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Si les situations des métropoles en matière d'activité économique et d'emploi diffèrent de manière importante, comme noté infra, c'est aussi le cas des effets induits qu'elles peuvent avoir sur les territoires alentour, certains économistes mettant l'accent sur l'importance du rôle productif de l'Ile-de-France et de quelques métropoles, ainsi que sur les interactions entre celles-ci et d'autres territoires. Ainsi, Laurent Davezies, dans La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses (2008), relève une spécialisation accrue, à partir des années quatre-vingt, des territoires de notre pays et une dissociation importante entre les lieux de production et de consommation de richesses. Il distingue, d'une part, des territoires de production où prédominent les emplois privés, dont l'Île-de-France et les villes les plus peuplées, et d'autre part, des territoires plus centrés sur la consommation, dont certains avec un nombre élevé d'emplois publics, et d'autres à l'économie surtout

"résidentielle", fondée sur les services à la population résidente et sur le tourisme.

Ces différences entre systèmes productifs s'accompagneraient en effet selon lui d'une "circulation invisible des richesses", à partir de l'Île-de-France et des régions riches, vers les autres régions et notamment vers celles "les moins compétitives"159. Ce phénomène de dissociation et cette "circulation invisible des richesses"

s'expliquent pour partie par les mobilités de diverses catégories de personnes (entre lieux de domicile et de travail, mais aussi de loisirs et à l'heure de la retraite) entre ces différents types de territoires. Ils résultent aussi de l'importance des emplois publics et du niveau élevé de redistribution publique et de transferts sociaux dans un pays comme la France, une partie des cotisations sociales et des impôts étant prélevée dans des territoires qui différent de ceux où ils sont dépensés. En particulier, la dissociation fréquente pour les populations travaillant au sein des métropoles entre leur lieu d'activités professionnelles, souvent situé au cœur du pôle urbain, et leur lieu de résidence, souvent excentré en banlieue ou dans des espaces périurbains, a pour conséquence qu'une part des revenus tirés de ces activités est dépensée ailleurs, souvent dans des commerces ou des loisirs proches du lieu de résidence. Ces effets redistributifs entre territoires risqueraient toutefois selon cet économiste, d'être amoindris par la crise économique et l'augmentation des déficits publics que celle-ci engendre.

Laurent Davezies et Magali Talandier montrent entre autres dans L'émergence de systèmes productivo-résidentiels : territoires productifs, territoires résidentiels : quelles interactions (2014), l'apparition entre des territoires, et notamment entre certaines métropoles et leurs marges ou leurs périphéries, de systèmes productivo-résidentiels160. Selon Magali Talandier, universitaire et économiste ayant étudié les interactions entre 130 unités urbaines en France ainsi que la part des richesses

ANNEXESAVISDECLARATIONS/SCRUTINRAPPORT produites par ces unités urbaines que celles-ci redistribuaient, cela reflète aussi une

réalité selon laquelle, contrairement à des idées reçues, il y a souvent en quelque sorte une communauté de destins entre beaucoup de ces villes, métropoles ou non, et leur hinterland161.

2. Des performances et des effets de diffusion sur les territoires alentour très variables selon les métropoles

L'étude Dynamique de l'emploi dans les métropoles et les territoires environnants162, réalisée par Cécile Altaber, du CGET, et par Boris Le Hir, de France Stratégie, dresse un état des lieux pour 12 métropoles (Toulouse, Rouen, Lille, Strasbourg, Nantes, Rennes, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nice et Aix-Marseille) des liens pouvant exister entre leurs dynamiques d'emploi et celles des territoires avoisinants.

Ses principaux résultats sont présentés ci-après :

Lyon, Nantes Aix-Marseille et Rennes sont des métropoles qui partagent leur dynamique de croissance de l'emploi avec les zones d'emploi contigües; toutefois, dans le cas de Lyon, la zone d'emploi de Saint-Etienne a une dynamique d'emploi faible et Rennes, assez excentrée par rapport à sa région, a des effets (non mesurés) sur la région pays de la Loire, plus que sur les zones d'emploi bretonnes ; Bordeaux, à un titre un peu moindre, est aussi dans une dynamique partagée.

Lille et Toulouse obtiennent des performances positives et largement supérieures à celles de leurs zones d'emploi contigües ou à celles de leur région d'appartenance mais leurs dynamiques seraient davantage "autocentrées" et ne "tirent" pas celles des territoires alentour. Selon Hugo Bevort, ce serait aussi le cas de Montpellier.

Strasbourg et Grenoble auraient des dynamiques d'emploi "inversées", moins favorables que celles des territoires qui les entourent.

Nice et Rouen ont en commun, malgré des contextes géographiques très différents, de connaître un repli relatif de l'emploi qui concerne également leurs territoires contigus163.

Ainsi, la capacité des métropoles à diffuser leurs dynamiques d'emploi et à entraîner les territoires environnants ne constitue pas pas une règle générale et ne peut être présumée. Comme le souligne Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales du CGET, "elle dépend du contexte local". Surtout, il souligne que les effets induits des métropoles sur les territoires alentours, complexes et différenciés, ne se réduisent pas à des analyses binaires en termes d'effets d'entraînement ou de ruissellement sur leur environnement, ni à l'inverse, de captation du développement par les métropoles164.

3. Des relations qui ne sont pas univoques

Par ailleurs, même si les analyses en termes de ruissellement ou d'assèchement à partir des métropoles, qui ont reçu une audience importante, pourraient conduire à le faire oublier, ces relations entre territoires ne sont pas univoques. Comme déjà noté, au sein d'une aire urbaine, une commune ou une agglomération sont considérées comme périphériques à partir du moment ou au moins 40 % de la

Rapport

population résidente ayant un emploi, travaillent dans le pôle et les communes qu'elle est supposée polariser. Mais, comme le relevait Gérard-François Dumont, cela veut dire que jusqu'à 60 % de sa population active travaillent hors du pôle métropolitain.

Et si les personnes travaillant dans la métropole engendrent par leur consommation des recettes bénéficiant aux territoires alentour, les personnes travaillant hors de la métropole, quand elles viennent y consommer pour y faire leurs achats ou y avoir des activités de loisirs ou touristiques, contribuent aussi, par une partie de leurs dépenses, à la richesse de celle-ci.

4. Des possibilités de développement pour tous les territoires et des dynamiques plus larges

Surtout, la vie et le développement des territoires sont loin de se limiter à leurs échanges avec les métropoles.

Olivier Bouba-Olga signale que, si Bordeaux, en Nouvelle Aquitaine, est le territoire qui attire le plus de populations, d'autres territoires situés dans cette grande région, tels que Châtellerault ou Poitiers, sont aussi, à une autre échelle, attractifs. Il rappelle que, à Châtellerault, existent nombre d'entreprises travaillant notamment pour l'aéronautique. Leur présence tient pour partie à ce que ce territoire dispose depuis longtemps d'une main-d'œuvre qualifiée en matière de travail des métaux, qui s'explique historiquement parce que, jusque dans les années 1970, y était implantée une ancienne manufacture d'armes. Quand celle-ci a fermé, d'autres entreprises se sont implantées pour s'y développer en employant cette main-d'œuvre qualifiée165.

Pierre Veltz appelle à lutter contre l'idée fataliste selon laquelle il n'y aurait d'avenir que dans les métropoles. Les entreprises ont aujourd'hui des possibilités en matière de localisation beaucoup plus ouvertes qu'autrefois, où elles dépendaient largement des contraintes physiques et notamment de leur approvisionnement en matière première. Il rappelait en audition avoir eu la chance de présider le comité d'expertes et experts d'un appel à projets du Programme d'investissements d'avenir (PIA) appelé TIGA, avec un cahier des charges très ouvert, de manière à permettre le dépôt de projets ambitieux d'innovation dans des domaines très divers. La Caisse des dépôts et consignations, qui en était l'opérateur, a reçu 112 projets, dont beaucoup proposés par des villes moyennes, souvent de grande qualité. Il signalait en ce domaine l'importance des femmes et des hommes, entrepreneuses et entrepreneurs, et plus largement actrices et acteurs des territoires, et surtout de leur capacité à coopérer et à travailler ensemble autour d'un projet, qu'il s'agisse de métropoles ou de territoires de taille beaucoup plus réduite166.

Jean-Alain Mariotti, chef d'entreprise et ancien président de la CCI d'Agen, ville moyenne située à une centaine de kilomètres de Toulouse et Bordeaux, allait dans le même sens en entretien avec la rapporteure. Il souligne que la qualité de la gouvernance ainsi que la capacité des actrices et acteurs locaux à s'entendre sont un élément clé du développement d'Agen. Il citait l'exemple du succès de l'Agropole d'Agen et le concours important apporté en la matière par Agrotec, Centre des Ressources technologiques d'Agropole. Ce centre propose un accompagnement aux entreprises dans leur développement technologique utilisant des travaux de recherche fondamentale menés pour partie ailleurs dans le but de chercher des applications industrielles pour le secteur agroalimentaire167.

ANNEXESAVISDECLARATIONS/SCRUTINRAPPORT Enfin, comme déjà noté dans le chapitre II, ces réussites territoriales, qu'il s'agisse

de métropoles ou de villes moyennes ou petites, participent souvent de grands équilibres macro-régionaux. Or ceux-ci font apparaître les dynamiques des territoires de l'Ouest et du Sud, dont beaucoup connaissent accroissement démographique et progression de l'emploi le long d'une bande littorale en U, alors que le quart nord-est de la France connaît souvent des difficultés importantes en matière d'évolutions économiques et d'emploi. Ainsi, la métropolisation s'inscrit-elle dans des phénomènes géographiques, démographiques et économiques plus larges, qu'elle n'infléchit guère. L'un des territoires hexagonaux connaissant une croissance démographique parmi les plus élevées ainsi qu'une progression de l'emploi forte est la Corse, qui ne dispose d'aucune métropole.

C - Concurrence ou complémentarité avec d’autres

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