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Il a été tiré de cet ouvrage : 10 exemplaires sur papier de Hollande Van Gelder, marqués H. C., et numérotés de I à X ;

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Il a été tiré de cet ouvrage :

10 exemplaires sur papier de Hollande Van Gelder, marqués H. C., et numérotés de I à X ;

2 5 exemplaires sur papier Madagascar, marqués H. C., et numérotés de XI à XXX V,

réservés pour l'auteur et ses amis.

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VERS L'OASIS

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DU MÊME AUTEUR, A LA MÊME LIBRAIRIE :

R O M A N S

A r i c i e B r u n o u l e s v e r t u s b o u r g e o i s e s . (Grand prix du roman. Académie française, 1924.)

L e s O c c a s i o n s p e r d u e s . L ' I n s t a n t e t l e s o u v e n i r .

L e D i a b l e à l ' h ô t e l o u l e s p l a i s i r s i m a g i n a i r e s . L e s T e m p s i n n o c e n t s .

A v e n t u r e s d e S y l v a i n D u t o u r . L ' E n f a n t p e r d u .

L a M a r c h a n d e d e c o u r o n n e s . L e P é n i t e n t d e P s a l m o d i .

C R I T I Q U E

L i v r e e t p o r t r a i t s . (Courrier littéraire). 1 , 2 et 3 séries.

R o m a n e s q u e s e t r o m a n t i q u e s . D ' H é l o ï s e à M a r i e B a s h k i r t s e f f

P O É S I E P o é s i e s ( 1 9 0 5 - 1 9 2 8 ) .

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS : L a F l a m m e e t l e s c e n d r e s , poésies.

V a l e n t i n , roman.

C a r n e t d ' u n d r a g o n .

L e s L i v r e s d u s e c o n d r a y o n . É l o g e d e l a c u r i o s i t é .

S t e n d h a l i a n a .

V o l t a i r e e t F r é d é r i c I I . A l f r e d d e M u s s e t .

É p i s t o l i e r s e t M é m o r i a l i s t e s . E s q u i s s e s e t n o t e s d e l e c t u r e . C o u r r i e r l i t t é r a i r e : X V I I s i è c l e . L ' A r t d e f o r m e r u n e b i b l i o t h è q u e . P r o m e n a d e s i t a l i e n n e s .

E n P r o v e n c e .

Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1935.

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ÉMILE HENRIOT

VERS L'OASIS

— EN ALGÉRIE —

PARIS

L I B R A I R I E P L O N

L E S P E T I T S - F I L S D E P L O N E T N O U R R I T I M P R I M E U R S - É D I T E U R S — 8 , RUE GARANCIÈRE, 6°

T o u s d r o i t s réservés

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J e voudrais d o n n e r des choses q u e j e voit u n e idée simple, c l a i r e et vraie, é m o u v o i r avec le s o u v e n i r de ce q u i m ' a é m u , l a i s s e r le l e c t e u r i n d i f f é r e n t p o u r ce q u i ne m ' a pas intéressé m o i - m ê m e , ne t i e n g r a n d i r à p l a i - sir, et, me t e n a n t toujours d a n s l a m e s u r e des choses, les r a p p e l e r à ceux q u i les con- naissent, les r e n d r e sensibles et p o u r a i n s i dire les f a i r e revivre à l'esprit c o m m e a u x y e u x d e ceux q u i les i g n o r e n t .

EUGÈNE FROMENTIN. Voyage en Égypte.

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Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U. R. S. S.

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AU COLONEL C H A R M A S S O N

Mon colonel, vous souvenez-vous de nos promenades, de nos deux voyages? C'est à vous que j'offre ce livre, mais n'est-il déjà pas à vous, qui page à page l'avez vu naître?

Nos conversations, le long des pistes intermi- nables où cependant les heures passaient si vite, si légères; notre gaieté, l'amitié née, nos aventures amusantes et nos émouvantes ren- contres; vos enseignements, nos confrontations de ma vie de curiosité et de livres, et de la vôtre, glorieuse, utile, positive, toute remplie par le dévouement à l'armée et par le service de la France : tout cela m'est présent, et vous saurez, pour vous, le retrouver ici entre les lignes.

J'éprouve un scrupule pourtant. On a déjà beaucoup écrit sur l'Algérie, que puis-je ap- porter d'inédit? Nos courses ont été si rapides!...

Eh bien, je n'ai voulu dire ici que ce que j'avais

vu, d'un œil neuf, ce que j'ai senti, ce qui m'a

ému, ce que j'ai cherché à comprendre, de la

splendeur du ciel éblouissant, de la noblesse

intacte du désert, dans la tranquillité des nuits

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et dans l'éternité des choses, devant les mystères profonds de l'âme arabe; devant surtout la magnifique œuvre française accomplie depuis un siècle, glorieusement ou obscurément, chacun à son rang et de tout son cœur, par des hommes comme vous. J'étais parti en peintre, ma boîte à couleurs dans mon stylo; je pensais ne courir qu'à des paysages. Mais à l'heure douteuse où nous sommes, un problème se pose à chaque pas : économique, humain, historique, politique, moral ou psychologique. Je n'avais pas qualité pour les résoudre; trop de passions et trop d'in- térêts sont en jeu. Du moins n'ai-je pas éludé de les évoquer, f t-ce en passant, et j'ai dit ce que j e croyais juste.

Mais ce livre n'est qu'un album d'images : ne l'acceptez que comme tel. Sans ri en dire de la précieuse affection qu'elles m'ont value de votre part, nos randonnées n'auront peut- être pas été inutiles, si ces images incitent quelque voyageur à s'en venir lui aussi « décou- vrir » de ses propres eux, et trouver des raisons de l'aimer, notre magnifique Algérie — où les perpétuels recommencements de l'histoire ont fait de notre France pacifiante et civilisa- trice l'héritière et la remplaçante de Rome.

E. H.

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PREMIÈRE PARTIE

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U N P È L E R I N A G E

Mon enfance a été bercée p a r les b e a u x récits que m o n père me faisait de son voyage en Algérie. Il y a q u a r a n t e ans de cela. Il a v a i t v u Alger, B i s k r a e t C o n s t a n t i n e . Q u a n d il m e d é c r i v a i t les précipices du R u m m e l , et, t o u j o u r s v i v e m e n t épris de fastes mili- taires, m ' e n t r e t e n a i t de la c o n q u ê t e et d u siège f a m e u x , de la b r è c h e où le colonel Combe s ' é l a n ç a i t avec u n e échelle, j ' a v a i s le vertige, j ' e n t e n d a i s la fusillade et l'explosion des sapes, je voyais les z o u a v e s g r i m p e r à l'assaut, le long des p e n t e s formidables. Q u a n d il f r a n c h i s s a i t p o u r moi le défilé d ' E l - K a n - t a r a , entre les rochers rouges, si j u s t e m e n t croqués d a n s son a l b u m , je croyais avec lui t o u c h e r a u x p o r t e s d u désert. D ' ê t r e v e n u de si loin, sous u n tel ciel, de s'être fait p h o t o g r a p h i e r en b u r n o u s , selon la c o u t u m e , à dos de c h a m e a u et près d ' u n p a l m i e r , je croyais m o n père u n g r a n d v o y a g e u r . La géographie ignorée a de ces prestiges s u r un

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cœur, un esprit d'enfant, sensible aux mirages.

Pour compléter l'illusion, mon cher papa m'avait rapporté une petite djellabah, et parfois, sur la table jonchée de ses innom- brables croquis, il vidait devant moi le con- tenu d'un banian de cuivre acheté aux souks de Tunis, et qui répandait sous mes doigts une poudre impalpable et nacrée. C'était du sable du désert, ramassé par lui à Biskra, dans les premières dunes.

Sur cette terre d'Algérie, qui me fut si longtemps un sujet merveilleux de rêve, à la fois craint et désiré, me voici maintenant à mon tour, ému de cette présence retrouvée du meilleur ami de ma vie, qui m'a précédé ici, dans le temps, comme partout, et qui semble, à chacun de mes pas, m'attendre, me recevoir et me guider, sur la route où je passe après lui, sur la borne où je m'assieds et où il s'est assis, devant le site qu'il a admiré. Partout mon cœur rejoint un fan- tôme. Chère présence, qui ne me quitte plus ! Comme ce voyage — le premier hélas ! que je ne lui raconterai pas, à mon retour — prend un charme émouvant pour moi ! Il me rend un instant mon père, dans ces lieux qu'il a visités et que ses récits d'autrefois, par avance, m'ont fait familiers. Je venais ici prendre une leçon de choses, changer

d'air. C'est un pèlerinage qui m'attend.

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Invité par les services du tourisme (Ofalac) du gouvernement général à visiter l'Algérie pour dire, après coup, ce que j'aurais vu, un des premiers Algérois que je rencontre, dès l'abord, ironiquement, jette un froid sur mon enthousiasme. « Vous venez nous décou- vrir, vous aussi? » Il me montre une biblio- thèque. « On a déjà beaucoup écrit sur l'Al- gérie. » Eh ! je le sais, mais comment faire?

Je sais aussi que les Algériens n'aiment guère qu'on leur apprenne qu'ils habitent un très beau pays ; ils ont des raisons de le savoir, et depuis longtemps, sans qu'il faille qu'on débarque tout exprès de la métropole pour le leur corner aux oreilles. Mais l'Al- gérie, c'est un peu la France. Et si la France, qui ne voyage pas, avait besoin qu'on le lui dise, pour qu'elle y aille voir un peu plus souvent, qu'à vingt-deux heures de Marseille, et à trente-deux de Paris, ou plus vite encore par l'avion, commence un magnifique em- pire, qui la fait, en Afrique, l'héritière de Rome? Bienfait toujours inépuisable du voyage ! C'est dès qu'on a quitté la France qu'on s'aperçoit de sa grandeur.

Sur le navire qui m'emporte, Marseille, entre ses rochers pâles, n'est plus qu'une lumineuse épure au ras des eaux ; déjà toutes nos petitesses s'estompent, disparaissent ; et nos scandales, et nos querelles. L'attente

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d'un univers neuf, pressenti dans le vent du large, déjà m'emplit et me soulève.

Ce que je quitte est oublié, s'éloigne et s'as- sourdit devant ce vaste inconnu entr'ouvert, d'espérance et de curiosité. Dans la lente et profonde coupure d'un jour et d'une nuit de mer, le vieux monde, au Nord, s'abolit.

Demain nous toucherons le Sud mystérieux, chargé de prestiges, générateur de tant de rêves. Demain? Mais non, le Sud commence ici sur le bateau, où les conversations de bord, entre ceux qui savent et retournent vers leurs raisons de vivre, m'introduisent dans la Terre promise, d'où, pour qui l'a une fois touchée, il n'est pas, dit-on, de retour.

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ALGER ROSE AU SOLEIL LEVANT

Ce n'est pas le goût de contredire ; mais il faut que l'œil de chacun ne soit pas fait comme celui des autres. Et voilà le premier plaisir, qui justifie la peine qu'on prend de bouger : voir une chose pour vous nouvelle, autrement qu'on ne vous l'a dite, autrement qu'on ne la croyait. J'attendais Alger toute blanche : elle est rose ; d'un rose doré, mais pas blanche. Rose dans l'illumination du soleil levant, qui la frappe en plein, sous le ciel sans couleur encore, au-dessus du golfe argenté. Depuis une heure, sur la dunette, j'attends cette première rencontre de la vieille cité barbaresque. D'abord il n'y a eu que l'eau, violente, couleur d'indigo, sans transparence. Puis, dans la brume grise, à l'horizon, le haut découpement bleuâtre des montagnes qui semblent posées sur une cou- ronne de nuages, à même l'eau, la côte demeu- rant invisible. Mais bientôt, elle sort peu à peu de la brume, se précise, argent sur argent.

Nous approchons. Une tache s'ouvre, comme

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une carie, dans la montagne. C'est Alger.

Alger rose, coupée d'ombres bleues dans le contre-jour, entre les cubes des maisons aux façades baignées de lumière. Un grand cirque, avec ses gradins, sur ses vastes môles, d'où commence à monter déjà, tandis que l'on avance encore, le sourd murmure de la vie, la rumeur et les bruits du port, le ferraillage d'un chantier, le cri des sirènes, l'odeur des fumées. Et dans ce large cirque, comme un théâtre naturel d'où regarder à l'horizon l'éternel spectacle du soleil sortant de la mer, çà et là, entre les buildings, les tours, les coupoles et les étagements des rampes, de sombres masses de verdure apparaissent, prises dans les infinis entassements de pierre ; et la couronne juvénile des collines, au front de la ville, sous le ciel tout à coup d'Afrique : bleu, dur, intense, miroitant, et dense comme un minéral.

Une déception? Mais non. Rien ne doit

décevoir en voyage. Si vous attendiez des

villes nouvelles autre chose que ce qu'elles

sont, c'est vous seulement qui auriez tort,

l'imagination n'étant qu 'un bien inutile excé-

dent de bagage. Elle n'est bonne que pour,

au retour, embellir et grandir encore, dans

le souvenir, ce que l'on a vu. Il faut bien

dire ce qui est, et tant pis pour le roman-

tisme ! Alger, c'est une grande ville moderne.

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D a n s l'ensemble, u n e g r a n d e ville de F r a n c e , qui fait à la fois penser, p a r l ' a m p l e u r , à Marseille, p a r la couleur, à Nice. Larges avenues, vastes places. U n e ceinture de bou- levards i n c o m p a r a b l e se dénoue en demi- cercle, sur la mer, les quais et le p o r t . Le boulevard, b â t i de belles m a i s o n s sur ar- cades, comme n o t r e rue de Rivoli. De b o u t en b o u t , la vue i n t a c t e , souveraine, e m b r a s s e le port, sa vie, son m o u v e m e n t , ses navires, et, d a n s le contre-bas, les docks, qui s e r o n t b i e n t ô t relégués a u sous-sol, r e c o u v e r t s p a r l'élargissement de cette royale chaussée ma- rine, portée à cent mètres. Voilà t o u t de suite en a r r i v a n t , dès le p r e m i e r c o n t a c t , le t r a i t le plus c a r a c t é r i s t i q u e de la vie de cette cité : sans cesse croissante, en long, en large, en h a u t e u r , e s c a l a d a n t sur elle-même, g a g n a n t sur la mer, les faubourgs, le ciel. Prodigieuse activité, dans t o u s les sens, d é b o r d a n t les collines, m o r d a n t la c a m p a g n e . De P o i n t e Pescade à Maison Carrée, de l ' A m i r a u t é à S a i n t - R a p h a ë l , p a r F o r t - l ' E m p e r e u r , El- Biar, M u s t a p h a , Telemly, la nuit, a u x lu- mières, Alger courbe u n croissant de quinze kilomètres de feux : scintillant bijou a u f r o n t de cette Diane bronzée et t a n n é e q u ' e s t l'Afrique.

J ' a i d é b a r q u é depuis une heure, et déjà me voilà p e r d u , e r r a n t d e v a n t moi au h a s a r d ,

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t o u t à la joie toujours nouvelle de la décou- verte, avide de c o m p r e n d r e et ravi de sentir, h e u r e u x de parfums, de lumière. L ' o d e u r d'Alger, d ' a b o r d : faite d'encalyptus, de fri- ture, d'encens, d'huile, de mer, de fumée, de fleurs. C'est le premier sourire d'Alger, cette profusion de fleurs, étalées p a r t o u t , éclatantes, colorées, épaisses, a u x boutiques luxueuses du centre, dans la rue, à m ê m e les places, sous la bâche des éventaires, a u x kiosques. Lis, œillets, roses, pois de senteur, a r u m s , bougainvilléas violents, ce n ' e s t rien de dire leur arôme, la richesse profonde des nuances. Le beau, c'est cette profusion, cette densité, cette a b o n d a n c e de la fleur, ces nappes, ces p a q u e t s , ces masses. E x u b é - rance s y m b o l i q u e d u végétal que je vais r e t r o u v e r p a r t o u t sur ce sol gonflé, généreux.

L'Algérie déborde de vie, de jeunesse.

L'Algérie française a cent ans, et n'est pros- père que depuis trente. L a jeunesse ! voilà ce qui frappe, à Alger. U n e ville moderne, une ville j e u n e ; j e u n e de construction, jeune de race. Dans ce grouillement m é d i t e r r a n é e n de la rue, au c œ u r de la ville et dans les fau- bourgs, dans l'élégante rue Michelet ou dans la traditionnelle Bab-Azoun, sous les ficus de la place Bresson, dans la populaire Bab-el- Oued, qui va disparaître, à r e g a r d e r déam- b u l e r les gens, comme sur une Canebière

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multipliée, dès la première heure, la race apparaît, forte et belle, creuset où s'est fondu, amalgamé, l'apport de France, d'Italie, de Malte et d'Espagne, pour produire ce type étonnant de vitalité et de robustesse de la jeune fille algéroise — color verus, corpus solidum et succi plenum — où ce peuple a ses matrices neuves, génératrices d'avenir.

Rien, ici, ne sent la fatigue, l'usure. Tout est

neuf ; tout respire la santé et l'activité ;

même, une sorte de pureté singulière, sur les

bords de cette Méditerranée si vieille, qui

a tant servi. Alger est propre, et jusqu'en

ses quartiers les plus populeux, offre un

exemple magnifique d'urbanisme. La Kasbah,

c'est une autre affaire ; il fallait réserver

un conservatoire au pittoresque, et j'y

reviendrai. Contente de sa mer unique,

de turquoise, de saphir, d'émeraude ou d'ar-

gent, selon l'heure, de ses collines verdoyantes,

de son ciel, la moderne Alger ne s'est pas

beaucoup souciée, il faut le dire, de ce pitto-

resque ancien auquel notre romantisme at-

tache tant de prix ailleurs, et qu'un Lyautey,

par exemple, a su justement maintenir au

Maroc. Les premiers artisans de la Conquête,

il y a cent ans, ne se préoccupaient guère de

poésie. Ils ont commencé par beaucoup dé-

truire, militairement, et le siècle a suivi

l'exemple. Le vieil Alger n'existe plus. C'est

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dommage, sans doute, mais qu'y faire? La vie a de ces exigences. Je sais bien : j'ai déjà entendu beaucoup de vieux Algérois se plaindre de l'abus des constructions neuves, de ce foisonnement de la maçonnerie et de la pierre, qui, en dix ans, a envahi les parties hier encore vertes de la ville, remplacé jar- dins et ombrages, modifié si profondément le site. On s'en préoccupe beaucoup aujour- d'hui, on voudrait justement freiner, con- server çà et là ces réserves d'arbres et de verdures survivantes échappées jusqu'ici aux empiétements de l'architecture, au lyrisme agressif des urbanistes, uniquement soucieux, comme ils disent en leur prétentieux cha- rabia, « de faire planer les horizontales et d'exalter les verticales dans l'azur ».

Du haut du charmant EL-Biar, sur les terrasses de Saint-Raphaël, où l'ami qui me guide me conduit à la fin du jour, pour prendre une vue d'ensemble d'Alger, et, sous le feuil- lage bouclé des ficus et des eucalyptus, assis sur un banc de zelliges, au milieu des fleurs, m'éblouir longuement d'une des plus belles vues du monde, sur la baie qui vaut celle de Naples, le regard trouve de délicieux repos, dans cette flamboyante lumière, sur ces îlots frais des jardins, émergeant de la mer de pierres. Heure exquise que j 'ai passée là, dont je saurai m e souvenir ! Lieux élevés,

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d'où regarder la vie, à ses pieds, active, bruis- sante ! Ces vastes étendues de ciel, l'horizon d'eau, un navire au loin sur la mer... Partout autour de moi des fleurs, d'ombreuses ver- dures, d'élégantes villas enfouies sous les arbres ; un escarpement prodigieux de rampes végétales, et plus bas, la ville, qui de pente en pente dévale jusqu'à la molle courbe du rivage. D'elle, vers moi, montaient ses fumées, dans le rayonnement du soir, et sa rumeur : cette palpitation humaine d'une vaste cité au labeur. Halètement des machines, bruits de chaînes, martèlement de forge, grince- ment des trams sur les courbes, sirènes, vapeur échappant, treuils, demoiselles, perfo- reuses, ou ciment secoué dans sa benne : un chantier, sans cesse ni trêve ; ici un dock que l'on déplace, là un immeuble qui s'élève, ailleurs une usine qu'on déménage, un quar- tier qui naît, un autre qui va disparaître.

Que prépare-t-on pour demain? Une foire, un marché, quelque fête? — Non, c'est seu- lement Alger qui grandit, se transforme et vit. L'Alger de tous les jours, dans sa con- tinuelle naissance.

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LA MAISON DU PIRATE

Il existe une société du vieil Alger. Je n'ai rencontré aucun de ses membres. Je le re- grette. J'aurais vu quelque savant distingué, tout rempli de mélancolie et de doléances en son regret de ce qui n'est plus, diligent à s'efforcer de protéger et de sauver ce qui reste de l'ancienne ville. Nous aurions fait ensemble de très amusantes promenades d'antiquaire, et de mosquée en mosquée, de bibliothèque en musée, de quartier en quar- tier, j'aurais pris, grâce à lui, avec le regret de ne m'y pouvoir consacrer davantage, une très fausse idée du vieil Alger, artificiellement réuni, à coups de taxis, dans le creux de la main. Ce que j'en ai pu voir, seul, au hasard des pas, il me semble, parle davantage ; le hasard est bien plus charmant. En cette ville toute moderne, pour une porte qu'on a poussée, c'est lui qui vous vaut cette surprise, cet inattendu, ce brusque plongeon dans la fraîcheur, l'accès subit à d'autres mœurs, à un autre âge ; tout enfin ce que le touriste

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pressé ne v o i t pas, hors la visite officielle des b e a u t é s classées dans les guides.

De la rue, avec sa h a u t e façade nue, recou- verte d ' u n b a d i g e o n de plâtre, cette m a i s o n du q u a r t i e r de l ' A m i r a u t é n ' a rien qui re- tienne le regard. Mais m u n i du m o t nécessaire à vous i n t r o d u i r e , et franchie la p o r t e , vous voilà dans la vieille et jolie m a i s o n d ' u n de ces opulents pirates d ' a v a n t la conquête, à peu près restée telle quelle depuis un siècle, ou d e u x ou trois : cette a r c h i t e c t u r e a r a b e est sans âge. A u dehors, un cube de plâtre, que le t e m p s a t e i n t de ses fards, couleur de poussière. Au dedans, un écrin exquis.

La p o r t e s'ouvre sur un long corridor v o û t é p a v é de belles dalles larges, noires et blanches.

A mi-mur, c o u r t un r e v ê t e m e n t de faïence.

De palier en palier, entre les zelliges, u n esca- lier de guingois m o n t e et t o u r n e d a n s l'épais- seur du m u r , p a r endroits t r o u é d ' u n e étroite lucarne grillée qui d o n n e sur la mer. A u premier étage, il y a un j a r d i n d a n s u n p a t i o q u ' e n c a d r e une galerie à arcades. Les co- lonnes sont d ' a l b â t r e ou de m a r b r e , travaillé avec soin ; les plafonds, de cèdre intaillé, creusé, guilloché de délicates ciselures. A u milieu, sur le sol dallé de plaques de m a r b r e , la v a s q u e ruisselle, des v e r d u r e s g r i m p e n t , u n bougainvilléa déferle, des fleurs épanouies e m b a u m e n t . L ' o m b r e est glauque, et le

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grand jour cru, dans le ciel ouvert. Des oi- seaux chantent dans des cages. Et de part et d'autre, de nouvelles salles, d'autres esca- liers, mille recoins de fraîcheur, de silence et de solitude, la fenêtre étroite ouvrant, sous la jalousie, sur l'azur. Les plafonds, quand ils ne sont pas de cèdre, sont peints de couleurs vives, violet aubergine, vert pistache ou rose melon d'eau ; le sol, parqueté de faïence ; et sur tous les murs, à mi-corps, des revêtements de faïence encore, de tous dessins, de toute nuance et de toute espèce, figurant des bateaux, des moulins, des fleurs, des monstres, des corbeilles de fruits, des rinceaux, des lacs, des guirlandes, toute cette infinie musique linéaire de l'art décoratif de l'Islam, où l'œil abstrait aime à fuir, à se retrouver, à se perdre, dans cette rêverie sans borne et peut-être aussi sans objet, qui est sans doute le bonheur de la contem- plation musulmane.

Ces faïences, c'est le luxe habituel et d'un grand goût, de ces maisons, toutes pareilles me dit-on, où vivre en secret, à la fraîche.

Cependant la surprise est d'apercevoir qu'elles ne sont pas toutes de facture arabe. En voici de Delft, et fort belles; d'autres d'Italie, d'Espagne, de Provence. Le pirate, autrefois possesseur de cette demeure bourgeoise et raffinée, je l'imagine, entre deux courses

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Cet ouvrage

a été achevé d'imprimer sur les presses de la

LIBRAIRIE PLON le 2 7 novembre 1935.

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

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