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C. La psychologie sociale

3. Concepts de cognition sociale

Ces concepts peuvent aider le corps soignant, entre autres, à comprendre le fonctionnement des individus. Cela permet aux praticiens de prêter attention aux jugements rapides et aux émotions qui y sont reliées d’une part. D’autre part, cela permet de minimiser le sentiment de culpabilité lorsque le chirurgien-dentiste (ou l’assistante) réalise certaines de ses pensées. Mieux comprendre les mécanismes de ces « raccourcis cognitifs », permet de les accepter et, au lieu de les associer à des affects, de les laisser aller en évitant de les reproduire.

a. L’attribution causale

Réaliser une attribution causale est le moyen par lequel l’individu s’explique un évènement. C’est sa manière de décrypter le monde social qui l’entoure. L’attribution peut être interne ou externe. Une attribution interne expliquera le comportement de quelqu’un par des facteurs inhérents à cette personne : « si monsieur Jean n’est pas venu à son rendez-vous dentaire, c’est qu’il est peureux ». Cela influence la vision de cette personne sur ses intentions, sa motivation, ses efforts et ses capacités. Une attribution externe en revanche, justifiera le comportement de quelqu’un par des facteurs externes à cette personne: « si monsieur Jean n’est pas venu c’est à cause des embouteillages ». Cela ne donne aucune information sur la personne mais explique un évènement par le hasard ou par son contexte.

Ces attributions sont naturelles et protectrices. Elles permettent de trouver des repères au sein d’un groupe socioculturel. Il faut en revanche être attentif aux erreurs d’attribution car les attributions relèvent souvent de la supposition. Elles peuvent être encodées en mémoire comme réelles et créer et ancrer une certaine représentation sociale de l’individu à l’origine de cette attribution (ici Mr Jean).

b. L’erreur fondamentale d’attribution

Faire une erreur d’attribution fondamentale est une tendance commune à surestimer les facteurs internes au détriment des facteurs externes afin d’expliquer le comportement d’autrui. Les causes de cette erreur sont : le besoin de compréhension, de justice sociale, de contrôle et de norme d’internalité.

Dans l’exemple précédent, cela reviendrait à ne pas considérer les embouteillages fréquent à l’heure du rendez-vous manqué de Mr Jean et de déclarer que « cela se voyait qu’il était bien trop angoissé pour ce rendez-vous ». Le comportement expliqué avec une probable erreur d’attribution étant ici, l’absence du patient.

c. La norme d’internalité

La norme d’internalité est particulièrement valorisée dans notre société. Elle fait l’attribution d’un évènement social à un individu. Faire une attribution interne plutôt qu’externe s’apprend souvent dès le plus jeune âge, en milieu scolaire: une mauvaise note est souvent suivie par un commentaire du type « ne fait pas suffisamment d’efforts » lorsque certains élèves vivent des évènements externes hors de leur contrôle.

Ce concept s’applique à nombreuses situations au cabinet : « cette personne a beaucoup de caries », cause interne : « car il a une mauvaise hygiène» plutôt que, cause externe : « il y a eu des carences lors du développement, l’émail est très fin». L’évènement social analysé avec une norme d’internalité est donc ici : la formation d’une carie.

d. Le biais acteur-observateur

Le biais acteur-observateur est l’écart conséquent entre les différentes attributions d’un même individu. Chaque individu a tendance à justifier son propre comportement par des facteurs

externes indépendants de sa volonté mais d’accuser autrui d’avoir des comportements motivés par des facteurs internes.

Il est intéressant pour les praticiens de tenir compte de ce biais pour ne pas tomber dans ce piège lorsqu’ils tentent de se mettre à la place des patients pour mieux les comprendre. Voici un exemple : « Mr Jean ne s’est pas brossé les dents avant de venir. Personnellement si je ne l’ai pas non plus fait ce midi c’est que je n’ai pas eu de pause, lui, n’était certainement pas motivé car il est à la retraite. » Le praticien a une excuse externe : le manque de temps. La cause de l’évènement provient, pour le patient, certainement d’une raison intrinsèque : son absence de motivation.

e. L’hypothèse du monde juste

La croyance en un monde juste détermine qu’il n’y a pas de hasard, que tout est ordonné et que tout est fait de logique. Chacun n’a alors que ce qu’il mérite.

Ici, il faudrait se méfier du piège de la fatalité. Le quotidien du cabinet peut rapidement amener à ces erreurs. Et ce, de manière tout à fait inconsciente. La répétition des actes, créant une routine, peut mener à considérer que le manque d’hygiène de vie de certains patients leur est imputable : tabac, alcool, drogues ou simple manque d’hygiène. S’efforcer de garder à l’esprit que les individus ne naissent pas égaux, n’ont pas eu le même environnement socioculturel, la même éducation ni les mêmes valeurs, permet d’éviter cette notion de fatalité. En tant que soignants, il relève du serment d’Hippocrate d’éviter d’apposer des jugements aux patients afin de déployer tout ce qui est nécessaire pour les soins requis.

Ce concept est également intéressant pour comprendre que certains patients ont eux-mêmes intégré cette fatalité. Des raisonnements du type : « Je n’ai pas pris soin de ma santé bucco-dentaire, je suis donc destiné à perdre mes dents » impactent nettement la motivation face aux soins.

f. L’effet de primauté

Lors d’un contact entre deux individus, les premières informations reçues sont plus marquées dans l’esprit que les suivantes. C’est l’effet de primauté. Il crée les premières impressions.

Il est intéressant de considérer ce concept pour soigner l’image professionnelle que l’on souhaite donner. Soit réaliser cet effet de primauté que peut ressentir le patient mais aussi réaliser l’impact de cet effet sur soi, lors de la première rencontre avec chacun des patients. Il influe sur les interprétations, les attributions, la catégorisation et autres intellectualisations au cours des prochains rendez-vous. Une première impression est difficile à changer. Mais prendre conscience de l’effet de primauté apporte plus d’ouverture et de flexibilité pour les rencontres à venir. En revanche, il est essentiel de partir de l’idée que le patient ne fait pas un tel travail sur lui-même. Soigner la première impression du cabinet et de son personnage professionnel est alors déterminant.

g. La catégorisation sociale

Réaliser des catégorisations sociales est la manière systématique et naturelle de regrouper les individus « qui vont ensemble ». Ceci car ils possèdent un certain nombre de caractéristiques communes. Ce processus permet la simplification de la réalité sociale afin de mieux la structurer et donc de mieux la comprendre. Les stéréotypes en sont les fondements.

Encore une fois, cette connaissance permet de réaliser lorsque l’on glisse vers les préjugés, qu’ils soient positifs ou négatifs. Si une personne de telle catégorie sociale a tel comportement, cela n’implique pas que le nouveau patient qui aura été instinctivement placé dans la même catégorie, réalisera les mêmes actions, aura la même façon de réagir ou de penser.

h. Les stéréotypes

Les stéréotypes sont des croyances partagées socialement sur des caractéristiques perçues comme étant communes à groupe d’individus. Cela donne des perceptions simplifiées sur un groupe social donné.Ces perceptions ne correspondent pas forcément à la réalité. Les stéréotypes impactent sur la façon dont est traitée toute information sociale par l’orientation des intentions, des interprétations et de la mémorisation. Ainsi, un individu voit ce qu’il veut voir, comprend ce qu’il veut comprendre et il en va de même pour ce qu’il retient. Ces stéréotypes peuvent d’une part mener à percevoir des informations qui n’ont pas été reçues mais peuvent aussi provoquer des informations concordant aux perceptions. Ils créent des attentes à l’égard des personnes auxquelles le stéréotype a été attribué. Par exemple un personne X, qui a un stéréotype sur une personne Y, va influencer cette personne Y. En effet, X développera des attitudes et des comportements à l’égard de Y, ce qui peut modifier les comportements de Y au risque de donner raison à X. Ce phénomène s’appelle l’effet Pygmalion : « je pense donc tu es ».

A titre d’exemple concret, voici le stéréotype : « les dentistes sont des gens froids et dépourvus d’émotions pour faire un tel métier». Certains patients vont donc se comporter en concordance avec cette idée populaire. Ces croyances peuvent alors modifier le comportement initial d’un professionnel : « ils pensent cela de moi, se comportent comme tel, tout me donne raison à adopter ce type de comportement de protection personnelle».

i. Les préjugés

Les préjugés créent une attitude souvent négative manifestée par un individu (ou un groupe) à l’égard d’un autre individu (ou un autre groupe) sur le seul fait de son appartenance à une catégorie sociale différente. Qu’elle soit réelle ou supposée. Les préjugés ne sont que des croyances ou tout au plus des attitudes conditionnées. Le risque est qu’ils peuvent mener à la discrimination.

j. Les discriminations

Les discriminations sont des comportements souvent négatifs défavorisant un individu pour la seule raison de son appartenance à un groupe social. Il existe également des discriminations positives : survaloriser, privilégier.

Par exemple, un praticien a le préjugé que les adolescents n’écoutent pas les conseils et ne s’intéressent pas à leur santé. Il risque à tort, d’abréger ou même d’annuler son temps d’éducation thérapeutique. Ce manque au devoir professionnel est une discrimination négative. A l’inverse, s’il a le préjugé que les femmes s’intéressent particulièrement à leur santé, il risque de passer beaucoup de temps à donner des explications à une patiente au détriment d’autres patients, réalisant ce faisant : une discrimination positive.

Pour conclure, les stéréotypes sont neutres. Ce sont des croyances naturelles et inoffensives pour autrui. En revanche ils peuvent s’avérer faux et s’imposent alors à la réalité, au risque d’affecter le jugement. C’est ainsi qu’ils peuvent devenir des préjugés. Ces derniers créent des attitudes négatives, préjudiciables pour autrui car il ne reste alors souvent plus qu’un pas vers la discrimination. Un individu peut ainsi perpétuer des comportements négatifs à l’égard d’un autre individu ou d’un groupe social sur la simple base de son appartenance à ce groupe.