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2.CADRE THEORIQUE

PARTICIPATION Source : De la motivation à la formation (2005)

5. PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS

5.1. SITUATION DU PUBLIC

5.1.1. Analyse quantitative

Nous avons émis comme première hypothèse que l’apparition du handicap provoque une rupture fondamentale dans l’existence de l’individu et entraîne de lourdes conséquences qui touchent l’intégrité de la personne. Les effets néfastes qui en découlent causent souvent la perte de l’emploi qui vient amplifier la rupture. En plus de devoir apprendre à vivre avec une déficience physique, la personne handicapée privée d’emploi doit gérer sa situation de chômage ainsi que le phénomène lié à l’avancée en âge. L’impact du handicap auquel vient s’ajouter celui du choc de la perte de l’emploi vont contribuer à la déstructuration de l’individu et va générer un sentiment profond de perte d’identité. Le sujet va rencontrer une difficulté à donner un sens à sa vie et sera désemparé en ce qui concerne l'avenir. La survenue d’une période de détresse atteindra la personne en situation de handicap quand elle réalisera qu'elle ne pourra probablement jamais retourner à son emploi antérieur. Cette période sera plus importante dans la mesure où l'individu se valorisait surtout par son travail.

Toutes les personnes rencontrées ont été marquées par la survenue d’un évènement important tel que longue maladie, accident traumatisant, handicap, perte d’emploi. Elles se sont trouvées sans les éléments fondamentaux qui nourrissent l’existence et qui se traduisent par la santé, le travail, un objet d’investissement, un encadrement et un revenu régulier. La personne ne fait plus face, elle ne parvient plus à assumer, à maîtriser. La modification de sa posture en attitude négative conduit à la dégradation de l’image de soi. L’individu est alors inexorablement attiré par la spirale infernale de l’exclusion.

Ce rappel du phénomène de déstructuration qui affecte le senior handicapé précède l’exploitation des données recueillies auprès de notre échantillon d’enquête. Dans cette perspective, nous effectuons dans un premier temps le recoupement des informations concernant chaque personne à partir de ses déclarations. Les tableaux, (cf., annexes 24 à 30, fiche A1 à A20, p. 347 à 353), résument le niveau des phénomènes déstructurants affectant chaque individu atteint d’un handicap en situation de chômage de longue durée. Nous nous sommes attachés à mettre en exergue les principaux symptômes en nous inspirant des travaux

de WELNOWSKI-MICHELET (2008), mais en utilisant des critères différents que nous avons nous-mêmes déterminés.

Ainsi, lors de notre premier entretien, nous avons demandé à chaque individu de se situer par rapport à chaque mot figurant dans le tableau ci-dessous en donnant une valeur exprimée par le mot « fort », « moyen », « faible », ou « nul » face à chaque mot représentant le sentiment ressenti. A partir de ces informations, nous pouvons prendre en considération pour interpréter un certains nombres de paramètres relatifs au phénomène de déstructuration qui perturbe l’individu qui la subit et qui entraine une rupture identitaire radicale dans laquelle l’environnement et directement impliqué. Nous reproduisons dans le tableau 23 ci-après un récapitulatif global du niveau des effets de déstructuration. Les annexes 24 à 30, p.347 à 353, rendent compte des situations individuelles de manière exhaustive.

Tableau 23 : Niveau global de déstructuration

Fort Moyen Faible Nul

Dépression 20 0 0 0 Culpabilisation 18 1 1 0 Humiliation 20 0 0 0 Abandon 12 4 0 0 Solitude 15 5 0 0 Dévalorisation 20 0 0 0 Perte de confiance en soi 14 6 0 0 Perte de confiance en

autrui 14 6 0 0 Optimisme 0 0 20 0 Isolement 18 2 0 0

On observe que l’ensemble des individus sont fortement affectés par les effets déstructurants. Une faible proportion d’individus est moyennement affectée. L’impact du handicap et du chômage prolongé semblent avoir des conséquences importantes tant sur l’état physique que psychologique des sujets dont le comportement se modifie progressivement pour se diriger vers un état de marginalisation.

Tableau 24 : Récapitulatif individuel du niveau des effets de déstructuration (Femmes)

Céline Denise Françoise Hélène Katy Olive Prisca Sonia

Dépression 3 3 3 3 3 3 3 3 Culpabilisation 2 3 3 3 3 3 3 3 Humiliation 3 3 3 3 3 3 3 3 Abandon 3 3 2 3 3 3 2 2 Solitude 2 3 3 3 3 3 2 2 Dévalorisation 3 3 3 3 3 3 3 3 Perte confiance en soi 2 2 2 2 2 3 3 3 Perte confiance en autrui 3 2 2 2 2 3 3 3 Optimisme 1 1 1 1 1 1 1 1 Isolement 3 3 3 3 3 2 2 3

Légende : 1 = faible - 2 = moyen - 3 = Fort

Nous avons voulu, pour des raisons pratiques de comparaison récapituler le niveau des effets de déstructuration en traitant séparément les femmes et les hommes. Ce procédé permet de mettre en évidence les différences de comportement de manière à prendre en considération les attitudes des deux sexes au regard de leur situation actuelle et de leur capacité de projection dans l’avenir.

Tableau 25 : Récapitulatif individuel du niveau des effets de déstructuration (Hommes)

Alix Bernard Eric Georges Ignace Jean Lucien Mario Noël Robert Tristan Ulrich

Dépression 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 Culpabilisation 3 3 3 3 3 3 3 3 1 3 3 3 Humiliation 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 Abandon 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 2 Solitude 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 2 2 Dévalorisation 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 Perte confiance en soi 3 3 3 3 3 3 3 3 2 3 3 3 Perte confiance en autrui 3 3 3 3 3 3 3 3 3 2 2 3 optimisme 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 isolement 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3

La lecture des tableaux précédents fait apparaître que la majorité des personnes présente un niveau élevé de déstructuration. Si certaines personnes sont moins touchées que d’autres c’est probablement en raison d’un environnement favorable où elles bénéficient d’un soutien plus marqué. La juxtaposition des tableaux 24 et 25 ci-dessus permet de mette au jour les convergences et les divergences entre les femmes et les hommes quant aux effets de déstructuration qui émanent de leur situation. On observe que le sentiment de dépression, d’humiliation, de dévalorisation et de faible optimisme est fortement présent chez toutes les personne de notre échantillon sans différence de sexe.18 personnes sur 20 éprouvent un fort sentiment de culpabilité alors qu’une femme éprouve une perception moyenne et un homme ne ressent que faiblement ce sentiment.

Ainsi que nous l’avons noté, 20 personnes sur 20 ressentent un fort sentiment d’humiliation. La prédominance de ce sentiment pourrait être de nature à créer un fort déséquilibre qui affecte l’individu. Ce n’est pas une émotion mais une blessure à l'amour-propre, plus spécifiquement un accroc à l’image qu’il veut donner de lui-même. L’humiliation infligée par la situation de handicap et de précarité dans laquelle il se trouve est amplifiée par son absence de réaction. Cette attitude provoque en lui un sentiment de honte et déclenche souvent sa colèreet sa révolte. Se sentir humilié est le signe d’une inaptitude à assumer la situation. Le sentiment d'abandon qu’éprouvent les individus peut être réel ou imaginaire. Pour 16 personnes, 11 hommes ressentent de manière forte le sentiment d’abandon. Il se caractérise par une faible estime de soi, une faible valeur, un manque de confiance en soi associé à un sentiment de honte engendré par la situation. Ils se dévalorisent et ont le sentiment d’être médiocres. Le fait d’être confronté au sentiment d'abandon produit des échecs successifs. Ayant une faible estime d'eux-mêmes et le sentiment d'être médiocre, ils évitent d’entreprendre ou abandonnent les activités en cours, ancrés dans l’idée qu'ils n'y parviendront pas. Ils anticipent l'échec. Cependant, 5 femmes le ressentent moyennement. Ceci peut s’expliquer par une meilleure confiance en elles, une capacité de résistance plus élevée et peut-être aussi d’un soutien plus marqué de leur environnement.

Le sentiment de solitude est généralement défini comme l’état de celui qui n’a plus de repères, qui vit seul de façon momentanée ou durable. Il symbolise l’isolement mais aussi l’abandon et l’exclusion. On peut être seul au milieu de la foule, dans sa famille, au travail. Le sentiment de solitude est un phénomène psychologique fréquemment vécu par la personne en difficulté face aux aléas de la vie. 15 personnes, (5 femmes et 10 hommes), s’estiment fortement

touchées et le traduisent comme un manque, un vide à combler, une souffrance. Cette posture réside dans la non-communication, de non-engagement, de non-accomplissement. Il est subi et semble très lourd à porter car il est générateur de stress et d’angoisse. 5 personnes, 3 femmes et 2 hommes éprouvent ce sentiment de manière moins importante.

Le sentiment de dévalorisation, nous l’avons indiqué, touche 20 personnes sur 20. Celles-ci ressentent fortement ce phénomène fréquent chez les personnes en état de dépression. Elles s’estiment responsables de leur mal-être et se culpabilisent. Dans ces conditions, il leur est parfois difficile de demander une aide extérieure, avec le sentiment que rien ne pourrait changer la situation. Le sentiment de dévalorisation est relié à une cause précise : physique, origines sociales, chômage. Dans tous les cas, la focalisation sur ces éléments principaux engendre un sentiment de malaise. Cette posture dissimule la peur de ne plus être performant face aux exigences de la vie. La dévalorisation se traduit souvent par une peur de ne plus pouvoir s’affirmer professionnellement en raison de l’âge, du handicap, mais aussi d’une longue inactivité et renvoie une image détériorée. Le sentiment de dévalorisation provoque l’isolement, la perte du sentiment d’utilité. Ces manifestations se combinent pour produire des blocages et une sensation d’impuissance. La situation de précarité contribue à l’amplification de cette détresse. Privé de cadre et de repères sociaux, une spirale négative s’enclenche. Certains individus ne savent plus ou ne peuvent plus, compte tenu de ce qu’ils ont eu à subir, se reconnaître comme ayant une place identifiée et reconnue dans le corps social. Ils sont dévalorisés, disqualifiés. L’expérience de la disqualification est particulièrement éprouvante. Ils perdent alors une partie de leurs ressorts, de leurs ressources, de leurs cadres de référence. Fortement affectées par une perte de confiance en soi, pour 14 personnes, (11 hommes et 3 femmes), alors que 6, (5 femmes et 1 homme) le sont moyennement, elles estiment toutes que l’accumulation des difficultés au fil du temps se transforme en un cercle vicieux qui s’installe durablement. Persuadées de ne pas pouvoir y arriver, elles n’osent pas s’exprimer de peur d’être ridicule ou incomprises. Devant cette attitude effacée, l’entourage prend l’habitude d’éviter de questionner. Ce qui peut apparaître comme une manière de ne pas déranger, produit souvent l’effet inverse. Les individus se sentent dévalorisés puisqu’ils ne sont plus sollicités, ils s’estiment ne plus être à la hauteur. La honte, le renfermement sur soi prédominent et le manque de confiance en soi va contribuer à la naissance d’une véritable crise identitaire, il devient alors difficile pour eux d’affronter le quotidien. L’omniprésence de la peur d’échouer amènera les individus à ne plus assumer leurs responsabilités. À force de ne

pas vouloir se mettre en avant, survient la perte de toute opportunité professionnelle. La survenu du handicap et/ou la perte d’emploi sont immédiatement suivies d’effets néfastes tels que la perte financière, la perte du statut, de l’utilité sociale, l’isolement, le manque de reconnaissance et d’intégration symbolisent la brutalité de l’échec. Il en résulte souvent un sentiment profond de n’être plus rien, qui se traduit par un discours intérieur destructeur. C'est un blocage qui empêche d'agir, et donne des pensées noires et dévalorisantes.

6 personnes, (4 femmes et 2 hommes), se disent moyennement touchés par la perte de confiance en autrui alors que 14 personnes, (10 hommes et 4 femmes), estiment qu’elles le sont fortement. A cet effet elles éprouvent un manque de confiance et demeurent méfiantes, soupçonneuses envers les autres qui, selon elles, développent des intentions hostiles à leur égard. Elles s’attendent à ce que les autres les exploitent, leur nuisent ou les trompent. Plus préoccupées par des doutes injustifiés concernant la loyauté ou la fidélité de leur environnement, elles évitent de se confier à autrui par crainte injustifiée de diffusion de l’information donnée. Elles perçoivent des attaques contre elles et réagissent par des contre-attaques ou colère. Elles se sentent souvent blessées, insultées, dédaignées et gardent rancune. Confrontées à des problèmes qui parfois les dépassent, 20 personnes sur 20 sont faiblement optimistes et par opposition fortement pessimistes. L’optimisme résulte d’un état d’esprit qui permet de percevoir les choses de manière positive. Voir le bon côté des choses, penser du bien des gens, considérer que des événements, même désagréables, prendront quoi qu’il arrive une tournure positive en fin de compte dans la mesure où l’on trouve toujours une solution aux problèmes. Elles sont à l’opposé de cette vision et estiment que leur avenir est fortement compromis.

Le sentiment d’isolement pose quant à lui, de réels problèmes tant affectifs que matériels, ainsi 2 femmes éprouvent un sentiment moyen d’isolement alors 18 personnes, (12 hommes et 6 femmes), sont fortement affectées par ce même sentiment. On peut parler d’isolement social car celui-ci affecte davantage les personnes socio-économiquement faibles et agit alors de façon déprimante sur le moral. Ainsi, l’isolement social n’agit pas tout seul, mais, combiné à la personnalité ou à l’état psychophysiologique, il aboutit à un processus de désengagement de la personne vieillissante face au système social. De surcroit, les personnes privées d’emploi en situation de handicap subissent de manière plus marquée le poids de ce phénomène. La communication et l’échange s’avèrent être de précieux remèdes contre la solitude. Affaiblies par les difficultés relatives à leur condition elles ne sont plus en mesure de

se motiver et d’avoir suffisamment confiance en elles pour entreprendre de nouveaux projets, pour éviter la dépendance et sortir de l’isolement.

De ces données il en ressort que l’ensemble des personnes handicapées en situation de chômage de notre échantillon d’enquête a été victime d’une forte dépression soit immédiatement après la perte de l’emploi soit plus tard. Aucun individu n’a échappé au phénomène. Selon les personnes interrogées, la dépression se caractérise par l’installation progressive d’un mal être. Celui-ci se met en place insidieusement et se traduit par le déclenchement de périodes de tristesse qui deviennent de plus en plus longue au fil des jours, elles succèdent à un état de morosité, elles imprègnent la perception du présent, du passé et du futur, elles engendrent une incapacité à éprouver du plaisir. L’environnement paraît vide, rien ne peut avoir assez d'intérêt pour atténuer cette situation pénible, l'avenir n'est plus porteur d'espoir, ennui, monotonie mais aussi douleur morale caractérisent également cette tristesse. Elle est souvent associée à l’irritabilité, la colère, parfois l’agressivité l’impression d’être complètement perdu, abandonné, seul, qu’il n’y a pas d’issue, pas de solution aux problèmes mais aussi des idées suicidaires tant l'avenir paraît sans espoir. Les discours dépeignent l’image de personnes déprimées qui semblent subir une vraie douleur morale qui engendre une profonde souffrance, des difficultés à se concentrer ou de fatigabilité gênante. Le jugement et le raisonnement sont altérés, l'anxiété et le pessimisme persistent.

Il en ressort finalement que les seniors handicapés privés d’emploi sont victimes d’une déstructuration profonde qui les fragilise tant sur le plan psychologique que sur le plan physique. La dégradation de l’état de l’individu amplifie son « inemployabilité » et va de surcroit réduire ses capacités de réinsertion. Dans ces conditions la personne préoccupée par un problème de handicap et celui du chômage n’est plus « opérationnelle » ou ne peut plus être économiquement disponible, il sera irrémédiablement poussé vers l’exclusion socioprofessionnelle. Nous pouvons ici citer MEDA (2010, p. 19) qui évoque le fait « que des hommes soient privés de la possibilité d’exprimer librement et pleinement leurs capacités et d’exercer l’activité essentielle qui les fait hommes ».