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S'inscrivant donc à sa manière dans l'esthétique relationnelle, le projet amour augmenté voudrait plus specifiquement s'intéresser au vécu de la relation, à l'expérience de la relation. Aussi, nous voudrons dans notre démarche mobiliser une certaine disposition de l'art : d'abord, une disposition à montrer, un pouvoir de

monstration, mais en particulier - c'est ce qui nous intéresse - un dispositoin à montrer le phénomène. Expliquons nous : qu'il sature ou non l'apparoir, l'art est monstration ; notre approche voudra ici orienter le pouvoir de monstration de l'art vers le phénomène, et, plus encore, vers la relation à l'altérité qui signifie dans le phénomène.

Mais cela n'est pas vraiment neuf : Marcel Duchamps en 1913 crée la Roue de bicyclette, le premier Ready-Made. Certes, il s'agit bien d'abord d'une provocation, d'un geste subversif : se détacher de manière radicale de ce que l'art attend comme forme et comme processus de création. Avec Duchamp, c'est l'acte créateur qui compte plutôt que l'objet créé - déjà il arrache notre regard de l'objet. Finalement, c'est en prenant un objet "normal", juste un objet, en le mettant dans une gallerie, et en le déclarant "oeuvre d'art" que l'objet aquiert effectivement le statut d'oeuvre d'art. Ainsi, pour le même objet (la roue de bicyclette) deux modes d'apparition sont possibles : soit c'est un objet du quotidien, soit c'est une oeuvre d'art. On peut le dire ainsi : à travers la subversion même contenue dans son geste, critique de la forme, Duchamp nous dit aussi quelque chose de l'apparaître. C'est un scandale effectivement quand le sens de l'apparaître du beau et de l'art est séparé de la forme dans laquelle on le croyait contenu. L'art est dans le regard et non pas dans l'objet, c'est ainsi que nous voulons relire le geste de Duchamp, comme un geste, finalement, de phénomenologue. Duchamp arrache le regard de l'objet qui apparaît, pour le diriger vers l'apparaître même.

Figure 1 : Marcel Duchamps, roue de bicyclette, 1913

C'est dans ce même mouvement que nous voulons développer le programme

amour augmenté, nous voulons mobiliser le pouvoir de monstration de l'art pour montrer l'apparaître, pour montrer la relation à autrui à partir de laquelle le phénomène signifie.

Notons que sans doute l'art s'était déjà annoncé, avant Duchamp, comme lié intrinsèquement à l'étude de l'apparaître, en particulier à l'étude de la perception : impressionisme, cubisme, par exemple. Le geste de Duchamp acquiert cependant une dimension particulière en tant qu'il intègre l'auto-réflexion, le geste rend visible le geste ; en utilisant un objet du quotidien qui n'a rien d'extraordinaire, Duchamp détourne le regard du public de l'objet vers le regard lui-même, vers le regarder.

Notre démarche artistique voudra s'inscrire dans le même genre de geste. Aussi nous voudrons utiliser conjointement dans notre démarche la phénoménologie dans sa manière classique et la "phénoménologie de l'art" au sens d'une mobilisation du pouvoir de monstration de l'art à des fins phénoménologiques.

Notons que l'art et la phénoménologie s'expriment dans des domaines de vérité20

distincts : la phénoménologie s'exprime dans la description rigoureuse, l'argumentation et les concepts, l'art s'exprime dans le beau et le poétique. L'enjeu du travail amour augmenté est de faire dialoguer ces deux régimes au lieu où il ne s'exclueraient pas.

Quoi qu'il en soit, de fait, la recherche théorique "inspire" le travail artistique et le pousse vers des lieux conceptuels nouveaux. De même, la pratique artistique parce qu'elle permet de construire des situations et des expériences permet une sorte de phénoménologie expérimentale, et nourrit, et motive la recherche théorique.

Pour notre travail de doctorat, dans le cadre d'une démarche recherche et création, nous avons produit une oeuvre nouvelle intitulée : amour augmenté, dramaturgie. Cette pièce à la fois manifeste et poursuit l'effort de recherche du programme amour augmenté.

Disons en déjà quelques mots. Tout d'abord, il s'agit d'une installation : parce que ce mode d'expression, peut être mieux que d'autres, permet le lien entre l'expérience et le système technique qui la rend possible. En effet, on peut penser que le rapport d'un spectateur/acteur à une installation est toujours double : l'installation est d'une part vécue en première personne, et d'autre part elle se donne à voir de l'extérieur, manipulée par les autres. L'installation dit quelque chose du phénomène ; plus précisément, c'est dans l'aller-retour nécessaire entre le point de vue "en première

20 Alain Badiou, L’être et l’événement, Paris, Seuil, 1988, (« L’ordre philosophique »). Avec Alain Badiou, il existe quatre domaines distincts dans lesquels la vérité peut surgir comme évènement : la politique, la science, l'art, l'amour.

personne", engagé dans l'expérience, et le point de vue "en troisième personne", voyant l'installation comme une chose ou comme un dispositif technique, que le rôle constitutif de la technique dans l'expérience subjective peut se faire voir. L'installation permet d'éviter la procuration de la représentation et ainsi de travailler l'expression artistique directement à partir de l'expérience du sujet/public, puis de sa "déconstruction"21

.

Plus précisément, il s'agit d'une installation à visiter à deux : une installation à travers laquelle deux personnes sont en relation. En cela, en première approximation, ce travail s'inscrira au coeur de l'esthétique relationnelle, en ce qu'il s'agira bien, par un agencement complexe de dispositifs techniques (architecturaux, communicationnels, etc.) de travailler la forme ou la manière d'une relation "sociale". Plus précisément pour nous, à travers cette installation, il s'agit de rendre visible "l'expérience de la relation" (et ce qui, dans la relation, dépasse les bornes de l'expérience), puis de rendre visible aussi le système technique qui rend possible et tout autant contraint cette relation, cette expérience.

0.1.4 Lévinas

Dans la première partie de cette introduction, nous avons évoqué, à travers la thèse TAC, l'ancrage du présent travail dans une recherche "technologique" (ici dans toute la polysémie du terme). Dans la seconde partie, nous avons évoqué la dimension artistique du travail de recherche. Nous voulons à présent préciser le contexte philosophique, et en particulier phénoménologique, dans lequel nous voudrons évoluer.

L'amour est bien de ces choses qui déjà fuient quand on les nomme. L'amour n'est pas vraiment chez lui dans l'objectivité. Pour parler d'amour, il faudra immanquablement se référer d'abord à la subjectivité qui le vit ou qui le souffre. Nous voudrons donc parler de l'"expérience subjective de l'amour" ; nous voudrons donc mobiliser une "phénoménologie de l'amour".

21 Bien sûr, nous utilisons le terme derridien de "déconstruction" de manière abusive et vague. Nous voulons seulement signifier ici que le geste artistique ne consiste pas seulement dans le modelage d'une expérience possible (comme c'est le cas dans toute installation) mais doit inclure la critique de cette phénoménalité, et en particulier la prise en considération du caractère constitutif/constituant de la technique.

Est-ce que la phénoménologie "classique" - typiquement celle de Husserl - permet de rendre compte positivement de cette merveille qu'est l'amour, ou de cette souffrance qu'est la passion ? Est-ce qu'une "phénoménologie de l'amour" est possible à partir des prémisses husserliennes ou heideggeriennes ? Emmanuel Lévinas, dans son oeuvre, s'emploie à montrer que le rapport à autrui, et sa manière de percuter le sujet, ne pouvaient être strictement dits dans le langage de la phénoménologie "classique". La manière dont l'éthique et le désir signifient au creux de la subjectivité ne peut se dire seulement dans les termes d'une phénoménologie dont le mouvement est d'abord celui de la saisie. C'est donc dans la phénoménologie/éthique de Lévinas que nous chercherons des outils pour notre recherche. Notons que, si une certaine lecture de l'oeuvre lévinassienne pourrait d'abord laisser apparaître quelque chose comme une "phénoménologie de l'amour" ou une "phénoménologie de l'éthique", comme s'il s'agissait seulement de régions singulières de la phénoménalité, une lecture plus approfondie nous engage vers un renversement métaphysique radical - à la hauteur d'une révolution copernicienne. En effet, il s'agit de décrire la subjectivité comme s'érigeant dans le hors-prise du rapport à l'altérité radicale d'autrui, dans la concrétude du toucher-l'autre, plutôt que dans le geste de saisie caractéristique de l'intentionalité phénoménologique. C'est à partir de ce retournement métaphysique que nous voudrons relire la thèse TAC.

Ainsi, parce qu’elle va nous guider dans la plupart des arguments que nous allons développer dans cette étude, nous devons ici commencer par une approche générale de la philosophie d’Emmanuel Lévinas.

Lévinas est un philosophe français d'origine lituanienne né en 1906, mort en 1995. Il est d'une part un grand philosophe français du XXe siècle, qui a activement participé à introduire en France les phénoménologies de Husserl et Heidegger (il a notamment participé à la traduction française des Méditations cartesiennes22

de Husserl), et d'autre part, il est un "penseur juif" important (on ne rentrera pas ici dans une discussion sur la nature du lien entre son travail de philosophe et sa pratique du judaïsme). Il a vécu la seconde guerre mondiale ; il a été enfermé dans un camp de prisonniers23

, et cela aura certainement une grande importance sur le déploiement de

22 Edmund Husserl, Méditations cartésiennes, Nouv. éd., Vrin, 2000.

23 Emmanuel Levinas, Oeuvres  : Tome 1, Carnets de captivité suivi de Ecrits sur la captivité et Notes philosophiques diverses, Paris, Grasset & Fasquelle, 2009.

ses réflexions (en particulier dans son dialogue avec, ou contre, Heidegger). Lévinas s’inscrit d'abord de plein pied dans la tradition phénoménologique, même si par ailleurs il ira jusqu'à en provoquer les limites24

. Sa préoccupation majeure, comme nous allons le voir, consiste à rendre compte de l’expérience éthique comme étant le “fondement” (sans fondements, comme nous le verrons) de la subjectivité, et du sens.

Suivant quelques ouvrages courts où déjà s’annonçait la singularité de sa philosophie (en particulier, Le temps et l’autre25

et De l’existence à l’existant26

), en 1961, Lévinas publie Totalité et Infini27

, son premier ouvrage majeur. Dans cet ouvrage, sous-titré Essai sur l'extériorité, Lévinas tente une description phénoménologique fouillée où, comme nous allons le voir, le rapport à l’altérité radicale – qui se révélera via le visage d’autrui – fait la signifiance même de toute phénoménalité. Le rapport éthique se trouve alors au coeur même du mouvement d’érection de la subjectivité. Voyons comment.

La première section de l'ouvrage est intitulée le même et l'autre. La première partie de la première section est intitulée Métaphysique et transcendance ; et le premier chapitre de cette première partie est intitulée Désir de l'invisible. Les premières lignes de ce chapitre disent :

« “La vraie vie est absente.” Mais nous sommes au monde. La métaphysique surgit et se maintient dans cet alibi. Elle est tournée vers l'“ailleurs”, l'“autrement”, et l'“autre”. » 28

Il y a ici deux références apparemment lointaines que volontairement Lévinas accole pour introduire son propos. D'abord Lévinas cite Rimbaud : « La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. » Ces deux phrases sont extraites de poèmes brûlants29

où transpire tout ce que la vie a de plus passionné, de plus douloureux. Mais

24 François-David Sebbah, L’Epreuve de la limite  : Derrida, Henry, Levinas et la phénoménologie, Presses Universitaires de France, 2001.

25 Emmanuel Levinas, op. cit.

26 Emmanuel Levinas, De l’existence à l’existant, 2e éd., Paris, Vrin, 2002.

27 Emmanuel Levinas, op. cit. 28Ibidem, p. 21.

29 Arthur Rimbaud, Une saison en enfer  : Illuminations et autres textes, 1873-1875, Le Livre de Poche, 1998.

Lévinas détourne ces phrases en affirmant « nous sommes au monde ». Et en disant cela, il fait comme un signe vers la phénoménologie, et en particulier vers ses développements heideggeriens (l'être-au-monde est une notion centrale des descriptions heideggeriennes30

). Ainsi, à travers ces deux phrases, ces deux références concaténées, Lévinas pointe le lieu de son travail, lieu où l'expérience vécue sera décrite dans le même mouvement comme mondaine et passionnée. D'une part, la vraie vie est « absente », c’est-à-dire, tout au moins, qu'elle n'est pas contenue dans le présent ; la vérité de la vie et du sens n'est pas de l'ordre de la présence. Mais d'autre part, nous sommes au monde ; nous nous débattons parmi les objets, les choses, les outils, les corps, etc. ; la vie subjective, quotidienne, a lieu dans un monde, ou comme monde, sous les traits d’un monde. La métaphysique devra se loger entre la présence qui caractérise l’apparaître du monde et la vérité comme absence. C’est bien ce lien entre, d’une part, l’altérité radicale, ici dite comme absence, et, d’autre part, le monde, qui fera l’objet des recherches lévinassiennes. Ce lien n’est autre que la subjectivité même.

Plus loin, rentrant dans le vif de son analyse du rapport à l’extériorité, Lévinas écrit :

« L'autre métaphysiquement désiré n'est pas “autre” comme le pain que je mange, comme le pays que j'habite, comme le paysage que je contemple, comme, parfois, moi-même à moi-même, ce “je”, cet “autre”. De ces réalités, je peux me repaître et, dans une très large mesure, me satisfaire, comme si elles m'avaient simplement manqué. Par là même, leur altérité se résorbe dans mon identité de pensant ou de possédant. Le désir métaphysique tend vers tout autre chose, vers l'absolument autre. » 31

L'expérience vécue, la vie, est rapport, rapport à l'extériorité. L'extériorité n’est pas d'emblée, bien sûr, une extériorité spatiale (par exemple liée à la spatialité du corps, marquant la différence entre un dedans et un dehors qui serait d'abord spatiaux) ; l'extériorité semble plutôt vouloir signifier la différence entre l'être (humain), le soi, le sujet, et ce qui n'est pas soi (voire ce qui n'est pas de l'ordre de l'être). L'extériorité désigne ce avec “quoi” (et nous verrons qu'il pourrait s'agir aussi

30 Martin Heidegger, Être et Temps, Gallimard, 1986.

d'un “qui”) le sujet est en rapport. Et dans l'extrait cité ci-dessus, Lévinas introduit une différence entre deux modes de rapport à l'extériorité : le besoin, d'une part, et le Désir, d'autre part. Le besoin est toujours besoin de quelque chose ; il est tourné vers les choses et les objets, assouvissable par la possession. Par la possession, le besoin se

repaît, se satisfait des choses en les faisant siennes. Ainsi, par le besoin, le soi est renvoyé à lui-même dans un rapport à l'extériorité où l'altérité « se résorbe » dans l'identité. En revanche, le Désir est un mode du rapport à l'extériorité où l'altérité n'est pas anéantie. Le Désir est rapport à l'altérité comme telle ; rapport n'appelant pas l'assouvissement, ou la satisfaction ; rapport où le soi rencontre l'autre sans pouvoir le rapporter à soi ; rapport tendu vers l'absolument autre, c’est-à-dire vers ce que ni la pensée, ni la possession ne sauraient atteindre, ni saisir. Cette distinction entre besoin et Désir rejoint la distinction entre le même et l'Autre, entre totalité et Infini. En effet, dans le besoin, le soi se retrouve lui-même, dans l'identique de son identité, dans le

tout de l'identité, dans l'unité de son être identique à lui-même, dans une sorte de clôture ou d'immanence. Dans le Désir, l'être est en rapport avec l'Autre radicalement Autre, infiniment Autre, inassimilable dans la sphère de l'identique, brisant la clôture de l'immanence - transcendance.

Ainsi, si le besoin et le Désir sont bien deux modes du rapport à l'extériorité, l'un est déjà une réduction de l'extériorité à la sphère d'immanence, quand l'autre laisse venir l'extériorité comme telle.

« L'invisibilité [du Désir] n'indique pas une absence de rapport ; elle implique des rapports avec ce qui n'est pas donné, dont il n'y a pas idée. La vision est une adéquation entre l'idée et la chose : compréhension qui englobe. L'inadéquation ne désigne pas une simple négation ou une obscurité de l'idée, mais en dehors de la lumière et de la nuit, en dehors de la connaissance mesurant des êtres, la démesure du Désir. » 32

Ainsi, Lévinas veut faire droit à un rapport à l'extériorité qui ne se réduit pas à une « compréhension qui englobe »33

. L'idée de l'Infini34

, « idée visant plus que ce

32Ibidem, p. 22.

33 On notera que, pour désigner un rapport à l'extériorité qui serait rapport de connaissance ou « compréhension qui englobe », Lévinas utilise ici le lexique de la vision. Bien sûr, le rapport ici visé est le rapport thématisant, objectivant, dans sa grande généralité, sans privilégier telle ou telle modalité

qu'elle ne peut contenir », idée inadéquate (non pas, comme Lévinas nous l'a dit, au sens husserlien)35

, impose de penser la pensée comme au-delà d'elle même, pensant plus, ou mieux, que ce qu'elle peut penser. L'idée de l'infini en moi ouvre une pensée qui n'est plus l'adéquation d'une visée avec son objet - rapport de connaissance - mais bien plutôt un rapport avec l'altérité radicale, rapport démesuré où la visée n'est pas à la mesure de ce qui est visé, désir métaphysique.

Contrairement aux besoins, que l'on peut combler, satisfaire, et qui, dans cette satisfaction même, renvoie le je à lui-même, le désir métaphysique tend vers l'absolument autre. Ainsi donc, en le disant trop vite, la pensée se tient dans l'articulation de deux modes de pensée : d'une part, le rapport de thématisation, rapport dans lequel le je se retrouve identique à lui-même36

, lieu du Même, et d'autre part, le désir métaphysique, rapport par lequel l'extériorité conserve son altérité radicale. Sans doute peut-on lire l'œuvre de Lévinas comme une recherche de l'articulation entre ces deux modes de la pensée, description du contact de l'Autre et de l'être, in-quiétude de l'être dans sa responsabilité infinie pour l'Autre.

« Le savoir ou la théorie signifie d'abord une relation avec l'être telle que l'être connaissant laisse l'être connu se manifester en respectant son altérité et sans le marquer, en quoi que ce soit, par cette relation de connaissance. En ce sens, le désir métaphysique serait l'essence de la théorie. Mais théorie signifie aussi intelligence – logos de l'être – c’est-à-dire une façon telle d'aborder l'être connu que son altérité par rapport à l'être connaissant s'évanouit. » 37

perceptive (ou sens). La vue est certes le sens que l’on mobilise exemplairement lorsqu’il s’agit de décrire le rapport à l’étant comme une visée ou une constitution. Cependant, les “autres sens” (et nous aurons à critiquer aussi ce geste qui consiste à découper le sensible en cinq sens) peuvent tout aussi bien être mobilisés à la constitution, à la thématisation.

34 Voir le chapitre intitulé : « La transcendance comme idée de l'Infini ». Emmanuel Levinas, op. cit., p. 39.

35 Comme le précise Lévinas par ailleurs, le terme “inadéquate” n’est pas ici mobilisé dans son sens husserlien où il fait référence à l’incomplétude inhérente à la donation par esquisse (voir page 67).

36 Lévinas, à ce propos, rappelle que « la phénoménologie hegelienne – où la conscience de soi est la distinction de ce qui n'est pas distinct – exprime l'universalité du Même s'identifiant dans l'altérité des objets pensés et malgré l'opposition de soi à soi ». Emmanuel Levinas, op. cit., p. 25. Nous soulignons.

Ainsi, la relation théorique est bien ce rapport à double tranchant où, d'une part l'altérité de l'être connu est respectée, dans une sorte d'accueil, et où, d'autre part, elle s'évanouit sous le joug du logos. Mais :

« Cette façon de priver l'être connu de son altérité, ne peut s'accomplir que s'il est saisi à travers un troisième terme – terme neutre – qui lui-même n'est pas un être. En lui, viendrait s'amortir le choc de la rencontre entre le Même et l'Autre. Ce troisième terme peut apparaître comme concept pensé. » 38