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Équilibre et régulation ex ante : l’exercice impossible ?

Dans le document Enjeux économiques de l'UMTS (Page 91-95)

Autorité de régulation des télécommunications (ART)

4. Équilibre et régulation ex ante : l’exercice impossible ?

Les choix de régulation, prédéterminés par le cadre réglementaire exis- tant, ont bien entendu un caractère très structurant par la place plus ou moins importante donnée aux objectifs propres de l’action publique. Il est souvent admis qu’on ne régule pas contre le marché, mais comment faire lorsque le marché n’est pas « révélé », au sens où les économistes l’enten- dent (révélation des préférences individuelles) ?

Dans les différents États membres de l’Union européenne, le processus de délivrance des autorisations mobiles de troisième génération a soulevé de

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nombreuses interrogations, en particulier sur la méthode de sélection des candidats, avec un débat centré sur les mérites respectifs des procédures dites de soumission comparative, d’une part, et d’enchères, d’autre part. Ce débat sort du cadre de la présente réflexion, mais deux observations peu- vent cependant être formulées.

Premièrement, le choix des enchères peut être guidé – entre d’autres considérations – par la crainte des pouvoirs publics d’avoir à déterminer le « juste prix » d’une ressource rare. En d’autres termes, les opérateurs de- mandeurs de ces fréquences seraient mieux à même d’en établir la valeur économique correspondant à un prix de marché, dont le montant de l’en- chère serait le révélateur. Le recours à une procédure d’enchères peut donc s’analyser comme une implication minimum des autorités publiques dans un processus avec lequel elles se sentent peu à l’aise.

Deuxièmement, il va sans dire, comme l’a montré le déroulement du processus partout en Europe, que la fixation d’un prix pour l’usage des fré- quences, que ce soit d’ailleurs à l’issue d’une enchère ou de manière admi- nistrative, peut perturber considérablement le développement des projets.

La soumission comparative n’est autre qu’une forme d’enchère non monétaire, dès lors que, comme en France, elle impose certaines obligations minimum, invitant les candidats à proposer mieux pour augmenter leurs chan- ces d’être retenus à l’issue du processus d’appel à candidatures.

L’équation économique des lauréats se trouve dans tous les cas étroite- ment structurée par les conditions définies ex ante par les pouvoirs publics : le plan d’affaires devra intégrer le coût de la licence, jusque, assurément, dans les offres tarifaires envisagées.

Il n’est dès lors pas surprenant de voir surgir des questions aussi impor- tantes – mais qui auraient semblé hors de propos il y a un an – que la chronique de paiement des redevances attachées aux autorisations 3G ou encore les modalités du traitement comptable et fiscal de ces mêmes rede- vances. Régulation ex ante et régulation ex post forment ainsi un conti- nuum indissociable, teinté d’un déterminisme qui peut s’avérer très contrai- gnant lorsque la conjoncture se retourne, comme cela s’est produit.

Sans rechercher le paradoxe, il convient de rappeler, à tout le moins dans le cas de l’UMTS, que la régulation, dans sa dimension ex ante, a pour finalité d’organiser l’entrée sur un marché, en prédéterminant le nombre d’acteurs appelés à y évoluer, au motif d’une rareté de la ressource disponi- ble nécessaire à l’essor des projets.

Mais les conditions mêmes mises par les pouvoirs publics peuvent, invo- lontairement bien sûr, faire disparaître le caractère de rareté de la ressource, en élevant de dissuasives barrières à l’entrée, sachant que les conditions d’entrée fixées dans un contexte d’euphorie générale comme cela a été le cas pour l’UMTS peuvent se révéler dissuasives lorsque la conjoncture se retourne. L’évolution du nombre de candidats au fil des enchères en témoi-

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gne (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Autriche, Suisse, Belgique). Ce ne sont plus les ressources qui sont rares, mais les candidats à leur utilisation. Les économistes reconnaîtront au passage des débats très anciens autour du concept de la valeur-utilité, avec la question toujours lancinante de la formation d’un prix : un bien est-il cher parce qu’il est rare ou est-il rare parce qu’il est cher ?

* * *

Le principal enseignement qui peut d’ores et déjà être tiré de cette pre- mière étape d’attribution des autorisations UMTS est que l’action de régu- lation, encadrée par les textes, ne peut pas être neutre, quelles que soient les précautions prises, surtout lorsqu’elle est appelée à s’exercer en amont.

Elle peut ne pas recevoir de la part du marché, non dans son principe mais bien par certains de ses choix, l’écho favorable à l’émergence, qu’elle cherche pourtant précisément à faire naître. Ceci est particulièrement vrai en période de retournement durable de la conjoncture, la « vérité » de la mi- 2001 n’étant plus, loin s’en faut, celle de la mi-2000.

Il est pourtant très difficile, voire dangereux, de changer les règles du jeu en cours de partie, quand bien même la tentation de le faire est forte. À titre d’illustration, chacun avait pris conscience, une fois les dossiers de candida- tures déposés, de la précarité de certains engagements, dont le respect est lié à des facteurs quasi exogènes (retards dans la disponibilité des terminaux 3G en particulier). La date d’ouverture commerciale des réseaux (figurant au nombre des critères de sélection) avait dès lors peu de chances d’être tenue, mais la règle du concours empêche tout ajustement du contenu des dossiers après leur dépôt. Il en est de même du débat sur le partage des réseaux, ouvert en janvier 2001, alors que dans tous les pays les règles étaient établies.

Les règles du jeu ne sont pas pour autant figées à jamais. Elles peuvent être révisées, comme en témoigne le changement des conditions financières attachées aux autorisations, ou précisées, comme vient de le faire l’Autorité à propos des conditions de partage des infrastructures. L’essentiel est bien que ce changement de règles puisse s’appliquer à tous les acteurs de ma- nière identique.

Le régulateur doit donc instruire les dossiers avec discernement et por- ter sur chacun une appréciation lucide, intégrant les dernières évolutions, mais sans déroger à la règle fixée tant par lui-même que par l’autorité régle- mentaire. Il eût été pour le moins discutable d’ignorer, dans une analyse conduite au premier trimestre 2001, le fait que le contenu des dossiers avait été mis en forme dans le courant de l’année 2000, donc dans un tout autre contexte.

L’action de régulation est un exercice indispensable mais parfois diffi- cile, car elle est par nature structurante et souvent déterminante pour la

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stratégie des entreprises évoluant dans une économie de marché. Le dérou- lement du processus UMTS en est une bonne illustration.

Dans sa dimension ex post, la régulation du domaine des systèmes mo- biles de troisième génération ne manquera pas de trouver de nouveaux es- paces à explorer et de nouveaux défis à relever. L’UMTS verra s’instaurer de nouveaux schémas de partage de la valeur, par la cristallisation de nou- velles compétences et de nouveaux acteurs (concepteurs et fournisseurs de services et de contenu, concepteurs de systèmes d’information et de factu- ration…) au sein de l’économie traditionnelle du secteur des télécommuni- cations. Pour le régulateur, cette nouvelle complexité de l’élaboration et du partage de la valeur, posera la question du déplacement du centre de gravité de son action, aujourd’hui très centrée sur les réseaux et les services vocaux.

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Complément G

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