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2 Stress professionnel et burnout, modèles et théories

2.2 Burnout , développements et modèles

Le manque de consensus sur la portée du terme « stress » notamment pour l’étude du stress professionnel amène à considérer d’autres notions. En particulier, le bur-nout correspond à une mesure consensuelle de l’impact du stress sur la santé mentale et physique. Il résulte de l’exposition au stress à haut niveau pendant une longue période. L’explosion des recherches sur le burnout conduit à la confirmation de rela-tions stables entre les stresseurs et les conséquences sur l’individu et l’organisation. Il présente donc une alternative intéressante pour l’étude du stress professionnel. Plu-sieurs modèles explicatifs du burnout ont été présentés et discutés empiriquement. Leur validité a été confirmée dans de nombreux contextes professionnels et culturels. Le burnout est être défini comme un état physique, émotionnel et mental d’épui-sement qui résulte d’un engagement à long terme dans des situations professionnelles qui sont émotionnellement exigeantes (Schaufeli et Greenglass, 2001). De nombreuses recherches montrent que le burnout est corrélé avec des mesures de détresse indivi-duelle (Belcastro et Gold, 1983 ; Schaufeli et Enzmann, 1998). La charge et le rythme de travail sont fortement corrélé à l’épuisement émotionnel (Greenglass, Ronald et Moore, 2003 ; Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001). Cette dimension est au centre du concept du burnout quel que soit le modèle proposé. Le sentiment de contrôle sur le travail réduit l’effet des demandes professionnelles imposées au travailleur (Fernet, Guay et Senecal, 2004). Le soutien social professionnel et non professionnel jouent le même rôle (Schat et Kelloway, 2003).

2.2.1 Émergence et développement du concept de recherche

S’inscrivant dans un tournant de la psychologie sociale, Sivadon (1952) consi-dère que « le travail est pathogène pour des raisons qui sont davantage liées aux besoins et aux possibilités des travailleurs qu’à sa nature propre ». Veil (1959), évo-luant dans le même groupe de travail que Sivador, arrive à une conclusion similaire : certains comportements des travailleurs correspondent à des mécanismes de défense. Ces comportements sont nombreux, parmi eux l’alcoolisme au travail et l’absentéisme

(Billiard, 2001). Dans ses travaux, Veil (1959) fait appel à la notion d’ « état d’épui-sement ». Il invoque son utilité dans la compréhension de certains symptômes chez les travailleurs (Canouï et Maurange, 2001).

La description du phénomène concorde avec le vécu d’un architecte décrit par Green (1961) (cité par Schaufeli et Enzmann (1998)) qui dans son roman « A burn out case », décrit un célèbre architecte qui perd le sens de sa vie. Il part en Afrique dans un camp de missionnaires pour aider des malades. Cette métaphore est reprise par Ginsberg (1974) pour décrire les réactions des hommes d’affaires face à un stress chronique lié à leur travail. Ces réactions expriment des répercussions physiologiques et comportementales causées par le contexte professionnel particulier. Elles résultent des exigences du travail d’une part, et des attentes individuelles d’autre part (Gollac, 2005).

Freudenberger (1974), propose une première catégorisation des symptômes qu’il observe. La première catégorie de symptômes concerne la perte graduelle de contact avec les émotions. La seconde est celle de la perte de motivation au travail. L’hypo-thèse défendue est celle de la désillusion où, en essayant de répondre aux obligations imposées par l’environnement ou par soi-même, la personne épuise ses ressources. Le niveau personnel d’attentes professionnelles, et les frustrations qui en découlent, sont au cœur du phénomène. Ainsi, le burnout est le résultat d’un niveau d’attentes personnelles supérieur aux potentialités offertes par le travail.

La psychologie (clinique, sociale, organisationnelle et du travail) participe forte-ment au développeforte-ment des recherches sur le burnout en y apportant dès ses débuts une double considération (Canouï et Maurange, 2001 ; Boudoukha, 2009). Le burnout est à la fois un concept de recherche et un concept de psychopathologie. Cette der-nière l’utilise pour désigner les personnes qui souffrent tellement de stress chronique qu’elles nécessitent une prise en charge psychothérapeutique. Il est communément appelé burnout pathologique, burnout dysfonctionnel, burnout clinique ou encore trouble du burnout. La souffrance ressentie à cause des situations de stress profes-sionnel définit le burnout en tant qu’objet de recherche (Boudoukha, 2009). Elle culmine dans un état épuisement émotionnel causé par des sollicitations psycholo-giques et émotionnelles excessives (Jackson, Schwab et Schuler, 1986).

Les premières études s’intéressent à intégrer, à comparer et à chercher les rela-tions qui lient le burnout au stress professionnel, à la satisfaction professionnelle, à

l’engagement professionnel et au turnover (Boudoukha, 2009). Les recherches, dans une large majorité, étaient descriptives et qualitatives faisant appel à des techniques comme les entretiens, les études de cas et les observations (Schaufeli, Leiter et Mas-lach, 2009). Plusieurs thèmes émergent et suggèrent que le burnout possède deux régularités identifiables (Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001).

La première régularité identifiée est liée à des conditions de travail exigeantes en termes d’attentes et d’investissements. Pour se protéger, les personnes tentent de mettre de la distance avec les différentes composantes du contexte de travail (Schaufeli, Leiter et Maslach, 2009 ; Cordes et Dougherty, 1993). L’hypothèse qui se dessine est que la relation donneur-receveur est au centre du burnout, car le stress émotionnel inhérent à certaines professions est nocif (Cordes et Dougherty, 1993). Le nombre de clients / patients, l’importance des échanges ou le manque de res-sources sont des facteurs impliqués dans le développement du burnout. Les relations avec les collègues, avec la famille des usagers sont également associées à cette analyse. Depuis les années soixante-dix, la trajectoire de développement du burnout fait l’objet de plusieurs théorisations (Neveu, 1995). Les données les plus pertinentes proviennent d’études transversales ou d’études utilisant des modèles causaux à cause de la difficulté de tester les différentes hypothèses. Cette difficulté est liée à la né-cessité de mener des études longitudinales. Celles qui arrivent par la suite ont pour objectif d’évaluer l’impact du milieu professionnel sur la santé mentale (McManus, Winder et Gordon, 2002). À partir de la décennie suivante, les recherches prennent une dimension plus systématique, empirique et quantitative. Elles recourent à des questionnaires et des études méthodologiques sur un grand nombre de sujets (Cordes et Dougherty, 1993).

La validation ou l’invalidation d’hypothèses et de modèles fournit les bases néces-saires à la prédiction du burnout (Perlman et Hartman, 1981). Les modèles proposés permettent de questionner l’impact des variables à différents niveaux (Farber, 1983) notamment organisationnel (Lourel et coll., 2004). La formalisation des relations complexes entre les facteurs organisationnels et les dimensions du burnout permet de décentraliser la population cible étudiée. Plusieurs corps de métiers font désormais partie des études sur le burnout, comme les militaires, les cadres d’entreprises, les avocats, les sportifs, etc. Leiter et Schaufeli (1996) stipulent que le burnout concerne toutes les professions dans lesquelles des relations avec autrui sont engagées. Il n’est donc pas étonnant avec cette nouvelle conceptualisation, qu’une extension des

re-cherches sur des groupes non professionnels ait pu voir le jour.

2.2.2 Burnout, état ou processus d’épuisement

Silverstein (1982) a documenté le traitement du burnout dans vingt-cinq do-maines différents. Il regroupe notamment les policiers, les conseillers, les travailleurs des services sociaux, les avocats et les infirmières. Cette richesse aide, dès le début des années quatre-vingt-dix, à la structuration des recherches. Une conceptualisation du burnout en tant qu’état propose un modèle explicatif qui évolue rapidement vers une considération processuelle.

Trois dimensions sont associées au burnout, celle de l’épuisement émotionnel, l’état de désinvestissement ou de désengagement relationnel, et la baisse du sens de l’accomplissement et de la réalisation de soi (Maslach et Jackson, 1981). Il est défini comme « un syndrome de détresse psychologique intense liée au travail caractérisé par trois manifestations : une grande fatigue émotionnelle, une dépersonnalisation prononcée et un sentiment d’accomplissement personnel très bas » (Maslach, 1976). L’état de burnout peut être défini par son origine professionnelle, les éléments dysphoriques et étiologiques qui y sont associés (Boudoukha, 2009). Parmi les élé-ments dysphoriques, il y a l’épuisement émotionnel, les cognitions dépressives, les comportements et attitudes négatifs voire hostiles (Maslach et Schaufeli, 1993). Des attentes professionnelles inappropriées ou un cadre professionnel émotionnellement exigeant représentent l’étiologie du burnout (Schaufeli et Enzmann, 1998).

L’épuisement émotionnel est défini comme un état où l’individu a l’impression de ne plus ressentir les émotions liées à son travail. Il a le sentiment de ne plus avoir de ressources émotionnelles et d’être émotionellement vidé. La dépersonnalisation cor-respond à une réponse négative face aux demandes environnementales dans le cadre du travail. Elle traduit un mécanisme de défense pour se distancier dans les situa-tions où l’épuisement émotionnel est trop important (Maslach et Goldberg, 1998 ; Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001).

La dépersonnalisation se manifeste par le développement du cynisme face aux tâches et du détachement face au travail. La dépersonnalisation est un mécanisme de défense que l’individu met en place lorsqu’il ne peut pas faire face aux situations stressantes (Maslach et Goldberg, 1998 ; Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001). La baisse

du sentiment d’accomplissement l’amène à se considérer comme moins compétent. Il est découragé face aux tâches qu’il effectuait avec beaucoup d’aisance ; elles lui paraissent désormais insurmontables. Cette situation induit une importante baisse de la productivité (Maslach et Goldberg, 1998).

Veniga et Spradely (1981) proposent une acceptation processuelle découpée en cinq étapes. La première est le « honeymoon », suivie par la deuxième celle de la baisse d’énergie et de la satisfaction. Pendant la troisième étape, les stratégies d’évi-tement et les symptômes d’épuisement s’accentuent. La quatrième étape survient avec la déclaration de symptômes critiques. Elle s’accompagne par des attitudes pes-simistes ainsi que la fuite du travail. L’étape finale est atteinte lorsque le burnout est indissociable d’autres troubles.

Edelwich et Brodsky (1980), proposent un découpage similaire mais en quatre stades. Le premier est l’enthousiasme, suivi par la stagnation, la frustration et se ter-mine par un état d’apathie correspondant à un état de dépression et d’indifférence. Les approches présentées par Edelwich et Brodsky (1980), Cherniss (1980), Veniga et Spradley (1981), Etzion (1987) donnent une illustration visuelle claire du burnout. Toutefois, elles ne donnent pas d’éléments suffisants pour l’acceptation du découpage en stade et sa généralisation.

Le burnout est un processus d’accumulation progressive et continue de stress chronique. Il débute par des tensions relatives à l’écart entre les attentes, les efforts, les idéaux de l’individu et les exigences de l’environnement (Cherniss, 1980 ; Etzion, 1987). Elles sont le résultat de l’interaction entre l’individu et les conditions de tra-vail. Le burnout est assimilé au stade final de mal-être où l’individu ne peut plus faire face aux tensions (Cherniss, 1980).

La manière avec laquelle l’individu fait face est cruciale dans le développement du burnout (Schaufeli et Enzmann, 1998). Plusieurs conséquences peuvent apparaître sur le plan individuel, avec des répercussions physiques (fatigue chronique, maux de tête, douleurs musculaires, insomnie, hypertension, etc.) ou cognitivo-affectives (le sentiment d’impuissance, d’échec ou d’anxiété, des difficultés à se concentrer ou à prendre des décision), au niveau organisationnel (absentéisme, manque de continuité dans la carrière, détérioration de la qualité du travail et donc du service fourni, etc.) et au niveau social et familial (détérioration des relations interpersonnelles, augmen-tation des problèmes familiaux, etc.).

Les exigences auxquelles il faut faire face sont par exemple des clients peu co-opératifs voir agressifs qui s’opposent à une vision, souvent idéalisée, de la relation d’aide ou d’enseignement. Elles se retrouvent aussi dans les règles et les procédures à suivre, les tâches administratives qui limitent l’autonomie du travailleur. Le manque de coopération entre les collègues ainsi que les conflits interpersonnels s’ajoutent à la liste des exigences (Truchot, 2004). Certains individus présentent un haut niveau d’attentes professionnelles ce qui les poussent à prendre une charge de travail sup-plémentaire (Gollac et Volkoff, 2006 ; Gollac, 2005). Ils sont donc plus sensibles au burnout. Le niveau d’attentes ainsi que la surcharge de travail contribuent donc au burnout.

Leiter et Maslach (1988) partent du principe que l’épuisement émotionnel appa-raît en premier comme une conséquence des exigences excessives au travail. Afin d’y faire face, les individus mettent de la distance entre eux et le travail mais aussi entre eux et les autres personnes. Cette stratégie est une stratégie défensive qui se mani-feste par la dépersonnalisation ou le cynisme qui réduisent l’efficacité de l’individu à travailler. En conséquence, le travailleur ne parvient plus à accomplir ses attentes. Lorsque l’accomplissement effectif est inférieur à celui issu des idéaux personnels, le sentiment d’accomplissement personnel baisse.

Le modèle initial de Maslach est ses collègues est remanié pour s’inspirer du mo-dèle transactionnel du stress développé par Lazarus et Folkman (1984). L’épuisement émotionnel demeure la première étape du processus. Par la suite, il génère du cy-nisme envers le travail. L’étape de la dépersonnalisation apparaît dès que l’épuisement émotionnel atteint un niveau important. Finalement, le sentiment d’accomplissement connaît une baisse importante.

Deux catégories de facteurs contribuent au développement du burnout. D’un côté, il y a les demandes provenant du milieu de travail. D’un autre côté, le manque de ressources a également une influence sur ce modèle (Cordes et Dougherty, 1993). L’idée que le travail est une quête existentielle (Pines, Aronson et Kafry, 1981) est aussi intégrée dans l’explication du développement du burnout. Cette idée souligne l’origine du syndrome, c’est-à-dire la relation au travail.

Si l’épuisement émotionnel demeure fidèle à sa conception initiale, le désinvestis-sement est à présent à considérer comme une forme de désengagement de son travail

générant des attitudes cyniques à l’égard de soi et d’autrui notamment de la sphère professionnelle. La réduction de l’efficacité qui reflète la diminution du sentiment d’efficacité personnelle, le manque d’accomplissement et le manque de productivité sont les conséquences de cet épuisement. Le burnout se développe au fur et à mesure que les obligations professionnelles deviennent plus fortes et plus lourdes.

Le désinvestissement ou désengagement peut être considéré comme un coping per-mettant à la personne de prendre de la distance psychologique vis-à-vis des clients / patients. Le but est de se protéger des effets négatifs et l’épuisement émotionnel. C’est une stratégie de survie mais qui n’est pas adaptée pour affronter les stresseurs et continuer à travailler. Par la suite, est ressentie une diminution du sentiment d’ac-complissement (Maslach et Schaufeli, 1993). Maslach et Leiter (1997) considèrent que le burnout reflète la séparation entre ce que les gens sont et ce qu’ils doivent faire. Il révèle une usure des valeurs, de la dignité, de l’esprit et de la volonté, une érosion de l’âme humaine.

L’environnement de travail est le point d’ancrage de l’origine des symptômes ac-compagnant le burnout (Boudoukha, 2009 ; Truchot, 2006). Les premières définitions du burnout incluent la perte de créativité et d’engagement ; le détachement envers les clients, les collaborateurs, le travail et l’organisation. Le burnout est identifié comme un syndrome d’attitudes inappropriées vers les clients et envers soi-même (Perlman et Hartman, 1981).

Plusieurs méta-analyses questionnent les modèles proposés pour étudier le bur-nout. Les résultats soutiennent le rôle de l’épuisement émotionnel et du désengage-ment dans le burnout. Par contre, la dimension concernant la réduction de l’accom-plissement personnel semble à éliminer du modèle (Gmelch et Gates, 1998 ; Leiter, Clark et Durup, 1994 ; Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001). En effet, elle présente peu ou pas de relations avec les deux premières dimensions (Lee et Ashforth, 1996 ; Lourel et Gueguen, 2007). La réduction de l’accomplissement est à considérer comme une conséquence des deux premières dimensions, elle évolue hors du modèle (Maslach et Goldberg, 1998 ; Leiter, 1993 ; Cordes et Dougherty, 1993).