Philippe Lucas
2. Au début de lUMTS étaient les fréquences
Létude des technologies de troisième génération débute dès la fin des années quatre-vingt, en plein développement de la technologie GSM. Les ingénieurs en charge de réfléchir aux nouvelles technologies daccès radio développent alors le concept dinterface radio de troisième génération, char- gée de répondre aux limites de capacité et de transmission de débit plus important que les systèmes analogiques (première génération) et les pre- miers systèmes numériques (GSM en Europe), dits de seconde génération. En 1992, la Conférence mondiale des radiocommunications attribue au niveau mondial une bande de fréquence de 155 MHz dans la bande des 2 GHz réservée à lutilisation des systèmes terrestres mobiles de troisième
génération.
À partir de cet instant les travaux de développement de la troisième génération démarrent, principalement au Japon et en Europe. Nous verrons dans le chapitre suivant comment les Américains vont se trouver hors course pour la troisième génération.
ENJEUX ÉCONOMIQUES DE LUMTS 207
1992 voit donc le début effectif des travaux de recherche dinterface radio de troisième génération. Les recherches se concentreront alors dans un premier temps à la définition de linterface radio répondant aux contrain- tes imposées par les systèmes de troisième génération à savoir : meilleure efficacité spectrale et débit accru sur le segment radio.
LUMTS démarre donc comme un projet radio et non pas comme un projet de services multimédia, même si ces derniers sont les esprits des ingénieurs en charge des spécifications UMTS. Ce ne sera que vers la fin des années quatre-vingt-dix avec larrivée de services multimédia sur Internet avec larrivée de la téléphonie et la visioconférence sur IP que ce concept évoluera pour proposer ces services sur les systèmes mobiles.
3. LUMTS : un jeu à trois, lEurope sallie au Japon, les
États-Unis perdent la bataille
Au début des années quatre-vingt-dix, la Commission européenne fi- nance des travaux de recherche pour permettre aux industriels mobiles dana- lyser les évolutions des interfaces radio de troisième génération. À cette période, une société américaine (Qualcomm) affirme que la technologie quelle développe, le CDMA1, est supérieure au GSM en termes de capa-
cité et de simplicité de déploiement. Les européens se dotent alors de moyens détudier de plus près cette technologie. Les industriels européens décident de développer une interface radio utilisant la même technologie en saffran- chissant au maximum des brevets détenus par Qualcomm. Cest ainsi que lEurope développe les fondements de linterface radio qui sera définie plus tard en utilisant les technologie Wideband CDMA, permettant davoir des débits plus important que les techniques de seconde génération.
1995, les travaux de normalisation de lUMTS débutent sérieusement sous la pression du Japon, qui souhaite développer un système de troisième génération avec un label international afin de réduire son isolement.
La volonté japonaise de développer un système de troisième génération samplifie vers 1996-1997. À cette période, les industriels japonais réalisent quils ont perdu le marché de la deuxième génération. Leur système natio- nal ne sexporte pas. Les Européens sont alors omniprésents dans le mobile avec le GSM. Les opérateurs japonais de leur côté ont de plus en plus de mal à faire face à la demande du marché des consommateurs et commen- cent à saturer leurs réseaux mobiles. Il est temps pour eux dobtenir des fréquences supplémentaires. Le gouvernement japonais propose que les fré- quences identifiées à la CAMR92 soient utilisées par les opérateurs, mais avec une technologie disposant du label de troisième génération.
1. Code Division Multiple Access, technologie utilisant la même fréquence dans toutes les cellules et séparant les communications en utilisant des codes spécifiques.
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE 208
En 1996-1997, les Japonais poussent les développements de la troisième génération de façon importante dans les différentes instances de normalisa- tion. Les Européens sont à la traîne et les Américains quasiment inexistants et peu structurés. Cest alors quEricsson réalise la liaison entre lEurope et le Japon au niveau normatif. Ericsson est présent au Japon et en Europe et tisse les liens dune collaboration étroite entre le Japon et les Européens.
Lannée 1997 voit des jeux politiques et subtils se dessiner dans le do- maine de la troisième génération entre lEurope, le Japon et les États-Unis. La volonté dEricsson de développer un marché de troisième génération sexplique par la recherche dun relais de croissance pour le début des an- nées 2000 où les investissements des opérateurs pour le développement du GSM vont commencer à diminuer fortement.
Les Américains font alors une erreur stratégique dont ils payent encore aujourdhui les conséquences. En 1996, sous la pression du trésor améri- cain, le régulateur américain (la Federation Communication Commission) vend aux enchères plus de 4 000 licences dans les bandes de fréquence 800 MHz et 1 900 MHz pour développer les systèmes numériques de se- conde génération, alors que les Japonais et les Européens ne parlent alors plus que de troisième génération. Cette dernière bande coïncide en grande partie avec la bande UMTS. Les licences ainsi accordées nimpose aucun choix sur la technologie radio à linverse de lEurope où les licences attri- buées au début des années quatre-vingt-dix imposaient lutilisation de la technologie GSM. La FCC se pose ainsi en régulateur neutre vis-à-vis des technologies en clamant que le marché décidera quelle norme sera la meilleure. Au regard des investissements nécessaires dans ce type de déve- loppement, ce choix est discutable et a conduit à une dérive technologique sans précédent dans le mobile américain. Cest ainsi que lon trouve sur le marché américain une débauche de systèmes mobiles tous incompatibles entre eux et ne permettant pas à un utilisateur dêtre certain de pouvoir utiliser son mobile dans toutes les villes des États-Unis. Cela a freiné le développement des industriels américains dans la troisième génération ; ces derniers, devant développer lensemble des technologies en présence, nont pas pu mettre les moyens suffisants en recherche et développement pour être prêt comme leurs homologues européens. Les rachats récents de Verizon par Vodafone (UK) et VoiceStream le plus grand opérateur GSM aux États-Unis par Deutsche Telekom (All) montrent la main mise de lEu- rope sur le mobile même aux États-Unis.
En 1998, les Européens, aidés des Japonais, fixent les grands axes de développement de linterface radio de la troisième génération. Les principa- les sociétés qui développent ces technologies sont le Suédois Ericsson, épaulé par le Finlandais Nokia. Seul Siemens en Europe essaye de résister et de créer un pôle industriel permettant de combattre lhégémonie dEricsson. On constate que ni Motorola (États-Unis), ni Nortel (Canada), ni Alcatel (France) ne sont en position de contrôler ces développements.
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Et les opérateurs dans tout cela ? Eh bien, hormis NTT DoCoMo (Japon) qui doit faire face à une concurrence accrue et une saturation manifeste de son réseau, aucun grand opérateur ne simplique de façon significative. Rappelons quen Europe, la fin des années quatre-vingt-dix marque lexplo- sion des ventes de mobiles GSM. Les opérateurs se structurent et doivent faire face à une augmentation exponentielle des ventes, du trafic et des offres. La troisième génération nest alors que pour eux quune promesse encore lointaine de revenus futurs. Alors que les services de transmission de données nont pas encore débuté sur le GSM, les industriels proposent aux opérateurs un système UMTS avec des services multimédia, sur les- quels ils nont pas du tout de visibilité.
On peut également rappeler, à la décharge des opérateurs, que les indus- triels proposent alors de nouvelles technologies tous les ans, ne permettant à aucune de sinstaller durablement avec un marché bien identifié. Cest la prolifération des offres et des technologies de transmission de données dont on ne voit pas bien comment elles sinscrivent les une par rapport aux autres. Par ailleurs, les quelques solutions développées comme le WAP2 et le GPRS3
sont dans un premier temps des échecs, en grande partie dus à la difficulté de vendre les services aux clients et aux retards de développements quont connus les constructeurs, en vendant trop vite des produits non conformes aux spécifications.