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Vers une typologie des profils associatifs : l’analyse culturelle des risques inhérents au dispositif du VIH/sida

SECTION I. L E DISPOSITIF DU VIH / SIDA EN CONTEXTE MIGRATOIRE

3. Vers une typologie des profils associatifs : l’analyse culturelle des risques inhérents au dispositif du VIH/sida

Cartographier le dispositif du VIH/sida nous a permis de faire émerger les tensions entre situations de vulnérabilité et poids du secret, inhérentes à toute expérience du VIH bien qu’exacerbées en contexte migratoire. L’expérience du VIH en contexte migratoire génère des représentations stigmatisantes qui contraignent les femmes au secret tout en les exposant à des situations-extrêmes renforçant leurs situations de vulnérabilité. L’attention portée à ce contexte social a mis en lumière le risque aigu de stigmatisation auquel s’exposent les femmes qui décident de s’engager au sein d’une association de lutte contre le VIH/sida. En ce sens, l’engagement associatif résulte d’un arbitrage qu’elles opèrent entre les situations de vulnérabilité qu’elles identifient suite à leur expérience du VIH et le poids du secret que suscite ce risque de stigmatisation. Nous inspirant du modèle de l’analyse culturelle des risques, nous proposons de conceptualiser le contexte au sein duquel les femmes opèrent cet arbitrage.

Le paradoxe évoqué en introduction de chapitre ainsi que les données collectées mettent en exergue l’importance accordée par les femmes à leur ancrage au sein des réseaux sociaux d’immigrant-e-s (hors VIH), situés au carrefour des sociétés d’émigration et d’immigration. Ainsi, l'engagement au sein d'une association de lutte contre le VIH/sida est à envisager à l’aune de deux dimensions qui orientent ou contraignent la décision des femmes, leur type d’affiliation à ces réseaux sociaux en France et leurs rapports aux rôles prescrits en leur sein [figure n°3]. Les données laissent entrevoir deux types d’affiliations aux réseaux d’immigrant-e-s (hors VIH) en France : une forte affiliation pour les femmes dont le parcours migratoire précède l’expérience du VIH ou pour celles dont le statut sérologique est méconnu des membres du réseau de sociabilité ; une position en marge des réseaux d’immigrant-e-s pour celles dont le parcours migratoire coïncide avec l’expérience du VIH ou pour celles dont la révélation du statut sérologique a provoqué une mise au ban de ces réseaux. En parallèle du type d’affiliation aux réseaux sociaux d’immigrant-e-s, le rapport des femmes aux normes de conduite ou aux rôles prescrits par ces réseaux entre également en jeu dans la décision d’engagement associatif. Deux types de rapport aux normes sont perceptibles : une forme de sujétion aux rôles prescrits ainsi qu’une possibilité de négociation de ces rôles. La négociation des rôles prescrits est notamment possible lorsque les femmes disposent de ressources sociales et cognitives à partir desquelles elles peuvent se positionner de manière critique face aux normes du milieu social de référence. À l’instar de tout processus de socialisation, la sujétion aux rôles prescrits est un processus complexe qui comprend un éventail de positions situées entre choix et contrainte et

dépassant la dichotomie entre ces deux éléments, le choix pouvant être contraint tout comme la contrainte choisie. Le croisement du type d’affiliation et du rapport aux normes de comportement permet donc de rendre compte des logiques rationnelles qui soutiennent les démarches d’engagement associatif des femmes immigrantes dans un contexte social où cet engagement les soumet à d’importants risques de stigmatisation.

À la différence du modèle de M. Douglas et M. Calvez (1990), ce ne sont pas des « institutions » qui orientent et contraignent la prise de risque, mais des « zones d’arbitrage » à partir desquelles les femmes décident ou non de prendre ce risque. Les quatre « institutions » renvoient, dans le modèle initial, à des structures sociales participant à la formation de différents ordres sociaux. Notre modèle ne vise pas à identifier des ordres sociaux mais à conceptualiser des espaces aux frontières mouvantes à l’intérieur desquelles l’une des dimensions émanant du dispositif du VIH/sida – les situations de vulnérabilité ou le poids du secret – prime et justifie le type d’engagement associatif préféré en fonction du rapport des femmes aux risques de stigmatisation. C’est dans ce sens que nous parlons de « zones d’arbitrage » plutôt que d’« institutions ». Ce contexte laisse alors apparaître trois zones d’arbitrage – une zone de ressources, une zone de liminalité et une zone de tabou – qui sont représentées dans la figure n°2. Ces trois zones d’arbitrage donnent respectivement lieu à trois types de situations : l'engagement en tant qu'aidante associative, l'investissement des collectifs comme usagère et le non-engagement associatif.

Figure n°2. Typologie des zones d’arbitrage présidant l’engagement associatif

Dans les trois cas de figure, l’un des deux éléments – vulnérabilité ou secret – prime dans le rapport des femmes au VIH/sida et influence leur démarche de (non-)engagement associatif. Le rapport des femmes aux situations de vulnérabilité et aux risques de stigmatisation évolue dans le temps et ces évolutions peuvent, à terme, modifier le type d'engagement initialement préféré.

1) Les femmes situées dans la zone de ressources deviennent, au sein des collectifs, des aidantes. Ces femmes disposent d'un ensemble de ressources sociales et cognitives leur permettant de négocier les rôles sociaux prescrits par les réseaux d’immigrant-e-s et ainsi, de faire face aux risques de stigmatisation. Ici leur degré d’affiliation à ces réseaux importe moins que les ressources sur lesquelles elles peuvent s’appuyer pour intégrer les associations de lutte contre le VIH/sida. La zone de ressources comprend donc les deux types d’affiliations identifiés et c’est la raison pour laquelle notre typologie ne comprend que trois zones d’arbitrage à la différence du modèle grid-group initial [encadré n°5]. Néanmoins, les femmes les plus insérées dans les réseaux d’immigrant- e-s devront déployer des efforts plus importants afin de négocier les sanctions sociales auxquelles les expose cette démarche associative. Le type d'engagement associatif des aidantes – dans les associations de prévention ou de soutien aux immigrant-e-s vivant avec le VIH – est orienté, comme nous le verrons dans la section suivante, par les ressources dont elles disposent pour répondre aux situations de vulnérabilités individuelles ou communautaires identifiées suite à l’expérience du VIH.

2) Les femmes situées dans la zone de liminalité sont peu insérées dans les réseaux d’immigrant-e-s, soit parce que l’expérience de l’immigration coïncide avec celle du VIH (elles émigrent/immigrent pour se faire soigner en France), soit parce que la divulgation de leur statut sérologique en contexte migratoire a entraîné leur mise en ban des réseaux d’immigrant-e-s. Adhérant néanmoins aux rôles prescrits par ces réseaux, ces femmes se trouvent en position liminaire puisqu’elles ont perdu l’ancrage social leur permettant d’exercer ces rôles et elles ne bénéficient pas non plus de nouvelles affiliations favorisant l’acquisition de nouveaux rôles sociaux. Elles flottent alors « dans les interstices de la structure sociale » (Calvez, 1994). En ce sens, l'expérience du VIH provoque d’importantes ruptures biographiques et un cumul de situations de vulnérabilité (sociale, économique, administrative, psychologique, etc.) qui justifient le recours associatif en tant qu’usagères. Les risques de stigmatisation associés à l’engagement associatif sont ici limités par un positionnement à la marge des réseaux sociaux d’immigrant-e-s, bien que le secret reste minutieusement géré par les femmes répondant à ce profil.

3) Les femmes situées dans la zone de tabou sont fortement investies au sein des réseaux sociaux d’immigrant-e-s en France et adhèrent aux rôles prescrits par cette « communauté transposée » (Dufoix, 2003). Dans ce dernier cas de figure, les risques

de stigmatisation associés à l’engagement associatif sont trop importants quelles que soient les situations de vulnérabilité provoquées par l’expérience du VIH. Le poids du secret entrave donc tout recours associatif en contexte migratoire. Néanmoins les

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