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SECTION IV. L E NON RECOURS ASSOCIATIF : LA PRÉÉMINENCE DU SECRET

2. La peur d'être identifiée comme porteuse du VIH

L'absence de recours associatif est régulièrement justifiée par la peur « d'être reconnus comme porteurs du VIH par d'autres membres de la communauté africaine » dans un contexte de forte stigmatisation de la maladie (Pourette, 2013, p. 567), comme le souligne le Professeure C.

« Parce que je vais vous dire les africains quand vous leur proposez d'aller vers une association déjà, ça leur fait peur. Ils ne veulent pas, c'est-à-dire qu'ils ne veulent pas qu'on les voit dans des lieux identitaires si je puis dire, qui fassent savoir qu'ils sont infectés par le VIH. » (Professeure C., Ibid.)

Dans ce sens, si Mme Mbo avance l'absence de besoin comme la raison principale de son refus d’engagement associatif, elle fait également état du tabou qui entoure la maladie.

« Je ne veux pas que mes enfants apprennent aujourd'hui que oui... bon, parce que pour l'instant, c'est tabou. On pointe du doigt les gens qui ont ça disons. Dans notre communauté, par exemple, quand on sait que quelqu'un est atteint de ... de ce virus, tout de suite, c'est les regards, c'est les chuchotements quoi. Je ne veux pas que mes enfants vivent ça, je ne veux pas qu'ils aient cette peur-là de dire, un jour, maman va partir. Bon, je sais qu'un jour je partirai mais je ne veux pas qu'ils aient ça en eux quoi ». (Mme Mbo, 40 ans, séropositive au VIH, non-engagée)

Le secret apparaît alors comme le

« (…) pivot autour duquel s'organisent les autres ressources (...) à la fois un moyen essentiel et une condition pour vivre. Fondamentale, cette ressource est aussi un enjeu pour les personnes qui vont avoir à faire des choix, à se contrôler et à exercer leur vigilance. » (Pierret, 2006, p. 51).

Dans ce sens, le non-engagement associatif se pose comme une « technique de contrôle de l'information » permettant aux personnes de faire face au stigmate (Goffman, 1975b) car comme le souligne Mme Mbo,

« Au début quand j'y allais [dans l'association] je n'avais pas peur. C'est avec du recul que je me dis, comme ça s'élargit [rires], de bouche à oreille, les gens peuvent divulguer les informations, ça c'est sûr ! Je ne veux pas ... »

Au-delà d'éviter la stigmatisation, pour Mme Mbo comme pour de nombreuses personnes, le maintien du secret

« (…) s'inscrit dans une stratégie qui [lui] permet de vivre comme tout le monde et non comme quelqu'un dont l'avenir est limité (...) [de] conserver la diversité des liens avec les autres : continuer à être la femme, l'amant, l'enfant, l'ami et non se voir devenir objet d'attention, de compassion et même de pitié. Le secret est bien une condition nécessaire pour réaménager la vie

et « vivre le plus normalement possible » en conservant la diversité des inscriptions identitaires. » (Pierret, 2006, p. 58)

Dans le cas de Mme Mbo, c'est notamment la mère qu'elle souhaite continuer d'être. Le silence qui entoure la pathologie s'explique donc par le souhait de ne pas « troubler l'ordre naturel des générations ». Si le maintien à distance des associations s'explique, dans le cas de nombreuses femmes, par le « désir de protéger l'autre vulnérable » - en particulier les enfants - , pour d'autres, et cela n'apparaît pas dans le récit de Mme Mbo, c'est la honte « du corps sali, souillé » (Théry, 1999) qui va être à l'origine du non-engagement associatif.

Mme Konate connaît l'existence des associations puisqu'elle a vu des dépliants à ce sujet à la pharmacie de l'hôpital. Elle sait que des associations de « femmes africaines » existent à proximité de son domicile ; néanmoins, elle n'a jamais pris contact avec l'une d'entre elles. Elle explique que « c'est le manque de temps et puis, je ne voudrais pas rencontrer quelqu'un que je connais, par pudeur ». Infectée par son mari qu'elle quittera suite à cette découverte, personne n'est au courant de sa pathologie. « De temps en temps le besoin se fait sentir mais bon, je prends tout sur moi ». Tout au long de l'entretien, Mme Konate fait état de la culpabilité qu'elle porte de « ne pas avoir ouvert les yeux » sur son époux, de « lui avoir fait confiance » et de ne pas pouvoir en parler autour d'elle alors qu'elle se définit comme une femme vivante qui aime échanger avec son entourage.

« C'est difficile à porter et c'est surtout la culpabilité de ne pas pouvoir en parler aux gens, parce que je suis quelqu'un qui parle aisément, avec ma famille, avec mon fils, mais je trouve que c'est une maladie honteuse. J'ai peur qu'ils me rejettent, j'ai peur de leur faire de la peine parce que eux aussi, je pense qu'ils pensent comme moi. À part mon frère qui est médecin, les autres ne sont pas si instruits que ça. Le VIH c'est synonyme de mort instantanée, peut-être dans un mois, peut- être dans un an, je vais mourir. J'ai peur de leur faire cette peine ». (Mme Konate, 45 ans, séropositive au VIH, non-engagée)

Revenant d'elle-même sur la question des associations, elle développe ses craintes tout en expliquant combien elle aimerait pouvoir parler avec des gens traversant la même épreuve pour « comprendre » leur vécu.

« Je ne sais pas... C'est pas facile... Peut-être que si j'avais un peu de temps et que je voyais une association avec des ressortissants qui ne sont pas d'Afrique de l'Ouest, peut-être, je ne suis pas sûre. Peut-être, parce que bon il y a des questions que j'aimerais bien poser mais qui ne sont pas d'actualité maintenant. Bon, par exemple, pour la sexualité, moi ça fait trois ans et demi, je n'en parle plus et je pense que c'est parti pour de bon, c'est fini ça. Même si aujourd'hui on découvrait un vaccin qui pouvait guérir de ça, je pense que par précaution je vais arrêter tout ça. C'est fini tout ça... Et puis, comment les gens vivent ? À quel moment la maladie est venue ? Comment ils

voir comment ça se passe chez eux mais en même temps, j'ai peur de les rencontrer. (...) C'est quand je vois par exemple ici, des femmes africaines et elles sont enceintes, sachant qu'elles sont malades et elles ont décidé de procréer, je me dis qu'elles sont plus optimistes que moi. Bon je ne sais pas... (...) Je me pose des interrogations par rapport à tout ça... » (Mme Konate, Ibid.)

Pour Mme Mbo, le recours associatif n'est pas ressenti comme un besoin car selon elle, le VIH est une maladie comme les autres et son époux incarne le confident avec lequel elle peut partager ses doutes. Pour Mme Konate, le VIH est une maladie honteuse qui reste associée, malgré les avancées scientifiques, à la mort. C'est cette perception de la pathologie qui empêche tout recours associatif malgré un désir vif de partage et de nombreuses interrogations en suspens qui ressortent clairement de l'intégralité de l'entretien. En l'absence totale de confident, le récit de Mme Konate souligne la souffrance consécutive au vécu solitaire du VIH ; isolement indépassable en raison des représentations inhérentes au dispositif du VIH/sida profondément ancrées dans l'esprit de cette femme. L'ensemble du discours de Mme Konate tourne autour de cette incertitude quant à la mort tandis qu'en contrepartie, elle affirme ne jamais s'être sentie physiquement mieux qu'aujourd'hui depuis la découverte de sa séropositivité. C'est bien la honte qui l'empêche de dépasser psychologiquement la pathologie car

« toute expérience de la maladie confronte aux métaphores préexistantes, produites et imposées par la société et la diffusion de connaissances scientifiques ou même l'existence d'un traitement ne sont pas toujours suffisantes pour les contrebalancer » (Pierret, 2006, pp. 53–54).

Le recours associatif est dans ce sens difficilement envisageable car le fait de dire son mal, en dehors de l'institution hospitalière, renvoie Mme Konate à ses représentations du VIH. Qu'il s'agisse du récit de Mme Mbo ou de Mme Konate, la tension entre stigmate ressenti (felt

stigma) et stigmate imposé (enacted stigma) est perceptible (Scambler & Hopkins, 1986). Plus

que le stigmate réellement ressenti, c'est bien la peur d'être stigmatisée qui fait obstacle à la fréquentation associative, bien que les personnes puissent en ressentir le besoin voir même en émettre le désir. Si ce paradoxe est à l’origine de nombreux refus d'orientation associative, comme en attestent les entretiens réalisés auprès des patientes comme des médecins, lesquels rejoignent les conclusions de D.Pourette (2013). Le refus de fréquentation associative peut enfin s’expliquer par un lourd passé ou une histoire trop douloureuse à assumer, que les personnes préfèrent dissimuler.

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