concept de réservoir d’idées créatives (Cohendet et Simon, 2007, 2015) est une notion proche du répertoire du bricoleur (Levi-Strauss, 1962). Chemin faisant, le processus de bricolage renforce la créativité de l’entreprise, sa capacité à faire face collectivement aux multiples contraintes et à saisir les opportunités de façon réactive.

Proposition 3a : le bricolage renforce la créativité de l’entreprise en favorisant l’émergence de capacités créatives et le développement du réservoir créatif.

Ces bricolages ou créativités collectifs sont fruits des « actions situées » et des « acteurs situés » mettant en œuvre cette technologie, afin de l’intégrer dans les pratiques quotidiennes des utilisateurs, générant ainsi, des innovations qui sont à la fois technologiques avec des nouveaux usages et applications de la technologie (Ciborra, 2002 ; Chae et Lanzara, 2006 ; De Vaujany, 2011), mais aussi managériales (Ciborra, 2002) avec la création de nouvelles routines (Ciborra, 2002 ; De Vaujany, 2011), de nouvelles structures (Lanzara, 1999 ; Chae et Lanzara, 2006) et de nouvelles méthodes de travail (Jaouen et Nakara, 2014). Le bricolage semble répondre à cette volonté managériale de mettre en place et d’approprier de nouveaux dispositifs (ERP) et la poursuite d’opportunités (disposer d’un SI stratégique comme avantage concurrentiel), tout en ayant un SI qui répond aux besoins de proximité et de flexibilité. Chemin faisant, les processus de bricolage et créativité renforcent l’innovation technologique et managériale, et aboutissent à de nouvelles pratiques et solutions technologiques.

Proposition 3b : le bricolage, en renforçant la créativité de l’entreprise, participe à la création de nouvelles pratiques (innovation managériale) et solutions technologiques (innovation technologique) inimitables et situées en action.

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Terrain et méthodologie de