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Les années 1970 : méfiance à l’égard des investissements étrangers

Pendant les premières années de la décennie 70, le nombre des cas de nationalisations, au même titre que les législations restrictives et discriminatoires dirigées contre les investisseurs étrangers, avaient atteint leur plus haut niveau. Le phénomène économique qui a marqué cette période a été une hausse brutale du prix du pétrole et le déclenchement de la crise de l’énergie.

De ce fait on a assisté à une hausse de prix généralisée des produits de base, avec des répercussions immédiates sur les investissements directs étrangers. Ainsi, les prix élevés ont stimulé les investissements dans les secteurs de l'industrie extractive, notamment les secteurs du pétrole et du gaz naturel. Les pays qui en ont bénéficié le plus furent le Congo, l'Equateur, l'Indonésie et le Nigeria110.

108 CNUCED (1999) – op.cit.p.21 109 MUCCHIELLI J-L – op.cit.p.22 110 FIAS – op.cit.p.17

Directement liés à ce premier phénomène, les excédents de balance des paiements pour les pays exportateurs des produits de base ont fourni une source abondante de capital disponible pour les investissements. Ces capitaux sont entrés dans les pays en développement par l'intermède des emprunts de grande envergure réalisés au niveau national auprès de banques commerciales111. Il en

est résulté que les pays en développement ont alors éprouvé moins d’intérêt à attirer les investissements directs étrangers. Ainsi, quelques pays ayant bénéficié suffisamment de la hausse de prix de produits de base ont répondu à leurs besoins d'investissement en sollicitant l'épargne nationale.

Cet afflux économique vers plusieurs pays en développement a encouragé leurs gouvernements à poursuivre des politiques principalement orientées vers le marché intérieur et à réduire sensiblement les relations économiques avec l'économie mondiale. Dans ce contexte un nombre important de pays a renforcé les politiques

restrictives à l’égard d’investissements directs étrangers112. En réponse,

les investisseurs ont réduit leurs investissements dans plusieurs pays pour montrer aux décideurs politiques leur hostilité vis-à-vis de telles politiques. Parmi les pays qui ont été affectés par cette réaction, la Colombie, le Pakistan et le Kenya ont vu le flux d'investissements étrangers s'infléchir de façon significative au cours des années 70. Dans d'autres pays comme le Chili, l'Egypte, le Venezuela et la Zambie, malgré leurs abondantes ressources naturelles, a eu lieu un processus massif de désinvestissement, à la suite de politiques nationales favorables uniquement aux investissements publics nationaux dans l'industrie extractive113.

Au total, sur l'ensemble du monde, le flux des investissements directs étrangers vers les pays en développement pendant les années

111 BERGER S. – op.cit.p.34 112 MICHALET C. – op.cit.p.436 113 FIAS – op.cit.p.17

1970 a stagné114. L’épisode plus significatif en ce sens est intervenu en

1970, lorsque la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), avança l'idée d'un Code de conduite, dont l'élaboration serait confiée aux Nations Unies. Plus tard, en octobre 1975, la CISL adoptera sa Charte de Mexico, qui contenait « les revendications syndicales pour le contrôle législatif des sociétés multinationales115 ». Celle-ci présente

pour la première fois la conception centrale des revendications syndicales. Elle était conçue comme un Code de conduite destiné à susciter une révision de la législation sociale dans tous les Etats concernés.

En d’autres termes, « les dispositions de ce Code devraient être reçues dans les différents droits nationaux, effet qui ne peut être atteint en pratique que par une convention multilatérale »116. Par la suite, les

milieux syndicaux occidentaux défendront, aux côtés de gouvernements du tiers monde, l'idée de Codes de conduite formellement obligatoires117.

A la même époque, dans les pays en développement, ont vu le jour un grand nombre de règlements édictés par certaines organisations d'intégration régionale, comme le Pacte Andin. Parmi les pays en développement, seuls les Etats du Pacte ont mené à bien la création d’un système juridique régional d’encadrement des activités des sociétés multinationales, portant en particulier sur leur politique d’investissement. A cet effet, ils ont adopté en décembre 1970, un Code commun des investissements, amendé plusieurs fois depuis lors118.

L’objectif recherché était d’écarter les multinationales de certains secteurs jugés essentiels pour la définition d’une politique de

114 OCDE (1999) – p.22

115 CNUCED ( 1999) – op.cit.p.31 116 MERCIAI P. – op.cit.p.67

117 BREWER T. ; YOUNG S. – The Multilateral Investment System and Multinational Enterprises, Oxford University Press, 1998, p.26

développement (activités énergétiques, en particulier), de favoriser la constitution d’entreprises mixtes d’origine régionale et d’harmoniser les critères d’autorisation d’investissements pour éviter des surenchères entre Etats latino-américains en période de pénurie de capitaux.

En ce sens, la Décision 24 du Pacte Andin, adoptée en 1971, imposait de strictes procédures d’admission et d’autres contrôles sur les investissements directs étrangers ainsi que sur les transferts de technologies. Elle comportait aussi une clause exigeant le désinvestissement des entreprises étrangères après un certain nombre d’années.

En réaction à ces initiatives multiples, les milieux d'affaires ont progressivement adopté une nouvelle approche, plus modérée. Il s'est agi d'un nouveau Guide pour les investissements internationaux, élaboré par la CCI de Paris, qui prévoit des règles de bonne conduite à l'intention des entreprises, et non plus seulement à l'adresse des pays d'accueil, comme l'avait prévu initialement la section américaine de cette association. Le Guide de la CCI reste encore le plus important exemple d'auto réglementation des entreprises119.

Au fur et à mesure, l'expression « Code de conduite » s'adapta à cette nouvelle conception, complètement opposée à la précédente. Un peu plus tard, la revendication de codes de conduite correspondant aux besoins et aux conditions propres aux pays en développement sera inscrite par l'Assemblée générale de Nations Unies dans le Programme d'action pour un nouvel ordre économique international120.

Le mouvement « contestataire » des pays en développement s’est poursuivi. Inquiets quant au contrôle des ressources énergétiques, ils ont invoqué la notion de souveraineté permanente sur les ressources naturelles : « Il s’agissait de rappeler que la souveraineté politique n’est

119 International Chamber of commerce (CCI) – Guidelines for International Investment, Paris, 1972

souvent qu’une souveraineté formelle, et que seule la souveraineté économique était une souveraineté réelle121 ». Ils défendaient en cela

l’idée que la préservation de la souveraineté passait par la maîtrise des flux d’investissement qui arrivaient sur leurs territoires.

Dans ce contexte, « la relation entre l’investisseur étranger et le pays d’accueil baignait dans la méfiance : chacun se méfait de son partenaire. L’Etat d’accueil craignait d’entrer dans une relation économique où il serait condamné à avoir le dessous, et l’investisseur redoutait une relation inégale où il serait affronté à la souveraineté de l’Etat. C’était l’époque où l’idéologie dominante était fondamentalement hostile à la domination économique des pays du Tiers Monde, dits du Sud, par les multinationales des pays occidentaux, dits du Nord122».

Les investisseurs ont essayé de se prémunir, par des clauses de stabilité ou d’intangibilité, contre des changements législatifs ou d’autres interventions gouvernementales susceptibles de bouleverser l’équilibre contractuel. Les pays en développement ont manifesté une forte opposition à ces tentatives de « dénationalisation » des contrats d’Etat. Parvenus à s’unir pendant un temps, ils vont s’efforcer de peser dans les assemblées des institutions internationales, au sein desquelles

ils sont largement majoritaires123. Leurs demandes ont trouvé une

expression officielle dans une série de textes à caractère programmatoire contenus dans les résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Ce ne fut toutefois pas sans opposition.

Les plus significatives sont la Déclaration de 1974, pour établir un Nouvel Ordre Economique international, et son Programme d’action124, ainsi que la Charte des droits et de devoirs économiques des

Etats125. Cette dernière, la Résolution 3281, essayait surtout de rétablir

121 CARREAU D. ; JUILLARD P. – op.cit.p.403 122 WEIL P. – op.cit.p.412

123 CNUCED (1999) – op.cit.p.23

124 Résolution 3201(S-VI) et 3202(S-VI) 125 Résolution 3281, XXIX, 12 décembre 1974

les principes juridiques de base pour gouverner les relations économiques internationales, en se concentrant sur les demandes des pays en développement en faveur de l’indépendance économique, en soulignant la légitimité de leurs approches126.

Les dispositions de la Charte sur le traitement des investissements directs étrangers soulignaient le rôle des gouvernements des pays d’accueil. Elles insistaient pour l’application de la juridiction du pays d’accueil et du contrôle national sur les investissements étrangers et surtout sur l’activité des entreprises multinationales.127 Ainsi a été « fermement et intégralement circonscrit

le droit de l’investissement étranger dans les ordres juridiques nationaux, à l’abri des interférences du droit international128 ».

A cette époque les divergences et les conflits entre les pays développés et en développement étaient à leur apogée. En raison de ce rapport de forces, la progression de l’ancrage du droit de l’investissement étranger dans l’ordre public international a repris son mouvement grâce aux accords bilatéraux de protection des investissements.

En relation directe avec la crise de l’énergie, une Conférence pour la Coopération Economique Internationale, s’est tenue à Paris entre 1975 et 1977. Dans son cadre, les représentants des 27 pays développés et en développement, ces derniers étant des pays exportateurs de pétrole, ont mené des négociations sur l’énergie, le commerce et la finance, y compris sur les investissements directs étrangers. Cette conférence a permis la conclusion d’accords sur un nombre important de questions inscrites à l’agenda. Néanmoins, des

126 VIRALLY M. – « La Charte des droits et devoirs économiques des Etats: Notes de lecture », AFDI, 1974, vol.20, p.61

127 CNUCED (1999) – op.cit.p.23 128 SALEM M. – op.cit.p.378

divergences subsistèrent sur quelques points critiques qui n’avaient pu trouver de solution129.

Au milieu des années 70 les relations Nord-Sud étaient en pleine

effervescence130. L’émergence de vastes groupes multinationaux a

donné lieu à de vives polémiques sur leur rôle, ainsi que sur les effets économiques et sociaux de ces ensembles d’entreprises sur le développement des pays d’accueil.

Le débat était très vif entre d’une part ceux qui étaient favorables à la présence des multinationales afin d’améliorer le bien-être des populations, et d’autre part ceux qui les voyaient comme une menace pour les industries nationales, entraînant dans leur évolution la délocalisation économique et la dépendance. Plus inquiétant encore, étant donné le pouvoir d’influence des multinationales sur le développement local, social et politique, certains auteurs commençaient à les regarder comme une menace à la liberté politique des Etats et à la diversité culturelle131.

Cette divergence d’opinion a eu un impact direct sur les effets, en termes de coûts et de bénéfices, des investissements directs étrangers. Dans plusieurs pays en développement, au niveau national, et occasionnellement au niveau régional, ont été établies des structures de contrôle, à travers des procédures d’admission très élaborées, pour les entrées d’investissements et les opérations des entreprises multinationales. Il s’agissait de s’assurer que l’activité des multinationales servait aux besoins de développement du pays d’accueil, tels que déterminés par le gouvernement132.

Au niveau national, les procédures de sélection prévues dans les codes pour l’investissement, ont été combinées fréquemment avec des

129 CNUCED (1999) – op.cit.p.22 130 MERCIAI P. – op.cit.p.24

131 BREWER T.; YOUNG S. – op.cit.p.40 132 CNUCED (1999) – op.cit.p.25

incitations fiscales et d’autres mesures qui visaient à attirer et, en même temps, à réglementer les investissements directs étrangers133.

Cependant, durant cette période, de nombreux responsables politiques demandaient l’établissement d’un Code de bonne conduite pour les entreprises multinationales.

En 1974, un Comité des sages réuni par l’ONU proposa l’instauration d’un Accord général sur les investissements internationaux134. Aussi, en 1975, le secrétaire d’Etat américain, Henry

Kissinger, proposa-t-il dans son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, un Code de conduite pour les entreprises multinationales.

Sous l’égide de l’OCDE, les efforts pour établir des standards pour l’activité des entreprises multinationales ont mené à des négociations, pour « des Codes internationaux de conduite » qui ont été adoptés sous une forme légale, sans caractère obligatoire135. En 1976,

le Conseil de l’Organisation a adopté une « Déclaration sur

l’investissement international et les entreprises multinationales ». Dans cette déclaration a été inséré un Guide constitué sous forme de directives à l’adresse des entreprises multinationales. Principalement, elles exigent le respect des lois et des politiques du pays d’accueil, de même qu’elles établissent des standards internationaux de comportement136.

Ces directives sont toujours valables, après plusieurs reformulations partielles successives, et elles font actuellement l’objet d’une attention particulière, étant donné que le processus de révision se poursuit. Outre les directives du Guide, la Déclaration incluait des décisions adressées aux gouvernements. Ces décisions faisaient

133 BRADLOW D.; ESCHER A. – Legal Aspects of Foreign Direct Investment, Kluwer Law International, The Hague, 2000, p.52

134 MUCHIELLI J. – op.cit.p.312

135 METAXAS S. – Entreprises transnationales et codes de conduite: cadre juridique et questions d’effectivité, Ed. Schulthess, Zurich, 1988

136 FATOUROS A. – Les principes directeurs de l’OCDE dans un monde en voie de mondialisation, OCDE, CIME, sept.1999, DAFE/IME/RD (99)3

référence à plusieurs aspects spécifiques relatifs : aux traitements accordés aux entreprises multinationales, aux incitations fiscales et aux mesures dissuasives, ainsi qu’aux exigences imposées aux multinationales dans le cas des conflits137.

Cet ensemble d’instruments ont fourni des éléments importants pour établir un cadre régissant aussi bien la conduite que le traitement des activités des entreprises multinationales, sous la coordination de l’OCDE138. Des efforts ont été entrepris en parallèle dans le cadre du

système des Nations Unies, où l’instrument le plus accompli a été le « Projet de Code de conduite des entreprises transnationales139 ».

Après de longues négociations sur ce Projet de Code de Conduite - vers la fin des années 70 et jusqu’au milieu des années 80 - et malgré l’accord sur le contenu de plusieurs de ses clauses, nombre de points importants n’ont pas été abordés, notamment quant aux obligations du pays d’accueil. Au final, cet instrument n’a jamais été adopté, même sous une forme non obligatoire140.

Bien que le Projet de Code des Nations Unies et le Guide de l’OCDE soient relativement proches l’un de l’autre, l’envergure du Projet des Nations Unies était plus importante.

D’autres codes de conduite traitant de problèmes spécifiques ont aussi été négociés, avec des résultats différents : le Conseil de Direction de l’Organisation Internationale du Travail (ILO) a adopté en 1977 une Déclaration tripartite des Principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociale141.

137 OCDE - Les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales, Paris, 1997

138 CNUCED (1999) – op.cit.p.25

139 UN – Draft United Nations Code of Conduct: Transnational Corporations, Centre on Transnational Corporations, New York, 1976

140 CNUCED (1999) – op.cit.p.26

141 International Labour Office – Tripartite Declaration of Principles concerning Multinational Enterprises and Social Policy, Geneva, 1977

L’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté en 1980 une série de « Règles multilatérales équitables et principes et pour le contrôle des pratiques commerciales restrictives », négociée sous l’égide de la CNUCED. Cependant, d’autres longues négociations ont porté au sein de la CNUCED sur un Code international de Conduite sur les transferts de technologie. Néanmoins, elles n’ont pas abouti à l’adoption d’un instrument final142.

Les négociations sur les codes internationaux de conduite, même sans aboutir à des accords, ont toutefois contribué à définir les obligations les plus importantes relatives au comportement des entreprises multinationales et à clarifier les normes pour leur traitement.

Il faut remarquer que tous les textes proposés ou adoptés ont largement répondu au but recherché initialement, notamment celui de réaffirmer la compétence des Etats d’accueil à déterminer leur politique nationale. En dépassant l’exigence d’être en conformité avec les lois locales et les politiques, ils ont cherché à formuler des règles internationales, qui ont spécifié des standards de conduite adéquate.

Dans ce contexte il faut évoquer encore une tentative qui allait à contre-courant de l'évolution générale: le projet d'un traité international contre la corruption. Comme « au milieu des années 70 éclatèrent plusieurs scandales internationaux impliquant de grandes entreprises, la CCI préconisa une nouvelle fois le recours à l'auto réglementation143 ». A l'échelon intergouvernemental, les Etats-Unis

prirent les devants, avec une loi adoptée pour punir les versements de pots-de-vin à l'étranger144. Par la suite, ce pays a cherché à obtenir des

autres pays un engagement similaire, afin que les entreprises américaines ne soient pas pénalisées. Un avant-projet d'accord

142 CNUCED– International Investment Agreements: A Compendium, 1996b 143 CCI – op.cit.p.12

144 Foreign Corrupt Practices Act, Public Law, no.95-213, 20 December 1977, U.S.Statutes, vol.91, p.1494

international sur les paiements illicites a été élaboré en 1978, mais faute de soutien suffisant, la négociation ne fut jamais achevée.

Toutes les tentatives, plus ou moins réussies, de réglementation de l’investissement direct étranger au niveau multilatéral, pendant les années 70, ont contribué au processus d’internationalisation du droit des investissements145. Malgré les controverses qui persistent toujours

à l’égard de leur contenu, s’est imposée l’idée que les règles internationales étaient appropriées pour être appliquées aux investissements directs étrangers et aux entreprises multinationales.

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