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L'alter ego et la synthèse d'association

Krisis : de la question d'autrui au monde de la vie

3.2 L'alter ego et la synthèse d'association

Comment accéder à l'autre lui-même ? (...) Poser la question de la connaissance de la transcendance effective revient à poser une altérité absolue, un Autre radicalement autre qui n'est plus intentionnel, réduit et constitué. Mon champ de connaissance transcendantale ne saurait, en bonne phénoménologie, s'étendre au- delà de ma sphère d'expérience transcendantale. La question reste ainsi : comment l'alter ego s'annonce-t-il sur le sol de l'ego ?277

Nous ne pouvons comprendre ce qu'est l'alter ego qu'en interrogeant d'où il surgit, ce sous le régime de la réduction. Or, « il apparaît d'une façon nécessaire dans mon « monde » primordial, en qualité de modification intentionnelle de mon moi »278 : « Au point de vue phénoménologique, l'autre est une modification de « mon » moi (…) Autrement dit, une autre monade se constitue, par apprésentation, dans la mienne. »279 Si l'autre apparaît comme modification de mon moi, c'est parce qu'il surgit au sein même de mon premier horizon de monde, il fait partie intégrante de mon champ d'immanence (intentionnelle, non pas réelle). Or, en tant que

modification de mon moi, il n'est pas l'autre réel ni moi-même. L'alter ego désigne

une phénoménalité intermédiaire, à comprendre à partir de l'apprésentation : « (…) à tout ce qui m'est étranger appartient un moi apprésenté, que je ne suis pas moi-même, mais qui est ma modification, un autre moi, qui reste intimement lié aux horizons apprésentés de son être concret. »280 A l'apprésentation se conjugue l'association, tel que « c'est dans cette accessibilité indirecte, mais véritable, de ce qui est inaccessible directement et en lui-même que se fonde pour nous l'existence de l'autre. »281 Voici la définition que nous en propose Husserl :

C'est une des formes primitives de la synthèse passive que, par opposition à la synthèse passive de

l' « identification » nous désignons comme « association ».282

277 Ibid., p. 102.

278 Husserl, Méditations Cartésiennes, op. cit., p. 187. 279 Ibid., p. 188.

280 Ibid., p. 189. 281 Ibid., p. 187.

(…) comme essentielle à cette association, une sorte de « transgression » intentionnelle, qui s'établit dans l'ordre génétique dès que les éléments qui s'accouplent sont donnés à la conscience « ensemble » et

« distincts » à la fois.283

Ainsi, « Alter veut dire alter-ego, et l'ego qui y est impliqué, c'est moi-même, constitué à l'intérieur de la sphère de mon appartenance « primordiale », d'une manière unique, comme unité psycho-physique ».284 C'est-à-dire en tant qu'organisme, d'un corps mais aussi d'une chair. Ce qui pose la difficile question du sens d'un autre-chair comme chair-autre, où la chair demeure la mienne. Je transfère à l'autre le sens d'être de ma chair ; par « transposition aperceptive à partir de mon propre corps » (qui est Leib ici) ; par ressemblance, de « concevoir « par analogie » ce corps comme un autre organisme »285 : une autre chair donc. Cependant, le « deuxième caractère fondamental de l'aperception en question : du fait que rien du

sens transféré (le caractère spécifique d'être un organisme) ne saurait être réalisé, d'une manière originelle, dans ma sphère propre primordiale. »286 Que comprendre ici ? Ou bien, (a) cette sphère propre primordiale renvoie à mon immanence réelle dont je dois donc « sortir » ; en tel cas se trouvent ici présupposées des synthèses d'incarnation et d'incorporation. Ou bien, (b) cette sphère propre primordiale renvoie à un premier horizon de monde, à ma sphère d'immanence pure ou intentionnelle ; en tel cas je me trouve confronté à une primordialité autre. L'un renvoyant à l'autre, cela revient au même. Car dans les deux cas, je me trouve confronté à une sphère primordiale autre, d'une primordialité qui n'est pas mienne et dont pourtant la signification émane de la mienne. Dire que la signification d'une primordialité autre que la mienne émane pourtant de la mienne, c'est dire la reconnaître comme telle, donc la constituer. Autrement dit, ma sphère d'immanence constitue une transcendance qui est aussi une immanence autre. Husserl voit le problème, car « comment une aperception pareille est possible et pourquoi n'est-elle pas plutôt tout

283 Ibid., p. 184. Nous soulignons. 284 Ibid., p. 179.

285 Ibid., p. 180.

de suite annulée ? » Or, « la forme privilégiée [de l'association] est la ressemblance, forgée sur le fond d'une distance qui permet la résonnance d'un élément dans l'autre, voire leur co-appartenance sensible. »287 En effet, sans ressemblance, se produit une rupture du transfert aperceptif par synthèse d'association, et l'autre disparaît en tant qu'autre. Nous sommes ici au cœur de toute problématique phénoménologique, à savoir la condition de la constitution ; c'est-à-dire la détermination de l’œuvre constitutive dont l'autre est devenu le pilier fondamental : il s'agit alors d'« élucider l’œuvre constitutive se réalisant au moyen de l'association ». Husserl ajoute : « Ensuite l'autre est appréhendé dans l'apprésentation comme un « moi » d'un monde primordial ou une monade. »288 Simultanément, le corps de l'autre qui apparaît dans ma sphère primordiale est aussi la chair de l'autre dans sa propre sphère monadique, chose que j'appréhende moi-même par apprésentation associative. En effet, « l'autre a tout autant que moi-même une sphère du propre caractérisée par sa charnellité propre. (…) il n'a pas la chair comme une propriété qui lui serait extérieure, il a une conduite charnelle, sans être pourtant la seule chair. »289 C'est pourquoi « l'expérience de l'autre a ce pouvoir original de convertir mon monde en un autre monde qui est monde du nous. »290

C'est ainsi que l'aperception assimilatrice grâce à laquelle le corps extérieur, analogue à mon propre corps, acquiert le sens de chair, devient possible. Il acquiert par suite la signification d'une chair se trouvant dans un autre « monde » analogue à mon monde primordial.291

Cela explique le fait que chacun à son monde de la vie qui lui est propre. Ainsi, dans le cas de l'alter ego, ce qui est apprésenté n'appartient pas à la sphère de ce qui m'est propre. Depuis ma sphère primordiale - c'est-à-dire depuis ma chair qui est son point de gravité en tant que son « ici absolu », par ma chair que je suis au plus propre de ma sphère d'appartenance -, je détermine les critères de toute sphère primordiale

287 Depraz, op. cit., p. 130.

288 Husserl, Méditations Cartésiennes, op. cit., p. 191. 289 Depraz, op. cit., p. 149.

« autre » : « De par mon corps organique, je suis ici centre d'un « monde » primordial, orienté autour de moi. »292 Or, je ne peux être en lieu et à la place de la chair de l'alter ego, de la chair autre, de l'autre chair. Il n'y a de chair que la mienne. Y a-t-il une chair étrangère ? L'autre a-t-il une chair ? Husserl affirme que « L'un et l'autre s'excluent réciproquement. »293 Par l'association, l'autre est apprésenté comme la chair centrale de sa propre sphère primordiale, ce qui fonctionne encore par transfert, par le « comme si, moi, j'étais là-bas » ; sans quoi cela est impossible. Par conséquent, la chair de l'autre ne m'est jamais réellement présentée de manière directe, elle est au contraire toujours apprésentée de façon médiate : « la complexité de la saisie analogisante de l'autre en tant qu'expérience immédiate médiatisée est manifeste. Sans être à part entière présentation, l'aperception d'autrui est singulière en ce qu'elle repose sur une présentation (…). »294 Il n'y a donc ni fusion ni identification entre ma propre chair et la chair de l'Autre, qui demeure l'indice de sa propre sphère d'appartenance. Mais sans cette apprésentation, et le rapport associatif qui s'ensuit, il n'y aurait pas d'autre pour moi. Tant que je ne constitue pas l'altérité de l'autre, c'est-à- dire tant que je ne reconnais pas la propriété de l'autre par l'apprésentation de sa sphère d'appartenance qui lui appartient, il ne peut y avoir ni Autre, ni intersubjectivité. En ce cas, pas de communauté. Ainsi, tout ego est la condition de sa propre sphère primordiale, en cela responsable de reconnaître toute primordialité autre : en tant qu'ego, je suis la condition de la communauté ; et c'est à moi d'admettre que cela vaut pour tout ego. L'intersubjectivité désigne alors la réciprocité

associative. Citons la suite de ce paragraphe remarquable de la cinquième

méditation :

Mais mon ego propre donné dans une aperception constante de moi-même, existe en ce moment, d'une manière actuelle, avec le contenu de son hic. Il y a donc un ego apprésenté comme autre. La coexistence incompatible dans la sphère primordiale devient compatible par le fait suivant : mon ego primordial, qui constitue pour lui d'autres ego, le fait au moyen de l'aperception apprésentative qui, conformément à son sens

292 Ibid., p. 193. 293 Ibid.

spécifique, n'exige et n'admet jamais sa confirmation par une présentation. (…) me sont familiers grâce à ma propre activité dans mon corps.295

Husserl résout ainsi l'aporie supposée d'un rapport à l'autre qui respecte l'altérité d'autrui et la primauté égologique, par le transfert aperceptif, c'est-à-dire par la synthèse d'association qui n'est jamais qu'une quasi-identification ; ou une identification non aliénante, c'est-à-dire non fusionnelle. Autrement dit, par une identification à distance. La force de Husserl est de considérer que l'étranger transcendant demeure en moi, c'est-à-dire au sein de ma sphère primordiale, et je dois le reconnaître comme tel pour pouvoir considérer l'autre comme un alter ego. Depuis mes fondements s'appréhende ce qui y échappe, et qui est pourtant compréhensible comme tel. Si je puis considérer cette structure et ce comportement comme n'étant ni un double de moi ni une propriété de moi-même, mais bien justement comme caractéristiques d'un « autre », c'est parce que je constitue l'altérité de l'autre et la laisse venir à moi : « l'expérience d'autrui livre une apprésentation d'une autre sphère originale, co-présente à partir de la mienne propre. »296 Cependant, ceci n'est possible que par le monde de la vie visé comme monde pour tous, qui constitue un tous-pour- monde. Autrement dit, par la relativisation de toute étrangèreté. Or, qu'en est-il si l'association se brise ? La structure de la synthèse d'association n'est-elle pas insuffisamment décrite ? Peut-on échapper à la relativisation de l'étranger ? Le faut- il ? Husserl démontre qu'on peut considérer par aperception apprésentative une chair qui n'est pas mienne, c'est-à-dire la radicalité de la chair de l'autre qui n'est pas et ne peut pas être la mienne, sans quoi aucune communauté n'est concevable. Or, « (…) l'expérience analogisante se structure selon deux couches : la couche primordiale présentée tout autant que la couche apprésentée fondée sur elle, qui relèvent toutes

deux de l'expérience. »297 Est-il possible de parler ici d'inter-corporéité ? Au sens où c'est par l'apprésentation de la chair de l'autre que la mienne puisse se présenter à elle-même ? En effet :

295 Husserl, Méditations Cartésiennes, op. cit., pp. 193-194. Nous soulignons. 296 Depraz, op. cit., p. 166.

C'est pourquoi, à l'aperception de ma chair comme corps par la médiation d'un autre corps qui lui est supposé ressemblant, correspond inversement l'aperception de ce corps comme chair par le moyen cette fois de ma chair elle-même, qui lui est elle aussi ressemblante, mais d'une ressemblance toute intérieure. Le concept de ressemblance a d'une aperception à l'autre subit une modification de sens, en même temps qu'il fait advenir l'autre comme chair et accomplit son expérience par ma chair.298

Autrement dit, « (…) dans la mesure où la constitution du corps de l'autre comme chair, nommée ici incarnation (Verleiblichung), suppose accomplie la constitution de ma chair comme corps, c'est-à-dire mon incorporation (Verkörperung). »299 Dès lors, l' « incarnation » de l'autre présuppose ma propre incorporation, au sens où ma chair est corps via l'aperception de l'autre comme corps. Mais cela ne présuppose-t-il pas à nouveau une certaine reconnaissance de la chair à elle-même, c'est-à-dire son unification ? La question subsiste : comment la chair s'identifie-t-elle à elle-même ? L'identification de la chair à elle-même n'est-elle pas la condition de mon incorporation, alors « auto-incorporation » ? Au contraire, selon l'interprétation de N. Depraz de l'analyse husserlienne, l'incorporation de l'ego est possible via l'incarnation de l'alter ego que je constitue moi-même. Ainsi, l'ego « (…) accomplit cette incorporation en une aperception de l'autre corps comme chair (…) [en tant que] processus constitutifs entièrement propres, qui ne sauraient se substituer l'un à l'autre. »300 N'y a-t-il pas alors contradiction ? Si l'expérience d'incarnation renvoie à l'expérience d'autrui, alors cette expérience est à la fois la condition et l'effet de mon incorporation. En effet, « la dimension transcendantale de l'expérience d'autrui comme expérience d'incarnation »301 présuppose mon incorporation, elle-même rendue possible par cette incarnation de l'autre. Dès lors, l'appréhension de ma chair comme corps renvoie simultanément à l'appréhension du corps de l'autre comme chair. Selon une telle interprétation, il n'y a plus ni primat du moi ni primat de l'autre, au profit de « la non-dualité de l'unité et de la différence (…) [en] une « unité

298 Ibid., p. 132. 299 Ibid., p. 133. 300 Ibid., p. 134. 301 Ibid., p. 139.

subjective » qui porte en elle le rapport à ce qui est autre. »302 Cette unité dans la différence revient simultanément à une auto-différenciation dans l'unité telle qu'il s'agit d'une « unanimité sensible dont la racine est l'association. »303 Par conséquent, s'il est question du « (…) moment originaire de l'expérience de l'autre comme co- originarité »304, alors « (…) la subjectivité transcendantale est lue d'emblée comme

intersubjectivité complète. »305 Tel serait le principe de la vie pré-égoïque immédiatement associative : l'unité de l'association par le maintien de la distinction, tel que ce n'est pas l'autre qui me précède mais le rapport associatif lui-même – qui implique égoïté et altérité. En tant que cette expérience est mon expérience, il ne s'agit pas d'une « dislocation » de l'égologie transcendantale. Au contraire, il s'agit d'une « d'une refonte de l'égologie. »306 Cet « (…) entrelacs non-duel et non- coïncidant du deux dans l'un, d'une unité qui laisse être la différence »307 désigne la structure même de la Paarung comme association élémentaire :

Ma chair s'aperçoit comme corps au moment où tout corps s'aperçoit comme chair. Dans l'expérience, ego et alter ego sont certes toujours déjà corps et chair, mais, l'un par l'autre, ils s'aperçoivent dépositaires d'une profondeur – corps ici, chair là – qu'ils n'avaient jusqu'alors, sans l'autre, pas aperçue, et ne pouvaient d'ailleurs seuls percevoir.308

Selon cette interprétation, l'analyse husserlienne présente déjà ce que nous tenterons de définir comme « forme de vie », via des processus d' « inter-incorporation ». Cependant, l'analyse de « cette pluralité transcendantale recomprise (...) comme pluralité inter-réductive »309, sur laquelle nous reviendrons par la suite, malgré toute sa force et sa pertinence, nous paraît encore insatisfaisante. En effet, il nous semble nécessaire de revenir sur la question du processus d'incarnation en tant que synthèse d'identification de la chair à elle-même, comme condition de ma propre incorporation

302 Ibid., p. 141. 303 Ibid., p. 130. 304 Ibid., p. 140. 305 Ibid., p. 227. 306 Ibid., p. 94. 307 Ibid., p. 144.

sans laquelle les strates de différenciation demeurent imprécises. Car c'est à partir de mes seuils établis (constitués) de seuils d'étranger et de propriété (d'appartenance) au niveau de la chair que j'opère à un transfert aperceptif, en tant que mes seuils constitués sont jugés similaires pour tout ego. Par ailleurs, si au sein de son monde primordial, l'autre n'a pas les mêmes seuils d'étrangèreté et d'appartenance que moi, il deviendrait pour moi un étranger « radical ». Chose inconcevable pour Husserl, pour qui le monde de la vie est « équivalent » pour chacun depuis des grilles de seuils similaires entre tous, comme monde pour tous. Lorsque Husserl dit que « le comportement extérieur (…) [m'est] compréhensible à partir de mon propre comportement dans des circonstances analogues. »310 ; l'analogie n'est-elle pas celle des différents processus possibles de cette « auto-incorporation », qu'il s'agit donc de reconnaître à partir d'un certain processus d'incarnation ? Ceci implique la relativisation de ma propre primordialité, bien que radicalement originaire. Des processus possibles d'auto-incorporation qui désignent autant de modes de vie singuliers, de « formes de vie » dirons-nous par anticipation, ou, pour reprendre les mots de Husserl, de « styles de vie », « (…) pouvant m'être compréhensibles de par leurs attaches associatives à mon propre style de vie qui m'est empiriquement familier

dans son type approximatif. »311 Husserl procède ainsi à une universalisation d'un

certain processus d'auto-incorporation, encore présupposé comme tel, alors qu'il

s'agit d'admettre que tout processus d'auto-incorporation est fondamentalement relatif et non absolu. La condition phénoménologique de toute constitution transcendantale

est bien le mouvement d' « auto-incorporation », et la « synthèse d'incarnation » qui lui est sous-jacente. Nous y reviendrons par la suite. Or, il ne semble pas que Husserl

réponde à ces problématiques. Car telles sont les conditions de la communauté chez Husserl : « lorsque les données, fondements de l'aperception, se recouvrent mutuellement dans l'association, une association de degré supérieur s'effectue. »312

310 Husserl, Méditations Cartésiennes, op. cit., p. 195. 311 Ibid.

Chaque compréhension d'autrui que j'effectue a pour effet de créer de nouvelles associations et d'ouvrir de nouvelles possibilités de compréhension, de même qu'inversement, puisque toute association accouplante

est réciproque, la compréhension effectuée dévoile notre vie psychique propre, dans sa ressemblance et sa

diversité et, par de nouvelles appréhensions distinctes, la rend capable de former des associations nouvelles.313

Cependant, il n'y a pas de processus (ou mouvement) d'auto-incorporation absolu, qui est au contraire toujours singulier. Ainsi, les seuils d'étrangèreté et de primordialité sont dynamiques et mouvants ; et il en est de même pour tout processus de formation communautaire, également dynamique et mouvant. Une communauté ne peut pas être « figée » dans un ordre « statique » de rapports intersubjectifs. Le propre de

l'intersubjectivité associative est ce réajustement constant des rapports. Husserl n'a-t-

il pas traité de manière insuffisante la question de la réciprocité, c'est-à-dire de la

requête émanant de l'autre lui-même ? Au sens où une telle requête de l'étranger

surgit comme une « injonction » à ma propre sphère primordiale. Car si la « crise » est comprise par Husserl comme oubli du monde de la vie, il s'agit de l'oubli de ma propre sphère d'appartenance et de ma primauté égologique, tel que je me « noie » dans la naïveté de l'attitude naturelle ; d'où la question : comment est-il possible de

sortir de moi-même d'un tel oubli ? A cela, l'Autre comme requête est un élément

fondamental. Car l'Autre comme requête signifie autant requête de reconnaissance de sa propre altérité relative, en tant que requête de reconnaissance - pour moi-même et

par moi-même - de mon appartenance propre. L'autre requiert ma réduction à moi- même et à mon monde de la vie, condition même de sa reconnaissance d'étrangèreté depuis moi-même. A partir de là, les synthèses d'associations rendent compte de leur

complexité, quand il s'agit de reconnaître l'autre comme autre qui me reconnaît moi- même.314 Cependant, Husserl pense un rapport non fusionnel et non « aliénant » à l'autre, c'est-à-dire qui n'entraîne pas d'altération de ma propriété. Ainsi, nous n'avons jamais d'accès direct et immédiat à l'Autre réel. Notre rapport à l'Autre n'est possible

313 Ibid., p. 195. Nous soulignons.

que par la phénoménalité intermédiaire de l'alter ego, qui n'est pas l'Autre réel mais son indice au sein de ma sphère primordiale comme modification intentionnelle de moi-même. Tenter de penser l'autre réel en moi ne sera jamais qu'une illusion empêchant toute communauté associative. Je ne peux pas impliquer la présence réelle de l'autre dans ma sphère d'appartenance, car il s'agit toujours d'une apprésentation liée à une présentation qui ne dépend pas de moi et à laquelle je n'ai pas accès. Cela nous permet de penser une communauté dans l'écart. Husserl souligne encore ceci : En effet, comment la communauté se réalise-t-elle, ne fût-ce que sous cette première forme d'un monde