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Du bricolage SI à la vision Ciborrienne Section 2

1. Le bricolage dans le domaine SI

L'approche du bricolage est utilisée par certains auteurs dans les études SI (Ciborra, 1994, 1997, 2002 ; Nandhakumar et Avison, 1999 ; Orlikowski, 2000 ; Bansler et Havn, 2003 ; Vacher, 2004 ; Chae et Lanzara, 2006 ; Elbanna, 2006 ; Ferneley et Bell, 2006 ; Comtet, 2009 ; De Vaujany, 2011 ; Jaouen et Nakara, 2014). Pour Nandhakumar et Avison (1999), le recours au bricolage dans le développement des SI a autant sa place que la planification

au sein d’une organisation : « Les résultats indiquent que le processus de développement SI

est caractérisé par un flux continu d'intervention, de bricolage, d'improvisation, d'opportunisme et de négociation mutuelle autant que par la régularité, les jalons de progrès, la planification et le contrôle de gestion » (Nandhakumar et Avison, 1999, p188). Orlikowski (2000, p.411-412) souligne que les technologies ne sont jamais complètes,

mais « stabilisées pour l'instant, car les technologies continuent d'évoluer et sont bricolées

par les utilisateurs, concepteurs, régulateurs et pirates ». Les utilisateurs peuvent changer leurs technologies en bricolant en improvisant, en générant des innovations situées en réponse à des opportunités ou à des défis inattendus, comme lorsqu'une solution de contournement temporaire devient la pratique préférée, car elle s'avère plus efficace que la pratique originale (Orlikowski, 2000). Bansler et Havn (2003) expliquent que la mise en œuvre informatique est un processus plutôt spontané et continu impliquant bricolage, itération, expériences pratiques à petite échelle, réajustements locaux et improvisations. Ils considèrent le processus de bricolage informatique comme plus façonné par l'action que par des plans, et plus par l'attention que par l'intention.

Vacher (2004) explique que quand le bricolage SI est pris en compte au niveau stratégique et considéré avec intérêt au niveau opérationnel, il favorise alors l’intelligence collective, facteur de performance. Elle montre que le bricolage favorise l’appropriation des outils

72 informatiques par les membres de l’organisation, qui participent à leur élaboration et

permettent « de contourner les habituelles chausse-trappes de rejet et de non-pertinence

globale malgré les logiques locales (Berry, 1983)… penser le bricolage, en particulier informationnel, permet d’approfondir la question du lien entre « penseurs » et « classeurs », entre décideurs et manutentionnaires de l’information » (Vacher, 2004, p.132).

À partir du cas d’un ERP implémenté dans une université, Chae et Lanzara (2006) montrent que le bricolage est une démarche importante dans la mise en œuvre des technologies à grande échelle. Pour ces auteurs, les systèmes à grande échelle de grande complexité fonctionnelle et structurelle (comme les ERP) peuvent difficilement être conçus ou reconvertis à partir de zéro. Au contraire, ils tendent à être le résultat du rapiéçage, de la recombinaison et du bricolage. Le bricolage est un principe de conception et de composition opposé à l'approche de réingénierie « blueprint » qui est populaire dans les initiatives de changement technologique actuelles (Chae et Lanzara, 2006).

L’étude d’Elbanna (2006), seule étude avec celle de Chae et Lanzara (2006) ayant traité à notre connaissance la mise en œuvre d'ERP d'un point de vue bricolage, montre que le déploiement d'un ERP au sein d'une société mondiale de produits alimentaires suit un modèle d'improvisation générant de nombreux bricolages. Elle explique que la mise en œuvre est caractérisée par de fortes contingences et l'adhésion au contournement (work around) du plan pour pouvoir obtenir des solutions aux problèmes émergents.

Comtet (2009), dans son enquête en 2008 sur les usages professionnels des TI, constate

que face aux nécessités d’usage des SI, « dans toutes les situations, les utilisateurs n’ont

alors guère le choix : ils bricolent (50% des cas). C’est-à-dire qu’ils remettent un outil défaillant en conformité avec leurs besoins » (Comtet, 2009, p.6). Les salariés sont obligés de s’engager dans une réappropriation régulière et permanente des outils qu’ils utilisent (97% des répondants gèrent par eux-mêmes les défaillances de leur SI). Pour eux, il ne s’agit plus seulement de s’approprier, mais d'improviser et bricoler le SI (Comtet, 2009). « Le bricolage est une phase nécessaire, et toujours d'actualité, de l’appropriation des technologies dans le contexte de l’entreprise » (Comtet, 2009, p.8). Un contexte où l’activité professionnelle évolue régulièrement, sans que les SI puissent s’adapter et/ou sans que l’organisation puisse répondre aux besoins de ses utilisateurs (Comtet, 2009). Le

bricolage met ainsi en avant « l’intelligence pratique » : « Dans cette optique, le bricolage

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où ces dernières sont porteuses de sens au niveau de la relation organisation-acteur-contexte » (Comtet, 2009, p. 4). Elle conclut son enquête par la nécessité de considérer le bricolage non seulement comme une phase d’appropriation des TI par les usagers, mais aussi comme une compétence à part entière des usagers au fil de l'évolution permanente des dispositifs technologiques (Comtet, 2009).

Duymedjian et Rüling (2010), dans leur revue de littérature sur la théorie du bricolage, expliquent que l’aspect flexible et maniable des objets numériques rend le bricolage des SI plus facile (Duymedjian et Rüling, 2010). L’usage réel du SI est rarement celui pour lequel il était initialement conçu, ils sont détournés, fragmentés, recréés et recombinés de façon à les approprier et les adapter à la structure (Duymedjian et Rüling, 2010).

De Vaujany (2011), lors de son étude de la mise en place d’un système intranet au sein de France Telecom, constate que les bricolages et usages inattendus ont largement facilité l'appropriation de l'outil. Des améliorations locales ont vu le jour grâce aux bricolages survenus lors des appropriations de l'intranet. Ces améliorations concernent plusieurs

niveaux : « Une partie des commerciaux a témoigné d'une plus grande disponibilité envers le

client et d'une plus grande flexibilité. La circulation de l'information ainsi que son actualisation ont été améliorées… De nouveaux métiers ont fait leur apparition » (De Vaujany, 2011, p.53-54). A contrario, De Vaujany (2011, p.53) souligne que dans certains

cas ces bricolages ne sont pas probants : « Les possibilités de bricolage ne permettent ainsi

pas toujours de dépasser les obstacles dus à une technologie dont les modes de fonctionnement supposés peuvent être trop éloignés des modes de fonctionnement habituels ».

Pour Lanzara (1999, p.347), le bricolage est une stratégie de design des SI : « En exploitant

les propriétés des structures existantes à des fins interactives et génératives ... D'une part, en expérimentant des constructions transitoires, le bricolage permet une certaine variabilité et une improvisation sans encourir les perturbations possibles causées par une instabilité excessive et un changement radical ; d'autre part, en assemblant des structures robustes, mais également manipulables, cela permet un certain ordre et une fiabilité sans limiter les chances d'amélioration du système et d'innovation. En bref, le bricolage rend improbables l'innovation radicale et l'effondrement complet ». Lanzara (1999) appelle les chercheurs SI à être plus « sensibles » aux opportunités stratégiques offertes par le bricolage pour la conception des systèmes d’information.

74 Jaouen et Nakara (2014) expliquent que les dirigeants et managers des petites entreprises adoptent deux démarches de bricolage SI : le bricolage par nécessité et le bricolage stratégique. Le bricolage par nécessité permet de faire face aux contraintes de ressources, ce que Ansart et al. (2012) appelle bricolage tactique, inscrivant le geste du bricoleur dans un espace de contraintes acceptées comme telles (De Certeau et al. , 1990). Ce type de

bricolage « semble relever essentiellement de la recherche de contrôle des coûts, et se

caractérise par une certaine improvisation » (Jaouen et Nakara, 2014, p.241). Mais le bricolage est aussi stratégique et peut être considéré comme une stratégie d’implémentation de système d'information au sein des PME, cherchant à optimiser leurs ressources et leurs compétences disponibles et à rendre leurs outils plus créatifs grâce au bricolage (Jaouen et Nakara, 2014). Cette stratégie de bricolage peut se révéler efficace : « En effet, des outils « bricolés sur mesure » par les dirigeants eux-mêmes peuvent fournir des informations parfois plus pertinentes que des SI standards. Ceci est de nature à mieux aider les dirigeants dans leur prise de décision » (Jaouen et Nakara, 2014, p.244).