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Chapitre 5 : La forêt Montmorency

I. Le chalet

Une lumière pléthorique inonde les rues animées, annonçant le solstice d’été. Les arbres exhibent fièrement leurs feuilles. Parfois, j’ai envie d’enfiler une jolie robe et d’aller prendre un verre. De sentir d’autres mains tracer des empreintes sur ma peau. J’avance machinalement, attirée par les échos d’un spectacle. Agglomérée devant la scène, la foule se déchaîne au rythme d’une chanson rock. La soirée est belle. Je résiste aux effluves de joie qui me murmurent de t’oublier. Je m’acharne à me souvenir. Je veux me tenir sur le cap de ma douleur. Dénoncer le scandale de ta disparition.

Je regagne mon appartement. J’ai épluché tous les livres que tu m’as légués. Ils me distrayaient de ton absence, de mon impuissance vertigineuse. Maintenant, je ne sais plus quoi faire de ma peine. Je ne suis pas encore retournée au travail. Ton départ me rend malade. Je refuse de guérir, d’accepter. Ce serait t’abandonner. Te laisser mourir une deuxième fois. J’écris pour que tu m’entendes, en espérant déranger ton sommeil de défunt. Sur le frigo, ta photo m’épie. Nous sommes debout devant des sapins enneigés, à la Forêt Montmorency. La tête penchée sur ton épaule, je souris, le visage illuminé de joie. Tu affiches un air moqueur. Une lueur intrigante traverse ton regard, chargé jusqu’au débordement. Quelque chose en toi s’est détraqué à ce moment-là. J’ai vu la fissure dans tes yeux, la raison qui s’effondrait. Le tic-tac inquiétant de mon cœur m’indiquait que le décompte avait commencé avant l’explosion finale.

D’habitude, j’essaie de chasser ces images. Cette fois, j’accueille les visions qui me poursuivent. Je m’empare d’un crayon. Je veux jeter un sort à mon chagrin. Capturer les souvenirs qui me hantent. Les enfermer dans un livre comme dans une boîte de Pandore.

***

Tu planifiais méticuleusement notre séjour. Tu as insisté pour inviter Djamel et son fils de quatre ans, Karim. Tu sommais Samuel de se joindre à nous, même s’il devait être chez son père cette semaine-là. Tu prétendais que c’était une occasion spéciale, qu’il fallait

saisir à tout prix. Tu organisais tous les détails : réservation, alimentation, équipement. Ton élan d’enthousiasme contrastait avec ton peu d’entrain des derniers temps.

Tu me donnais des consignes autoritaires. Il fallait rationner les bagages. Trois bouteilles d’eau suffiraient. J’ai répondu que c’était risqué d’en manquer, avec les enfants. Tu étais intraitable. Tu me pointais le fourbi qui s’entassait dans l’entrée (nourriture, vêtements, matelas, sac de couchage, casserole, whisky) : la cabane étant à plusieurs kilomètres de marche, la charge serait trop lourde à porter. Les parois de ton esprit encombré craquelaient. Pour compenser, tu élaguais les objets autour de toi.

En soirée, tu m’as proposé d’écouter un film. Ça dissiperait l’inconfort. Je tentais de fixer mon attention, mais mes yeux se fermaient. J’étais épuisée par ces batailles, ces journées à accueillir, à consoler des gens pour qui le monde basculait. Cette tâche m’avait longtemps paru légère. Pourquoi, soudainement, me semblait-elle si pesante ? L’oxygène se raréfiait. J’avais peur, mais je ne savais pas de quoi. L’évidence était là, trop collée sur mon visage pour que je la remarque.

Tu m’as secouée délicatement. Je m’étais endormie sur le divan, la tête accotée contre tes cuisses. Tu m’as pris par la taille pour m’escorter vers mon lit. Nous nous sommes enlacés fiévreusement. J’espérais que mes préoccupations fondraient au contact de ta peau. Mes doigts parcouraient ton crâne, ta nuque, ton dos, s’attardait sur tes hanches. C’était illusoire de penser que, malgré les silences et les oppositions, notre refuge d’extase resterait là, indemne. Rien ne m’apaisait. Ni les soubresauts accélérés de ton bassin, ni le claquement de tes paumes sur mes fesses, ni tes mains qui tordaient ma poitrine. Je dépose mon crayon.

Je voudrais appuyer sur la manette pour avancer la scène. Surtout, ne pas décrire le regard que tu as jeté sur moi. Ne pas répéter les paroles que je t’ai lancées pour te blesser un peu, moi aussi. Il aurait fallu respirer. Deviner la souffrance qui grondait en toi et lui tendre un miroir. Comprendre que plus rien ne t’était supportable, que tu avais atteint le point de saturation.

J’ai claqué la porte de la salle de bain. J’en avais marre de tes attitudes désagréables, de tes impatiences, de tes critiques, de tes sautes d’humeur. Je t’ai détesté à ce moment-là d’une haine ardente, amoureuse. J’ai actionné la douche. L’eau ruisselait, se mélangeait à mes larmes. J’ai frotté ma peau vigoureusement, jusqu’à ce qu’elle rosisse. Errer dans

l’appartement. Sortir fumer une cigarette, puis une autre. Ouvrir un livre. Ne rien comprendre. Le refermer. Tu dormais déjà quand je me suis glissée près de toi, en maintenant une certaine distance. La scène a rejoué en boucle dans mes rêves.

J’ai tapé sur le réveille-matin pour réclamer un sursis. Tu t’es levé discrètement. ‒ Tu sais, hier soir… ai-je commencé lorsque tu t’es introduit dans la chambre pour m’apporter une tasse fumante.

Je voulais revenir sur les événements de la veille. Admettre que j’avais exagéré. Avouer que je ne te reconnaissais plus. Que ton mépris me sidérait parfois. Tu m’as interrompue.

‒ Je n’ai pas envie d’en reparler. Je me suis levée subitement.

‒ C’est violent, à la longue, ce silence.

Tu me fixais avec une expression étrange, chargée d’une signification qui m’échappait.

‒ Je viens de perdre mon emploi, as-tu dit. J’aimerais vraiment passer un beau séjour en forêt et que tu arrêtes de t’emporter constamment.

Tu appuyais sur tes mots. J’ai froncé les sourcils, perplexe. Tu affirmais pourtant que tu avais toujours adoré donner ta démission. J’ai ravalé mes paroles, sentant bien que ce n’était pas le moment de te confronter. Peut-être que, malgré ce que tu prétendais, tu étais las d’abandonner ce que tu entreprenais. J’ai promis que je ferais mon possible pour être agréable pendant l’expédition.

J’espérais qu’un peu d’air frais allait tout réparer.

***

Des bruits de pas ont résonné dans les escaliers. De retour de chez son père, Samuel s’est élancé dans la pièce.

‒ La température est idéale, t’exclamais-tu en balayant les flocons sur sa tuque. Tu semblais soudainement enjoué. Ce brusque changement d’humeur me déconcertait. Peu après, la sonnette de l’entrée a retenti. Tu t’es empressé d’ouvrir. Djamel et son fils se tenaient sur le balcon, emmitouflés jusqu’au nez. C’était la première fois

qu’ils passeraient une nuit d’hiver en forêt. Même si Djamel habite au Québec depuis plusieurs années, il ne s’est habitué qu’à demi à ces buttes blanches surdimensionnées. Tu lui faisais l’éloge des paysages nordiques, des terres de glace et de solitude. Il évoquait avec nostalgie le soleil brûlant de la Turquie. Karim essayait d’attirer ton attention, en grimaçant et en se tortillant autour de toi.

‒ Dis, tu m’attrapes ? s’écriait-il.

Il s’exprimait avec un léger accent français, hérité de sa mère. Tu feignais d’être un monstre pour l’agacer. Il courait à travers le corridor en riant aux éclats. Tu le saisissais par les aisselles et l’envoyais virevolter dans les airs.

Tu as insisté pour t’asseoir sur la banquette, avec les enfants. Karim te harcelait pour jouer au monstre. Entre deux mises en scène, tu interrogeais les deux garçons sur leurs préférences : leur jeu, leur livre, leur saison, leur film, leur jour de la semaine préférés. Ils se dépêchaient de répondre, heureux d’avoir capté ton attention. Tu avais le don d’écouter les gens en leur donnant l’impression d’être la personne la plus importante du monde. Djamel et moi rigolions, amusés par le ton allègre de la conversation. Tu débordais de gaieté. Encore une fois, tu parvenais à nous berner et peut-être même à te duper toi-même.

Nous sommes arrivés sur les lieux. Le temps était doux. Une neige molle et collante recouvrait le sol. Des flocons valsaient dans le ciel. Djamel a proposé de prendre une photo, celle qui se trouve sur le frigo. À quelques mètres de nous, les jeunes se battaient avec des bâtons qu’ils prenaient pour des épées. En passant derrière moi, tu m’as murmuré « je t’aime » à l’oreille. J’ai souri, soulagée.

Nous avons enfilé nos raquettes. Karim refusait de mettre les siennes. Il me faisait penser à toi : entêté, intelligent. Nous l’avons convaincu de s’installer dans un traîneau. Tu as offert de le tirer. Un imposant sac de voyage sur le dos, le toboggan accroché à ta taille, tu t’es élancé dans le sentier, grand, fort, invincible. Nous trottions en arrière. Samuel secouait les branches basses des épinettes. Il pressait la mousse froide pour former une motte. Il m’a menacée de son projectile. À mon tour, je lui ai lancé une munition qui l’a atteint à l’estomac. Il s’est affalé par terre. Les bras étendus, il dessinait un ange dans la neige. Il en a porté une poignée à sa bouche pour s’humecter les lèvres, sous mon regard désapprobateur.

Nous avons repris la marche. Tu t’éloignais avec la luge dans l’allée de sapins. Samuel ne s’est pas plaint pendant le trajet. Tu nous avais insufflé le sentiment d’urgence qui t’animait. Nous hâtions le pas pour te rattraper. Tu accélérais quand nous arrivions à ta hauteur.

Tu es parvenu à destination en premier. Nous t’avons rejoint, à bout de souffle, les manteaux ouverts, trempés de sueur. La cabane surplombait une falaise abrupte. Des coulées de glace descendaient le long de l’escarpement. La chute, figée pour l’hiver, brillait sous le soleil décroissant. D’immenses conifères se dressaient autour du refuge. Une réserve contenait des billots et une hache. Nous avons franchi le seuil. Une table, quelques chaises, un divan brun et un foyer meublaient l’endroit. Une échelle permettait d’accéder au comble qui faisait office de dortoir. Tu disposais des branchages pour concocter un feu. Tu as sorti la bouteille de whisky. La transpiration gelait dans nos vêtements. Nous grelottions, agglutinés près de l’âtre. Survolté, tu alignais les anecdotes. Tu as raconté comment tu avais déconcerté une ancienne copine.

‒ Juste avant notre rupture, elle m’a invité dans un chalet avec sa famille. Ces gens- là ne m’intéressaient pas. Des amateurs de golf. J’évitais leur compagnie. Pour passer le temps, j’ai consacré la fin de semaine à tailler une corde de bois. Ça m’apaisait. J’aime le mouvement répétitif du bras, le son du billot qui se fend.

Tu alimentais les flammes. La pièce s’est réchauffée rapidement. Nous avons retiré nos habits humides pour les étendre sur la corde à linge. J’ai versé du ragoût dans une gamelle. Tu enfilais les verres de whisky en t’extasiant sur le mets extraordinaire que j’avais concocté. Karim voulait rentrer chez lui. Il réclamait sa maison, son lit, sa mère. Tu as entrepris de te batailler avec lui pour le divertir. Immobilisé sur le sol, il se tordait de rire pendant que tu le chatouillais. Il se tenait devant toi avec un air de défi.

‒ Je suis plus fort que toi ! Montre-moi ta force !

Tu as pris une voix caverneuse. Tu le poursuivais en simulant une sorte de zombie déglingué. Tu affirmais que tu étais une âme errante. Des étincelles volaient au-dessus du foyer. La sueur coulait dans mon dos. Tu ajoutais encore des bûches. Je t’ai demandé d’arrêter. Je suffoquais. Djamel t’encourageait : il avait peur de la nuit froide, mystérieuse, étrangère. Tu as rétorqué que tu avais envie de tout brûler – les chaises, la table et le reste – pour qu’un grand flambeau illumine la forêt. Tu as ri. J’ai ouvert le battant pour aérer.

Les enfants ne riaient plus. J’ai pensé que tu devenais fou, que le monstre s’était emparé de toi. Tu m’as attiré vers toi. J’ai tenté de te repousser, mais tu me retenais fermement. Le désir a engourdi mes inquiétudes. Tu as relâché ton étreinte pour attiser le feu, déjà énorme. Un éclat de folie brillait dans ton regard. Je me suis chamaillé avec toi pour t’empêcher d’atteindre la fournaise. Karim s’est réfugié dans les bras de son père. Samuel observait la scène, amusé et troublé. J’oscillais entre le rire, le doute et la frayeur. Plus nous réagissions, plus tu intensifiais ta plaisanterie. Djamel conservait un calme olympien. Il affichait un demi-sourire qui me laissait croire que je me tracassais inutilement. Pour en finir avec cette comédie, qui avait assez duré, il a suggéré, en rigolant : « mets-le donc dehors, le monstre ».

Je t’ai poussé vers la porte. Mes gloussements nerveux ont résonné dans l’obscurité. Tu es sorti en titubant, incarnant toujours ton personnage de possédé. Vêtu d’un chandail à manches courtes, tu es parti, zigzaguant dans la nuit sauvage. Je craignais que tu attrapes froid, que tu perdes l’esprit, que tu t’égares. J’ai saisi ta tuque et ton anorak et je t’ai suivi à travers les taillis.

Tu as ralenti en me voyant approcher. J’ai posé ton manteau sur tes épaules. J’ai dit que j’étais inquiète, que tu allais geler, que j’avais peur de ta créature. Tu m’as jeté un coup d’œil amusé et m’as empoigné la main pour m’entraîner jusqu’à une clairière. Les étoiles scintillaient. Tu m’as serrée contre toi, doucement. Je renouais avec l’appartenance organique qui me liait à toi.

Nous sommes rentrés au chalet. Tu as continué ton jeu, pour la forme. C’était plus drôle et plus léger. Djamel, t'a offert une poire. Tu as déclaré qu’il s’agissait de l’antidote pour neutraliser le monstre. Nous nous sommes couchés peu après. Tout le monde s’est installé à l’étage. J’ai prétexté que je préférais dormir en bas, pour éviter la chaleur suffocante accumulée dans le comble. Je gardais mes distances. Je réprimais mon envie de piocher pour trouver le vice caché, d’arracher ton déguisement pour découvrir ta peau lacérée. J’avais promis de ne pas t’embêter pendant le séjour. Je demeurais là, muette, les yeux bandés, comme tu me le demandais. L’air stoïque de Djamel me rassurait. Je me répétais qu’il s’agissait d’un périple expiatoire, que toute norme était abolie et qu’il fallait en rire.

Le soleil matinal plombait sur mes paupières. Lentement, je me suis risquée à les ouvrir. La bouteille de whisky vide traînait sur la table. Mon crâne menaçait d’exploser. Ma langue pâteuse collait sur mon palais. Assis devant le feu presque éteint, tu observais les braises crépiter. J’admirais tes larges épaules, tes bras musclés, ton front haut, ton expression pensive. Le frémissement de désir dans mon ventre excusait toutes les anomalies.

‒ Est-ce qu’il reste de l’eau ?

Ma voix était rauque, ma langue râpeuse. Tu m’as tendu un demi-verre. Nous étions à bout de provisions, comme je l’avais prédit. Je me suis abstenue de te le rappeler.

‒ J’ai besoin d’un café.

‒ J’ai récolté de la neige fraîche pour en préparer un, m’as-tu répondu, goguenard. Je me suis levée péniblement. Dans un petit chaudron, la mousse blanche fondait sur le poêle. Tu as remis une bûche dans le foyer. La chaleur étouffante s’était dissipée. Tu regardais les flammes naître dans l’âtre. Tu m’as offert une tasse fumante qui dégageait une odeur d’arabica et d’épinettes.

‒ On peut boire de la neige ? me suis-je enquise, sceptique. ‒ Si elle n’est pas sale et qu’elle est bouillie, c’est sans danger.

Les rires des garçons résonnaient à l’étage. Samuel jouait à disparaître sous son sac de couchage pour amuser Karim. Djamel est descendu, fringuant : il avait survécu à sa première nuitée hivernale.

‒ Comment va le zombi ce matin ?

Il affichait un sourire blagueur. Karim est apparu derrière lui. ‒ Je n’aime pas le monstre. Hier, c’était pas drôle. C’était nul.

Un soubresaut de honte a contracté ton visage. Pour faire diversion, Djamel a examiné ta concoction.

‒ Tu veux une infusion aux arômes de sapin ?

Tu lui as versé le liquide brun dans un gobelet. J’empaquetais les bagages pour le retour.

Tu parlais d’un ton autoritaire. J’ai levé les yeux au plafond. Tu as tout préparé, avec ta minutie et ta rapidité habituelle, pendant que les enfants déjeunaient, puis nous avons revêtu nos manteaux. Les raquettes aux pieds, nous avons emprunté le trajet du retour. Le sentier serpentait dans la montagne. La descente était à pic. J’avais mal aux cuisses, mais j’avançais gaiement. Samuel se plaignait de la soif. Tu as attrapé une motte blanche, sur une branche d’épinette et l’as porté à ta bouche. Nous avions épuisé nos réserves d’eau.

‒ On peut manger la neige ? s’est exclamé Samuel, ravi, en t’observant. ‒ Aujourd’hui, c’est différent, as-tu lancé en lui adressant un clin d’œil.

Tu prétendais que nous étions des coureurs des bois, égarés dans ces forêts sauvages, inexplorées. À bout de ressources, nous espérions retrouver notre chemin avant la nuit.

***

‒ Merci pour la promenade. C’était drôle quand tu jouais au monstre, même si ça faisait un peu peur, a lancé Samuel avant de refermer la portière pour aller rejoindre son père. Je sentais qu’il cherchait à te rassurer. En rentrant chez moi, tu t’es affalé sur le divan, l’air contrit.

‒ J’ai emmerdé tout le monde au chalet. J’ai acquiescé.

‒ Ça ne tourne pas rond dans ma tête, je suis fou, complètement. Tu frappais ton crâne avec ta paume.

‒ Quand j’ai une obsession, je suis incapable d’en déroger. J’ai l’air de mépriser les gens, mais c’est moi que je déteste. C’est moi, le véritable problème. Je n’arrive jamais à m’adapter. Quand j’aime une personne, je suis toujours convaincu qu’elle mérite mieux que moi. Je me sens profondément lié à toi. Par moments, je pense qu’on pourrait être heureux ensemble. D’autres fois, j’ai l’impression d’un gouffre sans fond.

Pour une fois, tu me parlais. Tu m’expliquais que tu n’en pouvais plus de ce climat de tensions, de ces oppositions constantes. Notre relation était trop frontale, ça te propulsait dans tes derniers retranchements. Ça stimulait le monstre en toi.

Je songeais à ton attitude opiniâtre, à ton refus des compromis. Plutôt que de te rassurer, j’ai bêché dans la crevasse.

‒ Tu sais, c’est peut-être nécessaire de te tenir tête, de temps en temps. Partout où tu vas, les gens évitent de te contredire.

J’ai cru que ton silence était un signe d’assentiment. Je me suis étendue à tes côtés. L’angoisse dans ton ventre se répandait dans le mien. Lovée contre toi, je me balançais doucement. Lorsque je me suis dégagée de toi, des larmes coulaient sur tes joues.

En soirée, tu m’as montré une photo. Un tronc mort, recouvert de neige, tenait en équilibre entre deux épinettes.

‒ Regarde, c’est moi : un vieil arbre fatigué.

***

Dans les semaines qui ont suivi, tu semblais plus serein. Les grands vents avaient