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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE VINGT EXEMPLAIRES SUR ALFA NUMÉROTÉS DE 1 A 20. Tous droits réservés by Éditions du Scorpion, 1960

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Texte intégral

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B O U T D U MONDE

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE VINGT EXEMPLAIRES SUR ALFA

NUMÉROTÉS DE 1 A 20

Tous droits réservés

© by Éditions du Scorpion, 1960

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BERNARD RUNNER

L E P O S T E

DU BOUT DU MONDE

COLLECTION ALTERNANCE

JEAN D'HALLUIN, EDITEUR — I, RUE LOBINEAU, PARIS - 6 Les

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« Une condamnation injuste est le suprême titre de

noblesse. » Jean COCTEAU

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AVANT-PROPOS

Le POSTE DU BOUT DU MONDE est à la fois un roman et un témoignage.

Un roman d'abord, celui des hommes qui, isolés dans des postes, tels celui du Bout du Monde, ont été des soldats certes, soutenant avec un héroïsme et une abnégation dignes d'un meilleur sort un combat qu'ils savaient sans espoir, mais aussi des êtres de chair et de sang avec leurs grandeurs et leurs faiblesses.

Un témoignage également, celui d'un combattant de ce front du Bout du Monde. Certains épisodes, certains faits cités, pourront étonner, choquer même le lecteur : que celui-ci se persuade que la réalité dépasse souvent la fiction et que l'auteur qui a tenu essentielle- ment à donner à ces quelques pages, le caractère d'un document pris sur le vif, a moins imaginé que transposé, ce qui lui permet de pré- senter au grand public, dans le cadre d'une intrigue romanesque passionnante, quelques-unes des raisons profondes du drame indo- chinois et de son issue malheureuse.

Ces révélations paraîtront tardives, elles sont cependant d'une actualité brûlante, la poussée de nationalisme qui, hier, incendiait l 'Asie, se communiquant aujourd'hui à l'Afrique. Les données du problèmes sont certes loin d'être identiques mais le Français d 'Afrique ressemble étrangement à son frère d'Asie, et, il appartient aux hommes de bonne volonté connaissant ces problèmes pour les avoir vécus, d' alerter de toutes les façons possibles l'opinion pour que, demain, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets.

Le POSTE DU BOUT DU MONDE n'a pas d'autre ambition.

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L'avion, un bi-moteur lourdement chargé, prenait sur la piste luisante de pluie de l'aérodrome de Tan Son Nut, le départ pour la Zone Nord, cette zone montagneuse de la frontière de Chine qui, coupée du delta tonkinois par la Moyenne Région passée aux rebelles, constituait un véritable îlot de résistance et d'influence française, ceinturé de toutes parts par les troupes du Viet Minh et celles de la Chine communiste.

A son bord, un seul passager, le Capitaine Fersant qui rejoi- gnait par la voie des airs son poste de Tchoung San, le plus avancé, le plus septentrional de nos postes de la frontière de Chine.

Lentement, l'avion prenait l'altitude nécessaire pour échapper aux tirs de la D.C.A. Viet Minh qu'il allait devoir affronter au moment de son passage de la zone française dans la zone rebelle.

Après avoir décrit un large tour circulaire sur Hanoï, le pilote mit le cap sur Viétri, le dernier poste français sur les bords du Fleuve Rouge.

La plaine s'étendait à perte de vue, quadrillée par des milliers de diguettes ; à de larges intervalles, des bouquets verdoyants indiquaient l'emplacement d'une pagode, d'un village abrité

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derrière une levée de terre et des haies de bambous serrés. Quel- ques grandes lignes droites, largement étalées sur le sol gris, étaient les seuls et derniers vestiges des routes coloniales, véri- tables voies romaines construites par la France au cours d'un demi-siècle de vie commune avec l'empire d'Annam. D'autres lignes moins larges mais plus hachées, plus sectionnées, évoquaient les voies ferrées d'antan, cette magnifique réalisation française grâce à laquelle des régions qui, depuis des millénaires, vivaient repliées sur elles-mêmes, étaient maintenant, largement ouvertes aux grands courants d'échange.

Le paysage changeait d'ailleurs, l'avion atteignant le fond du tableau où la plaine immense faisait, presque sans transition, place aux reliefs étranges si souvent représentés par les peintres chinois : hauts pitons coniques évoquant des pins de sucre chevelus, âpres massifs aux parois verticales et dentelées, cirques fantas- tiques recouverts d'arbres géants, de lianes inextricables, de sous- bois obscurs, étouffants et malsains.

Le pilote se pencha vers Fersant, assis à ses côtés, au poste de pilotage, pour lui crier à l'oreille, en essayant de dominer le bruit assourdissant des moteurs :

— Nous entrons chez nos bons amis, les Viets.

— Nous n'avons pas grand chose à craindre, ce matin, — répondit Fersant, voyez comme la vallée est encore couverte de brumes.

Effectivement la vallée du Fleuve Rouge, cette coupure rectiligne de deux cents kilomètres entre Hung Hoa et la frontière de Chine, était recouverte d'une brume épaisse. Tout avion plus moderne et moins lourdement chargé, aurait pris l'altitude suffisante pour survoler ce magma cotonneux et les pics environ- nants, mais le « taxi » de la C.T.A.N.V. dont les moteurs donnaient cependant toute leur puissance, devait se faufiler littéralement entre les hauteurs broussailleuses et boisées qui bordaient l'étroite vallée. Initialement, le danger était faible, la région correspon- dant bien à son appellation géographique de Moyenne Région, avec son altitude de cinq cents mètres environ, mais les hauteurs augmentaient rapidement au fur et à mesure de la montée vers le Nord-Ouest, et, pour atteindre Nghia Do, siège du IV Bataillon thaï et destination de l'avion, ne fallait-il pas, au Nord de Bao

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Ha, quitter le Fleuve Rouge pour franchir les hauteurs sauvages séparant sa vallée de celle de la rivière Song Chay, aux canons sinueux, dominés par de vertigineuses parois. Le pilote, crispé sur ses commandes, se guidait au jugé... il avait si souvent suivi cette route qu'il en connaissait tous les détours, toutes les embûches, tous les dangers. Il n'était d'ailleurs pas question de risquer un demi-tour hasardeux dans cette zone dont certains sommets dépassaient déjà mille mètres, mais, s'il ne pouvait attraper la vallée du Song Chay, de pousser résolument au Nord jusqu'à Lao Kay dont l'excellent terrain devait être dégagé, si l'on se basait sur la météo du matin. Fersant, calme, souriant, ne parais- sait point se rendre compte du danger. Il se remémorait certaines histoires étonnantes de ses camarades des Zones Nord et Nord- Ouest qui, pour rejoindre leur poste, aux accès presque toujours coupés, avaient dû effectuer des vols acrobatiques sur de minus- cules « Morane » dont le plafond atteignait à peine l'altitude de certains cols, mais qui se trouvaient être les seuls appareils capa- bles d'atterrir et surtout de repartir des terrains exigus de cette région montagneuse.

Oui, la vie des hommes qui tenaient ces zones frontières, était une vie dure, dangereuse avec ses combats journaliers non seulement contre les hommes mais également contre le pays, contre les éléments. L'Annamite entassé dans le delta surpeuplé n'avait jamais pu se fixer de façon durable dans ces montagnes arides, sauvages, inhospitalières, et maintenant, on demandait à une poignée de Français de s'y installer, de rallier une popula- tion farouchement individualiste et, avec l'aide de cette popula- tion, de couper le Viêt-Minh de la Chine communiste !

Fersant en était là de ses réflexions lorsqu'il reçut une solide bourrade de Voizelle.

— Hurrah, criait celui-ci, le soleil, et là-bas la route de Nghia Do.

La fin du voyage fut sans histoire. On rasa bien d'un peu près

les hauteurs encadrant le Song Chay puis celles bordant au Sud

la vaste cuvette de Nhgia Do, mais tout paraissait facile après le

vol dans la purée de pois de l'heure d'avant. D'autre part, on survolait une région, sinon amie, du moins neutre, où aucune

arme ennemie ne risquait de prendre à parti l'avion alors qu'il

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survolait à basse altitude l'itinéraire d'accès au poste français.

C'est donc dans un état de parfaite euphorie, que Fersant sauta de l'avion dès que celui-ci se fut immobilisé devant un petit groupe d'Européens et d'autochtones. Un officier se hâtait à sa rencontre.

— Sais-tu que tu n'as guère changé, mon vieux Brunel, lui cria Fersant. Tu ne peux croire combien j'ai été heureux d'apprendre hier, à l'état-major, que l'adjoint du Commandant du IV Bataillon était précisément mon vieux camarade Brunel.

— Rien, répondit Brunel, ne pouvait de mon côté me faire plus plaisir que la nouvelle de ton affectation au Bataillon.

Brunel n'avait jamais été très expansif, mais son ton un peu gêné frappa Fersant, qui, au même moment, ne put s'empêcher de remarquer que Brunel était le seul officier du poste venu le saluer à son débarquement de l'avion. Or, il était une coutume bien établie dans les postes isolés d'Indochine : l'atterrissage de chaque avion rassemblait sur le terrain la presque totalité des cadres et des hommes disponibles, trop heureux d'entendre des nouveaux arri- vants les dernières nouvelles du delta, de la France et du monde.

— Le poste de Nghia Do serait-il le palais de la Belle au Bois Dormant, reprit Fersant, toujours sur un ton de bonne humeur.

Alors que je m'attendais à me perdre, comme je le fais toujours, dans la foule des nouveaux visages, je ne trouve ici qu'un vieux camarade ! Enfin, je ferai plus ample connaissance avec les officiers du Bataillon à la popote qui, si j'en crois les bruits qui parviennent jusqu'à Hanoï, est une des meilleures du Tonkin.

— Effectivement, nous avons, jusqu'alors, trouvé pas mal de ressources dans le pays, et, tout particulièrement, dans cette vallée de Nghia Do, mais je crains, vois-tu, reprit Brunel d'un ton qui voulait paraître dégagé, que tu n'aies guère le temps de l'ap- précier, car le Commandant qui dispose pour aujourd'hui seule- ment d'un Morane, a l'intention de te diriger sans tarder sur Tchoung San.

Fersant était de plus en plus surpris. Pourquoi, alors qu'il aurait été indiqué qu'il prenne un contact sérieux avec l'État- major du Bataillon et ses camarades du poste, mettait-on en avant la présence d'un avion que, certainement, rien ne rappelait d'urgence à Hanoï, pour l'éjecter littéralement sur Tchoung San ?

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Trop vieux soldat cependant pour manifester son étonne- ment, il se laissa conduire, sans poser de nouvelles questions, sur la hauteur où était implanté le poste. Quelques minutes suffi- rent pour atteindre la triple rangée de fils de fer barbelés et le système de tranchées enterrées qui marquaient le contour exté- rieur du poste. Plusieurs constructions basses se dressaient à l'intérieur ; une seule était en briques, celle abritant le Comman- dant de Rastigny et son État-Major.

Brunel et son compagnon étaient manifestement attendus, car, à l'entrée même du dit bâtiment se trouvait un sous-officier qui les conduisit directement auprès du Commandant du Bataillon.

Brunel, après avoir annoncé son camarade, referma doucement la porte, laissant seuls les deux hommes.

Le Commandant de Rastigny, figé sur un fauteuil généreuse- ment rembourré pour faire émerger au maximum au-dessus de la table qui lui servait de bureau, son buste petit, mais trapu et solide, fixa quelques secondes sans dire un mot, le Capitaine Fersant figé dans un garde à vous impeccable.

— Capitaine Fersant, dit-il, enfin lentement, en lui tendant la main, je vous souhaite la bienvenue au IV Bataillon, mais avant de commencer notre entretien, je vous demande de répondre très franchement à la question que je vais vous poser : Qu'avez-vous fait pour que l'État-Major s'occupe tant de vous ? N'ai-je pas reçu, ce matin même, des instructions très précises pour vous diriger sans délai sur le poste de Tchoung San ! Or, vous savez que les affectations dans ce Bataillon isolé, sont toujours prononcées par moi. Je comptais vous prendre à mon État-Major, en rempla- cement de votre camarade de promotion Brunel dont le séjour arrive prochainement à expiration. Je présume donc qu'il a fallu un motif sérieux pour que faisant exception à la règle, le Général vous affecte lui-même à un poste qui, entre nous, ne tire son intérêt que de sa position en flèche.

— Effectivement, mon Commandant, il existe un motif qui vous sera certainement communiqué s'il ne vous est déjà adressé par le courrier officiel que je vous apporte. J'ajoute que je suis heureux d'avoir cette occasion de répondre à votre question, en vous expo- sant très franchement ce que je crois être la vérité toute simple. — Parlez-donc, reprit de Rastigny.

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— Je me permets de vous apprendre, pour le cas où vous ne le sauriez pas, que j'ai eu la mauvaise fortune de me trouver, au début des hostilités de 1939, dans ce pays où j'ai été maintenu d'office jusqu'en 1946. J'ai donc effectué, ici, un séjour de près de dix ans, où, tout en apprenant pas mal de choses, je me suis fait quelques relations, quelques amis même. Parmi ces derniers, je comptais le jeune Sermois qui, depuis, s'est fait un nom en écri- vant dans certains journaux ou périodiques à grand tirage. Or, j'ai revu Sermois, récemment à Hanoï, peu après le passage du Ministre Florent, celui que l'on a promené dans le delta, lui faisant admirer les moissons qui s'y épanouissaient dans la paix et la tranquillité retrouvées ! Ces brillants résultats se traduisirent pour les responsables de ce scénario aussi original qu'osé par une manne de galons et de décorations et... pour le pays par l'affir- mation officielle, réitérée une fois de plus que le problème militaire ne se posait plus dans une Indochine ayant enfin compris que la guerre ne payait pas.

Or, je connaissais les dessous de cette pièce si bien montée, puisque c'étaient mes hommes qui avaient eu la délicate mission d'assurer le rideau invisible de protection qui permit au ministre sa promenade hygiénique dans la rizière soi-disant pacifiée.

Je n'ai rien dit tant qu'il ne s'est agi, pour quelques arrivistes sans scrupule, que de presser le citron des honneurs officiels, mais lorsque j'ai vu l'opinion du pays trompée et abusée par les décla- rations à l'Assemblée Nationale de ce pauvre jobard de Florent, je n'ai pu m'empêcher de raconter l'affaire à mon ami Sermois qui arrivait précisément de France. Le papier qu'il publia, fit du bruit, beaucoup de bruit. Une enquête eut lieu. N'ayant pas nié ma responsabilité dans la divulgation des faits cités, j'ai été alors déclaré indésirable dans le delta et dirigé d'urgence sur votre Bataillon, et, pour m'enlever toute possibilité de renouveler pareille indiscrétion, j'ai, sur ordre spécial de l'État-Major, été affecté à un poste paraît-il, pratiquement coupé du monde, le poste de Tchoung San.

Le Commandant de Rastigny resta silencieux quelques instants, son visage autoritaire, fortement buriné, ne sourcillant pas, puis il martela ces quelques mots :

— Je vous pose maintenant une question, une seule à laquelle

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je vous demande de répondre par un seul mot, oui ou non. Ma question, la voici : Estimez-vous correct qu'une mesure prise en toute connaissance de cause par le commandant des Troupes, soit dénoncée à l'opinion publique par un de ses subordonnés ayant précisément participé à l'exécution de cette mesure ?

— Oui, répondit Fersant, lorsque cette mesure constitue, vis-à-vis du pays, un abus de confiance d'autant plus grave que son auteur est, de par ses fonctions, au-dessus de tout soupçon.

— Eh bien, moi, je vous dis non, parce qu'en agissant ainsi, vous avez d'abord contrevenu aux règles les plus élémentaires de la discipline intellectuelle, de cette discipline qui constitue la base même de nos armées. Vous avez également manqué d'élé- gance morale et, ce qui me paraît le plus grave, c'est que, comme vous venez de me l'indiquer par votre réponse, vous ne vous rendez pas compte de la gravité de votre faute. Vous feriez peut- être un bon politicien, mon cher, mais vous ne serez jamais qu'un médiocre soldat parce que vous n'avez pas, au plus profond de vous-même, le culte des valeurs morales représentées par ces mots de discipline, abnégation, qui constituent les fondements même de la religion commune à tous les vrais soldats, celle de l'Honneur.

— L'honneur, mon Commandant, c'est le respect de soi- même, c'est la conscience exaltée, or, ma conscience m'interdisait de me faire complice d'une mascarade.

— Taisez-vous, Monsieur, vous n'avez pas le droit de juger les ordres de vos chefs, non, vous n'avez qu'un droit, celui de les exécuter strictement. Et j'ajoute que plus j'examine votre cas, moins je vous comprends, et, plus j'approuve la décision vous concernant. Vous partirez donc à midi par le Morane que nous avons la chance d'avoir ici. Ce Morane, vous me le retournerez dès que vous pourrez, mais dans tous les cas pas après seize heures, car j'entends qu'il soit, ce soir même, de retour à Hanoï.

A Tchoung San, vous trouverez deux officiers ayant toute ma confiance : le plus ancien quoique le plus jeune en âge, Grigny, est le type même du Cyrard passionné de son métier, le « fana » dans toute l'acception du terme, un vrai cheval de sang qu'il vous faudra freiner mais jamais éperonner. Quant à l'autre, Bourrinet, c'est un vieux sous-officier, très fier de son galon d'or tout neuf, qui n'a qu'une ambition, faire un aussi bon officier qu'il fut un

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excellent sous-officier ; ce garçon est simple, tout d'une pièce, un peu rude parfois, mais, en définitive, le dévouement person- nifié.

J'espère que vous saurez vous imposer à ces deux officiers ainsi qu'à vos sous-officiers et vos hommes.

De votre mission, je ne vous dirai pas grand chose aujour- d'hui, les ordres que vous trouverez à votre poste étant très complets. J'insiste cependant sur cette idée essentielle que nous ne pouvons espérer nous maintenir dans ce pays que si nous le mettons à l'abri des incursions viets et chinoises. Ce résultat, vous ne l'ob- tiendrez que si vous opérez en liaison étroite avec les postes voisins de Nam Quat et Ho Tao. Cette liaison est d'autant plus indispensable que les forces rebelles qui couvrent le gros centre viet d'Hagiang, sont, depuis quelques jours, nettement plus mordantes. Toujours dans le même esprit, j'attire votre attention sur la nécessité impérieuse de travailler en toute confiance avec les autorités locales autochtones, et, tout spécialement, avec Yang Co Hoa, le Chef de la région.

Le Commandant de Rastigny se tut alors un moment, puis il reprit :

— Je n'ai rien d'autre d'essentiel à vous dire ; si je voulais aborder, en effet, avec vous toutes les données du problème, des heures ne suffiraient pas... or, le temps presse... j'ai donné des instructions pour que vous décolliez à midi trente, il est onze heures passées, et je désirerais qu'avant votre départ, vous preniez contact avec l'Officier de Renseignements et celui des Transmissions. Je ne vous retiendrai donc pas plus longtemps. Si quelque chose ne va pas, n'hésitez pas à m'écrire mais qu'il soit bien entendu qu'à partir de cette heure, vous faites uniquement, exclusivement, votre métier de soldat, renonçant définitivement à celui de corres- pondant de journaliste en quête de papiers sensationnels.

— Mon Commandant, j'ai, derrière moi, plus de quinze ans de services durs, sévères. Alors que mes camarades de lycée, de promotion, profitaient de leurs belles années de jeunesse, pour ma part, je partais à vingt ans et quelques mois en plein cœur de l'Afrique d'où je ne rentrais que pour venir dans ce pays auquel j'ai déjà donné plus de dix ans de ma vie. Au cours de ces années de danger et de labeur, je n'ai jamais été qu'un soldat. Si j'ai

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réagi, voici un mois, ainsi que je vous l'ai exposé très franchement, ce fut uniquement pour des raisons de conscience qui ne se poseront plus ici pour moi. A votre Bataillon, nous sommes tous des combat- tants de première ligne. Je peux donc vous assurer qu'aussi longtemps que j'aurai l'honneur de servir sous vos ordres, je ne serai rien d'autre qu'un soldat.

— Je vous remercie, dit le Commandant de Rastigny. Brunel, cria-t-il, occupez-vous à nouveau du Capitaine Fersant et, après lui avoir fait prendre une tasse de café, conduisez-le auprès des officiers qu'il doit voir avant son départ.

— Bonne chance, dit-il enfin à Fersant, qu'il quitta sur le seuil de son bureau.

Il était midi, lorsque Fersant et Brunel arrivèrent sur le terrain où l'Adjudant-Chef Gassin s'affairait autour du minuscule Morane qui allait remplacer le bi-moteur du matin, trop lourd pour le terrain difficile et réduit de Tchoung San. La chaleur était accablante, pas un souffle d'air, certaines couches de l'at- mosphère paraissaient même trembler, donnant, par moments, de curieux effets de mirage.

Un dernier mot, dit Brunel, ralentissant l'allure afin de pou- voir continuer quelques instants encore, l'entretien commencé avec Fersant, depuis la sortie du poste : que t'a dit le patron, sur tes deux futurs lieutenants ?

— Deux types formidables, paraît-il.

— Le portrait est un peu flatteur, je crois, répondit Brunel.

Le lieutenant Grigny a, certes, bon nombre de qualités mais il est à la fois impulsif et trop sûr de lui, appuyant beaucoup trop sur la pédale de ses hautes relations. Quant au second, ce pauvre Bourrinet, c'est l'inverse : il ne connaît, pour ainsi dire, personne ; aussi, est-il prêt à tout pour se créer des amitiés précieuses dans certains milieux bien placés, tels l'État-Major ou le Haut Commis- sariat. Je le soupçonne fort d'être l'œil du 2e Bureau, non seule- ment pour Tchoung San mais pour le Bataillon. J'ai tenté d'attirer l'attention du patron sur certaines fuites inexplicables ; il ne partage pas mon opinion ; n'empêche que je maintiens mon point

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de vue, et, je tenais à te mettre en garde, souhaitant d'ailleurs de me tromper.

Ils discutaient encore lorsque Gassin très énervé interpella Brunel : Mon Capitaine, lui dit-il, je vous renouvelle les réserves que j'ai faites, il y a une heure environ, au Commandant de Ras- tigny : à cette heure, dans cette cuvette, l'air ne porte pas et c'est folie que de décoller à pleine charge ; à l'avance, je décline donc toute responsabilité si je casse du bois.

— Que vous a dit le Commandant, répondit Brunel.

— Qu'il maintenait son ordre.

Dans ces conditions, reprit Brunel, je ne puis rien vous dire d'autre.

— Mon cher Gassin, ajouta alors Fersant, j'ai eu beaucoup de chance dans mon vol de ce matin... cette chance me suivra, j'en suis certain, et sans attendre la réponse de Gassin, il serra rapide- ment les mains des présents et sauta dans la carlingue.

Le décollage fut laborieux, mais enfin le Morane réussit à trouver une couche d'air ascendante qui lui permit de sortir avec une relative facilité de la cuvette de Nghia Do. Le paysage était à la fois grandiose et effrayant : un dédale de crêtes aiguës, de cirques désolées à l'aspect de paysages lunaires, de combes vertes et sauvages, comprimées entre des murailles rocheuses tombant presque à pic. En de rares endroits, la montagne s'huma- nisait, faisant alors place à de fraîches vallées recouvertes d'un tapis vert de rizières qui, par endroits, escaladaient, par des cultures en gradins, les pentes rocailleuses de ces hauteurs du Bout du Monde.

Une de ces vallées adossées à la haute barrière des montagnes de Chine était nettement plus verdoyante, plus riche, plus habitée que les autres, c'était celle de Tchoung San que traversait le tur- bulent Song Chay, dont la source se trouvait à quelques dizaines de kilomètres plus au nord. Tel un jeune cheval fougueux, la rivière arrivait bouillonnante, rapide, brutale dans la plaine où elle s'assagissait rapidement, grâce aux travaux aussi nombreux qu'ingénieux des riverains : ici, c'était une multitude de canaux d'irrigation conduisant ses eaux claires jusqu'aux limites même de la vallée, là, d'autres canaux utilisant les plus faibles dénivella-

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tions, actionnaient, à l'aide de grandes roues à palettes, des mou- lins qui paraissaient dater de l'époque biblique.

Vers l'extrémité Nord-Est de la plaine, le terrain se relevait rapidement constituant un éperon broussailleux que léchait à sa base un bras du Song Chay. Cet éperon ceinturé de barbelés, entaillé de tranchées, recouvert d'ouvrages défensifs et de cons- tructions légères, constituait le poste frontière de Tchoung San, le plus avancé de l'Indochine, de par sa position en flèche. Entouré au Nord et à l'Ouest par les forces chinoises, neutres théoriquement, mais hostiles en fait, et à l'Est, par les forces rebelles du Viet Minh, il ne communiquait avec le monde occidental que par la piste le reliant au poste de Nghia Do ; de cette piste partaient deux embranchements sur les postes amis de Nam Quat et Ho Tao.

Jusqu'à ces derniers jours, les communications entre ces postes avaient été, grâoe à l'appui des populations montagnardes, de tout temps, hostiles à l'autorité annamite du delta, sinon sûres tout au moins possibles ; toutefois, l'installation récente de fortes bandes rebelles, à l'Ouest d'Hagiang, venait d'entraîner un état d'insécurité générale dans la région, coupant pratiquement Tchoung San du monde civilisé.

Fersant que fouettait de fortes rafales de vent, fixait avec émotion ce paysage heurté où allait se jouer sa destinée.

Un aigre vent du Nord chargé de poussières, soufflait sur le terrain qui, à première vue, paraissait vide. Lorsque l'avion eut toutefois viré autour du terrain, un petit groupe d'une dizaine d'hommes se détacha d'un massif de quelques arbustes en bordure du terrain. Au même moment, de nombreux enfants accouraient du village situé à quelques centaines de mètres du terrain.

— Arrivée incognito, cria Gassin à Fersant. Je serais cepen- dant étonné, ajouta-t-il, que les Chinois d'en face qui nous obser- vent de leurs observatoires bien camouflés, ne soient pas, eux, avertis de notre arrivée.

L'avion se posait sur la piste, sautant fortement sur les aspé- rités du sol. Il roula une centaine de mètres puis s'arrêta devant une dizaine de militaires autochtones qui, sous la conduite d'un sous-officier européen, rendaient les honneurs.

Un autre Européen que n'avait initialement pas remarqué

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EXTRAIT DU CATALOGUE

Georges ARNAUD Les Oreilles sur le dos

Léonlde MOGUY Le long des trottoirs

Francis DIDELOT L'Aventure Caraïbe Maurice DEKOBRA Les femmes que J'ai aimées

René DELPECHE Parmi les fauves et les requins

James GAIN Coups de Tête

George-DAY La Colombe noire

Marcelle VIOUX Cette nuit-là

Max JULIEN Le Tombeau du Pharaon

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