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II. Missions jésuites et querelle des rites malabars

2. Alessandro Valignano et Matteo Ricci, les précurseurs de l’enfouissement

sur les méthodes d’évangélisation qui suivront, mais la corrélation est tentante : en entrant réellement dans une dynamique d’abaissement de soi (qui donnera au XXe siècle des théologies de

l’enfouissement chez un René Voillaume – inspiré de Charles de Foucauld – ou d’un Jacques Loew), les générations suivantes de jésuites n’ont-elles pas ouvert la voie à une sérieuse écoute de la culture de l’autre et à la renonciation d’une forme d’impérialisme propre aux missions colonisatrices ? C’est en tous les cas ce que les travaux des jésuites qui succéderont à Xavier – les

40 « Au reste, quoi que vous fassiez, quelle occupation que vous ayez, travaillez de toutes vos forces à vous vaincre, à dompter vos passions ; embrassez ce que vos sens répugnent le plus ; étouffez surtout ce désir inné de la gloire, de la louange ; ne vous accordez à vous-même aucun repos que vous n’ayez arraché l’orgueil de votre cœur jusqu’à la dernière racine, jusqu’à ce que vous supportiez sans peine le peu de cas qu’on fera de vous, et bien plus encore que vous vous réjouissiez du mépris qu’on affectera à votre égard. Car, tenez pour certain, que sans cette profonde humilité, sans cet empire sur les affections déréglées, vous ne pouvez ni servir les autres, ni plaire à Dieu, ni enfin demeurer dans la Compagnie de Jésus » (Lettre LXXXIII, 1549, §5 – Xavier 1828, 129).

41 Et l’apôtre de poursuivre : « Prenez garde à vous, mes très chers Frères ; les flammes de l’enfer dévorent en ce moment beaucoup de grands prédicateurs qui, par leurs discours, ont ouvert à plusieurs les portes du ciel, mais qui, enivrés d’une fausse opinion d’eux-mêmes, et dépourvus d’une véritable humilité et d’une aveugle soumission d’esprit, se sont en même temps creusé un abyme [sic] au milieu des flammes éternelles ; et l’on n’y rencontrera pas un de ceux qui ont profité des misères de cette vie pour se munir d’une réelle et sincère humilité » (ibid., 144).

jésuites Alessandro Valignano (1539-1606), Matteo Ricci (1552-1610) et Roberto de Nobili (1577- 1656), entre autres42 –, suggèrent, selon William Burrows (1996) et Andrew Ross (1999), qui

regrettent l’absence de ces figures dans les analyses de Bosch. Car ce qui s’est produit pendant ce premier siècle d’évangélisation des jésuites rejoint la « courageuse humilité » (ou « l’humble audace ») que propose Bosch comme voie pour la mission et le dialogue (Bosch 1991, 483-89). Dans le paragraphe final de sa discussion sur ce sujet, resté fameux pour ce qu’il condense43, Bosch

affirme en effet :

Such language boils down to an admission that we do not have all the answers and are prepared to live within the framework of penultimate knowledge, that we regard our involvement in dialogue and mission as an adventure, are prepared to take risks, and are anticipating surprises as the Spirit guides us into fuller understanding. This is not opting for agnosticism, but for humility. It is however, a bold humility – or a humble boldness. We know

only in part, but we do know. And we believe that the faith we profess is both true and just, and should be proclaimed. We do this, however, not as judges or lawyers, but as witnesses; not as soldiers, but as envoys of peace; not as high-pressure salespersons, but as ambassadors of the Servant Lord (ibid., 489 – je souligne).

Cette approche appelle, pour Burrows, un « septième » paradigme désigné sous l’expression « radical inculturation » et qui n’a pas été relevé par Bosch dans sa monographie. Selon Burrows, les travaux de ces missionnaires préfiguraient déjà une théologie de la mission propre à la seconde moitié du XXe siècle, où l’action de l’Esprit ne peut être réduite aux activités

ecclésiastiques. Au contraire, note-t-il, « ‘Spirit’ functions biblically as a name that moves beyond and disrupts attempts to define Jesus or mission in straightforward language. ‘Spirit’ injects an uncontrollable, effervescent element into the structure of Christian existence – a dimension scarcely explored by theology » (Burrows 1996, 128).

Pour Ross, Valignano reste une figure incontournable pour comprendre la radicalité désormais envisagée des moyens employés pour la mission. Envoyé au Japon pour poursuivre le travail initié par Xavier, il écrivit dès la fin du XVIe siècle différents guides tels Sumario de las cosas de Japón

(1583) qui sera suivi par les Adiciones del Sumario de Japón (1592), qui visèrent à élaborer une forme d’évangélisation qui soit débarrassée de tout impérialisme et innove en s’accommodant de la culture dans laquelle l’Église s’implante : « Instead of young Japanese recruits to the Society having to accommodate to European ways, the whole style of the mission and the churches that were growing up around it were to be Japanese. The architecture, clothing, diet, habits of bathing, and social etiquette were Japanese. Indeed, even the organization of the Society was modified to a

42 On devrait aussi évoquer les travaux de José de Acosta (1540-1600) qui écrivit pour des régions du Pérou et de la Bolivie actuelle un traité comparable sur « les Indiens » : De Procuranda indorum salute (1588). À partir du XVIIe siècle, différentes réductions jésuites d’Amérique latine furent également construites sur des bases semblables d’adaptation culturelle au milieu.

43 C’est à partir de ce paragraphe que le titre du livre Mission in Bold Humility: David Bosch’s Work Considered (1996) dirigé par Willem A. Saayman et Klippies Kritzingerpour honorer l’œuvre de Bosch fut trouvé.

degree » (Ross 1999, 509). C’est Valignano, ajoute Ross, qui autorisa d’abord un autre jésuite prédécesseur de Ricci en Chine, Michele Ruggieri (1543-1607), à s’habiller en moine bouddhiste, et encouragea ensuite Ricci à étudier le mandarin et à traduire Confucius et Mencius en latin, tout en lui permettant de s’habiller comme un « lettré », à la manière des confucéens : « Without Valignano there would have been no Ricci » conclut l’auteur (ibid., 510). De fait, ajoute encore Derek Massarella : « Valignano argued that accommodation needed to be a two-way traffic. (…) [He] did not suggest that European manners and customs (culture, as opposed to the revealed Christian religion), were superior to those of the Japanese, an assertion he refuted in the Sumario… » (Massarella 2000, 238). Or, reconnaît Ross, Valignano « did not believe that the radical policy of inculturation in Japan and China could be applied in what he considered inferior areas of Africa, India and southeast Asia » (Ross 1999, 511), jusqu’à ce que Roberto de Nobili en Inde et Alexandre de Rhodes au Vietnam (1591-1660) « showed that in this the great man was wrong » (ibid.).