• Aucun résultat trouvé

SECTION IV. L E NON RECOURS ASSOCIATIF : LA PRÉÉMINENCE DU SECRET

1. L'absence de besoin

Les femmes qui recourent aux structures associatives découvrent leur séropositivité au VIH dans des circonstances particulières et vont s'appuyer sur les ressources dont elles disposent pour investir les collectifs en tant qu'aidantes ou usagères. Néanmoins, pour nombre de femmes, le VIH est une maladie comme une autre à laquelle elles ne souhaitent pas accorder d'espace particulier. Il s'agit là généralement de femmes qui ne rencontrent pas de difficultés sociales ou économiques particulières, insérées socialement et professionnellement dans la société française au moment du diagnostic et bénéficiant d’un soutien familial. Le VIH est alors réduit à sa réalité médicale (Pourette, 2008a) que les femmes partagent avec leur époux et leur médecin. Dans ce cas, elles n'éprouvent pas le besoin d'un soutien extérieur. L'association n’incarne pas pour ces femmes une fonction de confidente dans la mesure où elles peuvent compter sur le soutien de confident-e-s choisi-e-s au sein de leur entourage direct.

Mme Mbo est une femme très élégante, rencontrée suite à une consultation médicale. Mariée et mère de famille, elle voyage en France pour des problèmes de santé inexpliqués et découvre à cette occasion son statut sérologique. Issue d'une famille aristocratique d'Afrique Centrale, son époux et ses enfants viennent s’installer en France à ses côtés. Plusieurs membres de sa famille élargie résident par ailleurs sur le territoire français. En ce sens, elle ne connaît pas de situation d'isolement particulière ni ne traverse de difficultés administratives ou économiques. Elle est rapidement naturalisée française et trouve un emploi dans un domaine administratif correspondant à sa formation initiale. Au moment de son arrivée, les professionnels hospitaliers lui indiquent cependant l'existence d'une association avec laquelle elle entre brièvement en contact. Son analyse de la situation souligne combien les associations répondent à des besoins spécifiques qu'elle n'identifie pas comme inhérents à sa situation.

« Quand ma famille est arrivée, je ne me sentais plus seule, j'étais bien entourée. Et je me dis que c'est bien pour les gens qui sont seuls parce que quand on va là-bas, on côtoie pas mal de gens donc ça remonte un peu le moral. Mais comme j'étais plus dans cette situation d'être réconfortée ou quoi que ce soit, donc du coup, je me suis dit que ma place n'est plus là-bas. (...) Je trouve que c'est une bonne chose parce que ça aide. Vraiment, pour les gens qui se pose des questions, au moins, il y a toutes les réponses quoi. Moi j'y suis allée peut-être trois fois. Il y a pas mal d'activités, la cuisine, la couture, c'est une très bonne chose. Surtout comme je vous ai dit les gens qui se posent des questions, qui vivent mal la situation. Mais, moi si j'ai arrêté c'est parce que je n'étais pas dans ce cas-là. Je ne vis pas mal. J'ai accepté le sort, je me dis qu'on peut mourir d'une maladie ou d'une autre et c'est une maladie comme les autres quoi. » (Mme Mbo, 40 ans, séropositive au VIH, non-engagée).

Mme Mbo explique le fait qu'elle ne vive « pas mal » sa situation par plusieurs facteurs. Tout d'abord, elle se présente comme « très croyante » et « en bonne santé ». Le VIH n'a pour elle qu'une réalité médicale.

« Depuis qu'on m'a annoncé la nouvelle, j'étais surprise d'ailleurs et puis, après je me suis dit, moi je suis très croyante. Je me suis dit, je m'en remets entièrement à Dieu, c'est lui qui va régler les choses. Il y a des gens qui meurent de maladies qui sont moins graves et moi j'ai cette grâce- là que Dieu m'a donnée, depuis qu'on m'a découvert cette maladie, je suis en bonne santé. Entre guillemets disons. Dans ma tête, je me dis, je suis en bonne santé. Ce n'est que lorsque j'ai rendez- vous, que j'ai des prises de sang que je sais que je vais au rendez-vous parce que il y a ça, ça, ça. Mais sinon, au quotidien, je vis sans problème ». (Mme Mbo, Ibid.)

De plus, son époux également séropositif au VIH partage sa situation, elle ne se sent pas donc pas isolée dans son expérience de la pathologie, bien qu'aucun autre membre de sa famille ne soit au courant. Le VIH représente dans ce sens un élément de l'intimité du couple, géré dans ce cadre et avec le médecin (Pourette, 2006). Enfin, Mme Mbo est très prise par sa profession et explique ne pas avoir « le temps de penser à autre chose ». Ainsi, le VIH n'ayant pas d'effets sociaux particuliers sur son mode de vie, elle ne ressent pas le besoin de fréquenter les associations. Ce cas de figure rejoint les analyses proposées par plusieurs médecins, comme le souligne le discours du Professeure C.

« J'ai beaucoup de mes patientes qui sont des africaines et qui sont des femmes mais (...) si vous voulez maintenant, parce que j'ai pas de nouvelles patientes dans cette situation, sur le plan de la prise en charge les choses sont assez réglées. Ce qui fait que moi j'ai pas eu récemment à les réorienter vers ces associations. C'est rare que j'ai des nouvelles arrivantes ou des nouvelles dépistées en situation de grande précarité, pas récemment je veux dire et je ne dis pas que ça n'existe pas. Mais j'ai pas été confrontée récemment à ça. » (Professeure C., chef du service de maladies infectieuses d'un hôpital parisien)

Pour ce médecin, les associations ne seraient donc pas utiles aux patientes dont la prise en charge est « réglée ». Le fait d'être en couple et que le conjoint réside en France, tout comme le fait que les enfants vivent dans le pays d'accueil auprès de leur mère, semblent rendre la fréquentation inutile. On note cependant que tant les médecins que Mme Mbo associent cette absence de besoin des associations à la crainte d'une identification au VIH comme le montrera le point suivant.

Documents relatifs