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2. CADRE THEORIQUE

2.1. Théorie didactique

2.1.3. Action professorale et analyse des processus d’apprentissage

a) Modèle de l’action du professeur

Grâce à ces différents concepts, Sensevy (2001) a pu développer un modèle de l’action du professeur, à l’origine établi à partir de situations particulières en mathématique, pouvant être transposé à différentes situations de travail. Dans ce modèle, il propose plusieurs niveaux de description relatifs aux structures fondamentales de l’action professorale, aux grands types de tâches d’enseignement ainsi qu’aux diverses classes de gestes techniques et d’action. C’est grâce à cette modélisation qu’il est possible d’analyser des situations didactiques en parvenant à décrire l’action de l’enseignant selon des catégories spécifiques et de comprendre les processus liés à l’enseignement-apprentissage. Ce modèle se base sur le postulat que l’action du professeur est fondamentalement relationnelle. Sensevy déclare que « le processus d’enseignement apprentissage est ainsi un lieu essentiel de communication ». C’est donc à la spécificité de cette communication qu’il a pensé en élaborant ce modèle car « il reconnaît la place essentielle qui doit être accordée aux savoirs comme objets transactionnels fondamentaux de la relation didactique » (p.214). Le modèle est décrit à travers les jeux d’apprentissage abordés dans le paragraphe suivant.

b) Les jeux d’apprentissage

Les différents jeux qui se succèdent sont des jeux d’apprentissage, dans le sens ou chaque nouveau jeu est produit dans le but de faire avancer les apprentissages. Un nouveau jeu est défini par un nouvel enjeu de savoir. Pour le décrire, il faudra donc redéfinir un nouveau milieu et un nouveau contrat. Lorsque l’enseignant change de jeu, il doit le définir et le dévoluer. Selon Brousseau (1998), « le jeu du maître dans chaque système d’action concret,

définit et donne sens au jeu de l’élève et à la connaissance » (p.91). De plus, pour lui, le maître a deux jeux principaux à sa disposition : la dévolution et l’institutionnalisation. Ces deux étapes font partie d’un « quadruplet » décrit par Sensevy qui permet de caractériser ces jeux : définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser. Il s’agit de quatre éléments structuraux de l’action dans la relation didactique, qui constituent la grammaire des jeux et qui permettent d’être attentif aux modalités de construction du savoir dans la classe. Ces dimensions de l’enseignement-apprentissage sont nécessaires au maintien de la relation didactique unissant le professeur, les élèves et le savoir et sont fondamentales dans l’analyse du travail professoral. Sensevy (2001, p.215) les définit plus précisément de la manière suivante :

Définir désignera ce que le professeur fait pour que les élèves sachent précisément à quel jeu ils doivent jouer ;

Réguler désignera ce que le professeur fait en vue d’obtenir, de la part des élèves, une stratégie gagnante ;

Dévoluer désignera ce que le professeur fait pour que les élèves prennent la responsabilité de leur travail. Sensevy ajoute que « la dévolution est le processus par lequel le professeur confie, pour un temps, la responsabilité de leur apprentissage » (p.

211). Dans ce cas, l’enseignant ne transmet pas directement les connaissances à l’élève ;

Institutionnaliser désignera ce que le professeur fait pour que tel ou tel comportement, telle ou telle assertion, ou telle ou telle connaissance, soient considérés comme légitimes, vrais, et attendus, dans l’institutions. Brousseau (1998) ajoute que l’institutionnalisation est une forme de double reconnaissance dans durant laquelle

« l’élève prend en compte la connaissance et le maître prend en compte l’acquisition de l’élève » (p.311).

Cette première structure vient soutenir une autre triple dimension importante dans la description de la manière dont le professeur construit ce jeu conjointement avec ses élèves. Il faut également considérer « la production des lieux du professeur et des élèves (topogénèse), la production des temps de l’enseignement et de l’apprentissage (chronogénèse) et la production des objets des milieux des situations et l’organisation des rapports à ces objets (mésogénèse) » (Sensevy, 2001, p.215). Sensevy a définit plus précisément ces trois éléments structurant l’analyse de l’action du professeur :

On nomme chronogénèse la disposition du savoir sur l’axe du temps (temps didactique). « Le jeu didactique se caractérise avant tout par le fait que son contenu se modifie incessamment.

Ce qui donne forme à cette modification c’est le fait que le savoir soit disposé sur l’axe du temps [...]. Tout enseignement se conçoit ainsi comme une progression [...] » (p.30).

« Enseigner consiste donc à parcourir avec les élèves une séquence, une suite orientée d’objets de savoir » (Sensevy, 2001, p.209).

A chaque moment du temps didactique, l’enseignant et les élèves occupent un lieu précis, un topos. La topogénèse permet de « [...] décrire le partage des responsabilités dans les

transactions didactiques » (Sensevy, 2007, p.31). Elle permet d’identifier certains types de tâches qui sont spécifiques à la position occupée par l’élève et l’enseignant à un moment précis. La topogénèse et la chronogénèse sont très liées et permettent de comprendre la communication spécifique dans la relation didactique, en déterminant les contraintes qui agissent sur ces interactions.

Enfin, comme nous l’avons déjà relevé, le travail principal de l’enseignant consiste à aménager le milieu dont les élèves auront besoin pour progresser. La mésogénèse permet de décrire la manière dont l’enseignant modifie le milieu pour que les élèves apprennent. Elle

« [...] répond à l’élaboration d’un système commun de significations entre le professeur et les élèves, système dans lequel les transactions didactiques trouvent leur sens » (p.30). Dans cette reconstruction continuelle d’un milieu pour les élèves, l’enseignant devra également s’adapter aux différentes contraintes générées par les nécessités topogénétiques et chronogénétiques.

c) Autres perspectives

Toujours dans la perspective d’une analyse didactique de l’action conjointe de l’enseignant et de l’élève, l’article de Loquet, Roncin et Roessle (2007) intitulé L’action conjointe dans le système didactique en activités physique, sportive et artistiques (APSA) : les formes non verbales de communication didactiques […] traite de la transmission des savoirs en APSA qui peut revêtir des formes diverses, « allant de l’enseignement scolaire qui dispense des savoirs ordonnés, à des formes de "non-enseignement" où ce qui s’apprend n’est pas transmis officiellement et s’acquiert par familiarisation ou imprégnation à travers la pratique de l’APSA » (p.123). Dans cet article, les auteurs prétendent que les modèles de la didactique actuelle devraient être adaptés et revus par rapport à certaines disciplines comme notamment l’éducation physique ou les activités artistiques (la musique ou les arts plastiques). Selon eux, il est difficile de comparer la didactique de l’APSA avec une autre didactique car celle-ci fonctionne avec des outils propres et pas seulement avec les outils d’intervention présents ailleurs (préparation de séances, progression d’exercices, objectifs et modalité d’évaluation) pour mieux transmettre tel ou tel savoir en APSA (p.124). « Pour le professeur, conduire effectivement une leçon d’EPS ou une séance d’animation sportive représente une expérience aux multiples facettes vécues comme fort peu homogènes, et qui semblent selon le moment ou l’ambiance de la classe, porteurs de nombreuses qualités ou au contraire de multiples dangers » (p.124). Si nous reprenons cette citation en remplaçant l’éducation physique par la pratique chorale, le professeur qui dirige une chorale ne sait pas comment sa leçon va évoluer et comment les élèves pourront progresser. Cela n’est donc finalement pas si différent d’une discipline à l’autre et on rejoint alors le concept d’incertitude de Chatel (2001) relevé plus haut.

Les auteurs ont mené des recherches qui se « […] centrent sur le thème des liens sociaux que nouent les acteurs en situation. Ce thème est essentiel car sans liens sociaux, il n’y aurait pas de culture humaine ni de transmission culturelle. Ainsi notre étude s’intéresse à l’intervenant en APSA, à ses gestes de régulation et à leur sens émergeant au cœur de l’interaction réelle avec les apprenants » (p.126). Pour eux, la régulation passe essentiellement à travers les gestes de l’enseignant car en éducation physique ou en art : « les objets de savoirs sont faiblement délimités par l’institution : le mode de transmission passe nécessairement par le faire, souvent de manière diffuse et diluée. Il comporte de fait une large part d’incertitude et de pragmatisme difficilement évaluable a priori. Le chercheur didacticien ne peut donc annoncer, en amont de la réalisation effective, les effets qui vont êtres produits. Il est tenu d’observer les situations à partir des interactions concrètes et d’en découvrir les effets réels après coup » (p.129). Ces recherches sont réalisées à partir d’observation de situations ordinaires. Elles s’intéressent à « l’ingéniosité pratique » (p.129) dont font preuve les intervenants. Selon eux, « cette ingéniosité de l’instant permet d’entraîner, voire d’intégrer l’élève dans leur propre démarche » (p.141). En chant, les gestes du chef de chœur permettent aux élèves d’accéder à leur production et de réguler leur action. De plus, ces auteurs accordent une attention particulière aux actions verbales mais aussi non-verbales et proxémiques (p.129). Il s’agit ici d’être attentif à des dimensions qui sont importantes car omniprésentes dans l’enseignement de ces disciplines et qui ne doivent pas être omises lors de l’analyse de l’action de l’enseignant.

Les auteurs nous proposent alors une hypothèse de départ selon laquelle « une gamme étendue de techniques relationnelles caractérise l’action enseignante en APSA ». Les enseignants disposent de différents instruments verbaux ou non verbaux afin d’agir sur la topogénèse, la mésogénèse et la chronogénèse. Ils considèrent que « parmi celles-ci, les modalités non-verbales sont inhérentes à l’activité de régulation » (p.131). Selon eux, les gestes, regards, mimiques ne sont utilisés par les enseignant qu’en vue de réguler les apprentissages des élèves et ne seraient pas mis en cause dans les autres dimensions essentielles structurant l’action de l’enseignant qui sont : définir /dévoluer/ institutionnaliser.

Pour les auteurs, il serait intéressant de réajuster, de réaffiner les outils théoriques et méthodologiques qui ont déjà été mis au point pour l’analyse du fonctionnement scolaire (milieu didactique traditionnel). L’enseignement de la musique ou de l’EPS fait preuve d’un fonctionnement particulier, dans lequel on retrouve des similitudes mais aussi beaucoup de différences avec les disciplines « traditionnelles ». Loquet & al. souhaiteraient « donner à la gestualité didactique une reconnaissance culturelle et un statu d’objet de formation professionnelle dans les métiers du didactique en APSA » (p.131).

Pour terminer, les auteurs décrivent l’action du professeur dans le cadre des disciplines artistiques et sportives à travers « La métaphore orchestrale ». Cette illustration leur « […]

paraît plus adéquate pour caractériser l’action de l’intervenant vue comme un processus profondément interactif utilisant différents instruments de communication (verbaux, sensoriels, proxémiques…). […] Chaque épisode étudié peut être décrit comme un moment d’interaction avec les élèves avec qui se joue une mélodie spécifique, activée parmi l’ensemble des possibilités mélodiques qu’un intervenant d’APSA pourrait jouer » (p.141). Ils

émettent cependant un légère réserve et ajoutent que « toutefois, contrairement à la dynamique orchestrale, les régulations mésogénétiques ne suivent pas une partition totalement explicite, formulable, basée sur un contenu stable. Nous observons que dans les deux cas, elle renvoie à une communication-en-train-de-se-faire, en partie, impensée et inventée dans le moment où elle s’accomplit au chaud de l’action elle-même » (p.141). Cette métaphore est utilisée pour expliquer qu’un intervenant en APSA doit agir comme un chef d’orchestre. Or, un chef de chœur est en quelque sorte un chef d’orchestre. Ses gestes sont induits par la partition sur laquelle il se base, mais il en fait une interprétation personnelle selon une ingéniosité qui lui est propre. Car la façon qu’il aura de transmettre ce qu’il a interprété de la partition, les gestes qu’il utilisera ne sont pas inscrits sur cette partition.