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Changement de régime d’historicité, François Hartog Première section – La problématique des régimes d’historicité

Pour structurer et pour encadrer plus largement les deux grandes analyses que je ferai dans la deuxième moitié de cette thèse – les parties III et IV –, je m’inspirerai d’abord de l’appareillage conceptuel que déploie François Hartog dans son livre intitulé

Régimes d’historicité57. Dans cet ouvrage, l’historien français interroge le rapport au

temps de l’histoire, en s’appuyant sur les réflexions de l’historien Reinhart Koselleck et sur les analyses historiques d’Hannah Arendt, pour élaborer le concept de régimes d’historicité, concept qui est ensuite mis en jeu dans une série d’analyses ponctuelles. François Hartog parle de régimes d’historicité plutôt que de régime ; le pluriel est ici essentiel. Un régime d’historicité ne devient pas problématique de lui-même ; il le devient lorsqu’un autre régime d’historicité lui fait concurrence – ou même plusieurs autres.

En général, un régime d’historicité en position de domination hégémonique est stable et peu problématique en lui-même. Il fait largement consensus auprès de ceux qui dominent et contrôlent les institutions politiques et il montre une certaine unité et une certaine cohérence idéologique. Par contre, le régime d’historicité qui vient le concurrencer, s’il se montre plus pertinent pour répondre aux questions que suscitent les changements historiques, reste relativement fragile, car il est généralement le fruit d’un travail d’amalgame et de stabilisation assez récent et encore à achever.

Le contraste entre l’ancien régime d’historicité et le nouveau s’esquisse peu à peu, dans la mesure où le nouveau régime d’historicité arrive à développer sa pertinence et à acquérir une certaine cohérence et une certaine stabilité. Cette pertinence et cette cohérence se constituent, en amont, par l’amalgame d’un certain nombre d’axiomes, issus de divers horizons et que des vues et des intérêts communs poussent à s’unir, et, en aval, par l’adaptation d’une vision du monde à ce que présentent réellement les conditions historiques du moment et aux aspirations de ceux que ces changements historiques touchent de près – que ce soit positivement ou négativement.

Pour Reinhart Koselleck, un nouveau régime d’historicité s’élabore en tenant compte du « champ d’expérience » du monde présent et de « l’horizon d’attente58 » des collectivités qui souhaitent un changement historique et œuvrent à son avènement. Un changement de régime d’historicité est d’abord provoqué par une rupture historique qui fait que le régime d’historicité qui jusque-là avait structuré le champ d’expérience se montre incapable d’expliquer la nouveauté qu’offre l’histoire. C’est alors qu’un ou même plusieurs nouveaux régimes d’historicité, déterminés par les horizons d’attente des communautés qui œuvrent au changement historique, se montrent plus aptes à rendre compte de l’originalité de l’expérience historique ainsi que plus aptes à lui donner un sens59.

Hannah Arendt pour sa part, dans ses analyses historiques des années 1950, développe le concept de brèche pour rendre compte de ces moments de rupture historique où les catégories herméneutiques d’une époque deviennent soudainement inaptes à rendre compte des transformations du temps : « étrange entre-deux dans le temps historique, où l’on prend conscience d’un intervalle dans le temps qui est entièrement déterminé par des choses qui ne sont plus et par des choses qui ne sont pas encore60. Dans Le Moment Guizot, sur lequel je reviendrai plus longuement dans le

58. Op. cit., p. 19, pour les deux citations.

59. Je voudrais ici, encore une fois, évoquer le passage de Tocqueville cité au début de l'introduction de la Ière partie.

60. Dans l’introduction de son livre, François Hartog cite quelques passages de Paul Valéry, tirés de conférences données après la Première Guerre, qui expriment bien le sentiment de désarroi que provoque une rupture historique : « En 1919, [ évoquant ] “l’Hamlet européen”, regardant, “sur une immense terrasse d’Elsinore”, “des milliers de spectres” : “il songe à l’ennui de recommencer le passé, à la folie de vouloir innover toujours. Il chancelle entre les deux abîmes.” Ou quand, de manière plus précise encore, il cernait, dans une conférence de 1935, cette expérience de rupture de continuité, donnant à “tout homme” le sentiment d’appartenir “à deux ères”. “D’un côté, continuait-il, un passé qui n’est pas aboli ni oublié, mais un passé duquel nous ne pouvons à peu près rien tirer qui nous oriente dans le présent et nous donne à imaginer le futur. De l’autre, un avenir sans la moindre figure”. » –p. 13.

chapitre suivant, Pierre Rosanvallon rapporte ce mot de Lamartine : « Notre malheur est d’être né dans ce maudit temps où tout ce qui est vieux s’écroule, et où il n’y a pas encore de neuf.61 » Ce sont ces brèches, ces brisures dans le tissu du temps qui appellent un changement de régime d’historicité.

Poursuivant les réflexions de Reinhart Koselleck et d’Hannah Arendt, Hartog porte son attention non seulement aux ruptures elles-mêmes, mais aussi aux conditions historiques qui provoquent un changement de régime d’historicité. Il est spécialement attentif à ce qui structure la temporalité d’une collectivité à une époque donnée :

Interrogeant les expériences temporelles de l’histoire [ Reinhart Koselleck ] recherchait en effet « comment dans chaque présent, les dimensions temporelles du passé et du futur avaient été mises en relation ». C’est justement là qu’il était intéressant d’enquêter, en prenant en compte les tensions existant entre champ d’expérience et horizon d’attente et en étant attentif aux modes d’articulation du présent, du passé et du futur.62

Un régime d’historicité est donc structuré, fondamentalement, par une configuration des ordres du temps :

Partant des diverses expériences du temps, le régime d’historicité se voudrait un outil heuristique, aidant à mieux appréhender, non le temps, tous les temps ou le tout du temps, mais principalement des moments de crise du temps, ici et là, quand viennent, justement, à perdre de leur évidence les articulations du passé, du présent et du futur. N’est-ce pas d’abord cela une « crise » du temps ?63

C’est donc par l’analyse des rapports des ordres du temps et par un regard sensible « aux temporalités véhiculées ou induites » et aux « manières de les articuler dans [ des ] époques troublées64 » que s’appréhende un régime d’historicité.

Dans son livre, François Hartog consacre trois études à des grandes périodes de crise qui ont mené à un changement de régime d’historicité : la première étude se penche sur les temps anciens, sur l’historiographie classique telle que l’a conçue Saint- Augustin ; la deuxième étude analyse l’avènement de l’historiographie moderne, au

61. Rosanvallon, Pierre, Le Moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985, p. 19. 62. Hartog, François, Régimes d’historicité, p. 19.

63. Op. cit., p. 27. 64. Op. cit., p. 78.

moment où l’historiographie de l’Ancien Régime se montre incapable de rendre compte des changements qu’apporte la Révolution ; la dernière tente de comprendre le nouveau rapport au temps qui se met en place à notre époque et que Hartog appelle le présentisme. Je rendrai compte ici seulement de la deuxième étude que fait Hartog, d’une part pour illustrer au moyen d’un exemple historique concret les développements théoriques de l’auteur, mais aussi, bien évidemment, parce que cette étude se penche sur la période que j’analyse dans cette thèse.

Dans la mesure où le travail que je fais ici a pour toile de fond la longue tâche de reconstruction politique et culturelle, provoquée – mais aussi entretenue – par l’enchaînement des crises révolutionnaires – de 1789 à 1870 –, il m’apparaît pertinent d’être attentif à l’important renversement axiologique, qui s’effectue à la fin du XVIIIe

siècle, entre le passé et l’avenir. Commencée durant les Lumières, la mise en examen critique du passé s’achève violemment avec la Révolution. Le XIXe siècle s’ouvre donc avec l’avenir devant lui, mais très rapidement, cet avenir – auquel le passé n’offre plus qu’un faible contrepoids – s’avère extrêmement problématique. C’est ce mélange d’optimisme et d’inquiétude face à l’avenir qui alimentera la majeure partie des discussions politiques qui animeront l’espace public durant tout le XIXe siècle. C’est pour cette raison qu’une attention portée aux arguments qui traitent des questions de temporalités apparaît comme un appui solide pour des analyses discursives.

Deuxième section – Changement de régimes d’historicité chez Chateaubriand

Dans le troisième chapitre de son livre, François Hartog analyse la métamorphose de l’historiographie de Chateaubriand, en partant de sa réaction de repli face aux événements révolutionnaires pour arriver à une historiographie beaucoup plus élaborée qui arrive à concevoir la possibilité d’un avenir positif pour la France, à la suite d’une relecture de ses notes rapportées de son voyage en Amérique à l’occasion de la publication de ses Œuvres complètes, au milieu des années 1820. Cette historiographie, où les vaincus arrivent finalement à imaginer qu’ils puissent avoir une place et un rôle dans l’histoire à venir, c’est Tocqueville qui l’achèvera, comme si le mouvement, à la fois intellectuel et sentimental, qui va du désarroi à la confiance était trop grand pour un seul homme et qu’il avait besoin d’une sorte de relais pour être complété.

Dans ce chapitre, Hartog distingue trois moments, trois états dans l’historiographie de Chateaubriand à travers deux de ses ouvrages historiques écrits à quelque trente années d’intervalle, soit L’Essai historique sur les révolutions de 1797 et le

Voyage en Amérique de 1827.

La première historiographie de Chateaubriand est une historiographie de réaction et de repli, comme si devant l’ampleur et la brutalité de la Révolution l’esprit de l’écrivain s’était instinctivement retourné et avait cherché refuge en amont de l’histoire. Contre la violence des temps modernes, Chateaubriand cherche refuge dans la stabilité politique des temps anciens. Mais comme ce mouvement de repli vers les Anciens ne peut se faire dans le temps, Chateaubriand le fera dans l’espace. C’est donc, du moins pour une part, pour fuir la violence politique des modernes qu’il s’embarque vers l’Amérique en 1791.

À ce stade de son analyse, Hartog explique que l’historiographie classique repose sur une dichotomie Anciens/Modernes que vient compléter un troisième terme : le Sauvage. L’historiographie de Chateaubriand, qui mettra successivement en valeur ces trois pôles, peut être assurément appréhendée de cette façon. Dans L’Essai historique sur

les révolutions, Chateaubriand s’appuie sur une opposition entre les Modernes et les

Anciens et, en faisant une distinction de degrés de civilisation chez ces derniers, il dessine un tableau idyllique des premiers âges qui facilitera la mise en place d’une autre opposition, celle des Anciens et des Sauvages, sur laquelle s’achèvera son livre.

Cette première historiographie, qui repose sur une conception classique de l’histoire, joue tout simplement un opposé contre l’autre : les Anciens apparaissent comme les doubles positifs des Modernes et l’étude des révolutions passées permet d’appréhender et de comprendre les révolutions modernes. C’est là le premier motif de

L’Essai historique sur les révolutions. Mais comme il arrive souvent en littérature, ce

premier motif en laisse apparaître un autre : à l’étude historique des révolutions des temps anciens se superpose une réflexion sur la civilisation – autour de la question de la liberté – qui amène Chateaubriand à deux conclusions qui s’enchaînent. La première en vient, après une longue étude consacrée à l’histoire et aux mœurs des Scythes, à dévaloriser la liberté des Anciens : « La liberté civile (ou politique) “n’est qu’un songe, un sentiment factice”.65 » La seconde conclusion, s’appuyant sur la première, met en

valeur la liberté des Sauvages : « Là-bas, en Amérique, s’épanouit la seule authentique liberté, à savoir “l’indépendance individuelle”.66 » La question de la liberté, de la véritable nature de la liberté, est l’une des grandes questions de l’époque révolutionnaire. La réponse que donne Chateaubriand à cette question permet de situer sa réflexion par rapport à celle de ses contemporains. Malgré l’apparente hauteur historique que se donne Chateaubriand, la réponse qu’il donne à la question de la nature de la liberté le situe au cœur des grands débats de son époque.

Lorsqu’il revient sur cette œuvre de jeunesse lors de l’édition de ses Œuvres

complètes, Chateaubriand en désavoue les conclusions. C’est sans doute pour effacer la

distance qui sépare ce qu’il pense maintenant de ce qu’il pensait alors qu’il décide d’écrire une seconde œuvre consacrée à son voyage en Amérique. Le Voyage en

Amérique reprend L’Essai historique sur les révolutions là où il s’était arrêté et il fait, à son

tour, tout un parcours.

À partir de la célébration de la liberté des Sauvages, Chateaubriand reviendra à la liberté des Modernes, du moins à sa possibilité : « L’Essai se concluait par un hymne à la liberté (l’indépendance) du Sauvage, la seule authentique (faisant paraître toutes les autres, y compris celle des Anciens, comme factices), le Voyage, lui, s’achève sur la reconnaissance et la célébration de la liberté moderne. […] La découverte de la république représentative aux États-Unis est “un des plus grands événements politiques du monde”.67 » Cette deuxième historiographie est beaucoup plus dynamique que la première : « Cette découverte a prouvé qu’il y a “deux espèces de liberté praticable : l’une appartient à l’enfance des peuples ; elle est fille des mœurs et de la vertu ; c’était celle des premiers Grecs et des premiers Romains, c’était celle des Sauvages de l’Amérique ; l’autre naît de la vieillesse des peuples : elle est fille des lumières et de la raison : c’est cette liberté des États-Unis qui remplace la liberté de l’Indien”.68 » La fin du

Voyage en Amérique élabore une historiographie qui oppose la liberté authentique mais

perdue des Sauvages à la liberté nouvelle dont jouissent les citoyens de la république américaine69.

C’est donc par un changement de paradigme historiographique qu’Hartog explique cette évolution dans la vision de Chateaubriand. C’est qu’entre ses premières

66. Op. cit., p. 89. 67. Op. cit., p. 97. 68. Ibid.

réflexions sur son voyage en Amérique et un retour sur ces réflexions, quelques trente années plus tard, Chateaubriand s’est en quelque sorte converti à l’historiographie moderne. Ici encore, Hartog s’appuie sur les travaux de l’historien Reinhart Koselleck :

Dans des analyses, désormais classiques, [ Reinhart Koselleck ] a montré comment la formation, en Allemagne dans les années 1760-1780, du concept moderne d’histoire a peu à peu vidé de sa substance une conception de l’histoire qui conjuguait exemplarité et

répétition. Au contraire, l’Histoire [ nouvelle ], qui s’entend comme processus et se

conçoit comme histoire en soi, avec son temps propre, abandonne l’exemplum et s’attache au caractère unique de l’événement. Ainsi se creusent une distance et une tension

entre le champ d’expérience des individus et leur horizon d’attente. Plus exactement, le concept

moderne d’histoire permet de comprendre ce creusement, d’en rendre compte, voire de le faire servir au progrès général de l’histoire. Ces réflexions de l’école historique allemande, formulées avant déjà, trouvent une véritable mise à l’épreuve dans la Révolution française, qui a été vécue pour beaucoup comme une expérience d’accélération du temps, entraînant une brutale distension, voire une rupture entre le champ d’expérience et l’horizon d’attente.70

C’est justement ce genre de changement de paradigme historiographique qui permet à Chateaubriand d’entrevoir la possibilité d’un avenir positif pour la France. Le parcours historiographique de Chateaubriand semble ainsi conditionné par la difficulté d’accepter, puis de concevoir, la nouvelle situation politique de la France. Pour y arriver, il a dû effectuer, en parallèle à un long voyage dans l’espace, un long parcours intellectuel.

Cependant, Chateaubriand conservera toujours un peu de retard par rapport à la situation de la France, comme s’il était toujours en retard d’une révolution. En revanche, ce retard et cette façon particulière de se tenir sur le seuil de son époque seront la source de la pertinence de son regard sur son époque71.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler que le dernier ouvrage de Chateaubriand, qu’il a rédigé un peu comme un testament historique, s’intitulait Mémoires d’outre-tombe.

70. Op. cit., p. 85 ; c’est moi qui souligne. Voir aussi, p. 97 : « En proposant un principe d'historicisation [ la liberté fille des lumières succédant à celle qui est fille des mœurs ], il voit les États-Unis non seulement comme la terre d'invention de la liberté nouvelle, mais aussi comme le laboratoire où s'est effectué, “presque sans effort” et vite le passage de l'un à l'autre. », c'est moi qui souligne.

Chateaubriand a été le chroniqueur, à la fois lucide et intrépide, de ce monde qui agonise – et qui meurt avec lui en 1848, justement.

Troisième section – Rupture historique et réparation historiographique

C’est par les efforts qu’elle fait pour surmonter la brisure historique provoquée par la Révolution que l’historiographie de Chateaubriand est particulièrement intéressante. François Hartog montre bien que la rupture historique – la brèche – est le lieu même d’où écrit Chateaubriand, que c’est elle qui provoque et inspire, dans une large mesure, sa démarche d’écriture. Pour illustrer l’ampleur et la difficulté de cette tâche, Hartog met en lumière une métaphore qui traverse l’œuvre historique de Chateaubriand : le temps de l’histoire y est vu comme un fleuve large et puissant et la rupture historique comme ce qui jette les hommes dans les tourbillons du temps et les oblige à traverser ce fleuve, d’une rive à l’autre.

Suivant cette métaphore, on dira que la Révolution française précipite brutalement Chateaubriand dans les flots du temps. Évidemment il n’a pas désiré cette traversée et, manifestement, il n’y a pas été préparé. Son désir de comprendre le sens de l’histoire et son effort de reconstitution historiographique sont fortement marqués par ce statut d’emporté de l’histoire. Pris entre la nostalgie d’un monde disparu – nostalgie d’autant plus vive que Chateaubriand est convaincu que l’Ancien Régime est à jamais disparu dans les remous de l’Histoire – et l’angoisse devant un monde encore inconnaissable, Chateaubriand peine à s’orienter et avance avec hésitation vers l’autre rive, vers l’avenir. À cause de ce désarroi, sa route fera un long détour, essentiellement à contre sens de l’histoire, pour arriver à apercevoir les rives de la France nouvelle.

On sent bien que c’est cette position particulière, ce précaire équilibre entre deux régimes de certitude et l’intense activité intellectuelle que cette position provoque, qui fait que Hartog s’intéresse à l’œuvre de Chateaubriand.

C’est aussi pour cette raison que je m’intéresse à l’historiographie de Chateaubriand telle que la présente Hartog. Ce dernier met bien en lumière ce mouvement qui, partant d’un vif sentiment de désarroi face à un monde qui se délite, doit passer par une longue et délicate tâche de reconstruction herméneutique. L’œuvre historiographique de Chateaubriand montre avec netteté le mouvement qui va de la

vive angoisse de déterritorialisation, provoquée par la Révolution, à l’élaboration des grandes historiographies des décennies 1820, 1830 et 1840.

Mais, limité par le cadre de sa démonstration, Hartog ne montre pas que cette tâche de reconstruction historiographique s’est imposée à tous les penseurs français dès le choc révolutionnaire, et ce, quelles que soient leur position sociale, leurs opinions politiques ou leur position culturelle – qu’ils soient écrivains, philosophes, publicistes…72. Cette tâche de reconstruction historiographique s’est imposée, avec sensiblement la même violence, la même urgence, même à ceux qui avaient œuvré à l’avènement de la Révolution.

Je voudrais aussi montrer, dans le chapitre suivant, qu’à l’opposé de l’historiographie réactionnaire de Chateaubriand se développe, en même temps qu’elle, une historiographie progressiste. À l’arrière-garde qu’illustre Chateaubriand, correspond une avant-garde, qui se déploiera en deux temps : d’abord une avant-garde libérale qui luttera contre les partisans d’un retour de l’hégémonie de l’aristocratie