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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 10 exemplaires numérotés sur Papier de Hollande Van Gelder Zonen

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I S O L É S

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Les Jolies Histoires. — Préface de M. Maeterlinck (Epuisé).

Légende bretonne (Epuisé).

Les Songeries. — Préface de M. Maeterlinck (A. Colin).

La Grande Amour. — Roman maritime (Maison du Livre Français).

Poils et Plumes. — Histoires de bêtes (A. Jullien, à Genève).

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE

10 exemplaires numérotés sur Papier de Hollande Van Gelder Zonen

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ADELINE

I S O L É S

— ROMAN —

P A R I S

BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER FASQUELLE ÉDITEURS

1 1 , R U E D E G R E N E L L E , 1 1

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Tous droits réservés.

Copyright 1937, by FASQUELLE ÉDITEURS.

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AVANT-PROPOS

On n'est jamais mieux servi que par soi-même (hélas!); c'est pourquoi je tenterai d'esquisser la justification de ce livre où rien n'a été épar- gné au lecteur, « effroyable, mais rigoureuse- ment vrai », comme ont bien voulu me le dire des malades et des médecins.

Ce livre risque-t-il d'ennuyer ou de rebuter un lecteur moyen? On ne trouvera ici, en effet, ni déguisement, ni littérature. Peut-être même Iso- lés ne s'adressent-ils qu'aux médecins, aux ma- lades (qui tous cherchent un auteur, désirent être expliqués et défendus), à une minorité du public. Beaucoup sans doute refermeront ce vo- lume à mi-lecture ou n'en, comprendront point l'essentiel. Cet essentiel, le voici : je me suis ef- forcée d'éclairer les familles, de renseigner tout parent ou proche d'un être susceptible d'être en- voyé à l'altitude, c'est-à-dire déraciné pour longtemps.

Il existait, certes, sur les stations de tubercu- leux et sur la « maladie » désignée là-haut dans une sorte de revendication de primauté, de nom-

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breux ouvrages pour ne citer que : Les heures de silence de R. de Traz, et La montagne magi- que de T. Mann. Après avoir relu ces deux der- niers et les avoir oubliés au contact de la réalité, il m'est venu à l'esprit d'écarter l'élévation de l'écrivain suisse et l'humour de l'anglo-saxon, la vie en sanatoria n'appartenant exclusivement ni à l'un, ni à l'autre de ces genres. J'ai pensé qu'il fallait dire toute la vérité, ne pas craindre de filmer en quelque sorte cette pauvre vie, son réalisme, sa crudité, affronter la série d'écueils que représente la description d'une telle vie, de- mander au lecteur une bonne volonté exception- nelle, briser des vitres, et ceci avec une sincé- rité et une fidélité absolues, sous une forme primaire.

D'autres auraient fait mieux, mais jusqu'ici personne ne s'est présenté; aucun observateur désintéressé, — équilibré, bien portant, — étant resté assez longtemps de son plein gré dans une station pour la reproduire scrupuleusement.

Personne, surtout, n'a osé condamner une tech- nique médicale aussi importante, une applica- tion aussi généralisée, une négligence aussi ta- cite des examens, analyses, observations indis- pensables au cas individuel. Personne, enfin, n'a rendu l'atmosphère, dressé le tableau exact de certaines stations bien réelles, parmi les plus connues.

D'aucuns trouveront que j'ai été trop loin, trop. « fort », et ne me ménageront pas leur blâme. D'autres m'accuseront d'ignorance ou d'injustice. Une partie du corps médical me honnira : celle qui rêve d'une organisation en- core plus automatique, d'une médecine monstre' de l'Etat noyautant et numérotant les masses.

« Isolés » est dédié, je le répète, aux familles,

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à tous les responsables d'un corps et d'une âme que les catholiques considèrent indissociables, afin de mettre en garde contre des garanties souvent fallacieuses, afin de découvrir les dan- gers et les pièges auxquels on expose, par excès de crédulité, un jeune corps et une jeune âme livrés à eux-mêmes dans un groupe de sanas ou villas. Car, pour faire son profit de ces séjours prolongés, pour « tenir » pendant des années dans l'abandon, la captivité, le renoncement à tout, on ne voit guère que des esprits fortement trempés comme ceux qui animent le très noble livre de R. de Traz. La jeunesse n'est pas faite pour cette épreuve, et ces tribulations surhu- maines, la jeunesse ne peut leur résister qu'à un prix qu'il convient de dénoncer.

Que ne puis-je offrir à celui ou à celle qui a peu réfléchi à cette question, à sa gravité, à sa cruauté, un film véritable qui ressusciterait les jeunes hommes et les jeunes filles que j'ai vus décliner et disparaître en quelques semai- nes, les moins malades comme les demi-guéris, les noms qui viennent frapper à ma mémoire, les vivants visages qui m'entourent et me sou- rient ! Quels protagonistes éclaireraient mieux l'opinion publique? Presque tous ceux-là ne de- vaient pas mourir.

Ce livre est une histoire malheureusement courante, un fait divers banal dans une station.

Puisse-t-il faire réfléchir, c'est ma seule ambi- tion à un moment, à un tournant, où j'estime qu'un tel livre doit paraître.

La défense des faibles et la vérité sont rare- ment bien accueillies au premier abord. La jus- tice des hommes n'est pas la justice; il faut re- garder plus haut pour puiser du courage. Par

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ainsi, ce livre pénible, dont j'ai cru ne pouvoir venir à bout, fut écrit comme on remplit un devoir, une promesse, un tribut. Il y aurait avan- tage à dire : ce n'est pas dans mes possibilités, je dépasserais mon but.

Que l'on ne me prête pas l'intention la plus coupable qui soit, de décourager : bien au con- traire. De grands progrès ont été faits çà et là, mais il en reste encore trop à faire pour que chacun n'apporte pas sa contribution Il faut sa- voir toute la vérité sur les sanas. Il y a des yeux et des oreilles à ouvrir, à forcer. Il y a, au sein même de la médecine française, une citadelle vétuste pleine d'errements, d e rivalités, de mar- chandages et de profits, à abattre. Il y a. une moralité à choisir, à refaire et à développer chez les médecins du corps. Il y a pour les spé- cialistes de la maladie la plus exploitée, la tu- berculose, comme pour les ministres au pouvoir, une œuvre immense à redresser et à accomplir.

Il y a des adolescents à préserver, des vies et des âmes à sauver coûte que coûte.

A.

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I

Lentement, le petit train reconduit Marc Le Guen auprès de sa femme, de Lise en traitement dans un sana français.

La montagne grise tavelée de noir où pend la neige, menace le train et une rivière vert jade évoquant la saison de la pêche, la mouche de mai. Une tristesse calme adosse Le Guen à la banquette, clôt ses yeux. Seul dans ce comparti- ment d'un train vide, échappé à la lutte quoti- dienne, au marasme financier, à Paris, il peut enfin reprendre ses souvenirs conjugaux comme on revoit un scénario de mémoire. Souvenirs frais comme des perles. Pauvre scénario à l'écran de la vie moderne : quelques années.

Voici Lise jeune fille en Bretagne. Elle ouvre la fenêtre contre laquelle il vient de lancer une pochée de gravier. Un papier tombe, plié dur.

Il lit : « Je ne peux pas descendre. Allez-vous- en. Attendez jusqu'à ce soir, sinon gare à vous. » Style de Lise, décidée, entêtée, bretonne, mais si tendre... Quelle cour il lui fait ! Le père de Lise,

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un homme très dur, rit du modeste budget de Marc, ingénieur en herbe. Deux ans d'efforts, d'orgueil rengainé, de suppliques à la mère de Lise. Trois ans. On dit : « La jeunesse a le temps. »

Marc inquiète les siens par sa maigreur et son silence. Plus il est fier, offensé, mais tenace, plus le père de Lise se montre inexorable. Le Guen, le fils, en a l'esprit dérangé. Quand il passe, les enfants scandent en jouant à la ma- relle : « Epousera! Epousera pas! » La mère de Lise avoue que son mari a tort de s'obstiner.

Les rapports des deux familles s'aigrissent.

Enfin, un matin, un matin bleuté et embrumé comme on n'en voit qu'en Bretagne, Marc mène Lise à l'autel de leur village. Ils vont à pied parmi les paysans en costume, sous des nuages blancs et ronds de livres d'images. Sur la route de Fête-Dieu, tout n'est que pétales, binious, saluts. Regard azurescent de Lise, sa grâce émou- vante sous le satin. Cloches. Cependant Le Guen, le fils, n'oublie pas les humiliations subies, l'atti- tude du père de Lise. Pourquoi la malveillance des êtres durs assombrit-elle le bonheur?

A l'échange des anneaux, une note discordante encore, un incident presque inaperçu : le doigt de Lise, gonflé, refuse l'alliance commandée avec tant de soin. Entre eux l'anneau tombe, ramassé par le prêtre attentif, un prêtre très jeune, pareil à l'aîné des enfants de chœur. Lise lève des yeux désolés : « Attends, je vais essayer. » Le prêtre intervient et réussit à passer l'anneau. Quelques secondes, mais lourdes pour le couple supersti- tieux. A la sortie de l'église, sous une avalanche embaumée de fleurs de genêt jetées à pleines mains, Marc se penche vers Lise plus petite pour

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lui dèmander : « Eh bien! mon Liseron, cet an- neau? » Lise répond : « Il me fait un peu mal, tu sais. Je crois, que je ne pourrai plus jamais l'enlever. » Pour lui, pour elle, une ombre sub- siste malgré leur double sourire, un malaise avoué beaucoup plus tard. Tout les salue de nouveau, jusqu'aux oiseaux dans les haies. Un seul visage ne sourit pas, taillé dans du chêne : le beau-père de Marc.

Le soir ils quittent la Bretagne pour l'Inconnu.

Et c'est un autre univers né de la guerre, que Lise et Marc, trop jeunes, avaient à peine con- nue, une époque désaxée, où l'on brûle sa vie sans savoir pourquoi, faute de réalisations et de sécurités. Ils vivent comme la plupart de leurs contemporains, ni plus ni moins, selon l'espèce de folie ambiante, avec des cerveaux, des nerfs toujours tendus, essayant de mettre en action le refrain général : « Assez de tristesse, assez de catastrophes et de prévisions de catastrophes : vivons. » Marc veut sa revanche contre le beau- père injurieux qui ne croyait pas en lui, lequel représente à lui seul tout le passé, une quantité de choses mortes, pesantes. L'existence entière de Marc est réglée contre le passé. Il ne retour- nera en Bretagne, peu, que victorieux, c'est-à- dire riche.

A côté de lui, Lise se surmène. Un inexplicable besoin de jouissance matérielle et d'étourdisse- ment s'empare d'eux. Ne faut-il pas « se dé- grossir » ? On leur conseille la modération, le foyer, la vie normale d'un jeune ménage. Mais eux, riant, leurs têtes réunies, taquinent ces

« avant-guerre » dispensateurs d'ennui et de dé- pression. Qu'importent ces bourgeois, ces ara- pèdes cramponnés au vieux roc effrité! Ils ne

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sont pas de cette race. De quelle race sont-ils?

De la race nouvelle qui s'ignore et se cherche.

Or, dans un monde aussi incertain, en décom- position ou en gestation sous le règne de la relativité, ils estiment qu'une joie, une atmo- sphère agréable, une illusion se succédant et se chassant, remplacent avantageusement les con- cepts archaïques. Vivre signifie repousser la routine, les principes dépréciés, suivre le cou- rant saccadé qui met le bonheur ici et là, tou- jours ailleurs et plus loin. Naviguer vite, un maximum, se stimuler mutuellement dans la course à la nécessité et au plaisir du moment, voilà leur mentalité. Homme et femme d'après guerre, d'entre deux guerres sans doute, peu- vent-ils moisir? Ils doivent bouger, s'agiter devers un bien-être et un équilibre particuliers.

Les traditions, quel carcan! Leur foi, la reli- gion? Inculquée avec trop de rigorisme, perdue.

Loin de la Bretagne âpre et douce, leur nour- rice, Marc et Lise trompent, dans la plus inquiète des époques, leur inquiétude de celtes et de transplantés. Ils pratiquent tous les sports : cul- ture physique à haute dose le matin, sports d'hiver, bains de mer et de soleil — avec quelle exagération —, en été sur la Riviera, patinage à roulettes, tennis ou squash-rackets, golf. Au pays basque, ils se baignent par la neige. A Juan- les-Pins, ils dansent jusqu'à l'aube, plongeant de leurs canots, la nuit, en tenue de soirée, pour gagner des paris. Ils découvrent l'alpinisme. Des illustrés reproduisent des photos prises on ne sait comment, où ils embrassent la montagne à pleins bras, souriant de toutes leurs dents, grisés.

Tous les soirs ils dînent chez des amis ou au restaurant; Lise adore le restaurant. Danse entre

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chaque plat. Ensuite, dancings, champagne,

« fines doubles ». Ces clients assidus, les éta- blissements de nuit parisiens et ceux du Midi les accueillent ainsi qu'un couple royal. Elégants et nets, ils dansent, unis, assortis, absorbés l'un par l'autre. Lui n'a pas l'air commode dès qu'il quitte des yeux les yeux de sa femme. Elle, elle a une manière si amoureuse de s'abandonner à son danseur conjugal, un rire si insultant pour le reste de la salle que nul ne rompt leur tête- à-tête.

Anne Verdier, amie d'enfance de Lise, divor- cée d'un étranger après une brève expérience malheureuse, les accompagne souvent. Quelle

« entraîneuse » ! Nul ne la vaut pour piloter une auto, barrer un glisseur en mer douteuse, fati- guer le professeur de crawl, vider d'un trait la coupe d'argent présentée sur une guitare par un joueur de czardas, et, à 5 heures du matin, lors- qu'on parle de rentrer, improviser une danse russe échevelée. Comme ils s'amusent tous les trois! Pauvre Annette... Elle cherche le Prince Charmant moderne et passe son chemin avec de grands désespoirs de courte durée. Aucune ne répond mieux à un Argentin familier : « Par- don, je ne suis pas celle que vous croyez! » Le Guen excuse son « tracassin », son tournis. Elle n'a pas toujours été ainsi. Orpheline et sans mari, ne possédant plus qu'un tuteur âgé, com- ment ne pas s'étourdir? Ce qu'il n'excuse pas, c'est l'abstention des hommes jeunes devant un mariage n'offrant pas la perfection pécuniaire.

Anne Verdier avait été la plus charmante et ran- gée des jeunes filles... sans dot. Son élégance consistait en une silhouette élancée et athléti- que : mais elle portait parfois des bas et des

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chandails rapiécés, des robes données ou soldées par Lise.

Marc, embarqué dans le mariage sans savoir de quoi le lendemain serait fait, se débrouille bien. Ingénieur? Des camarades munis de leurs diplômes sont réduits au métier de camelots!

Lui, comprenant la nécessité d'un certain oppor- tunisme, se pliant à la fameuse « combine », nouveau centre de gravitation, se fait tour à tour placier, représentant, intermédiaire, un peu boursier. Acrobate, quoi! Devant les résultats acquis, son entourage cesse de le désapprouver.

Précieusement, Lise le seconde, s'accommodant de tout, toujours « d'attaque », douée d'un

« cran » et d'un « réflexe » exemplaires. Les pé- riodes de plaisir et de luxe exigent de l'argent : ils en font. Aussi intéressée qu'un homme par les affaires, les fluctuations de la Bourse, Lise, édu- quée par lui, sait répondre au téléphone, prendre une décision, séduire associés ou clients. On dit à Le Guen : « J'ai vu votre femme, elle m'a tout de suite convaincu. C'est une perle, cette femme- là! » Une perle trouvée sur le rivage breton à deux pas de chez lui... Lise et lui, fiers l'un de l'autre, confiants l'un dans l'autre, forment le ménage « débrouillard » le plus gentil de France, épaulés par la Chance, déesse indiscu- table.

Rien n'est plus berceur qu'un train lent et vide.

Le Guen revoit la fissure, la crevasse dans son bonheur (car sa vie accélérée, cahotée, sans re- pos, était le bonheur).

Tout à coup cette vie, sa victoire dans

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l'épreuve à deux presque sans capitaux, s'arrête ainsi qu'un appareil en plein rendement.

A la suite d'une imprudence coutumière — 70 kilomètres en torpédo la nuit, Lise ruisselante de sueur en décolleté et manteau léger —, Lise contracte une congestion pulmonaire. Un an plus tard, elle se plaint d'une douleur violente englo- bant l'épaule et le bras gauches. Le médecin d'une de ses amies diagnostique une névrite te- nace. Un autre médecin, sans faire examiner Lise à la radio, laisse appliquer les rayons et des injections intra-veineuses d'iode. Lise em- pire. Un vieux médecin de la famille met fin aux injections et demande une radioscopie. Quelques jours après, Marc apprend qu'il s'agit d'une névrite corollaire et d'une lésion au poumon droit. Incrédule, il est prêt à se fâcher. Mais le cliché est là. Conscient de sa faiblesse pour la première fois, Marc rentre chez lui, bousculé par la foule, immobilisé devant les embouteillages, assourdi par la clameur de Paris. Il se croyait un dieu, et dans sa tête résonnent les mots : « Lé- sion. Poumon droit. Lésion. Plus de temps à per- dre. La soigner... » Remords. Contre tous, il croyait que Lise pouvait tout faire, tout suppor- ter. Quand elle se déclarait lasse, ne lui disait-il pas : « Tu te laisses aller comme une vieille. Et si tu avais des enfants, ou dix ans de plus? Es-tu ma femme, oui ou non? Je te dis que tu peux très bien sortir. Je te donne un quart d'heure. » Trop tard il comprend tout : les accès de pâleur de Lise depuis longtemps, sa fatigue, son inap- pétence, son amaigrissement, ses traits tirés, sa bouche tourmentée, son rire, une petite cascade nerveuse, son rire jeune et triste. Quelle vie il lui faisait mener... Bien sûr : elle allait, allait,

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par sa faute, comme une belle petite jument claquée sans excuse. Et pourquoi l'avait-il lais- sée consulter un médecin incapable de distin- guer les prodromes du mal, un second tout aussi aveugle? Ces signes, tous sans exception, com- ment ne les avait-il pas reconnus lui-même?

L'homme d'action qu'est Le Guen réagit en pensant à son ami le D Brady, Brady qui aurait pu être son père, pourvu par un Anglais dont il avait sauvé la fille des fonds, introuvables en France, pour ses travaux antituberculeux. De ses propres yeux, Marc avait constaté les guérisons accomplies par Brady en plein Paris, sur ceux q u i ne pouvaient quitter la capitale, et ceux qui ne voulaient plus des sanas, ou dont les sanas ne voulaient plus. Dans le silence ou le tollé, ce précurseur affirmait que tout homme possède des bacilles tuberculeux, immunisés une fois pour toutes généralement dans l'enfance, ce qui lui permet, moyennant des précautions facile- ment réalisables de cohabiter avec ces mala- des au même titre qu'un i n f i r m i e r Brady pré- tendait que l'hérédité, si ancrée dans la croyance populaire, n'était vérifiable que dans un nombre infime de cas très spéciaux, et que les enfants du peuple succombaient surtout par contagion et manque de surveillance. Il soutenait que le plus souvent il ne fallait pas supprimer l'indis- pensable réconfort en séparant un ménage, ni craindre pour la procréation d'un sujet guéri ou même douteux. Selon lui, ce mal si particu- lier et répandu cesserait d'être le masque de la

1. Sont vulnérables : l'enfant, un organisme en dépres- sion, et les Africains ou Asiatiques arrivant de contrées où la maladie est rare.

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M é d u s e , c o m m e l a l u t t e c o n t r e c e m a l c e s s e r a i t d e s e r e t o u r n e r c o n t r e l e s m a l a d e s p a r l e u r i s o l e m e n t . Il v o y a i t a p p r o c h e r l ' h e u r e o ù l e s p o u - v o i r s p u b l i c s v u l g a r i s e r a i e n t u n e o u p l u s i e u r s i n v e n t i o n s n o u v e l l e s s a n s d a n g e r , d e s s é r u m s a b r é g e a n t d e p l u s e n p l u s l e s s é j o u r s e n s a n a - t o r i u m . U n d e s p r e m i e r s , il s ' é t a i t é l e v é c o n t r e l ' e m p r i s o n n e m e n t i n d i s t i n c t , l e c o u p a b l e m é - l a n g e .

Ceci e t b i e n d a v a n t a g e , M a r c le s a i t p a r c œ u r . C o n s i d é r a n t q u ' i l e s t u n a d u l t e n o r m a l p o u v a n t v i v r e p r è s d ' u n c a s p u l m o n a i r e à c o n d i t i o n d ' ê t r e p r u d e n t p e n d a n t l a p é r i o d e b a c i l l a i r e , il n ' e n t e n d p a s se d e s s a i s i r d e L i s e , m a i s l ' e n t o u r e r , œ u v r e r j u s q u ' a u r é t a b l i s s e m e n t a u t a n t q u e l e m é d e c i n . P e r s o n n e n e p e u t s ' o p p o s e r à c e d e v o i r e t à c e d r o i t .

I l c o n d u i t L i s e c h e z B r a d y . C o m m e p o u r t a n t d ' a u t r e s , il v e u t c o n s t a t e r à l a r a d i o l e m a l , f l e u r s o m b r e s u r l a m a t i t é c l a i r e . D e B r a d y s e d é g a - g e n t u n e b o n n e h u m e u r e t u n e f o r c e s e r e i n e q u i r a s s u r e n t L i s e a p r è s s e s n u i t s b l a n c h e s e t s e s l a r m e s . B r a d y d i t : « E h b i e n ! o u i , m a i s p a s i r r é p a r a b l e , c e t t e l é s i o n . . . I l f a u t p a n s e r à m a m a n i è r e q u i n ' e s t p a s t e r r i b l e , e t p u i s n o u s v e r - r o n s . C o m p r e n e z - m o i b i e n : j e n e s u i s p a s c o n t r e l e p n e u m o t h o r a x , j e le p r é p a r e e t d a n s b e a u c o u p d e c a s l e r e n d s i n u t i l e . C e p e t i t p o u m o n , il f a u t l e p a n s e r . » L e s m a i n s s è c h e s d e B r a d y d é c r i v e n t t e n d r e m e n t u n e c o u p e . « P a n s e r . . . P o u r v o u s s u r - t o u t , p a s d e r é c l u s i o n , p a s d ' a b a t t e m e n t . L a v i e , v o t r e v i e . V o u s i r e z , v o u s v i e n d r e z , d o u c e m e n t p a r e x e m p l e , e n v o u s a s t r e i g n a n t a u r e p o s et, c h a q u e j o u r , a u p e t i t p e n s u m q u e M a r c c o n n a î t . Il v a u d r a l a p e i n e d e t r a v e r s e r q u e l q u e s q u a r - t i e r s d e P a r i s , c e l a v o u s o c c u p e r a . J e v o u s p r é -

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v i e n s : i l n e f a u d r a p a s v o u s a t t e n d r e à u n r é - s u l t a t a v a n t d i x - h u i t m o i s , m a i s c e s e r a i t e n c o r e b i e n p l u s l o n g a u t r e m e n t . O u i , le c o n t e n u i n o f - f e n s i f d e c e t t e a m p o u l e d é t r u i t d a n s le p o u m o n m ê m e l a c u i r a s s e d u b a c i l l e , s a v i l a i n e c o q u e c i r o - g r a i s s e u s e . C o m m e n t d a n s le p o u m o n ? P a r l a t r a c h é e . C e l a d e s c e n d , s u i n t e . A s s e z s i m p l e , v o u s v o y e z , e t l a c o m p o s i t i o n d u s é r u m a u s s i . M a r c v o u s e x p l i q u e r a . I l p o u r r a s u i v r e l a d é g r e s - s i o n d u b o b o à l a r a d i o . A h ! M a r c , t e s o u v i e n s - t u d e c e t t e m è r e d e s e p t e n f a n t s , d e t o u s n o s e m p l o y é s d e m é t r o e t d e g r a n d s m a g a s i n s ? E t n o t r e b a l a y e u r d e r u i s s e a u x q u i a v a i t u n t r o u e n g u i s e d e n e z ? P a s s i m a l , n ' e s t - c e p a s , l e n e z q u e n o u s l u i a v o n s r e f a b r i q u é d ' u n e a u t r e f a - ç o n ? D e s f a u x t u b e r c u l e u x , c e u x - l à , p e u t - ê t r e ! M a i s j e p a r l e , o n m ' a t t e n d . . . M a p a u v r e a n t i - c h a m b r e n e c o n n a î t j a m a i s d ' e n t r ' a c t e s . N o n , r e s t e z . J e v a i s f a i r e p a s s e r s a n s f a ç o n u n d e n o s a m i s . N e c r a i g n e z r i e n , L i s e : i l s s o n t c o m m e v o u s e t m o i . »

U n h o m m e e n t r e , t o u r n a n t s a c a s q u e t t e e n t r e s e s d o i g t s . M a r c e t L i s e s o n t s a i s i s p a r l a s i m - p l i c i t é e t l a c o r d i a l i t é d e l a s c è n e d a n s l a p i è c e c o n f o r t a b l e s a n s a u c u n l u x e .

— M i e u x ?

— O h ! o u i , d o c t e u r . P l u s d e t r a n s p i r a t i o n s , d e l ' a p p é t i t . L a f i è v r e , o n n ' e n p a r l e p l u s . Si v o u s n e m e d i s i e z p a s d e c o n t i n u e r , je... Ce n ' e s t p a s q u e j e v e u i l l e l â c h e r , m a i s v o u s a v e z t a n t d e t r a v a i l , j e v o u s v o i s t o u j o u r s si d é b o r d é , f a t i - g u é . . .

— P a s s i v i t e , m a i s v o u s ê t e s e n b o n n e v o i e . F a t i g u e z - v o u s m o i n s ?

— J e v o u s c r o i s ! C ' e s t c o m m e q u i d i r a i t q u e j ' a u r a i s le m é c a n i s m e d é c a l a m i n é . H e u r e u s e -

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m e n t , v u q u e j e s u i s l a v e u r d e v o i t u r e s c h e z C i - t r o ë n . A l o r s , le b o u l o t , ç a d e m a n d e .

L e l a v e u r r e s s o r t i a p r è s a v o i r r e ç u s o n p e n - s u m d e q u e l q u e s s e c o n d e s , L i s e a b a n d o n n e s a p o s i t i o n d e d é f e n s i v e , u n e é p a u l e e n a v a n t , l a m a i n c r i s p é e s u r le c o l d e s o n m a n t e a u d e f o u r - r u r e . P e t i t c a b i n e t b l a n c a t t e n a n t a u s a l o n , r e - f l e t m é t a l l i q u e e t l u e u r b l e u e d e l a p o r t e b l i n d é e d e l a c a b i n e d e r a d i o g r a p h i e . E l l e s ' a s s o i t d ' e l l e - m ê m e , d e m a n d a n t à s e p r ê t e r à l ' e x p é r i e n c e , p u i s , t o u t o f f u s q u é e , s ' e x c l a m e : « Ce n ' e s t q u e ç a ? » R i r e s s i m u l t a n é s d e M a r c e t d e B r a d y . M a r c d i t g r a v e m e n t : « Q u e ç a ? T o u t e u n e v i e d e t â t o n n e m e n t s , d ' e x p é r i e n c e s s u r d e s a n i m a u x , p u i s s u r d e s ê t r e s h u m a i n s à c o m m e n c e r p a r s o i - m ê m e ! » B r a d y , q u i s o u r i t , l e v i s a g e t o u t é c l a i r é , p r é c i s e : « U n e f o i s b i e n d é c i d é e , v e n e z v i t e . J e v o u s c h a n g e r a i l e s i d é e s , m o i . J e v o u s f e r a i v o i r l a c h o s e s o u s u n j o u r si d i f f é r e n t . . . d e b e l l e s c h o s e s . V o u s f i n i r e z p e u t - ê t r e p a r m e s e c o n d e r c o m m e le f a i t m a fille! N e r i e z p a s , c ' e s t d é j à a r r i v é . L o r s q u ' o n v o i t r e n a î t r e l e s p o u m o n s e t l e s â m e s , o n v e u t a i d e r . B i e n c o m - p r i s ? J e n e c o m b a t s p a s l e p n e u m o , j ' e n f a i s a u b e s o i n , m a i s j e l e p r é p a r e , e t q u a n d j e p e u x , j e m ' e n p a s s e . P o u r v o u s , j ' e s p è r e b i e n l ' é v i t e r . » M a r c c o n n a î t B r a d y . L ' a r g e n t n e c o m p t e g u è r e p o u r c e s e r v i t e u r d e s s o u f f r a n t s , p r o d i g u e d e g e s t e s g r a t u i t s . A u c u n s o u c i d e p u b l i c i t é — i l n e s u f f i t p a s à s a t â c h e — , e t l ' a c c e p t a t i o n d e l ' o s t r a c i s m e a u q u e l il se h e u r t e m a l g r é s e s p r e u - ves. N u l n ' e s t p r o p h è t e e n s o n p a y s : B r a d y p l u s q u ' u n a u t r e e s t e n t e r r e l o i n t a i n e . Q u ' i m p o r t e ! U n e n o b l e f a m i l l e s i l e n c i e u s e l ' a f i n a l e m e n t o b - s e r v é e t s o u t e n u , u n e f a m i l l e f o r m é e e t r e s t é e a u t o u r d ' u n d e s p l u s g r a n d s n o m s d e l a s c i e n c e

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DERNIÈRES PUBLICATIONS

38120. — A. MARETHEUX et L. PACTAT, imp., 1, rue Cassette, Paris. — 1937

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