Les stratégies de synthèse étudiées dans ce chapitre avaient pour but la
formation de composés purs et la variation aisée de leur structure ; c’est-à-
dire le nombre d’unités thiophène et la nature des chaînes latérales. Dans cet
objectif deux types de réactions ont été utilisées, d’une part l’alkylation d’oli-
gothiophènes par substitution nucléophile, et d’autre part la formation d’un
lien carbone-carbone entre unités thiophènes grâce au couplage de Suzuki.
L’alkylation des oligothiophènes est une étape essentielle pour la modu
lation des propriétés thermotropes. L’utilisation conjointe de n-BuLi et de
î-BuOK permet d’alkyler les oligothiophènes dans les positions a et u et ce en
une seule étape. L’utilisation du n-BuLi seul, comme base, était déjà connue
de la littérature [106] mais ces résultats n’ont pu être reproduits. On peut
donc conclure que le facteur important de cette alkylation est l’utilisation
de t-BuOK. Le nombre d’unités thiophène ne joue pas de rôle prépondérant.
Les synthèses en une seule étape d’alkylthio,phènes 38b-h, dialkylbithio-
phènes 27a-b et de dialkylterthiophènes 5a-f ont été réalisées avec succès.
Les rendements varient entre 80 et 95 % .
Le couplage de Suzuki a aussi été largement utilisé, aussi bien pour les
composés dissymétriques et les dérivés du quaterthiophène symétriques que
pour les composés pontés. Ce type de conplage permet d’obtenir des composés
purs aisément séparables de leurs produits secondaires par simple recristalli
sation. Le couplage de Suzuki s’est révélé être la réaction clé de la formation
de dérivés d’oligothiophène dissymétriques.
-La formation d’oligothiophènes dissymétriques implique la présence de
deux substituants différents sur les positions a et u. La monoalkylation du
terthiophène étant impossible dans les conditions simples décrites précéde-
ment, il faut passer par deux intermédiaires possédant chacun un des substi
2. Synthèse
tuants désirées. Ces deux intermédiaires sont ensuite couplés par une réaction
de Suzuki. Il est évident que la dissymétrisation va de pair avec l’augmen
tation du nombre d’étapes de synthèse. La synthèse des quaterthiophènes
dissymétriques nécessite au total 6 étapes pour un rendement global variant
entre 10 et 11% à partir du 2-bromothiophène 32.
La dissymétrisation des oligothiophènes est une étape déterminante pour
la synthèse des composés pontés. Les esters boriques d’alkyloligothiophènes
communs aux synthèses précédentes sont des synthons indispensables pour
arriver aux molécules pontées désirées. A ces 5 étapes, il est nécéssaire d’ajou
ter la synthèse d’un second synthon, le nombre d’étapes dépend de la taille
du corps aromatique et de la chaîne alkyle désirée, cela peut ajouter jusque
4 étapes supplémentaires. L’introduction du pont éthylène allonge la syn
thèse de 5 étapes à partir de l’hydroxycétone 41. Le rendement global des
composés comportant un pont éthylène varie entre 42 et 47% à partir de 41.
Chacun des composés décrits dans ce chapitre a été synthétisé en quantité
et pureté suffisante pour l’étude de leurs propriétés physiques. Ces propriétés
sont décrites dans le chapitre suivant.
Rappelons que notre travail a un but fondamental, à savoir mettre en
évidence une relation entre la structure moléculaire de nos composés et leurs
propriétés thermotropes et un but appliqué, à savoir, synthétiser un dérivé
du terthiophène ou/et du quaterthiophène possédant une phase cristal li
quide à température ambiante. La présence de cette dernière doit permettre
l’obtention aisée de films minces composés de larges monodoniaines où les
molécules seraient uniformément orientées et alignées. Pour déterminer la
présence de phases cristal liquides dans les molécules 5a-f et 7a-c et 6a-h et
8a-c, il est nécessaire de mener une étude complète de leurs propriétés ther
motropes. Ces molécules synthétisées précédemment ont toutes été étudiées
par DSC et microscopie en lumière polarisée, la plupart des phases cristal
liquides ont aussi été caractérisées par diffraction des Rayons X (RX). Les
diffractogrammes ont été relevés par Nicolas Boucher et leur interprétation
est menée en commun au sein du projet ETIQUEL L Ces trois techniques
sont complémentaires pour déterminer la nature des phases présentes. Cela
va nous permettre dé faire une étude comparative afinr4e-mettre~en évidence
les relations entre la structure chimique et les propriétés thermotropes. Rap
pelons qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune théorie permettant de prédire
^Le projet ETIQUEL est financé par la Région Wallonne (n° de convention ; 04/1/5706)
et forme un cadre général dans lequel cette synthèse s’inscrit.
3.Propriétés thermotropes
le comportement thermotrope d’un composé organique à partir de sa struc
ture moléculaire et que cela justifie pleinement une approche expérimentale.
Les phases cristallines de ces différents composés n’ont pas été étudiées car
l’équipement de diffraction des rayons X n’est pas adapté à l’étude de mo
nocristaux [92].
D’autre part, nous avons aussi étudié les propriétés thermotropes des
composés pontés 9a-b, 10 et 11 dont les synthèses sont décrites dans le
chapitre précédent.
3.1 Interactions supramoléculaires et proprié
tés des alcanes et des oligothiophènes
Dans ce travail, nous désirons obtenir des molécules présentant une phase
cristal liquide à température ambiante. En se basant sur ce qui est connu
dans la littérature, c’est-à-dire le principe de micro-ségrégation un design
favorable pour l’obtention de phases cristal liquides consiste à connecter des
chaînes alkyles à un corps aromatique. La structure tt conjuguée apporte la
rigidité aux molécules tandis que la présence des chaînes alkyles confère une
certaine flexibilité. Deux corps aromatiques ont été choisis : le terthiophène
et le quaterthiophène. Pour chacun de ces oligothiophènes, des chaînes ali
phatiques ont été greffées en position a et uj. La variation de la structure
moléculaire au sein de familles d’analogues structuraux nous a permis de
modifier graduellement les phases et les températures de transition. Ces
der-^Le principe de microségrégation est défini comme suit : les segments possédant une
polarité, une polarisabilité et/ou une rigidité comparable ont tendance à s’assembler, ce
qui induit des organisations supramoléculaires spécifiques à l’état solide. Ce principe n’a
cependant jamais été formulé de manière quantitative pour les molécules. Il n’est pas
correct de parler de séparation de phase dans le cas de molécules. Par contre, les macro
molécules composées de plusieurs segments (copolymères séquencés) forment des phases
différentes [120]
nières résultent de la nature des différentes interactions supramoléculaires et
de leur magnitude.
Voyons maintenant les interactions supramoléculaires qui induisent la co
hésion des phases condensées des hydrocarbures aliphatiques, du thiophène,
des oligothiophènes et des oligothiophènes subsitutés en a et n;. Le livre de
Jacob Israelachvili “Intermolecular and surface forces” [121] nous servira de
référence générale. Les molécules considérées dans ce travail ne possèdent pas
de charge électrique, ni d’atome d’hydrogène lié à un atome d’azote, d’oxy
gène ou de soufre, nous ne discuterons donc pas des interactions ioniques et
des ponts hydrogènes. Les interactions moléculaires qui prévalent sont : les
interactions dipolaires, les interactions dipôle-dipôle induit, les interactions
dipôle induit-dipôle induit, les interactions quadrupolaires et les interactions
répulsives. Les expressions mathématiques donnant le potentiel d’interaction
de paire entre atomes et molécules sont présentées dans la figure 3.1.
Nous pouvons constater qu’à l’exception des interactions quadrupolaires,
qui présentent une dépendance compliquée par rapport à la distance, les
autres interactions sont non-directionnelles et dépendent de la distance en
— ^ pour les interactions attractives (3<n<6) et ^ pour les interactions
répulsives. La directionnalité des interactions entre les molécules apparaît
lorsque l’on considère la structure moléculaire et que l’on somme l’ensemble
des interactions entre les atomes des molécules adjacentes.
Il est à noter que le ternie interactions de “ Van der Waals” est enta
ché d’une certaine ambiguïté. Certains auteurs Ihitihsent tour à tour comme
synonyme des interactions dipôle induit-diplôle induit et d’autres comme sy
nonyme de l’ensemble des interactions de Debye, Keesom et London dont le
potentiel d’interactions de paire varie selon w(r)-< —^ [121][71][110j.
tempéra-3.Propriétés thermotropes
Type d'interactions Energie d'interaction w(r)
Dipôle-dipôle Dipôle-dipôle induit Dipôle induit- dipôle induit Quadrupôle-quadrupôle Répulsion rotation libre -UiU2[2COSOiCOS02 - sinS I si n6;Cos<t)]/4itsor^ -U 1 ^U2^/3(4;[go)^kT r® (Keesom) -u^a(l+3cos^0)/2{4rt£o)^r® -u^a/(4rtEo)^r® (Debye) a
O
r a 3 4 (4;tSo)^r® (London) dépendance compliquée en fonction des distances d et I et de l'angle '¥-O— + —
(partie répulsive du potentiel de Lennard-Jones)
Fig. 3.1 - Interactions entre atomes et molécules (approximées par des formes
géométriques simples) dans le vide. W(r) est l’énergie d’interaction (J) ; u
est le moment dipolaire (C m) ; a est la polarisabilité (C^m^J“^) ; r est la
distance entre atomes ou molécules (m) ; est la constante de Boltzmann
(1.381x 10“^^ JK“^) ; T est la température (K) ; h est la constante de Planck
(6.626x 10“^'* Js) ; iz la fréquence d’ionisation électronique (s“^) ; eoest la per-
mitivité du vide (8.854x ; C est une constante déterminée
empiriquement (Jm^^).
ture et de l’enthalpie des transitions de phases. Cette dernière doit être éva
luée en fonction de k^T, où kg est la constante de Boltzmann (1.38 10“^^
J/K) et T est la température (K). La loi empirique de Truton (équation 3.1)
montre que l’enthalpie (AHyap.) divisée par la température d’ébullition (Tet)
vaut environ 80 JK“^mol“^ pour une pression d’une atmosphère (équation
3.1). Ceci revient à dire que l’énergie cohésive d’un liquide est d’environ Ok^T
par molécule [121].
80JK-^mol-^ (3.1)
Teb
Nous pouvons donc évaluer l’énergie cohésive à l’état liquide qui résulte
des sous-unités qui composent nos molécules (tableau 3.1). En approximant
un biradical thiénylène au thiophène et un radical n-octyle à l’octane. Nous
remarquons immédiatement que ces deux sous-unités possèdent une énergie
de cohésion du même ordre de grandeur.
composé TébuUitioni^) Energie de cohésion (Jmol ^)
Ô 357 « 26.7
CH3-(CH2)6-CH3
399 29.8
Tab. 3.1 - Estimation de l’énergie de cohésion à l’état liquide du thiophène
et du n-octane, à partir de leur température d’ébullition [122].
Tournons-nous maintenant vers l’état solide et discutons séparément du
type d’interactions attendu pour chaque partie des molécules. Le quaterthio-
phène 14 ne diffère du terthiophène 13 que par une unité thiophène. Ces deux
composés possèdent un moment quadrupolaire. Mais pour le terthiophène,
le nombre d’unités thiophène est impair, il possède donc un dipôle perma
nent (0.96 Debye [123]). La présence de ce dipôle permanent ne semble pas
jouer de rôle prépondérant dans l’évolution des températures de transition.
3.Propriétés thermotropes
La différence de température de fusion, plus élevée de 120 °C en faveur du
quaterthiophène, est plus que probablement liée à la présence d’une unité
thiophène supplémentaire. Dans le tableau 3.2, on constate que pour la série
d’oligothiophènes décrits, chaque unité thiophène supplémentaire provoque
l’augmentation de la température de fusion.
Composés
Moment
dipolaire
TfusionÇC) fusion(kJmoU^)
fusion(JK-^mol-Q
ô 0.52 D [124] -38.0 5.0 21.3 [122]
0 33.0 16.5 53.9 [125]
0.96 D [123] 95 18.9 51.4*
0 215.0 31.4 64.3*
* résultats obtenus au laboratoire par des mesures DSC
Tab. 3.2 - Comparaison de la température, de l’enthalpie et de l’entropie
de fusion d’oligothiophènes dont le nombre d’unités thiophènes varie de un
à quatre.
Qu’en est-il de l’influence de la structure des alcanes ou alcènes sur la
température de fusion? Dans la figure suivante 3.2, nous avons repris la
température de fusion d’une série de composés aliphatiques, afin d’étudier son
évolution en fonction du nombre de carbones, de la présence de branchements
et de doubles liaisons [84].
On constate que l’augmentation du nombre de carbones, de 3 carbones à
10 carbones dans la série des alcanes linéaires provoque une augmentation de
la température de fusion d’une manière prévisible. Un effet pair-impair est
250-1
200
-c
g
'</)D
M—
0
■O
0
3
ro
k_-0
Q.
E
0
I-Composés Tf (k) ÂHf(Umol-l) ASf(JK-lim)l-I) propan.' 83 3.52 42,41 iHiane 135 4.66 34.52 1 pentaæ 143 8.40 58.74 lc\atc 178 13.09 73 54 brptaæ 183 14.04 76.72 ociaiK 216 20.75 96.06 nonar£ 222 15.47 6968 (kcaw 243 22.72 93.50 191 ■ 2.&-dnKthvloctai: 2)8 IransO-octem 183 cis-2-octène 173 2.7•dinéü^iocta-2.(>-dBns 199
150-\
100
-/
-| ' 1 '—I '—I—' r—
4 5 6 7 8
Nombre de carbones
10 11
Fig. 3.2 - Evolution des températures de fusion de composés aliphatiques
en fonction du nombre de carbone. Le tableau rapporte la valeur des tempé
ratures de fusion (T/), l’enthalpie (AH/) et entropies (AS/) de fusion [84].
aussi clairement présent sur ce graphiciue, le passage d’un alcane possédant
un nombre pair de carbones à un alcane possédant un nombre impair de
carbones, se fait moins ressentir au niveau de l’évolution des températures
de fusion, AT/ 5-8 K, alors que dans le cas contraire, AT/ 20-50 K. On
note aussi que la présence d’une ou deux doubles liaisons ainsi que de un ou
deux branchements conduit à une diminution de la température de fusion.
Cette courte introduction montre cpie quatre variations structurales vont
dominer les propriétés thermotropes, à savoir : le nombre d’unités thiophène.
3.Propriétés thermotropes
le nombre de carbones dans les chaînes aliphatiques, la présence ou non de
branchements dans les chaînes aliphatiques et la présence ou non de doubles
liaisons. Voyons maintenant les résultats expérimentaux obtenus pour les
molécules synthétisées dans le cadre de cette thèse.
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