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Répertoire des procédés de glocalisation

1.2 Cadre théorique : design visuel et stratégie de marque

La partie précédente a montré l’importance du design graphique et de la conception des images dans les stratégies publicitaires, notamment glocalisées. Cette partie a pour objet de fournir un cadre théorique à la recherche qui va en découler.

Le design

Avant de répondre à la question de savoir quel est le rôle du designer graphique ou du concepteur d’images, nous abordons au départ quelques spécificités du design même si « sa définition se montre aussi difficile à figer » (Brunel-Lafargue, 2018, p. 16).

Le terme design n’est pas employé ici au sens historique restreint de « design industriel » (même si historiquement, le premier sens du terme design n’est donc pas celui de design industriel, mais celui de projet (Vial, 2014, p. 23). Mais ici, l’usage du vocable design est employé au sens élargi, en se référant à la communauté internationale de recherche incluant une diversité de champs liés à la conception (Vial, 2014, p. 21).

D’ailleurs, lorsque Vial évoque le projet dans le titre de l’un de ses articles « De la spécificité du projet en design : une démonstration », il l’associe à la conception méthodique (le projet ou la naissance de la conception méthodique) (Vial, 2014, p. 21). Le projet est donc l’invention d’un dualisme, ou mieux, d’une division du travail : celle de la conception et de la réalisation. Il s’agit « à la fois de distinguer et d’unifier un temps de conception et un temps de réalisation dans l’acte de construire » (Boutinet, 1990, p. 10 ; Vial, 2014, p. 21). Vial stipule que le design est à entendre en tant que projet de conception méthodique (Vial, 2014, p. 23). D’ailleurs, là où l’artiste crée des œuvres pour des publics, le designer conçoit des projets pour des usagers (Vial, 2014, p. 17).

62 Au cours de la même année, l’article de Anne Piponnier, Anne Beyaert-Geslin et Stéphanie Cardoso (Piponnier et al., 2014, p. 6) se propose d’observer les jeux de miroirs entre projet et design à partir de réflexions livrées par des acteurs professionnels des métiers du design et de la conception, et des chercheurs en communication, où notamment les projets en design exposés témoignent d’un ancrage au projet dans la discipline du design. En effet, cette dernière s’articule et se conduit plus comme une discipline du projet. Car les exemples exposés principalement à la fin de l’article sont au cœur même de projets en design. Une autre caractéristique retient l’attention : les auteures n’ont pas manqué de faire référence aussi aux travaux d’Alain Findeli (2006a et b) en soutenant que « pour le design, le monde est un objet à comprendre et à analyser mais il est aussi et surtout un projet à réaliser pour les hommes » (Piponnier et al., 2014, p. 7) et que « la finalité du design est d’améliorer ou au moins de maintenir l’habitabilité du monde dans toutes ses dimensions » (Findeli, 2010, p. 292). Leurs propos nous rappellent ce que soutenait Vial (2013) dans les propos de Findeli (2010) : « le design est donc une pratique de création orientée vers le futur et sous-tendue par une intention méliorative. Il s’agit de mettre la création au service de l’amélioration des conditions de vie » (Findeli, 2010, p. 292 ; Vial, 2013, p. 8). Ainsi, dans cet article, les auteures certes ont expliqué que le design ne saurait exclure le projet social et sociétal de ses préoccupations (Piponnier et al., 2014, p. 11) en sachant que dans la pratique, certains champs du design seront favorisés comme la communication culturelle, alors que d’autres champs auront plus de mal à mettre en pratique ces propos.

Ceci dit, nous reprenons volontiers à notre compte les propos de Vial (2014, p. 17) qui stipule qu’en effet pour un designer, rien ne semble plus naturel que la notion de projet. Car dans les écoles de design, ce qui est a été aussi mon cas à l’École Supérieure des Sciences et Technologies du Design à Tunis, c’est ainsi que l’on nomme les travaux de conception auxquels se livrent les étudiants dans le cadre de l’atelier. « En tant que le lieu où, en principe, s’enseigne et s’apprend l’acte de design et la conduite de projet en design, l’atelier est considéré comme un endroit stratégique dans toutes les écoles de design » (Findeli, Bousbaci, 2005, p. 39). Ceci s’applique même au cadre professionnel puisque c’est de la sorte que sont nommés non seulement les travaux en cours, mais aussi les réalisations achevées.

Par ailleurs, même si en langue anglaise, le sens courant du mot design est « conception » (Vial, 2013, p. 7), concevoir mais aussi produire un artefact est un acte de design (Vial, 2015, p. 30). Ainsi, Manuel Zacklad interviewé par Bernard Darras et Alain Findeli sur l’un de ses articles publié en 2017 dans l’encyclopédie de la création en ligne WikiCreation, s’exprime en disant « les sciences de la conception regroupent un très grand nombre de disciplines scientifiques ou artistiques qui ont pour point commun, non pas la découverte de lois naturelles générales, mais la création d’artefacts (Simon, 1969)... et bien sûr la science du design » (Manuel Zacklad et al., 2018, p. 10). Ce qui change en effet est le type de l’artefact ou l’objet de la conception (objet, support visuel…).

Herbert Simon est le premier à avoir défini un concepteur, dès 1969, dans Les sciences de

l’artificiel même si Stéphane Vial l’a repris aussi en 2013 dans son article « Design et création :

esquisse d’une philosophie de la modélisation » : « quiconque imagine quelques dispositions visant à changer une situation existante en une situation préférée, est un concepteur » (Citation originale : « Everyone designs who devises courses of action aimed at changing existing situations

63 réflexions de Ruedi Baur, professeur à la Haute école d’art et design de Genève interviewé lui aussi par Bernard Darras (en introduction au numéro 40 de la revue MEI, consacré à la thématique « Design et communication »), il stipule que « le verbe « imaginer » exprime assez bien le processus de conception qui permet de cerner une problématique, puis, dans le cadre plus ou moins bien cerné des possibles ou plutôt des impossibles, de s’imaginer des pistes » (Vial, Darras, 2017, p. 23). Ainsi, l’imagination fait partie prenante du processus de conception.

Krippendorff, qui a fait carrière à l’Annemberg School for Communication de l’université de Pennsylvanie, a publié en 2006 (Filion-Mallette, Bonnet, 2019, p. 29) que « le design est une façon de comprendre les choses, de leur donner un sens, de nous les rendre familières et de les intégrer à notre vie » (Vial, 2014b, p. 179). En fait, dans son ouvrage d’exception The Semantic Turn : a New

Foundation for Design, Krippendorff a redéfini le design comme la fabrique du sens des choses, en

parallèle des discours sur la forme et la fonction qui le caractérisent dans la culture populaire (Filion-Mallette, Bonnet, 2019, p. 29). Alors que pour certains tel que Koskinen et al., (2012, p. 42), le design est fondamentalement orienté-futur (future-oriented) car « les designers sont des gens qui sont payés pour produire des visions d’un avenir meilleur et faire en sorte que cela arrive » (Vial, 2014, p. 27). Même si je n’adhère pas trop à cette définition, la seconde partie de ces propos semble correcte.

Beaucoup de définitions sont dédiées au terme design, mais la différence entre design et marketing expliquée par Katherine Gillieson, Maître de conférences à l’Université d’art et design Emily Carr de Vancouver, est très intéressante. Ainsi, pour elle, le design implique un processus de raisonnement créatif pour apporter des réponses aux problèmes ou améliorer le statu quo ou créer de nouvelles solutions alors que le marketing est une pratique qui vient du monde des affaires, une pratique du business (Vial, Darras, 2017, p. 21). Non seulement Gillieson a parlé de réponses aux problèmes, mais aussi Anne Beyaert-Geslin dans son livre Sémiotique du design (2006) fait référence au fait qu’ « un designer […] est invariablement convié à apporter une solution à un problème » (Beyaert-Geslin, 2016, p. 24).

Ceci dit, comme le vocable design ainsi que sa définition évoluent au fil des années, Vial (2015, p. 26) pense qu’il existe une « pensée design commune et transversale même face à la diversité des pratiques ». D’ailleurs, il ajoute qu’il est vain de tenter de faire du design un art, il est vain de chercher à en faire une science. Le design (on its own terms) est en réalité une culture sui generis, c’est-à-dire irréductible à celles de l’art, de l’architecture, de l’ingénierie, et même de la science. « Nous avons pris conscience que nous n’avons pas à transformer le design en une imitation de la science ; tout comme nous n’avons pas, non plus, à traiter le design comme un art ineffable et mystérieux. Nous reconnaissons que le design possède sa propre culture intellectuelle distincte » (Cross, 2007 chap.7 ; Vial, 2015, p. 26).

Même si nous avons resserré l’étendue de la définition du design, nous noterons qu’il s’agit là d’une évolution qui atteste progressivement d’un intérêt grandissant envers le design. Mais dans le cadre de cette thèse, nous ne pouvons pas aborder en profondeur le vaste champ sémantique du terme design qui « dépend autant de la langue employée que de l’individu qui en fait l’usage » (Brunel-Lafargue, 2018, p. 35) par crainte de nous éloigner de notre finalité, qui tend plus vers une des spécialités du design en particulier.

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