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Des articles au recueil : Les Plaisirs et les Jours

2. Proust « tout contre » Sainte-Beuve

2.1. Proust à la rencontre de Sainte-Beuve

2.1.2. Des articles au recueil : Les Plaisirs et les Jours

Tout en poursuivant ses études, Marcel collabore à la revue Le Mensuel (1890-1891). Ce sont les premiers textes qu’il publie hors-institution. Plus souvent sous le couvert de pseudonymes, il signe une chronique sur la vie mondaine, des critiques de mode, des études de salons et des portraits contemporains ; des comptes rendus d’événements artistiques comme des expositions, des music-halls, des café-concert ; des critiques d’œuvres littéraires et artistiques et des chroniques théâtrales ; ainsi que des fictions appartenant à tous les genres, dont la narration « Souvenirs »314 qui prend la forme de la confession d’une jeune fille à son meilleur ami. Les

morceaux qu’il publie sont autant d’essais, de tentatives et d’exercices lui donnant l’occasion d’exposer sa pensée sur la critique littéraire et l’esthétique. Il s’intéresse d’ailleurs particulièrement aux jugements des critiques, dont Jules Lemaître, contre lequel il écrit :

Ce qui peut être réduit en formules parce que cela est soumis à des lois, ce qui est objet de science, en un mot, ce sont précisément les manifestations les plus physiques, les plus matérielles, de notre activité, tandis que l’art, en ses créations les plus hautes, échappe absolument, par son essence quasi divine, aux investigations scientifiques.315

Ainsi il est impossible pour Lemaître, contrairement à ce que ce dernier prétend, de théoriser, d’établir les règles de composition du théâtre ou de la musique. Ce qu’il faut surtout noter ici, c’est que la préparation de Proust concerne autant la littérature que le discours sur cette littérature ; avant de la faire, il faut apprendre à en parler.

Une seconde revue donnera à Proust l’occasion de pratiquer sa plume : Le Banquet, fondée en 1892 par un groupe d’étudiants de Condorcet. Grossièrement, la ligne éditoriale de cet organe consiste à opposer l’éclectisme barrésien à l’hermétisme des symbolistes et au tolstoïsme316. Alors

313 Ibid., p. 139.

314 PROUST, Marcel, « Souvenir », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours, édition établie par Pierre Clarac avec

la collaboration d’Yves Sandre, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1971, p. 171-173. Ce texte est attribué à Pierre de Touche (pseudonyme), mais le ton est très près de celui de la nouvelle « Avant la nuit » qui paraitra dans la Revue blanche, ce qui fait penser à Tadié qu’il est de Proust.

315 Ibid., p. 149. Tadié cite Marcel Proust, Écrits de jeunesse 1887-1895, op. cit., p. 127. 316 Ibid., p. 165.

que les amis de Proust en profitent pour faire connaître Nietzsche, les positions critiques du futur romancier s’affermissent. Gagnant en assurance, il traite de tout et montre l’étendue de son érudition. Avant ses grandes réalisations artistiques, Proust assoit sa doctrine esthétique. Il écrit par exemple « [qu’]au-dessus de l’intelligence, il y a "une raison supérieure une et infinie comme le sentiment, à la fois objet et instrument" des méditations des philosophes [et que la] poésie, c’est l’œuvre de "ce sentiment mystérieux et profond des choses"317 ». À côté de ces morceaux

philosophiques, Marcel peint plusieurs portraits de femmes, certains à la manière de La Bruyère ou de Paul Bourget. Le Banquet accueille aussi sa première nouvelle véritable, « Violante ou la mondanité »318, qu’il dédie à Anatole France. Dans cette courte fiction, Proust se dédouble et se

métamorphose, se prolongeant à la fois dans le personnage de Violante (aux prises avec la même « maladie de la volonté319 » et vivant le même rapport à l’amour que lui) et dans le Narrateur. Ce

dédoublement, Proust l’a également mis en scène dans « Souvenir » (Le Mensuel) et la réitèrera bientôt dans « Avant la nuit »320 (Revue blanche). Ainsi, tant dans ses esquisses de portraitiste que

dans ses fictions, Marcel s’intéresse à la psychologie féminine, un peu comme le faisait Sainte- Beuve, évoquant Tirésias en exergue de ses Portraits de femmes :

— Avez-vous donc été femme, Monsieur, pour prétendre ainsi nous connaître? — Non, Madame, je ne suis pas le devin Tirésias, je ne suis qu’un humble mortel qui vous a beaucoup aimées.

(Dialogue inédit.)321

Or France, à qui Proust dédie sa nouvelle, n’avait pas manqué de rappeler, dans la préface de sa

Vie littéraire (1888) : « Nous ne pouvons pas, ainsi que Tirésias, être homme et nous souvenir

d’avoir été femme.322 » Simple coïncidence? Rappelons que ce recueil beuvien avait la

particularité d’allier portraits, nouvelles et poésie, comme si la fiction éclairait rétrospectivement la critique323. Proust serait-il en train de tenter semblable entreprise? Ce n’est d’ailleurs pas la

dernière fois que Marcel s’adonnera à l’art du portrait, car il rédigera aussi, en 1895, une série de « Portraits de peintres »324 et une série de « Portraits de musiciens »325, tous versifiés. Est-ce un

clin d’œil aux morceaux de critique poétique de Sainte-Beuve, comme Les Larmes de Racine? Si ces tableaux sont à rapprocher des portraits-poèmes de Montesquiou, des « Phares » de Baudelaire

317 Ibid., p. 171. Tadié cite le comte rendu que Proust fait de Tel qu’en songe d’Henri de Régnier, et qui paraît dans La Banquet,

n°6 (novembre 1892).

318 PROUST, Marcel, « Violante ou la mondanité », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours, op. cit., p. 25-37. 319 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 217.

320 PROUST, Marcel, « Avant la nuit », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours, op. cit., p. 167-171. 321 SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin, Portraits de femmes, op. cit., p. 1.

322 FRANCE, Anatole, « Préface », dans La Vie littéraire, op. cit., p. iv. 323 Supra, p. 56.

324 PROUST, Marcel, « Portraits de peintres », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours, op. cit., p. 80-81. 325 PROUST, Marcel, « Portraits de musiciens », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours, op. cit., p. 82-84.

ou des « Transposition d’art » de Gautier, comme le fait remarquer Tadié326, nous pouvons à tout

le moins affirmer qu’ils sont indirectement tributaires de l’œuvre du lundiste.

Ce qu’il commence en 1892 à la revue du Banquet, Proust le poursuit à La Revue blanche en 1893. Notons qu’entre temps il rédige un essai sur la satire française327. Destiné à la première revue, ce

texte demeurera inédit jusqu’en 1954. Comme Tadié, gardons à l’esprit que Proust est bien « l’hériter de la vieille satire française, en même temps que de son esprit et de son rire328 ». Dans

ce sens, sous les hommages ou les reproches proustiens, il est toujours possible de trouver quelque ironie ou quelque blague d’initié. Et Proust est toujours sur le mode de l’imitation littéraire. C’est un peu sa manière de faire de la critique intestine, qui n’est pas étrangère au lundiste... À La Revue blanche, donc, il affute encore sa plume, publiant articles essayistiques et fictions littéraires. Une esthétique générale s’en dégage : contre les naturalistes et les matérialistes, il accorde une place importante à la pensée dans l’art, car elle y assure un ordre, elle y donne un sens. Mais Proust demeure lucide face aux excès de la réflexion et du raisonnement : trop d’analyse tue l’impression de la vie.

En 1893, il écrit « Contre l’obscurité »329, article se dressant contre la décadence et proclamant un

néoclassicisme qui s’incarnerait dans un « Baudelaire disciple de Racine330 » que La Revue blanche

refuse de le publier. Tadié estime que ce texte est un important morceau de critique proustienne331. Proust y admet que « […] comme tous les mystères, la Poésie n’a jamais pu être

entièrement pénétrée sans initiation et même sans élection332 », mais il estime que cette nature

propre à la poésie, l’obscurité de la vie en elle-même, n’excuse pas l’obscurité des idées et des images, du langage et du style, que les jeunes poètes décadents font passer pour de la nouveauté. En d’autres mots, en se rangeant du côté de France contre Mallarmé, Proust récuse l’inintelligibilité des œuvres symbolistes et se préserve ainsi des excès de l’avant-garde. Mais le futur romancier ne se détache pas complètement de Mallarmé : « Marcel restera toujours plus proche de Baudelaire que de l’auteur du sonnet du Cygne. C’est pourtant ce sonnet que le Narrateur inscrit sur le yacht d’Albertine, et Marcel sur l’avion d’Agostinelli.333 » Bref, en gardant

la nuance, il suggère aux poètes de la relève de s’inspirer davantage de la nature, qui révèle plus qu’elle ne dissimule, sans toutefois tomber dans le piège vulgaire du matérialisme.

326 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 262.

327 PROUST, Marcel, « [La satire et l’esprit français] », dans CSB-1971, op. cit., p. 338-341. 328 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 182.

329 PROUST, Marcel, « Contre l’obscurité », dans CSB-1971, op. cit., p. 390-395. 330 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 217.

331 Ibid., p. 221.

332 PROUST, Marcel, « Contre l’obscurité », loc. cit., p. 390. 333 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 309.

À côté de sa production prosaïque, Proust publie dans La Revue blanche une nouvelle intitulée « Mélancolique villégiature de Mme de Breyves »334. Tadié fait remarquer que ce texte s’ouvre sur

une citation du Phèdre de Racine et se termine par une phrase baudelairienne tout en reprenant

La Femme abandonnée de Balzac335. On y trouve aussi, en exergue de la cinquième partie, une

citation de Théocrite semblant répondre à l’exergue racinienne. L’intertexte de cette nouvelle enchevêtre donc à peu près les mêmes références que l’essai que Proust vient d’écrire et dont on lui a refusé la publication. Parmi les autres textes de fiction qu’il publie à La Revue blanche, trois études présentent aussi une forme d’intertextualité, relevant davantage du roman social et mondain à la manière de La Bruyère ou du pastiche du style flaubertien. Ce sont respectivement « Contre la franchise »336 et « Mondanité et mélomanie de Bouvard et Pécuchet »337 (en deux

parties). Tadié relève ces occurrences pour mieux comprendre la nature des connaissances littéraires de Proust, mais aussi pour montrer à quel point il aimait imiter et railler. En parlant de « Mélomanie », il écrit : « Jamais Marcel n’avait poussé si loin le sens de l’imitation ironique, de la dérision extravagante, et même l’affirmation de principes esthétiques sérieux sous des dehors burlesques. Un grand auteur comique est en train de naître.338 » Ainsi, chez Proust, la création ou

plutôt la re-production est mêlée à la critique, qui est mêlée au rire. Son goût pour la satire, ses habitudes de citation et ses talents de pasticheur témoignent de l’aptitude mimétique de Proust qui est encore supérieure, chez lui, au don de créateur. Pour l’instant, il n’invente rien, il recrée, un peu comme Sainte-Beuve s’employait à ressusciter les auteurs dont il brossait le portrait. Mais à partir de « La mort de Baldassare Silvande »339, nouvelle écrite en octobre 1894 et qui

s’apparente à La Mort d’Ivan Ilitch (1884) de Tolstoï, « […] Proust ne s’adonne plus à la simple copie, il a parfaitement assimilé et recréé l’un de ses écrivains préférés340 », estime Tadié.

D’ailleurs, à l’automne 1894, Proust a écrit presque tous les textes qui composeront Les Plaisirs et

les Jours, et il songe déjà à les recueillir pour les publier. C’est donc qu’il considère ces textes

comme étant complémentaires et pouvant être agencés suivant une architectonique particulière. Ce principe de composition, on l’a vu, Sainte-Beuve le partage également.

La collaboration de Marcel à ces différentes revues (Le Lundi, absorbé par la « Revue de seconde », la Revue verte et la Revue lilas, Le Mensuel, Le Banquet, puis La Revue blanche) nous permet

334 PROUST, Marcel, « Mélancolique villégiature de Mme de Breyves », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours,

op.cit., p. 66-79.

335 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 209.

336 PROUST, Marcel, « Contre la franchise », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours, op. cit., p. 46-47.

337 PROUST, Marcel, « Mondanité et mélomanie de Bouvard et Pécuchet », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les

Jours, op. cit., p. 57-65.

338 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 235.

339 PROUST, Marcel, « La mort de Baldassare Silvande », dans Jean Santeuil, précédé de Les Plaisirs et les Jours, op. cit., p. 9-

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de constater sa polyvalence et sa versatilité. La variété des thèmes abordés et des formes pratiquées dévoile un élément capital de l’esthétique proustienne : « […] pour l’artiste véritable, il n’y a pas de sujet inintéressant, pas de genre mineur341 ». Tout est dans le regard, le rendu du

phénomène, la subjectivité faite lumière sur le donné empirique. Les articles que Proust publie dans les revues nous permettent aussi d’observer la formation de l’esthétique proustienne, qui restera toujours ferme et constante au fil de son évolution. Cette esthétique, avant de la formuler contre Sainte-Beuve, Proust la mesure à celles d’autres auteurs, dont Racine, Musset, Verlaine, Balzac, Flaubert, Baudelaire, Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet, Jules Lemaître, Anatole France, Montesquiou, Oscar Wilde et Henri Bergson. Dans ses essais et ses pastiches, nous l’avons vu, Proust rend hommage à Racine, Musset, Verlaine, Balzac, Flaubert et Baudelaire, qui figurent parmi ses auteurs préférés, avec Anatole France, duquel il commence pourtant à se détacher. Les Goncourt, Daudet et Lemaître quant à eux, servent de repoussoir ; Proust fonde son esthétique contre le matérialisme, le réalisme et le naturalisme auxquels ils adhèrent. Ces courants semblent dégénérer en idolâtrie et pousser Balzac, Goncourt, Daudet, Wilde et Montesquiou à confondre la vie et la littérature et à vouloir faire de leur propre existence une œuvre d’art, ce que Proust récuse puisqu’il ne croit pas que la beauté soit dans la matière342. L’art

du portrait, dont il se réclame d’ailleurs, réside ainsi à la fois dans le peintre et dans le critique, dans l’émetteur et dans le récepteur, et non dans le modèle physique qui sert uniquement de medium, de messager. C’est déjà opérer un décalage entre l’apparence et la vie intérieure, entre le donné empirique et le phénomène reçu. Là-dessus, Proust se rapproche de l’Essai sur les données

immédiates de la conscience (1889) de Bergson. Ce livre, qui expose la théorie des deux Moi,

représente selon Tadié « l’univers mental d’une génération343 ». On a d’ailleurs vu que cette idée

planait déjà dans les milieux intellectuels de la fin de l’Empire à propos même de Sainte-Beuve. Proust n’a donc rien inventé ; il s’insère plutôt dans le courant psychologique dominant.

Une bonne partie de ces théories lui viennent d’ailleurs de sa formation philosophique. De l’automne 1893 au printemps 1895, Proust s’était réinscrit à la licence de lettres, en philosophie, à la Sorbonne. Comme au lycée, il sera souvent absent et suivra les leçons particulières de Darlu en plus des cours de Victor Egger. Tadié relève les sujets d’examens, qui nous informent sur le contenu des cours alors dispensés : « Unité et diversité du moi » (Janet) et « Opinion de Descartes sur quelques anciens » (Boutroux)344. Proust est également influencé par la philosophie

de Séailles, Lachelier, Bergson et Ravaisson. « Il faut que l’esprit soit plus qu’un phénomène. L’idée d’un phénomène est déjà une donnée plus que phénoménale. L’unité n’est pas donnée

341 Ibid., p. 282. 342 Ibid., p. 200. 343 Ibid., p. 332. 344 Ibid., p. 250.

dans le phénomène345 », argumente-t-il dans l’un de ses devoirs. Proust croit à l’existence d’une

chose en soi à l’origine du donné phénoménal346. Cette croyance lui vient entre autres de Darlu.

D’ailleurs, dans un autre questionnaire, qu’il intitule « Marcel Proust par lui-même »347, Proust

écrit que Darlu et Boutroux sont ses « héros dans la vie réelle348 ». Outre l’idéalisme kantien,

Darlu transmet à Marcel un « spiritualisme sans Dieu349 » ainsi que les principes moraux en

découlant. C’est probablement par l’intermédiaire de ce professeur que le jeune homme aborde l’écrivain satiriste et historien britannique Thomas Carlyle ainsi que le philosophe et poète américain Ralph Waldo Emerson. C’est chez ces auteurs de langue anglaise, selon Tadié, qu’il faut chercher la source de la pensée proustienne sur l’artiste, et non chez les philosophes allemands350.

Proust découvre Carlyle en 1895, par l’entremise d’une série de conférences intitulée On Heroes,

Hero-Worship and the Heroic in History (1841) et traduite en français sous le titre Les Héros. Le Culte des héros et l’héroïsme dans l’histoire (1888). La pensée de Carlyle est tributaire de celle de Fichte, à qui

il emprunte le concept de « poète-prophète ». Bidimensionnel, l’artiste ainsi compris pénètre à la fois les mystères esthétiques et moraux de l’univers qu’il a traduit en musique351. Pour Fichte,

l’artiste par excellence (Goethe selon lui) est donc l’homme qui révèle la Nature. C’est par Carlyle, à travers Fichte, que Proust est lié à Schopenhauer. C’est aussi grâce à Carlyle (et Emerson) qu’il aimera Ruskin. Proust découvre Emerson en 1895. En lisant son Essai de

philosophie américaine, il prend connaissance de sa théorie du génie : Emerson voit en l’artiste génial

(pour lui Swedenborg) « le traducteur […] des symboles de l’univers352 ». Très enthousiasmé par

ces thèses, Proust les critiquera ensuite. Il reproche entre autres aux deux auteurs de ne pas « différencier assez profondément les divers modes de traduction353 », qu’il s’agisse des diverses

formes d’art ou des divers genres d’une même forme. Il leur reproche aussi de voir en Goethe la traduction intégrale de la Nature, alors que le dix-huitième siècle dont il est issu avait tendance à tout anthropomorphiser et à ne s’intéresser qu’à l’Homme. Reste que la prochaine œuvre proustienne tentera d’égaler à la fois Goethe et Balzac, et ce par le biais du roman de formation que sera Jean Santeuil.

345 Ibid., p. 253.

346 Contrairement à ce que croit Sainte-Beuve, cette chose en soi n’est pas matérielle, selon Proust. 347 PROUST, Marcel, « Marcel Proust par lui-même », dans CSB-1971, op. cit., p. 336-337. 348 Ibid., p. 337.

349 TADIÉ, Jean-Yves, Marcel Proust : biographie, op. cit., p. 251. 350 Ibid., p. 413.

351 Ibid., p. 415. 352 Ibid., p. 417.