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Il a été tiré de cet ouvrage 48 exemplaires sur papier d'alfa, dont 40 numérotés de 1 à 40, et 8 hors commerce, marqués H. C.

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Il a été tiré de cet ouvrage

48 exemplaires sur papier d'alfa, dont 40 numérotés de 1 à 40, et 8 hors commerce, marqués H. C.

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ILE - DE - FRANCE

VIEILLE FRANCE

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DU MÊME AUTEUR : CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

Le Périple marocain. Le Collier de Jasmin : Tunisie. — Le Visage français du Maroc. — Le Poète hindou Rabindranath Tagore.

LA

Bouquet de France (Grand prix du tourisme de France, 1937).

— Nouveau bouquet de France. — La Savoie : l'âme et les paysages (Prix de l'Académie). — Le Cœur et la croix de Savoie. — Paysages de Paris.

— Seine, chef-lieu Paris.

Modeste et Beauchâssis. — La Femme inconnue.

— La Possédée. — Le Sourire de l'ange (Prix Nor- thcliffe, 1930).

En écoutant Forain. — Bracquemond. — Études d'art. — Perronneau, peintre-pastelliste (1715- 1783). — La Société du dix-huitième siècle et ses peintres. — Là Maison des pays de France (provinces dévastées). — La Cité renaissante (après la guerre de 1914-1918). — La France travaille : le Bâtiment. — Le Rythme de l'ar- chitecture. — Le Décor de la vie (2 volumes).

Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1941.

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LÉANDRE VAILLAT

ILE - DE - FRANCE VIEILLE FRANCE

Avec 5 gravures hors texte et 3 cartes

" PRÉSENCES "

LIBRAIRIE PLON

LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT Im primeurs-Éditeurs — 8, rue Garancière, Paris-6e

1 9 4 1

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Copyright 1941 by Librairie Plon.

Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U. R. S. S.

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Les Plus vivantes de nos forces nationales procèdent de nos Plus anciennes traditions. Sans cesse, des siècles disparus vers les siècles futurs, le passé tisse des liens que rien ne brise. Et l'on ne conçoit bien ce qui doit naître qu'en sachant parfaitement et en aimant ce qui fut.

Des leçons du passé, une époque toute récente et déjà Périmée n'a pas su recevoir l'enseignement. Les vastes plans des Rois pour imposer leur marque au cœur des pays français, les nobles ordonnances que nous voyons encore là où ils ont passé, font paraître dérisoires et souvent misérables la petitesse de nos desseins. Les moments où les peuples sont grands inscrivent leur sou- venir vivace dans les aspects du sol, des villes, des pay- sages. Une France renouvelée devra retrouver le sens de ces ordonnances que jadis elle créa et qu'elle a trop long- temps méconnues.

Dégager, de l'enseignement du passé, les enseigne- ments valables aujourd'hui et demain, tel est le but du livre qu'on va lire. Il n'a rien de pédant, on le verra; il ne cède pas au didactisme. Il choisit des exemples concrets;

il peint des paysages parfaits et c'est en se jouant, au hasard d'une flânerie, qu'il fait entendre pourquoi une réussite admirable se montre encore, ici et là, à nos yeux.

L'Ile-de-France, cœur de France, province où les Rois ont le plus puissamment modelé les apparences natu- relles, chef-d'œuvre d'une harmonie où l'homme sut collaborer avec les éléments, offre le plus bel exemple de ces réussites dont l'esprit français fut autrefois prodigue.

Le livre que voici en trace le portrait fidèle et en montre la signification.

Qui pouvait mieux l'écrire que Léandre Vaillat, dont

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une longue pratique du passé et de ses gloires n'a cessé d'enrichir l'art et le talent? Lyautey l'envoya jadis au Maroc en mission d'urbanisme. Ses articles du Temps et de l'Illustration, ses livres sur Paris, la Seine, et aussi maints pays de France nous montrent en lui l'écrivain qui, dans la lignée de Stendhal, aime prati- quer en « touriste » éclairé l'art de découvrir les lieux et les gens. Et il a ce rare mérite d'aimer passionné- ment ce dont il parle, de prendre, à ce qu'il découvre, le « plaisir extrême » qu'on goûte aux contes. Au mo- ment où tout, en ces domaines, est chez nous à recons- truire, voici un livre qui nous dit comment nos pères ont bâti notre maison et pourquoi, de leur temps, elle était si solide.

« PRÉSENCES. »

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ILE-DE-FRANCE

VIEILLE FRANCE

Le passé n'est plus qu'un grimoire. Il ressemble à ces vocabulaires secrets dont usent les chancelle- ries. Pour le déchiffrer, il faut une grille. Je dis- pose la grille avec laquelle chacun pourra lire à même le grand livre de la tradition française.

I

LA CHAUSSÉE DE MONSIEUR SAINT DENIS Qui veut connaître la France doit se placer d'abord au parvis de Notre-Dame de Paris. Là un pavé de bronze, de forme octogonale, lourd de quatre-vingts kilogrammes, a été scellé dans l'asphalte. A la sur- face, un motif en relief représente les armes de la Ville de Paris, d'où s'écartent les branches d'une rose des vents. Des initiales désignent les quatre points cardinaux. Aucune autre inscription ne dit au pas- sant ce que signifie cette figuration au sol. Rien ne la protège contre les pas des promeneurs. Elle marque cependant le point d'où rayonnent les routes de France.

On raconte que le signe convenu fut d'abord une

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statue de pierre, dont on ne connaissait pas l'origine ni l'identité. A la mystérieuse image aurait succédé une borne milliaire, de l'époque romaine. On la rem- plaça par un poteau triangulaire, à partir duquel on planta, toutes les mille toises, des bornes dont quelques- unes existent encore, ornées de fleurs de lys. Une ordon- nance de 1780 astreignait les cochers à conduire un chacun, sans difficulté, à deux lieues de distance à compter de ce poteau, moyennant quarante sols par lieue. Il paraît que son emplacement, consacré par les lettres patentes du 22 avril 1762, ne correspon- dait pas absolument à celui du pavé de bronze. Sui- vant un guide de l'année 1787, le poteau triangulaire, aux armes du chapitre, était placé en avant du por- tail de gauche de l'église Notre-Dame. Qu'importe ! puisqu'à quelques mètres près, on a éprouvé le besoin d'avertir le passant que si tous les chemins mènent à Rome, ceux-là seuls conduisent en France qui gravitent vers le parvis de Notre-Dame. Le pavé de bronze hérita du symbole exprimé successivement par une statue, une borne, un poteau de pierre. C'est à partir de lui que l'on compte désormais les kilo- mètres de toutes les routes nationales.

Est-ce au hasard qu'on a donné le N° 1 à celle de Saint-Denis? On aimerait voir dans ce choix un reste de vénération pour la royauté qui, pendant dix-huit siècles, a eu la redoutable charge de « faire » la France.

La route nationale N° 1, n'est-ce pas le chemin que suivait le cortège des rois de France, quand ils fai- saient leur entrée solennelle dans Paris? N'est-ce pas aussi, pendant sa traversée de Paris, l'axe de la ville, du sud au nord? Elle dessine une croix, autre sym- bole de la France chrétienne, avec l'avenue suivant laquelle, d'est en ouest, nos rois inscrivirent en monuments de pierre la continuité de leur destinée.

Cette avenue joint Saint-Germain-l'Auxerrois, paroisse du Louvre, à Saint-Germain-en-Laye, demeure royale, et à la forêt de Saint-Germain, chasse royale,

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en passant par le Louvre, les Tuileries, la Concorde, les Champs-Élysées, l'Étoile.

N'est-il pas remarquable que les deux grandes voies qui ont formé l'essentiel du plan de Paris se croisent non loin de la place de Grève et du parvis de Notre- Dame? Sur la grève de la Seine abordèrent les barques des Normands, à la proue recourbée. La place de Grève était voisine : c'est la place de l'Hôtel-de-Ville.

A tout moment le peuple s'y portait pour manifester son opinion ou en exiger une. Là, les ouvriers discu- taient de leurs intérêts et cherchaient de l'embauche : d'où l'expression « faire grève ». Là, le bourreau tran- chait la tête, pendait : la « buveuse de sang », disait-on de la place de Grève. Là s'élevèrent, successivement, les quatre bâtisses symbolisant les franchises muni- cipales et servant à l'administration de la Cité : la maison aux piliers, ainsi appelée à cause des gros piliers de maçonnerie sur lesquels s'appuyait sa façade ; l'hôtel de ville construit par l'Italien Dome- nico de Cortone, dit le Boccador, bon à loger des ribauds et non des magistrats, assurait François Miron, prévôt des marchands ; l'hôtel de ville édifié par Pierre Chambige, l'architecte qui travailla par ailleurs au château de Fontainebleau, au château de Saint-Germain-en-Laye et au palais du Louvre. Ce dernier, les communards y mirent le feu : leur manière à eux de prouver la supériorité de leurs idées !

Le dernier représentant de cette généalogie de monuments, l'Hôtel de Ville actuel, reflète la faiblesse d'une époque qui, n'ayant pas de style, copia tous les styles ; mais des apparences de formes ne sont pas des formes ; ce palais soi-disant « Renaissance » n'a guère de remarquable que ce qui n'est pas de la Renais- sance, à savoir les peintures de Puvis de Chavannes et les ardoises du toit, qui sont d'un ravissant ton gorge- de-pigeon. Ces deux accessoires mis à part, telle est la médiocrité de cet édifice où la déformation d'un style coïncide avec celle de l'idée de cité, que je préfère

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en revenir au parvis de Notre-Dame, plein de subs- tance médiévale.

L'Ile-de-France tient à ce parvis par la route de Saint-Denis, comme un enfant tient à sa mère par le cordon ombilical. A suivre cette voie antique, je ne m'évade point de Paris ; je suis le fil conducteur des raisons qui font de l'Ile-de-France le prolongement de Paris, ou de Paris la conclusion de l'Ile-de-France.

Une légende raconte que saint Denis, ayant été décapité, suivit en tenant sa tête entre les mains le chemin marqué par cette rue jusqu'au lieu où il vou- lait être enterré, à Saint-Denis. Ce fut la grande chaussée de Monsieur Saint-Denis. Par là les rois de France, qui venaient d'être sacrés à Reims, faisaient leur entrée solennelle dans Paris, songeant qu'un jour, en sens inverse, leur cercueil serait conduit à l'abbaye de Saint-Denis.

Des pierres jalonnent cet itinéraire. Leur évocation éclaire la raison profonde, la raison d'État de cette province. Presque chaque numéro de la rue Saint- Denis nous introduit dans un monde de pensées dont la signification s'est perdue. Au N° 135, la rue butait contre l'enceinte de Philippe Auguste, qui s'ouvrait, pour la laisser passer, par le guichet de la porte aux Peintres. Le passage du Grand-Cerf, au N° 135, garde le nom d'une hôtellerie d'où les coches partaient vers les Flandres. Les voyageurs qui se cassaient le nez, après l'heure du couvre-feu, à la porte des Peintres, se faisaient héberger au N° 146, dans l'ancien hôpital des Bleus. Là, les confrères de la Passion, au temps de Charles VI, jouaient leurs mistères. Les criminels qu'on menait du Châtelet au gibet de Montfaucon station- naient un moment devant la croix des Filles-Dieu, dont le couvent s'élevait au N° 237, sur l'emplace- ment actuel du passage du Caire. Au N° 212, à la hauteur du passage du Ponceau, se trouvait la fon- taine où Louis XI, faisant son entrée à Paris, vit trois jeunes filles nues qui tâchaient à figurer des

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Sirènes; j'y ai rencontré de jeunes femmes : elles n'étaient pas nues, mais promettaient de l'être. Un singulier hasard a fait venir au monde Michelet, l'his- torien de la France, sur ce grand chemin de la tradi- tion française, exactement au N° 224.

Il faut, par contre, quelque effort pour comprendre l'exacte signification de la porte Saint-Denis. Dégagée comme elle est, et non encadrée par les maisons ainsi que dans les gravures anciennes, elle n'apparaît plus comme le monument qui solennise l'entrée d'un prince dans la ville. Certes, les bas-reliefs qui la décorent et qui représentent le passage du Rhin ou la prise de Maëstricht font allusion aux victoires rem- portées par Louis XIV en Allemagne et en Hollande.

On y peut recevoir de l'architecte Blondel une excellente leçon quant à la proportion des pleins et des vides, à la répartition des surfaces unies et ornées sur un mur. Suivant un principe de l'archi- tecture classique, la petite porte, à côté de la grande, donne à celle-ci de la hauteur, de l'échelle. Une im- pression décorative s'en dégage, pour peu que l'on songe à Louis XIV écoutant ici un compliment d'échevin. La perruque énorme prêtée au Roi-Soleil par le sculpteur Michel Anguier, dans le bas-relief qui surmonte l'arcade principale, ne dément pas ce carac- tère. Mais la porte elle-même est désormais trop « en l'air ». On n'imagine pas qu'il faille nécessairement passer sous elle. Elle ne désigne pas assez le sens du chemin. Placée au point de rencontre de la rue Saint- Denis et des boulevards, elle semble posée là au ha- sard, comme un presse-papier sur une table en dé- sordre. Nos contemporains commettent souvent la faute de faire le vide autour d'un édifice ; lé dégage- ment de la porte Saint-Denis, comme de la porte Saint-Martin et de Notre-Dame, en est un fâcheux exemple.

L'intention de Louis XIV, cependant, était claire.

Il estimait que des remparts n'étant plus nécessaires

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à la capitale du royaume, Paris ne devait avoir d'autres portes que des arcs de triomphe. Des allées d'arbres remplacèrent la fortification. Le nom de boulevard, donné à ces avenues, indique bien qu'elles suivent le tracé d'un ancien rempart. Mais continuons à suivre le chemin des rois de France, jusqu'à Saint-Denis... Il y a toujours profit à méditer en leur compagnie. Passé la porte de Saint-Denis, chacun pouvait prendre, à la hauteur du N° 12, dans le faubourg, les diligences et les cou- cous qui partaient pour « Saint-Denis et la contrée ».

Les rois avaient leur relais, eux aussi, mais un peu plus loin, au N° 107, soit qu'avant de faire leur entrée dans Paris, ils missent pied à terre dans le « logis du Roi » qui était en l'enclos Saint-Lazare, soit qu'on y dé- posât leur cercueil, une dernière nuit, avant de l'emmener pour toujours à la basilique de Saint- Denis.

Cette prison de Saint-Lazare, on l'a démolie, je ne sais sous quel prétexte. Ainsi un mauvais écolier jette à terre, de dépit, le bouquin dont sa paresse lui interdit l'intelligence. D'abord maladrerie fondée à l'époque des Croisades par les Hospitaliers de Saint- Lazare, puis occupée par cet ordre religieux et mili- taire, quand il eut fusionné avec celui des Prêtres de la Mission que venait de fonder saint Vincent de Paul, elle devint une manière de maison de correc- tion pour fils de famille. A la Révolution, on y poussa les verrous sur André Chénier, sur Aimée de Coigny, dont les vers de Chénier firent « la jeune captive », sur Hubert Robert, dénoncé par son cher confrère le peintre David, sur Roucher et sur la dernière abbesse de Montmartre, Marie-Louise de Laval, duchesse de Montmorency, que Fouquier-Tinville accusait d'avoir conspiré sourdement, puisqu'elle était sourde. On reconnaît là un genre de plaisanterie familier aux politiciens. Facéties pour facéties, je préfère celles de Hubert Robert dans sa prison.

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Les détenues de Saint-Lazare ont été transférées à la Roquette. Les souffrances assez inutiles qui leur étaient infligées servirent d'argument à ceux qui prennent à tâche de discréditer l'histoire. Voilà bien les coups du romantisme ! En plaidant, comme un mauvais avocat d'assises, la cause des prostituées, on a secondé les démolisseurs. Ils n'attendaient qu'une occasion pour abattre les vieilles murailles qui leur causaient tant d'ennui, et les grandes ombres qui les inquiétaient secrètement. Des pierres noircies? Il était si facile de les assainir ! Des cours sombres? Il était si aisé de les agrémenter ! Des « espaces libres »? mais l'espace contenu par les bâtiments était au moins le double de celui que mesurerait le « square » par quoi on voudrait les remplacer.

J'en viens à me demander pourquoi l'on a conservé Saint-Denis, puisque, une à une, on a ruiné les étapes des rois qui y allaient et préparé ainsi les esprits à la destruction d'un monument dont le symbole, encore vivant, est un reproche muet...

Il est assez singulier que les relais d'aujourd'hui viennent s'accrocher aux relais d'autrefois, assurant la permanence des institutions qui se survivent à elles- mêmes, en adoptant d'autres vocables ou d'autres méthodes. La gare de l'Est et la gare du Nord en- cadrent, pour ainsi dire, la rue de la Chapelle, qui fait suite au faubourg Saint-Denis, et se dirige en effet vers la banlieue de Saint-Denis. Il y a là un phéno- mène d'urbanisme, si l'on entend par là un esprit de composition générale s'emparant des données de la géographie humaine, qui mérite d'être élucidé.

Dans son Tableau de la Géographie de la France, qui est un chef-d'œuvre, Vidal de La Blache a montré la raison profonde de ces paysages. Si les Normands amarrèrent leurs barques sur la grève proche de l'Hôtel de Ville, si ce lieu, par la suite, devint le cœur de la cité, si de lui rayonnent les routes de France, si Notre-Dame de Paris proclame la prodigieuse divina-

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tion qui a présidé au choix de ce point, cela tient à ce qu'il était une étape désignée à la batellerie. La région qui s'étend depuis Clamecy, Auxerre, Troyes, Arcis- sur-Aube, Saint-Dizier, ne pouvait communiquer avec la mer que par la station des Nautœ Parisiaci. Là s'échangeaient les vins et les bois de Bourgogne contre les sels, les laines et les poissons fumés de Normandie.

L'étape devint entrepôt. L'importance croissante des entrepôts fluviaux entraîna la fondation d'abbayes florissantes, celle de la grande association de la Mar- chandise de l'eau. La population accumulée essaima des satellites, Meaux et Lagny, Melun et Corbeil, Creil et Pontoise, Poissy et Mantes, qui furent les étapes d'où les barques « avalaient » de Lutèce. Son approvisionnement dépendit de ces ports d'où « l'on pouvait imposer une diète à ceux de Paris ».

Les relations terrestres, sans être aussi décisives que les relations fluviales, présentaient aussi des avan- tages que Vidal de La Blache n'a pas manqué de sou- ligner. L'île parisienne est immédiatement dominée par le plateau calcaire dont l'obstacle a fait dévier la Bièvre vers le nord, et sert de plate-forme naturelle à la route d'Orléans. L'annexion des faubourgs Saint- Jacques et Saint-Denis, coupant la Seine à angle droit, au nord et au sud, dessine avec la chaussée tangente à la boucle du fleuve le schéma de la ville en devenir. Au nord, entre les buttes Chaumont et Mont- martre, à peu près face à la Cité, une lacune se creuse dans l'amphithéâtre des coteaux. Par cette dépres- sion, large d'environ trois kilomètres, on accède à la plaine de Saint-Denis et aux plateaux agricoles qui la prolongent. Aucun obstacle, par là, aux communica- tions avec le Valois et le Soissonnais. La route des Flandres par Crépy, Roye, Bapaume et Péronne y aboutissait. Sans avoir à traverser rivières ni forêts, les marchands venus de Crépy-en-Valois atteignaient à Saint-Denis la boucle septentrionale de la Seine. En cette région s'établirent les foires du Lendit, de Saint-

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Ladre et de Saint-Laurent, la première près des berges de la Seine, les deux autres dans la trouée entre Chaumont et Montmartre.

Par cette trouée, maintenant vouée à l'industrie, s'évadent de Paris vers les Pays-Bas, Londres et l'Alle- magne, les canaux et les chemins de fer du Nord et de l'Est. Voilà ce que signifie la gare de l'Est, face au por- tail de la prison de Saint-Lazare, et l'église Saint-Lau- rent qui, dans ces parages, marque l'emplacement d'un sanctuaire plus ancien que ne le révèle le style de ses reconstructions successives. Au pavillon d'angle de la gare de l'Est, le plus proche du faubourg Saint-Denis, une inscription rappelle que l'ancienne foire Saint- Laurent, fondée au XIII siècle par Philippe Auguste, se tenait sur le terrain qu'occupe la cour de la gare, alors soumis à la juridiction ecclésiastique.

Si la porte de Saint-Denis marque le point où l'on pénétrait en deçà des fortifications qui, au XVII siècle, devinrent les « boulevards », la place de la Chapelle indique celui par où l'on avait accès, à partir de 1782, à l'intérieur de l'enceinte des Fermiers généraux.

Cinquante-huit barrières dessinées par Ledoux, dans le style sévère et puissant de Pœstum, solennisaient les entrées de cette enceinte, de même, qu'une devise latine, gravée dans la pierre, ou une image sculptée dans une niche accueillaient le visiteur à l'entrée de chaque maison. Le sordide a effacé, comme à l'envi, l'ancienne majesté des seuils de la Cité. Rivarol a dit par avance le mot qu'il fallait en déclarant que Paris ressemblait à une fille de joie qui ne s'arrondit que par la ceinture.

Les appellations diverses de la rue de la Chapelle, successivement route royale N° 1, rue de la Chapelle Saint-Denis, rue de la Chapelle-Franciade, quand la Révolution eut troqué le nom de Saint-Denis contre celui de Franciade, faubourg de Gloire en 1814, reflètent les vicissitudes du pays. Elle va de l'an- cienne enceinte des Fermiers généraux à l'enceinte

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fortifiée par Louis-Philippe et Napoléon III.' Chaque étape d'un voyage à Saint-Denis se mesure à la distance qui sépare ces enceintes ; leur développe- ment concentrique, en quelque sorte dicté par la courbure de la Seine et des coteaux qui la dominent pèse encore, par une sorte d'envoûtement supersti- tieux des formes naturelles, sur l'évolution de Paris.

Avant d'arriver à l'enceinte de Napoléon III, la rue de la Chapelle passe devant l'église Saint-Denis-de- la-Chapelle.

Quelle station sur la grande chaussée de Monsieur Saint-Denis! Cette église du XIII siècle remplace la chapelle plus ancienne des Ardents, où sainte Gene- viève, patronne de Paris, dont la légende se mêle si intimement à l'histoire de la ville, ne manquait pas de venir prier, quand elle allait à Saint-Denis. Les Anglais, en 1358, puis les Armagnacs, en 1418, brû- lèrent ce sanctuaire dont les pierres enfermaient tant de spiritualité. On le rebâtit. Jeanne d'Arc, venant de Reims, s'y agenouilla au mois de septembre de l'année 1429, la veille même du jour où elle devait être blessée à l'attaque de la porte de Saint-Denis. Ce grand souvenir était encore vivace au temps de Louis XVI ; alors, en effet, on plaça dans la nef une statue de la vierge de Domremy, par le sculpteur Nicolas Charpentier. Le vénérable édifice a été en- globé dans une église nouvelle et beaucoup plus vaste.

Tandis que Louis XIV avait desserré le corset de Paris, le Second Empire s'efforça de le resserrer en construisant, plus au large, l'enceinte de 1860. Quelle différence entre les deux conceptions, et combien plus

« moderne » apparaît celle de Louis XIV, si l'on entend par « modernisme » l'intelligence du temps où l'on vit ! De nos jours, sous prétexte que Paris avait besoin d'air, on a rasé la fortification continue de Napo- léon III. Le déjà vieux Parisien que je suis regrette les

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paysages à la Vauban qu'elle dessinait avec les saillants et les redans de ses talus gazonnés qui plongeaient avec fruit dans les douves profondes. Le peintre Raffaëlli en avait fait le décor de ses tableaux d'une lumière nacrée, tout grouillants d'un menu peuple d'apaches et de filles qui s'égaillaient en broderies tumultueuses sur le fond d'une herbe pelée. Mais l'effacement de ce pittoresque dans le lointain d'un passé récent n'est pas la seule cause de mon déplaisir.

L'homme raisonnable qui sommeille en moi estime que les fortifs isolaient Paris de sa banlieue, le défen- daient contre la promiscuité de la ceinture rouge, pouvaient arrêter, sinon l'invasion étrangère, du moins l'émeute. Sitôt cette barrière abattue, les édiles de notre temps s'empressèrent d'en élever une autre, à coups de milliards, avec des maisons montant à toute hauteur et formant à nouveau une sorte de mur à l'instar du mur murant Paris, qui fit tant murmurer les Parisiens, à l'époque des Fermiers généraux. Du moins l'enceinte des Fermiers généraux était-elle ponctuée de portes dessinées par l'architecte Ledoux, tandis qu'on ne discerne pas le moindre signe d'archi- tecture dans les bâtisses entassées depuis vingt ans autour de Paris.

De l'enceinte fortifiée du Second Empire à la cein- ture des ouvrages de première ligne, dont les forts de la Briche, de la double Couronne et de l'Est couvraient Saint-Denis au nord, une dernière étape. Une foire se tient, chaque année, à dater du mercredi précédant la saint Barnabé, entre l'avenue de Paris, qui fait suite à la rue de la Chapelle, et la route de la Révolte, que Louis XV ouvrit pour aller de Versailles à Saint- Denis, sans passer par Paris, ce fauteur de troubles.

Cette foire s'appelait et s'appelle encore foire du Lendit. Fondée par Dagobert, confirmée par Philippe Auguste, bénie par l'évêque de Paris, dont la bénédic-

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tion coûtait dix livres, elle approvisionnait en par- chemin l'Université de Paris. L'abbé de Saint-Denis se tenait au centre, sous une tente, pour trancher les différends survenus entre marchands et clients. Le mot de Lendit, qui tire son étymologie du latin indiotum, fixé, passa au lieu de la foire, puis au congé que prenaient les écoliers à cette occasion, puis aux honoraires qu'ils versaient à leurs maîtres, en cette époque de l'année.

Une large voie, à laquelle on pourrait appliquer le mot de Pascal sur les fleuves et qui ressemble en effet à un chemin qui marche, tant les voitures y sont pressées et paraissent emportées par une seule et même coulée, a remplacé l'ancienne route royale, au pavé inégal. Elle enjambe sur un pont le canal de Saint- Denis, qui va se jeter dans la Seine, à peu près à l'endroit où aboutit la petite rivière du Croult. Ce canal n'a été creusé qu'au temps de Napoléon I ; le fait que l'Empereur en ait situé l'embouchure au sommet de la boucle du fleuve, au carrefour des routes qui se dirigent vers l'Angleterre, les Pays-Bas et l'Allemagne, au seuil de la plaine nourricière de Paris, prouve l'importance qu'avait à ses yeux, comme aux yeux des rois, ce lieu désigné par la géo- graphie à l'histoire.

Je me demande même si Saint-Denis n'a pas été, pendant quelques siècles, la capitale du royaume.

Mieux que le territoire de Paris, la plaine de Saint- Denis se prêtait au développement harmonieux et régulier d'une grande cité. Il se trouve des archivistes pour appuyer cette hypothèse. L'un d'eux m'assure avoir lu, sur une ancienne carte, la mention « Paris, près Saint-Denis ».

Un instant, il est vrai, l'instant d'un règne, Clovis

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fixa la résidence royale et le siège du royaume à Paris, s'installant au palais des Thermes construit par l'empereur Constance, sur la rive gauche de la Seine, en face de l'île de Lutèce ; mais après Clovis, cette décision ne fut pas suivie. Il fallut attendre quelque cinq cents ans, du VI au XI siècle, pour que Hugues Capet, puis ses successeurs, reprissent la tradition romaine et ratifiassent le choix de Clovis, en impri- mant à Paris le sceau de la dynastie capétienne.

Dans l'intervalle, mais sans qu'il soit possible d'iden- tifier à coup sûr la capitale, on peut la situer, sinon à Saint-Denis même, du moins au voisinage immédiat de la célèbre abbaye. Les signes ne manquent pas.

La présence même des reliques de saint Denis, le culte voué à ce saint par Geneviève, patronne de Paris, la croyance qui étendait la protection de celle-ci jusqu'aux limites de l'horizon visible du haut de la colline qui porte son nom, expliquent la fondation de l'abbaye, au VIII siècle, par Dagobert. La chanson qui est, avec l'image d'Épinal, le signe de la gloire n'a pas séparé le bon roi Dagobert de l'orfèvre saint Éloi ; leur amitié, sans aller jusqu'à l'intimité risquée des couplets, peut être interprétée comme le signe d'une royauté assez près du peuple et de la nature.

C'est à Garges, entre Saint-Denis et Gonesse que se trouvait le palais où Dagobert « indiqua » une assemblée générale des grands de son royaume pour le 23 mai de l'an 635. Ce fut en ce lieu qu'il leur fit part de son testament, dont il confia l'exécution à ses fils. L'Histoire du diocèse de Paris, par l'abbé Lebœuf, à laquelle j'emprunte cette information, date de 1755, par conséquent d'une époque où beau- coup de monuments qui ont disparu existaient encore.

Plusieurs des successeurs de Dagobert tinrent leurs plaids à Luzarches. Ils y avaient une maison des champs, une villa. Ils en possédaient une autre à Chelles, et un rendez-vous de chasse à Saint-Chris-

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tophe, près de Senlis, dont ils affectionnaient la forêt giboyeuse. Charlemagne avait, lui aussi, à Luzarches, une maison des champs assez importante pour qu'il en concédât les métairies aux religieux de Saint-Denis.

A Louvres, qui était à mi-chemin de Paris et de Senlis, les rois de la seconde dynastie et les abbés de Saint- Denis possédaient de grands biens, notamment le château d'Orville où séjournèrent, à cent ans d'inter- valle, Charles de Luxembourg, empereur d'Allemagne, et Louis XI, roi de France.

Il semble donc que Saint-Denis ait été sinon la capitale du royaume, du moins le quartier général des rois de la première et de la deuxième dynastie. Je veux voir une persistance de cette prédilection dans le fait que les Capétiens, tout en choisissant définiti- vement Paris comme capitale, suspendirent à l'autel de la basilique de Saint-Denis, l'oriflamme que l'on sortait dans les grandes occasions. C'était une pièce en toile de soie rouge dont le champ était couvert de flammes d'or. L'oriflamme, confiée d'abord au comte de Vexin par les abbés, passa aux mains du roi de France lorsque Louis XI eut conquis le Vexin. Dès lors, la bannière de l'abbaye fut portée sur les champs de bataille à côté de la bannière de France. Louis VII la porta à la deuxième croisade. Elle flotta sur le champ de bataille de Bouvines. Les gonfaloniers de l'abbaye la levèrent maintes fois contre au cri de Montjoye Saint-Denis, qui fut pendant trois siècles le cri de guerre des armées royales.

Encore que les monuments figurés nous fassent défaut pour situer un passé plus ancien que celui des gravures du XIX du XVIII et du XVII siècles, le décor de ce passé devait être à la fois plus large et plus ramassé que celui d'aujourd'hui. Les choses se présentaient probablement avec la liberté d'un pay-

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sage que n'écrase aucune industrie et la familiarité des motifs que propose la vie rurale. Le regard pouvait s'évader vers l'horizon d'une plaine, jusqu'aux berges de la Seine, il se posait avec prédilection sur le détail pittoresque d'une maison, d'un char, d'une barque...

Au delà du canal que franchit l'avenue de Paris, celle-ci parvenait à la Porte de Paris. A cet endroit, le convoi mortuaire des rois quittait la rue de Paris, qui pique droit vers les Flandres, et s'engageait, après avoir traversé la place aux Gueldres, dans la rue Bou- langère qui, par un détour, gagne la basilique, ou dans la rue de la Légion d'Honneur, qui se dirige vers l'ancienne abbaye, devenue en effet l'une des maisons d'éducation de la Légion d'Honneur. Les quelques vestiges d'autrefois qui jalonnent cet itinéraire nous aident à imaginer le cadre des obsèques d'un roi défunt, dont un carrosse ramenait les restes mortels, perinde ac cadaver. Voici la maison simple, mais de bonne proportion, où Louis XV rendait visite à Madame Louise, sa fille. Elle avait pris l'habit de Carmélite à Saint-Denis, en 1770. Sa pierre tom- bale est au musée. Le chemin longe la clôture de son couvent. Celle-ci s'ouvrait par une grille charmante, forgée au XVIII siècle ; comme elle menaçait de tomber, les dames du Saint-Esprit, qui ont suc- cédé aux Carmélites, l'ont sauvée en la reléguant à l'intérieur du monastère. Celui-ci demeure tel que Madame Louise l'a voulu. Le cloître déroule autour du jardin la procession de son portique aux arcs en plein cintre. La chapelle construite par Mique, ce Mieg de Mulhouse qu'on présenta à Marie-Antoinette dau- phine, lors de son entrée à Strasbourg, s'élève avec noblesse, au-dessus d'un large degré. A droite et à gauche de l'entrée se creusent des niches : elles abri- taient des statues qui auraient plus de sens ici qu'au musée où elles sont présentement. Des colonnes sou- tiennent un fronton triangulaire orné d'un haut- relief. Sous le péristyle, d'autres reliefs décorent le

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dessus des portes. Une coupole à compartiments coiffe l'édifice. Le style du XVIII siècle se reconnaît à des agréments classiques. La médiocrité du XIX siècle s'avère à l'usage qu'on a fait de cette chapelle, trans- formée en justice de paix.

La vie même d'un passé plus ancien que celui de Louis XVI et de Louis XV, voire de Louis XIV, s'inscrit dans les noms des rues. Rue Boulangère fleure le bon pain frais sorti du four. Elle évoque le temps où les meuniers, comme les teinturiers de la ville, tenaient le haut du pavé. Les talmouses, de Saint- Denis, ces gâteaux où il entrait de la crème, du fro- mage et des œufs, mais aussi de la farine, étaient recherchés. Le nom lui-même de talmouse rappelle celui du boulanger, qui était dit talemelier, puisque son métier était de taler, c'est-à-dire de battre et de mêler. Par l'effet du même bon sens, la rue Boulan- gère aboutit au parvis de la basilique. L'inspiration d'une politique médiocre, plus encore que l'amour de la poésie, a donné à ce parvis le nom de Victor Hugo ; auparavant, il s'appelait place Pannetière. L'honneur ainsi rendu à un métier vieux comme le monde prouve que l'abbé de Saint-Denis appréciait les revenus de ses terres à céréales, dans la plaine avoisinante, autant que celui des bénéfices inhérents au pèlerinage de la basilique et à la visite des tombes royales.

Un jardin fait vis-à-vis à l'église abbatiale. Sur le gazon vert, on a déposé une pierre blanche du XIII siècle. On l'a trouvée près du fort de la Briche, entre Épinay et Saint-Denis, qui s'en servaient comme de borne-frontière. C'était là un des sept repo- soirs que Philippe III le Hardi, fils de saint Louis, fit élever entre Paris et Saint-Denis, quand il s'occupa de rapatrier le roi son père, mort en terre infidèle.

Ils jalonnaient le chemin suivi par le cortège funèbre.

Par analogie sans doute avec le personnage dont la charge était de pousser le cri traditionnel : « Le roy est mort, vive le Roy ! » on les appelait des montjoye.

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Je ne sais si le mot passa du dignitaire au monu- ment, ou du monument au dignitaire. Quand on aura démoli les quelques maisons médiocres qui empêchent le jardin de s'étendre, la basilique, la maison de la Légion d'Honneur, dont le mur de clôture s'aligne sur celui de la basilique, le musée et la bibliothèque, l'hôtel de ville qui leur fait vis-à-vis, seront complè- tement dégagés et l'ensemble de pensées qu'ils expriment apparaîtra pleinement.

Dans ce cadre symbolique, les têtes se découvraient naguère au chant de l'Internationale, quand on ame- nait le drapeau rouge. Elles se découvraient jadis au cri de Montjoye-Saint-Denys, quand les gonfalonniers venaient lever l'oriflamme. Mystique pour mystique, je préfère celle qui choisit comme étendard l'enseigne militaire des rois de France à celle qui agite au-dessus de la France une enseigne étrangère à la France.

Salut pour salut, je préfère le cri de Montjoye-Saint- Denys au chant de l'Internationale dont la médiocrité musicale et poétique ne peut même pas se réclamer d'un musicien de notre pays. Ici vraiment, je me sens au cœur de la France, et la moindre faute de goût m'atteint comme une insulte.

De même que la mémoire visuelle corrige la défor- mation des objets par la rétine, ainsi les souvenirs qui s'élèvent en foule à la seule apparition de la basilique rectifient les erreurs commises par les hommes qui se sont mêlés de la restaurer. Ce que l'on voit de l'an- cienne façade est comme un pot-pourri d'inventions ou d'arrière-pensées où l'on reconnaît les agents de la Restauration, au sens politique et archéologique du mot.

On dirait d'une gravure au burin, à laquelle d'autres graveurs se seraient plu à ajouter maint détail, sans souci du dessin primitif. Au delà des épreuves succes-

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sives, je cherche à retrouver l'épreuve originale.

Certes, on discerne les grandes lignes approuvées par Suger. Quatre massifs de maçonnerie quadrangulaire confortent la façade de leurs assises puissantes. Ils soutenaient la terrasse et les tours. Ils correspon- daient à la division en trois nefs. Leur cadre mainte- nait l'ordre architectural. Le parapet crénelé de la ter- rasse, qui date du XVI siècle, accentue le caractère de fortification. Des deux clochers qui s'élevaient au-dessus de la plate-forme, seul demeure celui du midi. La flèche en charpente est médiocre ; mais les deux étages de la tour carrée reflètent bien le style du XII siècle. Des baies en tiers-point, séparées par des colonnettes, en éclairent les étages. A la char- pente du second se suspend, prêt à vaciller, le bourdon fondu sous le règne de Charles V, ainsi que la petite cloche dite Philippine, que son nom suffit à dater. Si je veux entendre une sonorité royale, je n'ai qu'à attendre sur le parvis l'annonce d'un office matu- tinal ou vespéral.

L'autre clocher, celui du nord, a été décapité de sa merveilleuse flèche de pierre, que flanquaient quatre clochetons de pierre, une pierre blanche, venue par eau, comme celles du reste de l'édifice, des carrières de Pontoise ou de Conflans. Le 9 juin 1837, foudre frappa cette flèche. L'architecte chargé de la réparer en profita pour la refaire entièrement ; mais au lieu de la remonter comme l'ancienne, avec des matériaux légers, d'un appareillage savant, il la réédifia avec des pierres trop lourdes. Des lézardes s'ouvrirent. La flèche s'affaissa. Afin d'éviter un désastre, on la démolit et, avec elle, la tour, jusqu'au ras de la plate- forme. L'édifice en paraît boiteux. L'architecte res- ponsable de cette ruine s'appelait Dubret. Il avait eu la confiance de Napoléon I de Louis XVIII, de Charles X et de Louis-Philippe. Tel fut le dommage causé à la basilique que pas un architecte ne voulut remplacer Dubret dans sa charge. Duban lui-même,

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un maître, refusa. Seul, un jeune artiste, qui venait de montrer sa compréhension de l'art gothique en restaurant Notre-Dame de Paris, assuma une res- ponsabilité qui paraissait lourde à ses confrères. Il se nommait Viollet-le-Duc. Il commença par déclarer :

« Ce n'est qu'avec défiance et respect que l'on peut toucher à ce monument, même après les mutilations qu'il a subies. » Sans doute lui arriva-t-il d'oublier un peu, par la suite, ce principe excellent. On peut médire de son œuvre : c'est facile. Ne convient-il pas plutôt de considérer les choses au point où il les a prises?

Depuis Louis XIV, elles allaient de mal en pis. Le grand roi n'aimait pas beaucoup ce monument dont la flèche, au loin, lui rappelait avec indiscrétion le mot que se répètent les moines : « Frère, il faut mourir. » Colbert demanda au Bernin les plans de la chapelle qui devait abriter la sépulture des princes de la maison de Bourbon. Le Bernin traça un dessin magnifique, fournit un devis. Louis XIV regarda l'un et l'autre avec distraction. On les oublia, comme tant d'autres choses. Si le maître se désintéresse, il est rare que ses sujets se montrent plus royalistes que le roi. En 1686, Louis XIV laissa reporter les revenus de la mense abbatiale sur ceux de la maison royale de Saint-Cyr, récemment fondée. Comme, si, à l'intérieur même de la mort, il existait des patries dynastiques, Cathe- rine de Médicis avait formé le projet d'ensevelir les membres de sa famille à la rotonde des Valois. Celle-ci tombant en ruine au commencement du XVIII siècle, les moines achevèrent de la détruire. Ils demandèrent à Robert de Cotte, premier architecte du Roi, les plans d'une nouvelle abbaye, ne gardant de l'ancienne que quelques vestiges de la chapelle Sainte-Catherine et la belle vasque de pierre du XIII siècle qu'on peut voir à Paris, dans la cour de l'École des Beaux-Arts. Ils méditaient même de remplacer la basilique médié- vale par une autre, dans le style rococo. Seule la

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"PRÉSENCES"

D A N I E L - R O P S

LE MYSTÈRE ANIMAL. par Colette, Edmond Jaloux, de l'Académie française, André Demaison, Paule Régnier, Marguerite Combes, Charles Silvestre.

UN ART DE VIVRE, par André Maurois, de l'Ac. fr.

L'HOMME DE COULEUR, par René Grousset, Pierre Do-Dinh, Paul Mousset, Henri Labouret.

UNE RENAISSANCE FRANÇAISE, par le Révé.

rend Père Ducattillon.

L'ÉDUCATION SELON L'ESPRIT, par Madeleine Daniélou.

DE LA JUSTICE POLITIQUE, par Jacques Maritain.

LE MAL ET LA SOUFFRANCE, par Louis Lavelle.

PARIS (FRANCE). TYP. PLON, 8, RUE GARANCIÈRE. — 1941. 53486.

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