• Aucun résultat trouvé

D ÉCONSTRUIRE LA VULNÉRABILITÉ DES FEMMES D ’A FRIQUE S UBSAHARIENNE

Au-delà de justifications épidémiologiques, des considérations d’ordre sociologique permettent d’expliquer la féminisation particulière des associations de personnes d’Afrique Subsaharienne engagées dans la lutte contre le VIH.

Une abondante littérature africaniste et des pays des Suds pointe la dimension sexuée des dispositifs de lutte contre le VIH/sida et les ressources qui s'offrent paradoxalement aux femmes pour gérer leur vulnérabilité à l'épidémie et celle de leur famille (Bila, 2011 ; Sow, 2013). B.Bila (2011), dans une recherche réalisée au Burkina Faso au sein de lieux de prise en charge des personnes vivant avec le VIH, justifie l'importance de la présence et de la participation féminines ainsi que la moindre fréquentation des hommes de ces espaces par le rôle de « soignante familiale » (Cresson, 1991; Saillant, 1999) traditionnellement assigné aux femmes, dans les pays européens comme dans les pays d'Afrique. Le rapport à la santé apparaît comme un produit des représentations, des normes et des valeurs liées au genre. Les femmes ont, en tous lieux et de tout temps, été les principales productrices de soins dans les sphères professionnelles comme domestiques. Ces dernières apparaissent dans l'ensemble de ces

travaux africanistes comme majoritaires sur les différents lieux de prise en charge hospitalière (Desclaux & Desgrées du Loû, 2006; Desgrées du Loû et al., 2009; Hejoaka, 2009; Le Cœur, Collins, Pannetier, & Lelièvre, 2009) et associative (Bell, 2005; Bila, 2011; Bila & Egrot, 2009; de Souza, 2010; Liamputtong, Haritavorn, & Kiatying-Angsulee, 2009; Lyttleton, 2004). Ce phénomène s'explique par un ensemble de déterminants socioculturels qui rendent ces lieux favorables aux femmes. Selon B.Bila (2011), les rôles traditionnels de soignantes familiales dévolues aux femmes dans l'ensemble des pays du monde (Cresson, 1991; Saillant, 1999) leur permettent de développer une expertise face à la maladie sur laquelle les soignant-e-s vont pouvoir s'appuyer. On note en effet la manière dont les femmes vont globalement se poser comme le relai des institutions de santé (et gouvernementales), gérant la prévention dans le couple et auprès des enfants tout comme la prise en charge socio-thérapeutique de l'ensemble des membres de la famille. Des travaux sur le milieu associatif en Afrique montrent par ailleurs comment ces espaces fortement féminisés sont devenus des espaces mandatés par les firmes pharmaceutiques et par les gouvernements pour distribuer et choisir les bénéficiaires des traitements antirétroviraux dans un contexte de ressources limitées (Bila, 2011; Nguyen, 2010).Intéressons-nous à présent aux femmes d’Afrique Subsaharienne résidant en France. Malgré une différence de contexte, l’histoire des rapports sociaux de genre permet en partie d'expliquer la sur-visibilité des femmes d’Afrique Subsaharienne au sein des associations d’immigrant-e-s16 de lutte contre le VIH/sida en France. Si l'on se détache momentanément du VIH/sida et que l'on observe l'histoire de la mobilisation associative de ces femmes, un constat similaire peut être établi. Quelle que soit la période considérée, les femmes de l'immigration apparaissent en France comme des actrices dynamiques des différents domaines de la vie sociale, économique et politique (Catarino & Morokvasic, 2005; Miranda, Ouali, & Kergoat, 2011; Morokvasic, 2011; Veith, 2005). Un numéro spécial de la revue Migrance (Oubechou & Clément, 2014) dédié aux femmes de l'immigration, des XIXème et XXème siècle en France, propose en ce sens une série d'articles « déconstruisant le mythe de la passivité des femmes en migration », contribuant à « sortir les femmes immigrées de la double invisibilité (femmes et immigrées) dans laquelle la recherche historique les confinait jusqu’alors, et à leur rendre leur pleine place dans l’histoire commune ». L'activité associative des immigrantes est à ce titre particulièrement mise en évidence. Une série de recherches sociologiques réalisées au début des années 1990 vient également pointer la richesse de la vie associative des femmes de l'immigration et le rôle d'interface qu'elles ont historiquement joué entre les populations

immigrantes et les institutions françaises (Quiminal, Diouf, Fall, & Timera, 1995) dans certains quartiers. La mobilisation associative de ces femmes est alors décrite comme un « creuset d'intégration » (Timera, 1997) et les femmes de l'immigration comme des « citoyennes innovantes » (Delcroix, 1997). L'impact de la vie associative sur l'individuation17 de ces femmes a fait l'objet d'une attention particulière (Quiminal, 1998; Veith, 1999, 2005). Rappelons que le métier de médiateur social est en France issu, en grande partie, de l'expérience des « femmes relai » (Barthélémy, 2007, 2009; Delcroix, 1997). Les femmes de l'immigration, si elles peuvent apparaître comme spécifiquement vulnérables face à certaines épreuves de la vie, ne sont donc nullement passives ou sans ressources pour y faire face.

Et la lutte contre le VIH/sida en France vient renforcer cette observation. Dans un article faisant valoir la visibilité émergente des femmes d’Afrique Subsaharienne dans les politiques de lutte contre l’épidémie en France, S.Musso (2011a) pointe la place progressivement occupée par les immigrantes dans l'espace associatif du VIH/sida. En ce sens, l'anthropologue invite à questionner « le caractère univoque, voire équivoque » de « la vulnérabilité » que les « femmes africaines » sont supposées incarner (2011b, p. 233). L’engagement associatif de ces femmes dans la lutte contre le VIH/sida se présente néanmoins comme un sujet d'étude relativement récent qui reste, malgré quelques enquêtes, une thématique peu explorée par les sciences sociales. Quelques textes y font référence : la monographie de l'association Ikambere (Rwegera, 2007) ; les réflexions anthropologiques de S.Musso (2008, 2011a, 2011b) autour du positionnement associatif des immigrant-e-s des pays du Maghreb et d’Afrique Subsaharienne ; l'enquête de D.Pourette (2013) pointant leur faible recours aux associations communautaires dans un contexte de forte stigmatisation. Cependant, les ouvrages français de référence sur l'activisme dans le domaine du sida (Barbot, 2002; Broqua, 2006; Pinell, 2002) n’évoquent pas ou très marginalement la mobilisation des immigrant-e-s face à l'épidémie en France. Notre thèse vise ainsi à répondre au besoin d’une recherche scientifique en profondeur sur le sujet.

Outline

Documents relatifs