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L’impact du nouvel article 1136 du Code civil sur l’admission de la rentabilité du savoir-faire au rang de qualité essentielle du contrat de franchise ? L’article 1136 du

Dans le document Savoir-faire et franchise (Page 108-118)

Code civil consacre le principe de l’indifférence de l’erreur sur la valeur. Ainsi ledit article affirme que : « l’erreur sur la valeur sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation due, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte n’est pas en soi une cause de nullité ». A première vue, la réforme admet explicitement que l’appréciation économique, autrement dit la rentabilité économique, ne peut être prise en compte, ce qui aurait pour effet de briser la jurisprudence rendue depuis les arrêts de 2011 par la Cour de cassation. Cependant, le nouvel article 1136 du Code civil, ne porte pas atteinte aux solutions dégagées par la Cour de cassation en la matière455. En effet, cette évidence s’impose étant donné la motivation qui est employée par la Cour de cassation dans ses arrêts depuis

453 ZAKHAROVA-RENAUD (O.) : « Contrat de franchise : le retour de la nullité pour erreur sur la rentabilité du concept », LEDICO sept. 2020, n°113e6, p. 2 ; HOUTCIEFF (D.) : « L’erreur sur la rentabilité d’une franchise se déduit des données communiquées par le franchiseur », Gaz. Pal. 15 sept. 2020, n°386 ; HAMELIN (J-F.) : « Admissibilité de l’erreur sur la rentabilité et informations fournies par le franchiseur », LEDC sept. 2020, n°113g7. p. 3 ; MALAURIE-VIGNAL (M.) : « L’erreur sur la rentabilité à nouveau devant la Cour de cassation », CCC n°10, oct. 2020, comm. 138.

454 Cass. com., 24 juin 2020, n°18-15249.

455 DISSAUX (N.) : « Projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, Dalloz. 2015, ss. Article 1135, p.37

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2011456. La Haute juridiction prend en compte les spécificités mêmes du contrat de franchise pour admettre solennellement que l’espérance de gain formulée par le franchisé au sujet de l’exploitation de son savoir-faire constitue un élément déterminant de son consentement. Malgré tout, un auteur prédit qu’en raison de l’existence même de ce nouvel article, les franchisés obtiendront plus difficilement la nullité du contrat de franchise, dans la mesure où si « la rentabilité relève de l’essence du contrat de franchise », elle ne constitue pas l’essentiel de la prestation du franchiseur457. Il est important de tempérer cette affirmation compte-tenu de la motivation employée par la Cour de cassation dans ses arrêts de 2020. En effet, si les obligations du franchiseur ne se résument pas à la seule transmission du savoir-faire, il n’empêche qu’il résulte de « l’économie particulière de la franchise »458 que la perspective de rentabilité fait partie intégrante du champ contractuel, puisque le franchisé adhère au réseau afin de réitérer la réussite commerciale du franchiseur en profitant de la cliente de ce dernier. Par conséquent, le recours à l’article 1136 par le franchisé ne devrait pas bouleverser les solutions déjà établies.

456 CHANTEPIE (G.) et LATINA (M.) : « La réforme du droit des obligations : commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil », 2ème éd, Dalloz, 2018, n°320.

457 REIRA (A.) : « La réforme du droit des contrats : l'impact sur la franchise », AJCA 2016 p. 20.

458 HOUTCIEFF (D.) : « L’erreur sur la rentabilité d’une franchise se déduit des données communiquées par le franchiseur », Gaz. Pal. 15 sept. 2020, n°386

91 CONCLUSION CHAPITRE 2

La conception moderne du savoir-faire ne s’affranchit pas des éléments constitutifs de la conception classique. Le savoir-faire devra toujours regrouper un ensemble d’informations et devra être secret, substantiel et identifié. Toutefois, certaines décisions ont remis en cause la validité même du contrat de franchise en arguant que le savoir-faire était dépourvu de certaines caractéristiques pourtant non comprises au sein de la conception classique. En franchise, un savoir-faire ne pourra être considéré comme tel, s’il ne regroupe pas, outre l’ensemble des caractéristiques de la conception classique, trois autres caractéristiques cumulatives.

Le franchiseur devra, en amont de la création de son réseau, jouir d’un savoir-faire qu’il aura testé et éprouvé. En l’absence de tels tests, les risques sont grands pour le franchisé de voir son établissement ne jamais connaître le succès espéré. Le franchisé pourra alors remettre en cause la validité même du contrat de franchise. Le franchiseur ne peut donc considérer son franchisé comme étant un cobaye sur lequel reposerait une obligation de tester le savoir-faire, sauf situation particulière liée au caractère innovant du savoir-faire.

De plus, le maintien de l’avantage concurrentiel, dont bénéficie l’ensemble des franchisés du réseau, constitue un objectif majeur pour le franchiseur. Pour y arriver, il devra pendant toute la durée d’exploitation du faire, innover afin de faire évoluer son savoir-faire. Les évolutions apportées aux éléments constitutifs du savoir-faire ne sont rien d’autres que la réponse du franchiseur aux mutations du marché sur lequel est installé son réseau. Toutefois, le franchiseur devra veiller à ce que les évolutions apportées n’aboutissent pas à porter atteinte à l’harmonie et l’image de marque du réseau, ni à dénaturer complétement son concept.

Enfin, dans une série de décisions abondamment commentées, la Cour de cassation semble affirmer que le franchisé, qui a donné son consentement dans la croyance erronée que le savoir-faire transmis serait rentable, puisse obtenir la nullité du contrat de franchise en

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arguant d’une « erreur sur la rentabilité ». La rentabilité constitue ainsi une composante pleine et entière du savoir-faire, car c’est parce que son exploitation est rentable que le franchisé décide de consentir au contrat de franchise.

93 CONCLUSION TITRE 1

Le savoir-faire constitue un élément essentiel du contrat de franchise, au même titre que l’assistance dont le franchiseur doit fournir à son franchisé, ou encore la mise à disposition à ce dernier d’un ensemble de signes distinctifs. Le savoir-faire permet surtout de distinguer la franchise des autres modes de distribution. Toutefois, malgré son importance, le savoir-faire ne fait l’objet d’aucune définition légale en droit français.

Classiquement, le savoir-faire est constitué d’un ensemble d’informations qui doivent présenter trois caractéristiques cumulatives. Tout d’abord, ces informations doivent être secrètes, c’est-à-dire qu’elles doivent être difficiles d’accès pour des tiers aux réseaux. L’impératif de secret, qui entoure ces informations, doit perdurer aussi longtemps que le savoir-faire est exploité. Par ailleurs, ces informations doivent être identifiées et détaillées au sein d’un manuel opératoire qui sera transmis au franchisé lors de la formation initiale. Si le manuel opératoire est un outil de transmission du savoir-faire, il permet aussi au franchiseur de prouver la consistance de son savoir-faire lors d’un éventuel litige avec son franchisé. Enfin, les informations transmises par le franchiseur doivent être substantielles. Elles doivent se révéler utiles pour le franchisé afin de lui procurer un avantage concurrentiel, avantage qui constitue l’un des principaux motifs de son adhésion au contrat de franchise.

Ce triptyque, quoique nécessaire, n’apparaît toutefois plus suffisant pour rendre compte des caractéristiques que doit, aujourd’hui, présenter le savoir-faire. D’abord, le franchiseur ne pourra transmettre un savoir-faire à son franchisé que s’il l’a suffisamment éprouvé au préalable. Ensuite, afin de maintenir l’avantage concurrentiel octroyé à son franchisé par la transmission du savoir-faire, le franchiseur devra prendre en compte les évolutions du marché. Ces dernières devront le conduire à innover et à faire évoluer le contenu de son savoir-faire. Autrement dit, le franchiseur devra donc veiller, dès le départ, à conceptualiser un savoir-faire dont les éléments constitutifs puissent évoluer avec le temps. Enfin, le franchiseur ne peut transmettre un savoir-faire que si son exploitation est profitable.

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La rentabilité constitue en effet une composante à part entière du savoir-faire et par la même occasion un autre motif essentiel de l’adhésion du franchisé au contrat de franchise.

En définitive, le savoir-faire peut se définir comme étant un ensemble de connaissances résultant de l’expérience et de la réussite commerciale du franchiseur, ensemble qui doit être, à la fois, secret, identifié, substantiel, évolutif et rentable.

La place centrale qu’occupe que le savoir-faire au sein du contrat de franchise s’illustre par les différentes obligations qu’il met à la charge du franchiseur ainsi que du franchisé. En raison du caractère secret et de l’exigence de confidentialité qui entourent le savoir-faire, le franchiseur devra alors le transmettre au franchisé afin que ce dernier puisse l’exploiter à son tour. Par conséquent, la transmission du savoir-faire, tout comme son exploitation, constituent des obligations essentielles du contrat de franchise.

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Titre 2 : Transmission et exploitation du

savoir-faire : obligations essentielles du contrat

de franchise

57. La transmission et l’exploitation du savoir-faire, obligations constituant le cœur même du contrat de franchise. Le développement exponentiel, au cours des quatre dernières décennies, de la franchise comme mode de distribution, combiné à l’absence de règles normatives qui lui sont propres, ont naturellement conduit la jurisprudence459, et la doctrine460 à proposer plusieurs définitions du contrat de franchise ainsi que du savoir-faire. Nombreux sont les auteurs à mettre en avant l’importance du savoir-faire au sein du contrat de franchise, n’hésitant pas à l’identifier comme « la clé du système »461 dont il constitue : « l’organe qui permet à un réseau de franchise de vivre ou celui qui le conduit vers sa mort »462. Concrètement, un réseau de franchise ne peut exister sans que les franchisés réitèrent et amplifient la réussite commerciale de leur franchiseur en exploitant à leur tour le savoir-faire qui leur a été transmis463. En réceptionnant un savoir-faire, le franchisé sera en mesure d’exercer une activité commerciale464 et de bénéficier de la réussite commerciale initiée par son franchiseur465. L’importance de l’émission du savoir-faire à destination du franchisé est largement soulignée par la jurisprudence ainsi que par la doctrine, qui n’hésite pas à en faire une obligation essentielle du contrat de franchise. Toutefois, si la notion d’obligation essentielle est utilisée de manière fréquente par la jurisprudence pour définir les obligations à la charge

459 CA. Toulouse., 13 janv. 2000, JurisData n°2000-108290.

460 KAHN (M.) : « Franchise et Partenariat », 5ème éd, DUNOD, 2009, p.16.

461 BENSOUSSAN (H.) : « Le droit de la franchise », Éditions Apogée, 2éme éd, 1999, p. 121.

462 BENSOUSSAN (H.) : « Le droit de la franchise », Éditions Apogée, 1re éd, 1997, p. 123.

463 LELOUP (J-M.) : « Le règlement communautaire relatif à certaines catégories d’accords de franchise ». JCP N, n°37, 15 sept. 1989, 101000 ; MARIN (P.) : « L’importance de la transmission du SF du franchiseur au franchisé », 1re juill. 2010, http://www.toute-la-franchise.com/vie-de-la-franchise-A1022-l-importance-de-la-transmission-du.html

464 FERRIER (D.) : « La recherche par le juge, par une analyse concrète du contrat de franchise, du savoir-faire original susceptible d'être transmis ». D. 1998, p. 38.

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des parties au sein du contrat de franchise, cette notion ne fait l’objet d’aucune définition en jurisprudence466, ni même au sein du Code civil467. En réalité, la notion d’obligation essentielle, renvoie à l’idée selon laquelle, une obligation justifie à elle seule l’existence même du contrat. En d’autres termes, elle constitue « le cœur du contrat, sa raison d’être »468. La notion d’obligation essentielle remonte à une classification des obligations apparue sous le droit romain469. Ainsi, et pour reprendre l’expression employée par Pothier, il existe des obligations « sans lesquelles le contrat ne peut se substituer. Faute de l’une de ces choses, ou il n’y a point du tout de contrat, ou c’est une autre espèce de contrat »470. Certains auteurs n’hésitent d’ailleurs pas à considérer l’obligation essentielle comme étant la « substantifique moelle du contrat »471 ou encore le « noyau dur »472 parmi un ensemble d’obligations. Une partie de la doctrine s’est posée la question au regard de la rédaction du nouvel article 1170 du Code civil, s’il était possible qu’un même contrat comprenne plusieurs obligations essentielles mises à la charge d’une seule et même partie473. Une réponse positive peut être formulée à cette question dans la mesure où la jurisprudence n’hésite pas à qualifier comme essentielles les trois obligations qui incombent au franchiseur à savoir : la transmission d’un savoir-faire474, la mise à disposition de signes distinctifs475 ou encore l’obligation d’assistance (technique et commerciale) à l’égard du franchisé476. C’est parce qu’elle est considérée comme une obligation essentielle du contrat de franchise que la transmission du savoir-faire constitue un

466 DENIZOT (C.) : « Baux commerciaux et logement décent », AJDI 2007, p. 922.

467 Art. 1170 du C. civ. se contente d’affirmer : « Toute clause qui prive sa substance l’obligation essentielle du

débiteur est réputée non écrite ».

468 MEKKI (M.) : « Reforme du droit des obligations : clauses et substance de l’obligation essentielle, article 1170 du C. civ », JCP N n°46, 18 nov. 2016, act. 1227.

469 GHESTIN (J.) : « Erreur », Rép. civ, n°7 et s.

470 POTHIER (R-J.) : « Traité des obligations », Dalloz, 2011, n°6.

471 MARLENE (B.) : « L’avènement de la notion d’obligation essentielle dans le contrat », LPA, 2010, n°189

472 DELEBECQUE (Ph.) : « Les clauses allégeant les obligations dans les contrats », Thèse, Aix-Marseille 1981, n°132 : « il existe dans tout contrat un minimum d’obligations irréductibles, un « noyau dur » constitué par les

obligations essentielles à l’être même de l’opération protégée, par les obligations propres à dénoter le contrat ». 473 CHANTEPIE (G.) et LATINA (M.) : « La réforme du droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil », Dalloz, 2ème éd, 2018, n°437 : « est-il possible qu’un contrat comprenne

plusieurs obligations essentielles à charge d’une seule partie ? L’article 1170 utilise le singulier, ce qui inciterait à une réponse négative. On peut cependant imaginer qu’un contrat important puisse comprendre plusieurs aspects distincts créant à la charge d’un même débiteur une pluralité d’obligations essentielles ».

474 Cass. Com., 24 mai 1995, pourvoi n°92-15.846 ; CA. Limoges., 5 nov. 2015, n° 13/01241 : JurisData n° 2015-027362 ; AJCA 2016, p. 96

475 Cass. Com., 19 oct. 1999, pourvoi n°97-19185.

97 des éléments permettant de qualifier un contrat, de contrat de franchise477. Par ailleurs, si le contrat de franchise peut se rattacher à la catégorie des contrats d’adhésion et des contrats à titre onéreux, il est également un contrat synallagmatique, dans la mesure où, pour reprendre la formulation utilisée par l’alinéa 1er de l’article 1106 du Code Civil, le franchiseur et le franchisé « s’obligent réciproquement les uns envers les autres » 478. De façon imagée, la transmission du savoir-faire s’apparente à la diffusion d’une émission de télévision à destination d’un public ayant au préalable payé son abonnement pour pouvoir réceptionner le contenu du programme émis. En effet, l’émetteur, à savoir le franchiseur diffusera les éléments constitutifs de son savoir-faire à destination du franchisé qui se sera acquitté d’un droit d’entrée et de redevances afin de pouvoir les réceptionner et ainsi avoir accès au contenu du savoir-faire. De manière plus concrète et pragmatique, le contrat de franchise impose au franchiseur de transmettre son savoir-faire au franchisé (Chapitre 1), à charge pour ce dernier de le réceptionner479 tout en veillant à l’utiliser dans le plus strict respect des règles d’exploitation dictées au préalable par le franchiseur (Chapitre 2).

477 GRIMALDI (C.) : « Les clauses portant sur une obligation essentielle », RDC 2008, p. 1095 : « il est fréquent

de dire qu’il (contrat de franchise) comporte trois obligations essentielles, la transmission d’un savoir-faire, la mise à disposition de signes de ralliement de la clientèle ainsi qu’une assistance du franchiseur au profit du franchisé au cours du contrat. Eh bien, parmi ces trois obligations, seules les deux premières paraissent être des obligations qualifiantes, alors que la dernière est une obligation statutaire. Qu’est-ce à dire ? Tout simplement que, si un contrat comporte la transmission d’un savoir-faire ainsi que la mise à disposition de signes de ralliement de la clientèle, alors il sera nécessairement qualifié de contrat de franchise ».

478 SIMON (F-L.) : « L’exécution du contrat de franchise », LPA, 13 nov. 2009, n°227 p.44.

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Chapitre 1 : L'émission du savoir-faire par le

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