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II / La chair, moment-lieu de l'expérience originaire

2.1 De la chair au corps propre

Nous reconnaissons à Didier Franck, dans son ouvrage Chair et Corps - sur la

phénoménologie de Husserl, le mérite d'avoir exhibé la question de la chair en elle-

même au sein de la phénoménologie, apportant d'importantes précisions et clarifications ainsi qu'une voie d'interprétation originale pour aborder la réflexion husserlienne. Didier Franck nous rappelle d'emblée que le fil directeur de la réflexion husserlienne est l'énigme de la transcendance, en tant qu'elle est problématique transcendantale. Ainsi, « le mode originaire de la donation des choses elles-mêmes est, finalement, la perception »154, il est aussitôt mention de « donation incarnée », d' « ipséité incarnée », tel que « la chose transcendante est donnée en chair (...) »155 : « (…) toutes les analyses de Husserl affirment que la chair accompagne chaque perception. Donation incarnée où la chair est tout à la fois donnée et donatrice. »156 Il semble donc que la chair appartient au mode de donation de la chose en tant que noème au sein de l'analyse intentionnelle, ceci avant même d'en venir au pôle égologique et à la dimension constitutive : « (…) on quitte le mode du philosopher où l'objet est saisi par et pour le sujet, en régime d'extériorité, pour une expérience d'altérité où la chose se donne elle-même. »157 En tant que « milieu de toute donation », « la chair devient ainsi le médium du regard phénoménologique, avant

toute distinction de l'immanence et de la transcendance. [nous soulignons] (…)

L'intuitivité originaire est donation incarnée. Préalable à l'opposition de l'immanence

et de la transcendance, c'est-à-dire à la différence la plus radicale qui soit, celle de la

conscience et du monde, du vécu et de la chose, est avéré par la loi d'essence qui est au principe de la réduction.»158 Du principe des principes du « retour aux choses mêmes », au sens de la chose donnée « en chair et en os », la chair surgit d'emblée dans la découverte du champ transcendantal avant même l'analyse de ses structures propres, dont l'intentionnalité est la première. Rapidement cependant, le champ d'immanence est dévoilé à son tour, et toute chair renvoie dès lors à ma chair : « autrement dit, la chose n'a de sens que comme chose visée, relation intentionnelle à une transcendance, relation donnée en chair dans le vécu lui-même. »159, ou encore

154 Franck, Didier, Chair et Corps – sur la phénoménologie de Husserl, Éditions de Minuit, Paris, 1982 : p. 18. 155 Ibid., p. 23.

156 Ibid., p. 20.

157 Depraz, op. cit., p. 52. 158 Franck, op. cit., p. 24. 159 Ibid., p. 23.

« l'affirmation husserlienne fondamentale en matière de perception, c'est que les choses y sont donnée en chair, ce qui veut dire aussi à ma chair et par ma chair. »160 Autrement dit, il n'y a pas de perception sans chair. En effet, « (…) l'évidence nous donne la chose sur un mode sensible charnel. »161 Or, si même dans l'attitude naturelle nous pouvons déjà considérer la perception comme « Dimensional ek-statique » et la chair comme celui « inextatique », comment relier les deux termes ? Réponse : par les « esquisses ».

L'unité de l'objet est d'abord dissoute en une multiplicité d' « esquisses », concept qui concentre toute la nouveauté de l'analyse husserlienne. L'esquisse n'est pas une apparence sensible renvoyant à un en-soi intelligible (…). L'esquisse me donne la chose dans son ipséité incarnée et l'unité de la chose repose, phénoménologiquement, sur la concordance des esquisses (…)162

Ainsi, la perception est bien davantage qu'un strict « voir ». Au contraire, il semble que par l'analyse intentionnelle, la perception implique un sentir. Je sens que je perçois, je sens ces esquisses d'objet avant d'en constituer la synthèse d'identification autour du pôle-noème. Or, la chair ne peut pas ne pas se caractériser comme radicalement « inextatique », de type hylétique. Aussi, dans la relation intentionnelle, la perception implique nécessairement des esquisses que l'on peut qualifier de hylétiques ou matérielles, kinesthésiques, sans lesquelles aucune unité intentionnelle d'objet par synthèse d'identification n'est possible. En effet, par la « qualité kinesthésique hétérogène de la chair (…) [ ; elle] est ses mouvements différenciés de sensation (…) ».163 Il est dès lors suggéré que j'ai une connaissance charnelle de l'objet à travers ses esquisses perçues dans et par ma chair, de manière préalable à toute connaissance théorique. Davantage, que tout souvenir que j'en garde relève d'une rétention « affective » ou « charnelle », car toute esquisse charnelle implique une impression inscrite en moi (plaisir, rejet, dégoût, désir, etc.). Nous nous réapproprions alors la question posée par Didier Franck : « l'unité des esquisses,

160 Ibid., p. 43.

161 Depraz, op. cit., p. 78. 162 Franck, op. cit., pp. 42-43.

l'unité de la chose ne dépend-elle pas de l'unité de ma chair avant de dépendre d'une synthèse temporelle ? Husserl n'a-t-il pas négligé une couche constitutive de l'être un- et-le-même de la chose ? Toute esquisse me donne la chose dans sa chair, me donne donc ce qui l'unifie à toutes les autres ? Qui plus est, si l'esquisse dépend de la situation réciproque de ma chair et de la chose (...) »164 Autrement dit, il est éventuellement possible d'envisager une unité intentionnelle de l'objet, par une concordance d'esquisses au niveau de la chair. Ce qui pose la question de l'unité constitutive préalable de ma chair pour que celle-ci soit constituante au travers de l'intuition donatrice originaire. Reste à déterminer comment s'auto-constitue l'unité de ma chair, sans laquelle je ne puis constituer aucune unité de chose. Ce rapport de conditionalité de l'unité de ma chair à toute unité de chose démontre déjà que tout rapport de corrélation constitutive est un rapport de transcendance-immanence. Ainsi, toute esquisse de la chose renvoie à une esquisse de ma chair, et ce qui relie chacune des esquisses au niveau de la chose est similaire sur le plan de ma chair. D'où la

question, essentielle : « Est-ce à dire qu'elle [la chair] est irréductible ou toujours réduite ? Serait-elle à l'origine de l'origine du monde et du monde même ? »165 Ceci

renvoie à la question de la constitution de la chair, sur laquelle Husserl a buté tout au long des Ideen II.

C'est dans les Recherches phénoménologiques pour la constitution, ou Ideen II, que Husserl développe pleinement la question de la chair et de sa primauté dans toute œuvre constitutive. En effet, dans Ideen II, les enjeux de Husserl sont d'expliciter les différentes strates phénoménologiques d'objectivation, d'incorporation et d'inter- corporéité à la base de toute socialité selon des variétés de modes complexes d'imbrications-implications et de basculements entre les trois attitudes théorique, axiologique et pratique. Ainsi, il démontre que la chair, en tant qu'elle est une intentionnalité particulière, constitue des objectités catégoriales de pensée ; qui ne deviennent des objets théoriques que si le sujet prend une attitude de visée à l'égard

164 Franck, op. cit., p. 44. 165 Ibid., p. 24.

de ces nouvelles objectités ; c'est-à-dire s'il accomplit des actes nouveaux. Et « nouveaux » car il s'agit d'une réactivation d'un acte modifié et préalable, celui de la saisie ou visée sensible, en tant qu'acte de la couche sensible. De telles objectités sont donc pré-données à la conscience par des vécus de sentiments charnels, comme leur modalité originaire d'accomplissement. Aussi, « Les archi-objets auxquels renvoient, d'après leur constitution phénoménologique, tous les objets possibles, sont les objets

sensibles. »166 Par conséquent, toute l'attitude théorique est subordonnée à une attitude pré-théorique indirectement objectivante, située dans la couche sensible des vécus : « nous voyons donc que toute objectivation chosique spatiale renvoie en dernière instance à une sensation. Il n'y a pas d'objectités qui ne nous renvoient pas des objectités catégoriales aux objectités sensibles. »167 C'est pourquoi Husserl affirme que « Les qualités intuitives de la chose matérielle dépendent du corps propre du sujet de l'expérience. En ceci tout d'abord que c'est le corps propre qui est le

moyen de toute perception ; il est l'organe de perception, il est nécessairement en

cause dans toute perception. »168 La corporéité charnelle (qui suppose l'incorporation de la chair) est donc donatrice d'espace. Davantage, comme le souligne Eliane Escoubas dans son avant-propos, la chair est déjà le commencement du monde en tant que la chair est ce qui excède le corps et cette excédence désigne ce par quoi le monde commence. Cette détermination phénoménologique de la chair comme « excédent » renvoie à cette intentionalité particulière qui désigne le « centre de gravité » de toute position transcendantale. En effet, cette « excédence » désigne précisément l'appréhension du contexte chosique de l'expérience, tel que toute perception est toujours-déjà liée à une série de co-perceptions à même de constituer les unités réales comprises comme « des unités par rapport à des multiplicités de régulations schématiques en relation avec des circonstances correspondantes. »169 Les rapports de conditionalité entre la chair et le milieu environnant des circonstances réales sont impliqués dans toute expérience possible ; et cela est le soubassement

166 Husserl, Edmund, Recherches...(Ideen II), op. cit., p. 41. 167 Ibid., p. 49.

phénoménologie de toute connaissance théorique à portée scientifique.

(…) si je porte l'objet en moi, c'est moi, comme ego transcendantal, qui le forge, le « fais » objet, bref le mets

au monde, alors qu'il se donne aussi lui-même à moi. Le verbe porter épouse un certain subjectivisme qui fait

de l'ego le détenteur, le porteur du sens de l'objet. Au contraire, la notion de donation en personne de l'objet insiste sur le versant noématique de la saisie de ce dernier, lui conférant une initiative objective.170

Toutefois, « mon corps [Leib] co-intervient également, comme cela est évident, dans les connexions de causalité : s'il est appréhendé en tant que chose dans l'espace, il n'est cependant pas appréhendé comme en tant que simple schème mais en tant que nœud de causalités réales dans le contexte réal. »171 Ceci pose la question de la manière d'appréhender son Leib en tant que Körper physique comme un autre. Autrement dit, il s'agit d'interroger les modalités de l'objectivation en tant que processus d'incoporation. Cette question vaut également du côté de la chose, et Husserl nous incite à distinguer la chose « apparaissante » de la chose « objective », comme « le fait de l'excès de l'objet réal sur l'objet noématique ».172 Par ailleurs, si « l'altérité transcendante de l'objet réside dans l'excès de la visée »173 alors « c'est l'altérité, cette plage jamais totalement comblée par où l'objet excède son noème, qui confère à la conscience son dynamisme propre d'ouverture au transcendant. »174 Or « cette « chose » est relative à la corporéité de chair pareillement constituée : c'est cette relativité qui exige la constitution d'une chose de la physique s'annonçant dans la chose intuitive »175 ; justifiant ainsi la nécessaire idéalisation géométrique. En effet, « pour l'espace objectif par contre, c'est qu'il n'est pas donné avec des qualités sensibles, mais qu'il ne peut apparaître que dans des espaces subjectifs dotés de qualités sensibles. (...) Ce n'est pas par abstraction que le pur espace est issu de mon espace apparaissant, mais bien par une objectivation. »176 Comprendre l'objectivation

170 Depraz, op. cit., pp. 67-68. 171 Husserl, Ideen II, op. cit., p. 100. 172 Depraz, op. cit., p. 71.

173 Ibid. 174 Ibid., p. 72.

175 Husserl, Ideen II, op. cit., p. 117. 176 Ibid., p. 130.

du « corps » permettra donc de comprendre l'objectivation de la chose apparaissante en chose de la physique. Or, un tel processus implique d'interroger le stade intersubjectif de l'expérience et, notamment, d'interroger de quelle manière le corps propre peut faire l'objet d'une expérience intersubjective. Nous voyons ici se distinguer deux des attitudes analysées par Husserl, à savoir l'attitude naturaliste et l'attitude personnaliste, qui certes ne « scindent » pas l'ego en deux « parties » séparées et reliées par une liaison extérieure. Car « l'ego psychique et l'ego personnel sont, dans leur soubassement, le même ego (...) Et pourtant : ce même état se trouve, dans les deux cas, dans une aperception totalement différente. »177 Il est alors nécessaire de considérer plus en détail la question de la constution du corps propre qui suppose différents processus d'imbrications des attitudes les unes dans les autres.

L'analyse de la constitution du corps propre par Husserl est rendue difficile par la traduction française des concepts selon leur fonction. Ainsi, Leib est traduit tantôt par la chair, tantôt par le corps propre, voire au corps ; tandis que Leiblichkeit ou

Leibkörper désignent « corps de chair » et die eigene Objektität Leib le « corps

propre ». Lorsque Husserl affirme que « le corps dont on fait l'expérience dans l'espace et qui est perçu par l'entremise du corps propre est le corps de chair lui- même. »178 ; nous pouvons comprendre que le corps propre est ce corps physique « inséré » dans l'espace physique, mais qui se caractérise des autres corps par le fait qu'il est le mien. Comment ? En tant que le corps propre se constitue originairement sur un mode double, c'est-à-dire à la fois comme chose physique et comme ressentir (support des impressions sensibles, elles-mêmes produites dans les sensations kinesthésiques). Ainsi, le corps propre n'est pas la chair mais son objectivation, son incorporation. Et dans la « couche inférieure » charnelle, les « constellations kinesthésiques » peuvent être comprises comme des pôles de chair, sur lesquelles repose toute impression sensible. Or, « les impressions sensibles tactiles (…) ne sont

(…) rien qui soit donné par esquisse et par schématisation. Elles ne relèvent absolument pas du schème sensible »179 ; mais c'est leur unification qui constitue le schème sensible, comme une sorte de chiasme, de processus d'incarnation. En effet, n'en déplaise à Michel Henry, Husserl accorde un primat explicite au domaine tactile, mode de donation privilégié où est rendue possible une double appréhension simultanée à la fois comme objet extérieur (sa caractéristique) et comme corps corpre (sensation) ; « comme mon corps en tant que corps touché est un touchant touché. »180 Rien de semblable pour l'objet qui se constitue de façon purement visuelle. Le domaine tactile désigne la strate phénoménologique du mode d'accomplissement originaire, et « « originairement » n'a ici aucune signification causale temporelle, mais il s'agit là d'un archi-groupe d'objets qui se constituent directement dans l'intuition. »181

Ce n'est pas par la vue que le monde est sans cesse donné, mais il y a bien plutôt une priorité de la sensibilité tactile. (...) En cela, le sens du toucher joue toujours son rôle, tout comme il a manifestement la priorité parmi tout ce qui contribue à la constitution de chose.182

Le corps propre ne peut se constituer en tant que tel originairement que dans le toucher et dans tout ce qui trouve sa localisation avec les sensations du toucher (...). [Il n'y a] corps propre que parce qu'il y a (…) localisation des sensations en tant que sensations. Cette chose [chair] est alors condition préalable pour l'existence de toutes les sensations (et apparences) en général.183

Si Husserl affirme à plusieurs reprises que « Le corps propre physique est bien déjà une unité constituée et ce n'est qu'à cette unité qu'appartient la couche « impression sensible » »184, il ne parvient pas à détailler comment cette unité est possible. En effet, Husserl bute constamment sur la question du présupposé de la constitution d'une chair unifiée, d'un processus d'incarnation. Car s'il y a primauté de la chair et de la

179 Ibid., p. 213. 180 Ibid., p. 211. 181 Ibid. 182 Ibid., p. 108. 183 Ibid., pp. 214-215. 184 Ibid., p. 217.

multiplicité sensible, ce n'est que vis-à-vis du monde environnant chosique et personnel dans lequel le corps propre est déjà une unité constituée. S'il est question des déterminations phénoménologiques du corps-chair, en tant que « propriétés non chosiques du corps propre », Husserl mentionne les rapports de conditionalité de la couche des impressions sensibles avec les circonstances réales exatérieures motivantes. Or, cette couche des impressions sensibles est une sorte d'arrière-fond permanent, tel que « les champs de sensation en question sont toujours entièrement remplis (…) et qu'il ne faut pas comprendre toute nouvelle excitation comme produisant ex nihilo une sensation, mais bien comme provoquant, dans le champ de sansation, un changement de sensation correspondant. »185 Husserl insiste pour souligner le maintien des propriétés charnelles et leur primat « conditionnel », malgré la détermination fondamentale de la chair comme excédence toujours-déjà liée et reliée aux circonstances réales environnantes. Le corps propre physique se caractérise comme ce corps de chair qui est le mien, comme champ de localisation des sensations par lequel s'ouvre tout espace chosique. Cependant, à nouveau, Husserl bute constamment sur le présupposé d'une « synthèse » d'incarnation préalablement nécessaire à toute incorporation, comme processus d'objectivation consitutif du corps de chair – ou corporéité charnelle.

A la localisation dans l'extension correspond un moment-lieu dans la sensation (...). Aussi y a-t-il dans les sensations un ordre qui « coïncide » avec les extensions apparaissantes; mais cela est d'avance impliqué dans l'appréhension, de telle sorte que les effets de l'excitation n'apparaissent pas comme quelque chose d'étranger et qui est seulement provoqué, mais comme quelque chose qui appartient au corps de chair apparaissant et à l'ordre extensif (...).186

Un tel entrelacement est donc permanent, à partir de la couche de sensation primaire, que l'on peut comprendre comme pôle de chair. Mais la difficulté réside dans le fait que ces pôles de chair « s'unifient » en un même corps de chair, quand chacune de ces sensations primaires est toujours-déjà une propriété non-chosique du corps propre

mais motivée et excitée par telle propriété réale du contexte chosique environnant. Il s'agit bien d'une appréhension « double » ou « duelle », déterminée par le primat de la sensation charnelle : le corps propre est une chose matérielle parmi d'autres choses matérielles en tant qu'elle en est leur condition phénoménale d'apparition : « d'une chose (…) qui n'est pas une chose simplement matérielle, mais qui est chair [;] (...) en tant que complexe d'organes des sens (...). »187 Mais « Ce même corps [Leib : chair] qui me sert de moyen pour toutes les perceptions, me fait obstacle dans la perception de lui-même et il est une chose dont la constitution est étonamment imparfaite. »188 Aussi, il n'y a pas d'incorporation « définitive » ni « absolue », mais au contraire toujours « imparfaite » et « incomplète ». Cependant, au §42, Husserl en revient à l'opposition entre dedans et dehors, entre intérieur et extérieur, que l'on pourrait considérer comme une « faiblesse » dûe à la non considération explicite d'un écart originaire à soi189 : « A cet égard, le maintien – naïf – d'un « dehors » atteste la connivence de [la] voie [cartésienne] avec l'attitude naturelle qui table sur l'opposition distinctive, massive et ininterrogée, de l'objet intentionnel et du Reales. »190 Pourtant, le corps de chair semble se caractériser comme cette « excédence » même, puiqu'il est « une chose matérielle ayant des modes d'apparition particuliers, « insérée » entre le reste du monde matériel et la sphère « subjective » : en tant que centre autour duquel se groupe le reste du monde spatial (…) mais en même temps en tant que « moment du basculement » dans lequel les rapports de causalité se transforment en rapports de conditionalité (...) »191 Il manque alors un élément pour penser tout processus d'objectivation : le stade intersubjectif de l'expérience ; à travers le concept d'intropathie.

187 Ibid., p. 222. 188 Ibid., p. 224.

189 Cette inteprétation de l'absence de considération par Husserl d'un écart originaire à soi, d'une altérité intime à moi, est nuancée par Natalie Depraz pour qui cela est concevable si l'on en reste à la dimension statique de la phénoménologie : « il s'agit de découvrir ici une première couche d'altérité dont l'accès est constitutif, et dont seront ensuite exhibées par la voie de la genèse transcendantale d'autres couches plus originaires. » (Depraz, op. cit., p. 99) 190 Depraz, op. cit., p. 69.

2.2 §28 de la Krisis : monde de la vie et chair ; ou le problème de la présupposition du processus d'incarnation192

Comme l'a remarqué Paul Ricoeur, c'est au paragraphe 28 de la Krisis que Husserl aborde explicitement la question de la chair depuis une critique radicale des