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3.4 Bilan

4.1.1 Que nous apprennent les observations ?

Plusieurs campagnes d’observations ont été menées pour mesurer les propriétés thermodynamiques des nuages (rt,rl,θl) ou les champs de vitesse à l’intérieur des nuages. Mais l’exploitation de ces mesures

a parfois conduit à des théories diverses pour expliquer le mélange dans les cumulus. Pour valider ou non ces théories, il faut à la fois prendre en compte la fiabilité des mesures et la façon d’interpréter les résultats issus des observations.

Sur les mécanismes associés au processus de mélange

Nous avons vu que les variables rt etθl étaient conservées lors d’une transformation adiabatique,

c’est-à-dire ici pour une particule d’air ne se mélangeant pas avec son environnement. La comparaison des valeurs de rt etθl mesurées à un niveau donné dans le nuage avec les valeurs mesurées à sa base

permet d’évaluer le mélange qui a eu lieu entre la base du nuage et le niveau considéré. De plus, les ca- ractéristiques enrtetθld’une particule issue du mélange de deux masses d’air peuvent être déduites par

une simple pondération des caractéristiques des deux masses d’air mélangées par leur masse respective. Un diagramme de mélange consiste à tracerrten fonction deθl. Sur ce diagramme, le point caractéris-

tique de la particule mélangée se situe sur la “ligne de mélange”, qui relie les deux points caractéristiques des particules qui se sont mélangées. Ainsi, à partir de mesures effectuées à la base du nuage, dans le

100 CHAPITRE 4. ENTRAÎNEMENT ET DÉTRAÎNEMENT DANS LES CUMULUS

FIG. 4.1 – Diagramme de mélange issu de Paluch (1979) : la ligne pointillée fait référence à un sondage, les points reliés par une ligne correspondent aux observations dans le nuage à 5.2 km. Les propriétés de l’air observé dans le nuage laissent supposer qu’il résulte d’un mélange entre de l’air proche de la surface et de l’air provenant de 8km (issu de Paluch, 1979).

nuage et dans l’environnement, on peut déduire la provenance de l’air qui s’est mélangé avec l’air issu de la base du nuage pour donner les caractéritiques observées dans le nuage.

C’est Paluch (1979), qui pour la première fois a établi ce diagramme afin de déterminer la provenance de l’air détecté dans des cumulus continentaux lors de la campagne NHRE (National Hail Research Expe- riment) dans le Colorado (cf fig. 4.1). Sur ce graphe, on constate que tous les points mesurés à un niveau donné dans le nuage (les ronds), se situent sur une ligne, qui joint un point situé à la base du nuage (vers 1.5 km) et un point situé à 8 km dans l’environnement (sondage de l’environnement en pointillés). Pa- luch interprète ces résultats comme la preuve que les particules issues de la base du nuage se mélangent avec de l’air qui a été entraîné dans le nuage plusieurs kilomètres au-dessus du niveau d’observation, à un niveau proche du sommet du nuage. Ces mesures viennent confirmer l’hypothèse faite par Squires (1958), selon laquelle l’entraînement se ferait par l’intermédiaire de subsidences créées par évaporation. Cette théorie est soutenue par Blyth et al. (1988) dans une étude menée à partir d’observations avion de cumulus continentaux au-dessus du Montana. Cependant, si l’entraînement a bien lieu près du sommet du nuage, Blyth et al. (1988) ajoutent qu’il s’effectue au fur et à mesure que le sommet s’élève. Cela implique que le mélange n’a pas uniquement lieu lorsque le nuage a atteint son sommet maximum, mais tout au long de son cycle de vie. Cette explication laisse cependant des questions sans réponse, car elle soutient qu’à chaque niveau du nuage, seules des particules issues de la base du nuage sans se diluer se mélangent avec l’air de l’environnement. Si des particules non diluées ont été observées à tous les niveaux dans les nuages, rien n’explique qu’elles soient les seules à participer au mélange.

Les processus de mélange sont alors mesurés avec une technique différente par Stith (1992) qui utilise un traceur pour observer l’entraînement d’air dans les cumulus. Le traceur, de l’hexafluoride de sulfure, insoluble dans l’eau, inerte et incompressible, est lâché au-dessus d’une colonne convective en

développement puis détecté par plusieurs vols avion à une même altitude lorsque le sommet du nuage la dépasse. Dans les trois cas étudiés (un nuage de convection profonde précipitant, un nuage dont le sommet atteint 5km associé à de faibles précipitations, et un petit cumulus non préciptant qui s’étend jusqu’à 3.6km), le traceur se retrouve d’abord autour du nuage, dans les subsidences adjacentes, avant de se mélanger avec l’air central du nuage. Cet écoulement serait lié à une circulation toroidale engendrée par un cumulus en développement, entraînant de l’air environnant sous le toroide. Cependant, une partie du mélange et de l’évaporation est également observée au sommet du nuage, lorsque le traceur est trans- porté vers les côtés. Ces observations suggèrent en tous cas que le mélange a lieu aussi bien au sommet du nuage que sur les côtés, image également soutenue par Jonas (1990).

On se retrouve donc face à deux théories. D’un côté l’analyse des diagrammes de mélange laisse penser que l’entraînement se fait au sommet du nuage. Mais il faut garder en tête qu’il est difficile de mesurer avec précision la température et l’eau liquide dans les nuages. D’un autre côté, une étude avec traceur suggère que l’entraînement a lieu aussi bien au sommet que sur les cotés du nuage. Mais il est impossible de détecter le traceur dans tout le nuage, ce qui limite les mesures à des altitudes données, représentatives ou non du reste du nuage.

Depuis, une interprétation alternative des diagrammes de mélange susceptible de réconcilier les deux théories a été donnée par Taylor et Baker (1991) et Bretherton et Smolarkiewicz (1989). En effet, si on trace sur le diagramme de mélange “la ligne de flottabilité neutre”, c’est-à-dire les différentes combinai- sons dert etθl qui donnent une température potentielle virtuelle égale à celle de l’environnement, on

trouve une ligne très proche de la ligne de mélange obtenue par Paluch (1979). Ainsi, la ligne de mélange peut aussi s’expliquer par le fait qu’après s’être mélangée, une particule est amenée à son niveau de flot- tabilité neutre par rapport à l’adiabatique humide. Ce phénomène étant très rapide, il n’est pas capté par les observations, qui mesurent en fait les propriétés de particules qui sont quasiment toutes à leur niveau de flottabilité neutre. Les mesures effectuées par Paluch (1979) ne sont donc pas incompatibles avec un entraînement qui aurait lieu à tous les niveaux du nuage.

Sur l’évolution des flux de masse au cours de la vie des nuages

Plusieurs études ont cherché à quantifier les flux de masse verticaux et les taux de mélange dans les nuages à partir de mesures avion des champs de vitesse et de la taille des nuages. Ces études ont notamment mis en avant les variations de ces flux au cours du cycle de vie des cumulus, et l’existence de subsidences d’intensité comparable aux ascendances à la périphérie des nuages.

Par exemple, Grinnell et al. (1996) effectuent des observations de cumulus d’alizé au large des côtes Hawaiennes durant l’été 1990 à partir de deux Radars Doppler situés au sol et d’un avion instrumenté. Les nuages étudiés s’étendent en moyenne de 500 m à 3 km et sont pour la plupart précipitants, caracté- ristique des nuages au large d’Hawaï qui ne se retrouve pas dans la plupart des cumulus d’alizé. L’étude porte à la fois sur des cumulus isolés, dont la durée de vie peut être aussi faible que 15 minutes, et sur des bandes de cumulus, qui peuvent persister pendant plusieurs heures. Le flux de masse vertical est calculé par intégration de la vitesse verticale sur le domaine renvoyant un écho radar, elle-même déduite de la convergence horizontale. Les flux de masse mesurés englobent les ascendances et les subsidences au coeur des nuages. Dans le stade d’expansion du nuage, le flux de masse est positif et maximum juste sous l’inversion, suggérant un entraînement d’air important entre la base du nuage et l’inversion. Dans la phase de maturité, les ascendances alimentant la convection sont encore prépondérantes par rapport aux subsidences liées aux précipitations ou au refroidissement par évaporation, mais le flux de masse décroît de la base au sommet du nuage. Dans la phase de dissipation, le flux de masse présente des valeurs né- gatives qui se propagent petit à petit vers le bas, jusqu’à atteindre la base du nuage. Les profils obtenus pour un cumulus isolé ou une bande de cumulus sont qualitativement très proches, même si l’amplitude du flux de masse est jusqu’à deux fois plus forte dans les cumulus isolés. Le flux de masse moyen sur toute la durée de vie des nuages est calculé en supposant que chaque phase est de même importance, et en normalisant l’aire couverte par le nuage dans les phases de maturité et de dissipation de telle sorte que

102 CHAPITRE 4. ENTRAÎNEMENT ET DÉTRAÎNEMENT DANS LES CUMULUS

FIG. 4.2 – Valeurs moyennes du flux de masse (à gauche en kg m2

s1

) et de l’aire couverte (à droite en km2) par les nuages en moyenne sur leur cycle de vie : cellules isolées (S) et bandes de nuages (R) (issu de Grinnell et al., 1996).

leur valeur maximale soit égale au maximum obtenu lors de la phase d’expansion. Les profils obtenus pour le flux de masse et la fraction couverte sont représentés fig. 4.2.

Le profil du flux de masse est comparable pour un cumulus isolé et une bande de cumulus, avec une croissance de la base à une hauteur située un peu en dessous de l’inversion (à0.5zipour le flux de masse,

un peu plus haut pour la fraction couverte), et une décroissance au dessus de l’inversion, avec un flux de masse qui devient négatif au sommet. Cette figure indique qu’en moyenne sur le cycle de vie, l’entraî- nement (le détraînement) d’air dans la partie inférieure (supérieure) des cumulus isolés est plus fort que dans les bandes de cumulus. Les résultats présentés dans cette étude diffèrent des résultats obtenus pour l’expérience BOMEX par Nitta (1975), où les flux de masse sont maximaux à la base puis décroissent rapidement. Ils ne sont sans doute pas représentatifs des phénomènes observés dans les cumulus d’alizé en général. Plus que le phénomène de précipitations, il semble que cela soit dû aux conditions locales qui permettent aux nuages de pénétrer plus haut au-dessus de l’inversion.

D’autres études confirment cependant l’évolution des échanges au cours du cycle de vie des cumulus. Barnes et al. (1996) diagnostiquent l’entraînement et le détraînement à partir de mesures de la taille des nuages et de leur vitesse verticale faites simultanément par deux avions à deux niveaux différents, espacés de 600 à 1000m. Ils étudient ainsi 12 nuages isolés ayant un rayon de 0.5 à 1.5km et une durée de vie de moins de 25min observés pendant la campagne CaPE (Convection and Precipitation Electrification Experiment) menée à l’est de la Floride durant l’été 1991. Le calcul de l’évolution du flux de masse à deux niveaux pendant la durée de vie du nuage leur permet de mettre en évidence la dominance du phénomène d’entraînement lors de la phase d’expansion du nuage, et celle du détraînement lors de la phase de dissipation. L’ordre de grandeur du taux d’entraînement fractionné obtenu moyenné sur le cycle de vie des nuages est de 0.001 m−1

. Cette valeur était également donnée par Paluch (1979) pour expliquer les caractéristiques des cumulus observés.

FIG. 4.3 – Taux d’entraînement et de détraînement (en kg m3

s1

) mesurés lors de la campagne ASTEX en fonction d’une hauteur normalisée par la hauteur de l’inversion (issu de De Laat et Duynkerke, 1998).

par De Laat et Duynkerke (1998). Ils appliquent leur méthode à des stratocumulus observés pendant la campagne ASTEX près des Açores au dessus de l’océan Atlantique. La dynamique des stratocumulus présente des différences par rapport à celle des cumulus, mais leur étude est instructive. En effet, leur méthode permet de déterminer le taux d’entraînement mais aussi le taux de détraînement, ce qui est assez rare pour être signalé. De plus, les taux de mélange sont estimés à la fois dans et sous le nuage. La méthode se base sur des mesures avion de vitesses horizontales et verticales. Lorsque la vitesse verticale mesurée change de signe, la vitesse horizontale dans la direction de l’avion est utilisée pour calculer l’entraînement (flux de masse entrant dans l’ascendance) et le détraînement (flux de masse sortant de l’ascendance). Un filtre de 3km est appliqué pour s’abstraire de la grande échelle. Leur étude montre que les ascendances les plus petites ont la plus forte contribution à l’entraînement latéral total, tandis que les ascendances les plus larges contribuent le plus au transport vertical. La fraction couverte par les panaches ascendants reste proche de 0.5 sur toute la hauteur de la couche limite. Les taux d’entraînement et de détraînement obtenus par trois vols avion différents sont présentés sur la fig. 4.3. Ces taux sont plus forts en surface et en sommet de couche limite qu’au milieu de celle-ci. Le calcul des taux d’entraînement et de détraînement ’fractionnés’ (ǫ = E/f et δ = D/f ) donne des valeurs autour de 0.01 − 0.02 m−1

, soit un ordre de grandeur plus fort que les valeurs proposées par les études sur les cumulus. Cela pourrait s’expliquer par le caractère plus turbulent d’une couche limite recouverte de stratocumulus par rapport à une couche limite de petits cumulus. Cela pourrait aussi être une conséquence de la méthode utilisée : le fait de prendre en compte toutes les fluctuations de la vitesse est susceptible de donner une surestimation des échanges, alors qu’il est possible que seulement une partie de ces fluctuations contribue au mélange. En effet, l’évaluation d’une paramétrisation à partir de LES réalisées sur le cas ASTEX révèle des taux de mélange issus des LES comparables pour les cas BOMEX et ASTEX (Gregory, 2001).

104 CHAPITRE 4. ENTRAÎNEMENT ET DÉTRAÎNEMENT DANS LES CUMULUS Image résultante des processus de mélange

L’hypothèse qu’en se développant, un cumulus entraîne de l’air environnant, modifiant les caracté- ristiques thermodynamiques du nuage, est pour la première fois faite par Stommel (1947). Il propose une estimation du flux de masse entraîné à partir de mesures de température et d’humidité dans le nuage et dans son environnement, et montre qu’un nuage peut entraîner jusqu’à deux fois le flux de masse à sa base. Cette hypothèse est corroborée par le fait que l’eau liquide calculée dans une particule nuageuse s’élevant de façon adiabatique ne permet pas d’obtenir les profils effectifs d’eau liquide mesurée dans un nuage.

Plusieurs synthèses au sujet de l’entraînement et du détraînement dans les nuages ont été réalisés (Blyth, 1993; Bretherton, 1997). Ces synthèses font ressortir le caractère inhomogène et instationnaire des nuages, la variabilité de la vitesse verticale au sein des nuages (présence d’ascendances et de subsi- dences), l’impossibilité de trouver un profil universel du rapport entre l’eau liquide observée et sa valeur adiabatique, ainsi que l’influence de divers phénomènes sur leur cycle de vie (cisaillement de vent, pré- cipitations). L’étude des processus d’entraînement a mis en avant deux images différentes. La première suggère qu’un nuage peut-être considéré comme un unique panache entraînant de l’air à son sommet au fur et à mesure que celui-ci s’élève. La seconde suggère plutôt qu’un nuage est constituté de tout un spectre de panaches ascendants et subsidents qui rejoignent leur niveau de flottabilité neutre. Le détraî- nement est encore plus complexe à définir, et il ne s’agit pas d’un phénomène opposé à l’entraînement comme son nom l’indique. Les observations ne permettent pas vraiment de conclure si il a lieu tout au long de l’ascendance ou à certains niveaux privilégiés (sommet).

Au-delà des observations, des études basées sur des simulations haute résolution ont donc tenté de donner une image plus globale des phénomènes de mélange.

Par exemple, Zhao et Austin (2005b) étudient la dynamique du mélange entre un cumulus et son envi- ronnement à partir de simulations LES de cumulus individuels de différentes tailles. Les résultats de leur étude rejoignent l’image donnée par Blyth et al. (1988), selon laquelle le mélange a lieu dans une zone située sous le sommet du nuage au fur et à mesure que celui-ci se développe : l’ACT pour “ascending cloud top”. Cette région est épaisse d’environ 175 m pour les petits nuages et 350 m pour les gros nuages. Les processus de mélange se font par l’intermédiaire de structures turbulentes de taille comparable à celle de l’ACT et générées par le gradient horizontal de flottabilité qui crée un mouvement de rotation de l’air lors de son ascendance, avec la partie ascendante le long de l’axe central du nuage et une partie sub- sidente à la périphérie. Le fait que l’extension horizontale de cette région ACT n’augmente pas sur la verticale implique que l’entraînement d’air dans cette région est obligatoirement associé à un processus de détraînement d’air dans l’environnement. Nous exploiterons nous aussi les simulations LES de cumu- lus individuels de Zhao et Austin (2005b) pour évaluer les taux de mélange associés à ces phénomènes dans la deuxième partie de ce chapitre. Bretherton et Smolarkiewicz (1989) soutiennent quant à eux dans une étude réalisée à partir de plusieurs simulations de nuages convectifs que l’entraînement d’air dans le nuage se fait à tous les niveaux, tandis que le détraînement d’air a lieu à des niveaux privilégiés, corres- pondant aux niveaux où la flottablité dans le nuage décroît avec l’altitude. Ils relient le phénomène de détraînement à l’ajustement convectif humide de l’environnement autour d’un cumulus. Celui-ci s’effec- tue à travers la formation d’ondes de gravité se propageant des nuages et visant à annuler la différence de flottabilité entre un cumulus et son environnement. Les mouvements horizontaux associés à ces ondes affectent la structure des nuages en imposant le détraînement d’air nuageux dans l’environnement aux niveaux de forte stabilité.

Les différentes caractéristiques énumérées ont alimenté les hypothèses à la base des différentes re- présentations de l’entraînement et du détraînement dans les paramétrisations de GCM.

4.1.2 La représentation des processus de mélange dans les paramétrisations