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Évaluation de l’efficacité des transferts de connaissances 93


1.4 T RANSFERT DE CONNAISSANCES AU SEIN DES EM 38

1.4.6 Évaluation de l’efficacité des transferts de connaissances 93


La dernière étape du processus de transfert de connaissances consiste à en évaluer les résultats ou l’efficacité. D’entrée de jeu, notons que, malgré l’importance de la problématique, l’évaluation de l’efficacité des transferts demeure un aspect nettement sous-exploré, comparativement aux autres dimensions du processus. Le concept même d’efficacité n’est pas, dans un contexte de transfert de connaissance, clairement défini dans les écrits. La grande majorité des recherches théoriques et empiriques portent plutôt sur l’évaluation de l’efficacité des transferts de technologie entre unités d’une même entreprise (Rogers, 1982; Zander et Kogut, 1995 ; Cummings et Teng, 2003). Les recherches portant spécifiquement sur le transfert de pratiques organisationnelles sont, à quelques exceptions près (Kostova et Roth, 2002), de nature théorique ; de plus, leurs auteurs ont tendance à appliquer les mêmes méthodes d’évaluation, qu’il s’agisse de l’un ou l’autre de ces deux types de transferts. Les méthodes d’évaluation de transferts des connaissances identifiées dans les écrits peuvent être regroupées en deux grandes catégories : d’une part, les méthodes axées sur le contenu des transferts et, d’autre part, celles axées sur les modalités du processus menant aux transferts. Nous présentons chacune des méthodes dans les sections suivantes.

1.4.6.1 Évaluation du contenu des transferts de connaissances

De façon générale, les méthodes d’évaluation du contenu des transferts cherchent à mesurer le degré de ressemblance existant entre les connaissances originales et celles reproduites dans l’unité destinatrice. Comme le notent Davenport et Prusak (1998), un transfert efficace suppose la transmission, la réception et l’utilisation des connaissances par le destinataire. Autrement dit, le niveau d’efficacité d’un transfert est exprimé par le degré de ressemblance existant entre les connaissances de l’unité source et celles de l’unité destinatrice (Rozenzweig et Nohria, 1994 ; Bjorkman et Lu, 2001). En ce sens, plusieurs termes sont utilisés par les chercheurs, tels que, par exemple, imitation, implémentation, intégration, adaptation, etc. pour exprimer ce degré de ressemblance (Smale et al., 2005).

La méthode d’évaluation du contenu semblant « monopoliser » notre champ d’études s’inspire de la théorie institutionnelle (Zander et Kogut, 1995 ; Kostova, 1999 ; Kostova et Roth, 2002 ; Cumming et Teng, 2003). Tolbert et Zucker (1996) proposent le concept d’institutionnalisation afin de déterminer le degré d’appropriation des nouvelles connaissances par le destinataire. Ces auteurs distinguent trois étapes se succédant lors de l’introduction de nouvelles connaissances. L’étape de la pré-institutionnalisation est caractérisée par l’habituation, étape pendant laquelle l’organisation adopte des politiques et des règles formelles relativement à des structures et des méthodes visant à résoudre certains problèmes spécifiques. Ensuite vient l’étape de semi- institutionnalisation, laquelle se caractérise par l’objectivation, phénomène consistant à obtenir, parmi les décideurs organisationnels, un consensus relativement à la valeur des structures et des méthodes ainsi adoptées. Enfin, l’étape de l’institutionnalisation complète est caractérisée par la sédimentation, laquelle survient quand, d’une part, la pratique en question est acceptée par l’ensemble de l’organisation et, d’autre part, lorsque que la survie de cette pratique est assurée pour les générations d’employés à venir.

En s’appuyant sur les travaux de Tolbert et Zucker, Kostova (1999) propose une approche, pour transférer les connaissances et les pratiques organisationnelles, un peu plus nuancée. Tout en restant fidèle à la perspective institutionnaliste, cette auteure propose de distinguer deux étapes survenant lors du transfert de nouvelles connaissances. Premièrement, l’étape de la mise en œuvre des connaissances reflète le degré auquel l’unité destinatrice se conforme aux règles formellement prescrites par les pratiques organisationnelles ou technologies transférées. Dans un second temps, l’étape de l’internalisation est caractérisée par la fusion entre les connaissances transférées et les valeurs organisationnelles de l’unité destinatrice. Lors de cette étape, les connaissances en question prennent un sens symbolique et sont acceptées et approuvées par l’ensemble des employés de l’unité destinatrice. Selon l’approche institutionnaliste, la fusion de la pratique et des valeurs organisationnelles est constatée dès que l’application de la pratique en question devient « naturelle » ou prise pour acquis (taken for granted). La fréquence à laquelle la pratique est utilisée sert d’indicateur du degré

d’implantation. En ce qui la concerne, l’internalisation se mesure selon les trois variables suivantes. Premièrement, l’engagement envers la nouvelle pratique (practice commitment) se développe dans la mesure où les utilisateurs voient l’utilité et la valeur des connaissances transférées, développent les compétences permettant d’utiliser ces connaissances et fournissent un effort supplémentaire pour utiliser, dans leur travail, les nouvelles connaissances (Mowday et al., 1979, cité dans Kostova). En deuxième lieu, la satisfaction à l’égard de la pratique (practice satisfaction) permet de réduire le stress et la résistance au changement induits par l’utilisation, au travail, de nouvelles connaissances pratiques. Finalement, l’appropriation psychologique de la pratique (psychological ownership of a practice) se caractérise par la possibilité d’user des connaissances transférées de façon « discrétionnaire », c’est-à-dire en fonction du style ou des idées personnelles de l’utilisateur.

En plus de ces mesures de nature « perceptuelle », Argote et Ingram (2000) proposent des mesures de nature « quantitative » pour évaluer l’efficacité d’un transfert de connaissances. Les auteurs proposent ainsi deux approches afin d’évaluer le contenu ou, plutôt, la quantité de connaissances possédées par une organisation. La première approche consiste à évaluer les changements au niveau des « stocks » de connaissances; la deuxième approche se fonde plutôt sur une mesure de la performance de l’unité destinatrice. La performance, dans ce dernier cas, est évaluée selon des variations observables aux niveaux de la productivité ou des résultats financiers de l’entreprise. Selon Argote et Ingram (2000), cette deuxième approche est beaucoup plus précise et objective puisqu’il est difficile d’évaluer la variation des stocks de connaissances en raison de la nature tacite de ces dernières. Il est à noter que même si, dans ce cas, ces auteurs semblent insister sur l’évaluation du contenu des transferts, leur démarche, à notre avis, relève plutôt de l’évaluation des différents paramètres du processus.

1.4.6.2 Évaluation du processus de transfert de connaissances

Parmi les méthodes axées sur l’évaluation du processus de transfert de connaissances, les écrits mentionnent deux facteurs essentiels : les coûts et les délais propres aux transferts. Selon Teece (1977), les coûts de transfert représentent toute dépense liée à

l’une ou l’autre des multiples activités faisant partie du processus de transfert ; par exemple, l’investissement dans le développement d’outils de RH, les coûts associés à de la formation donnée au siège social ou bien dans les filiales ainsi que les salaires payés aux expatriés chargés d’assurer la coordination et le transfert de connaissances au sein des filiales (Smale, 2008). Une fois proposée l’idée de comptabiliser les coûts de transfert, est-il possible de dire si un transfert « coûteux » est plus ou moins efficace qu’un transfert « moins coûteux »? À notre avis, cette approche mesure davantage le respect des engagements budgétaires de l’entreprise que l’efficacité des transferts.

La méthode d’évaluation relative aux délais de transfert provient, quant à elle, de travaux portant sur le transfert de technologies et fait référence à la vitesse à laquelle se produisent les transferts ainsi qu’au respect des échéances prévues pour ce faire (Zander et Kogut, 1995 ; Cummings et Teng, 2003). Comme le notent certains auteurs, le problème lié à cette méthode d’évaluation réside dans la difficulté à identifier le moment du « fait accompli », i.e. le moment à partir duquel on peut considérer les connaissances comme étant transférées. Ainsi, si le recours à cette méthode apparaît légitime lors de transfert de technologies (i.e. le déplacement géographique d’outils et de manuels), cette méthode risque de manquer de précision lorsqu’il s’agit de transfert de connaissances tacites, lesquelles sont difficiles à observer.

Une autre méthode d’évaluation du processus de transfert mesure le degré de précision avec lequel les connaissances faisant l’objet du transfert sont recréées au sein de l’unité destinatrice. Comme l’indiquent Cummings et Teng (2003), le succès du transfert est, dans ce cas, mesuré par la maîtrise, par l’unité destinatrice, des processus de production, des outils ou encore du design organisationnel nouveaux. Le problème avec cette approche réside dans le fait que les connaissances sont dispersées à travers les structures, les outils et les compétences des individus. Pour certains auteurs, la combinaison de ces trois facteurs constitue une connaissance en soi et il est presque impossible d’isoler un de ces éléments lors du processus de transfert (Spender et Grant, 1996). Les recherches montrent également que les connaissances transférées sont, souvent, d’abord décontextualisées pour pouvoir être adaptées ensuite à un nouveau

contexte, auquel cas il devient difficile d’identifier de façon précise la nature des connaissances originales transférées de la source.

Notre revue des écrits portant sur l’évaluation de l’efficacité des transferts de connaissances montre qu’il s’agit de la dimension la moins explorée de ce processus. En fait, nous avons identifié très peu d’études portant explicitement sur cette problématique (Cumming et Teng, 2003; Kostova, 1999). La majorité des recherches portent sur les facteurs qui nuisent au transfert, sans préciser ce qui constitue un transfert de connaissances efficace. À quelques exceptions près, il s’agit d’études proposant des modèles conceptuels. Nous n’avons pas identifié d’études empiriques présentant des critères permettant d’ « opérationnaliser » le concept d’efficacité. Enfin, en raison du caractère, à la fois tacite et explicite, des connaissances associées à la GRH, les méthodes d’évaluation axées sur le contenu des transferts nous semblent plus pertinentes, car le transfert de connaissances tacites est un processus impliquant, entre autres, des modifications comportementales et méthodologiques, des domaines où le changement instantané nous apparaît peu probable. En ce sens, les méthodes qui s’inspirent de l’approche institutionnelle permettent d’évaluer le niveau ou le degré d’appropriation des connaissances transférées.

CHAPITRE 2 :

CADRE THÉORIQUE

Comme nous avons pu le constater suite à notre revue des écrits, le nombre important de publications scientifiques et professionnelles portant sur la gestion des connaissances et, plus spécifiquement, sur le transfert de connaissances organisationnelles dans un contexte international, témoigne du très grand intérêt existant, à l’heure actuelle, à l’égard de cette problématique. Malgré l’hétérogénéité de ce champ de recherche, certains aspects théoriques semblent être partagés par la majorité des chercheurs s’intéressant à cette problématique. Dans le présent chapitre, nous situons d’abord notre travail par rapport aux débats théoriques actuels puis nous présentons le cadre théorique de notre recherche. Nous commençons par faire un sommaire des courants de recherche traitant de la problématique étudiée ici. Par la suite, nous identifions certaines lacunes au niveau des recherches existantes, lacunes justifiant la pertinence de notre propre problématique de recherche. Enfin, nous présentons les objectifs et le cadre théorique de notre recherche, en précisant la question de recherche ainsi qu’en définissant, d’une part, les variables du modèle conceptuel proposé et, d’autre part, les propositions de recherche, lesquelles sont fondées sur les liens que nous anticipons découvrir entre les diverses variables dudit modèle.