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PRATIQUE »

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L’Amérique Latine note d’importantes avancées, de notables progrès à propos des droits féminins, depuis plusieurs décennies, grâce notamment à la mobilisation certes éparse mais massive des femmes. La région a créé des programmes, des plans, des structures pour éliminer les inégalités locales, a déployé de réels efforts pour instaurer l’égalité de droit.

‘La’ femme américaine est une abstraction. L’hétérogénéité des femmes latino-américaines leur confère une situation, une condition propres à l’espace, à la région, au pays.

Car, ne l’oublions pas, l’Amérique Latine est une région aux réalités sociales disparates, avec une modernisation inégale, à l’intérieur même d’un pays. Cependant, sur tout le continent, la situation et la condition des femmes restent dans certains domaines et espaces relativement précaires.

« La plupart des pays a signé la Convention des Nations Unies, CEDAW, sans pour autant l’avoir ajusté à leur législation. Beaucoup moins de pays ont mis en place des politiques et des actions affirmatives pour changer la situation réelle de discrimination. Sur le marché du travail, la femme connaît une importante discrimination avec une inégalité d’opportunités, une dévalorisation des tâches qui lui sont attribuées voire imposées, une absence de protection légale face à la maternité. Le droit du travail des femmes soulève une préoccupation et une mobilisation de l’Etat depuis longtemps. Mais, E. Jelin évoque ici un effet ‘boomerang’ sans véritables bénéfices pour les femmes. Selon elle, il faudrait à cet égard, supprimer la législation ‘protectrice’ relative à la force physique, morale et au rôle familial (pas de tâche lourde, qualifiant ainsi le sexe féminin de ‘sexe faible’ ; pas de tâche nocturne pour protéger sa moralité ; pas non plus de tâche insalubre pour protéger sa faiblesse et pour ne pas affecter sa capacité reproductive) et la remplacer par des principes qui tiennent compte des transformations technologiques, susceptibles de redéfinir, par exemple, les tâches lourdes jusqu’ici interdites. Ceci implique une profonde révision de la relation entre les sphères de la production et de la reproduction, et spécifiquement, une redéfinition des responsabilités et des tâches de l’homme et de la femme dans le travail domestique et dans les rôles familiaux (processus qui sera évidemment lent et difficile à cause du poids de la tradition culturelle). De plus, dans son travail, la femme est parfois soumise à des activités semi serviles, à la prostitution, ainsi qu’au harcèlement sexuel (qui commence d’ailleurs dans les pays centraux à être reconnu comme une violation aux droits humains).

C’est un fait important et général en Amérique Latine. Mais l’ampleur effective ne peut être évaluée à cause du silence, de l’invisibilité et de la culpabilité de la victime. Comme pour la violence domestique et les viols, il existe une reconnaissance sociale de ce phénomène et de nombreux services d’appui et d’aide. Mais sans la légitimation de la dénonciation, sans une reconnaissance du phénomène en tant que violation des droits humains, sans instance de

367 Jacques Véron, Le monde des femmes. Inégalités des sexes, inégalités des sociétés, Edition du Seuil, 1997, page 41.

pénalisation des responsables, le harcèlement et l’abus sexuels resteront des faits de sociétés généralisés, globaux »368.

Les droits politiques sont concédés à la femme, mais semblent peu appliqués dans la réalité.

L’effectivité des normes qui déclarent l’égalité semble être ébranlée par la discrimination indirecte. Le système patriarcal, le machisme, la subordination des femmes, les violences sociale, familiale, et notamment domestique, contrôlent et déterminent encore à l’heure actuelle la vie privée et publique des femmes latino-américaines.

Les mesures légales protégeant la femme ne garantissent en rien leur application dans la réalité, et n’ébranlent pas forcément les préjugés, les schémas traditionnels et les comportements socioculturels. Dans les faits, le poids des mentalités et la crise économique ont des répercussions non gérées par les gouvernements sur les femmes. L’épanouissement de la femme, sa participation sociale et politique semblent alors contrariés par un certain nombre d’idées et de croyances traditionnelles largement diffusées et parfois indirectement, par le biais de réformes ou de droits, par les médias, les institutions religieuses.

« La directrice de sous siège de la Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL) de Mexico, Rebeca Grynspan, indiqua que l’Amérique Latine continuait de vivre dans des sociétés où domine l’inégalité de genre. Bien que soient reconnus les droits des femmes, cela ‘ne signifie pas qu’ils s’accomplissent’ »369.

Les brèches qui existent entre ce qui est formellement stipulé comme obligation des Etats dans les législations nationales et ce qui est finalement traduit au niveau des politiques publiques sont importantes, tout comme celles qui existent entre ce qui se plante comme politiques publiques et ce qui se concrétise dans la réalité. En Amérique Latine, demeurent un important écart entre la situation de droit et celle de fait, une distance entre la norme juridique et sa réalisation, pas seulement pour le cas des femmes. De même, comme le souligne Nea Filgueira, il existe un décalage entre les marques culturelles et celles implantées par les recommandations, les instruments venant de l’extérieur. Ainsi, la région illustre les paradoxes et les controverses des conventions internationales, qui se veulent universelles.

L’implantation de politiques néolibérales a supposé la redéfinition du modèle de l’Etat et la réduction de ses responsabilités et attributions. Les agents de la communauté internationale, en particulier le système financier international, imposent souvent leur agenda et leadership.

La hiérarchie de l’Eglise Catholique, appuyée par les secteurs conservateurs de la société, joue également un rôle influent dans la médiation de certains conflits, et dans la définition des politiques, ainsi que les mouvements féministes et féminins. En Uruguay, « les actions développées ne constituent pas une politique d’Etat et dépendent de l’initiative et de la volonté des personnes qui occupent les postes de décisions, ou de l’appui des organismes internationaux, que d’une volonté gouvernementale »370. Selon R. J. Cook, les conditions qui

368 V. Rozée, « Les femmes latino-américaines: Mobilisations et changement social », Mémoire de DEA, à l’EHESS, sous la direction de Y. La Bot, 2001, pages 74 et 75.

369 “La directora de la subsede de la Comisión Económica para América Latina y El Caribe (CEPAL) en México, Rebeca Grynspan, indicó que Latinoamérica todavía vive en sociedades donde predomina la desigualdad de género. Si bien ya se reconocen los derechos de las mujeres, esto ‘no significa que se cumplan’ ” (Redacción central, AP y EFE, “Los derechos de las mujeres se difunden, pero aún no se cumplen”, La Razón, 08/03/2005).

370 “Las acciones desarrolladas no constituyen una política de Estado y dependen más de la iniciativa y la voluntad individual de personas que ocupan cargos de decisión, o del apoyo de organismos internacionales, que

bloquent l’accès à l’égalité de droits sont dues en partie au manque de volonté politique sincère pour améliorer la circonstance sociale de la femme.

Hanna Binstock écrit qu’il est temps de passer de la déclaration à l’opérationnalisation371. Le processus de reconnaissance de l’égalité des droits et des opportunités entre hommes et femmes doit se traduire en mesures législatives. Mais, pour atteindre des progrès importants dans l’élimination des facteurs discriminants, cela requiert comme condition essentielle que ces progrès en matière légale soient étroitement liés à des actions qui permettent de surmonter les obstacles identifiés dans chaque réalité nationale.

Ana Cristina González, lors du Forum International « les femmes au 21ème siècle », avance la nécessité d’une connaissance approfondie et de se réapproprier les instruments internationaux comme la CEDAW. Au Panama, « l’amélioration de la situation devra (…) passer par de vastes campagnes d'informations au plan national et par une politique éducative ambitieuse »372. La situation peut tendre à s’améliorer avec la consolidation et la reconnaissance des mouvements de femmes, qui à travers leur mobilisation peuvent faire pression sur le gouvernement, mais également aider à conscientiser les femmes sur leurs droits et dépasser les clivages sociaux de genre. « Contre le pouvoir de l’argent, contre le pouvoir de l’idéologie patriarcale. Soulever le droit à la citoyenneté et faire en sorte que la citoyenneté s’exprime » est désormais le mot d’ordre stratégique des mouvements des femmes uruguayennes.

de una voluntad política gubernamental” (Moriana Hernández Valentini, Radiografía del país Ururguay, CLADEM, 2002, page 8).

371 Hanna Binstock, Hacia la igualdad de la mujer. Avances legales desde la aprobación de la Convención sobre la Eliminación de todas las Formas de Discriminación contra la Mujer, Serie Mujer y Desarrollo, Naciones Unidas, CEPALC, Agosto de 1998.

372 G. Tamayo Leon, Cuestion de vida, Balance regional y desafios sobre el derecho de las mujeres a une vida libre de violencia, CLADEM, 2000, page 341.

Chapitre V :

« Des mesures politiques à la réalité