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IL AÉTÉ TIRÉ DECET OUVRAGE CENT-VINGT-CINQ EXEMPLAIRES S URPAPIER ALFAMOUSSE N UMÉ- ROTÉS DE 1 A 125 QUI EN CONS- TITUENT L'ÉDITION ORIGINALE.

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE CENT-VINGT-CINQ EXEMPLAIRES S UR PAPIER ALFA MO US SE N UMÉ- ROTÉS DE 1 A 125 QUI EN CONS- TITUENT L'ÉDITION ORIGINALE.

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ANDRÉ CORSIN

D'ADAM

ROMAN

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TOUS DROITS DE TRADUCTION ET DE REPRODUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS Y COMPRIS L'U.R.S.S.

Copyright 1949 by LES ÉDITIONS FORTUNY

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I

OU L'ON FAIT CONNAISSANCE AVEC THÉOPHILE

T

HÉOPHILE MASSICOT, le savant paléontologue, repoussa le livre qu'il avait sous les yeux, essuya ses lunettes, puis se récita à lui-même, avec une évidente satisfaction, la dernière phrase qu'il venait de lire dans une des apologies, combien nombreuses, de Darwin.

Il s'agissait de la réponse du Professeur Huxley à l'un de ses éminents contradicteurs. Cette réponse comblait d'aise le savant qui la savourait en la répétant :

« Milord, si j'avais à choisir mon père entre un singe quel-

» conque et un homme capable d'employer son grand savoir

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» et son éloquence facile pour railler ceux qui consacrent

» leur vie au progrès de la vérité, je préférerais être le fils de

» l'humble singe ! »

Spirituel, ce l'était certes. Quant à affirmer que le digne professeur Huxley eût été ravi de présenter une guenon décré- pite à ses collègues en leur disant « Voici ma mère ! », c'était une autre question.

On aurait pu objecter que le professeur Huxley avait dit

« Si j'avais à choisir » ce qui impliquait un certain doute — un doute prudent — sur ses origines.

Mais Théophile, bien que féru de grammaire et de syntaxe, n'en voyait pas si long et ne pouvait s'empêcher de sourire à cette boutade ! Combien y en eut-il de ces phrases sans signi- fication aucune qui firent plus de mal à l'humanité qu'elles n'en valaient la peine, seulement parce qu'elles furent recueil- lies et pieusement transmises par des gens intéressés.

Théophile donc (et nous demandons à nos lecteurs de bien vouloir oublier son nom propre, car au cours de ce long récit nous ne le désignerons plus que par son prénom) se ren- fonça commodément dans son fauteuil. Les mains posées sur le bureau encombré de livres et de papiers. Avec une sourde joie orgueilleuse, il laissa ses yeux errer sur les innom- brables ouvrages de science qui tapissaient les murs de la pièce.

Il y en avait partout, empilés dans les coins, couvrant les meu- bles, remplissant les étagères qui fléchissaient sous leur poids : des livres de tous formats, de toutes grosseurs, et des thèses, et des compilations, et des dictionnaires, et des atlas, et des rapports, extraits de rapports, critiques de rapports, rapports de rapports... ; et, parsemant le tout comme les illustrations d'un petit Larousse, des crânes, des mâchoires, des fémurs marqués sur leurs diverses faces de signes mystérieux, chiffres, racines cubiques ou carrées, flèches rouges, flèches noires : de quoi effaroucher le profane qui eût franchi le seuil de ce repaire du travail où Théophile coulait des jours heureux, en tête à tête

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avec les restes osseux de quelques anonymes brutes préhisto- riques.

Il n'en sortait que pour aller à l'Institut, ou parfois — de plus en plus rarement, hélas ! — pour une mission vers un point de France ou du monde riche en trésors paléontolo- giques, nouveaux matériaux pour de nouveaux rapports.

La figure épanouie d'un bon sourire, il pensait :

— Évidemment, Huxley avait raison de défendre son maître Darwin. Ce dernier fut en butte à toutes les critiques les plus malveillantes d'alors, à toutes les attaques possibles ! En somme, il ne s'agissait que de l'expression de craintes mal dissimulées qui s'élevaient des chaires de l'orthodoxie ou de ses journaux.

Les Théologiens le savent bien, car, pour que l'humanité

a i t p é c h é e n A d a m , i l f a u d r a i t q u ' e l l e f û t « u n e e n t i t é c o l l e c t i v e »,

il faudrait qu'elle eût une vie spécifique, bien définie, exacte- ment limitée et surtout... sans aucun rapport avec aucune autre espèce antérieure. Or, la théorie de Darwin, formelle, est incompatible avec ces notions.

Quoi de plus simple, de plus beau, de plus rationnel et de plus réconfortant que la succession chronologique et partant, géologique, de toute cette infinie série d'êtres qui ont peuplé la surface de la Terre depuis l'apparition de la première cellule vivante ?

Évidemment, nous nous trouvons en face de terribles lacunes, nous ne pouvons pas toujours passer d'un ordre à un autre, des chaînons entiers manquent, mais qu'importe, si, malgré les faits parfois décevants, l'idée directrice demeure !

Et Théophile continua de réfléchir sur tous ces graves sujets, jetant de temps à autre des notes hâtives sur son carnet, et dans l'ensemble fort satisfait d'être dans le vrai... Comme si les hommes pouvaient jamais connaître la vérité sur leurs propres origines !

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A cette époque, c'est-à-dire vers l'an 2000, Théophile faisait partie de l'Académie des Sciences, car c'était un vrai savant très versé dans la paléontologie, un bon géologue, un excellent archéologue, et il eût pu, s'il n'avait été entièrement obnubilé par des idées préconçues, laisser quelque œuvre remarquable et léguer ainsi un nom à la postérité.

Mais l'esprit partisan a toujours nui à la science. Théophile ne s'en rendait pas encore compte. Lui, qui était très intelligent, ne savait plus raisonner. Lui, l'homme de science, chaussait d'abord les lunettes noires des anciennes théories avant de faire ses examens, ce qui l'empêchait d'être ébloui par l'aveu- glante clarté des faits.

Il ne voyait que par les yeux, les écrits et les pensées de ceux qu'il croyait ses maîtres.

Gros défaut, me direz-vous ? Mais qui pourrait lui en vouloir ? qui pourrait lui en faire un grief acerbe ? N'a-t-on pas vu autrefois des absurdités aussi criantes ou, mettons, aussi drôles ? Les petits noirs de l'Afrique, aux boucles cré- pues, au teint foncé, au nez épaté, apprirent jadis, à coups de taloches probablement, l'histoire de leurs ancêtres « les blonds Gaulois, aux longues tresses, à la peau blanche » ! Évolution, sans doute !

Bref, Théophile était perdu dans ses pensées lorsque le téléphone placé près de lui le fit sortir de sa rêverie.

Le secrétaire de l'Académie des Sciences le convoquait d'urgence.

— Mission importante, lui confia-t-il au bout du fil.

Théophile ne se tint plus de joie ! Depuis si longtemps on semblait l'avoir oublié ! Que se passait-il ? Qu'allait-il arriver ? Pourquoi l'appelait-on ? et pour quelle mission ?

Autant de questions qu'il se posait anxieusement, en es- sayant de dénicher une cravate décente dans le fatras de sa

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garde-robe, questions auxquelles il lui était impossible de répondre.

Tout en se préparant à se rendre à la convocation, après avoir tout naturellement enfilé des chaussettes de couleur différente, il échafauda les plans les plus merveilleux, sans se douter que l'aventure dans laquelle il allait être lancé serait la plus belle et, aussi, la dernière de sa vie.

Dès qu'il eut rangé ses papiers épars, car il était méticuleux, et consciencieusement fermé les portes, le gaz et l'électricité, car il était maniaque, il s'en alla voir le secrétaire de l'Académie des Sciences.

Un mot sur Théophile. C'était un homme grisonnant, frisant ou plutôt, comme on dit peu aimablement, défrisant la cinquan- taine, myope, avec barbichette, et porteur de bésicles d'un autre âge. Un vrai savant, un érudit dans son genre, mais dédaigneux de tout appareil extérieur et peu soigné de sa personne.

Célibataire endurci, aucune femme, sauf sa femme de ménage qui le prenait pour un toqué et se moquait éperdument de la façon dont il s'habillait, ne s'occupait de sa toilette. Il prenait, au hasard, ce qui lui tombait sous la main, allait aux enterre- ments avec un gilet blanc et des souliers jaunes et se rendait aux mariages tout de noir habillé.

Chacun le connaissait, tous savaient que c'était un brave homme et personne n'eût jamais songé à lui faire un grief de ces petites bévues vestimentaires.

Lorsqu'il fut en présence du secrétaire de l'Académie des Sciences, il s'assit timidement et délicatement sur l'extrême rebord d'une chaise, se demandant, le cœur battant, ce qui lui valait l'honneur d'être ainsi appelé.

Le secrétaire semi-perpétuel, qui fourrageait en grognant dans une pile de dossiers, leva les yeux au bout d'un instant

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et, reconnaissant Théophile, lui déclara, sans plus de préambules :

— Bien content de vous voir, mon cher ! Vous savez dans quelle estime, nous vous tenons tous ici, et quel poids ont eu vos travaux sur les hommes fossiles ?

Théophile inclina la tête en rougissant.

— Or, il faut que je vous indique les raisons de votre mission. Raisons disparates et diverses. Venons-en au fait !

Vous savez que l'on a trouvé en France, dans le Centre, il y a quelques siècles, des squelettes fossiles humains, toujours enchâssés dans leur gangue de terre et qui n'ont pas eu les hon- neurs du Musée de l'Homme. Évidemment ! Ils provenaient d'un terrain dans lequel on ne doit pas, vous entendez bien, ON NE DOIT PAS trouver d'hommes fossiles, tout au moins d'homo sapiens ! Nous avons donc ignoré et laissé de côté ces ossements insolites et ridicules, en attendant des preuves plus convaincantes et plus irréfutables, si possible, que celles que nous accumulons patiemment, de l'évolution de l'homme depuis le singe préhistorique en passant par le Pithécanthrope et les races éteintes.

Vous ne voudriez pas que pour un malheureux fragment de fémur ou pour une dent trouvée par hasard et qui peut avoir glissé, par suite d'alluvions, dans une couche plus profonde de la terre, vous ne voudriez pas, dis-je, que pour ces raisons ou pour d'autres que vous comprenez fort bien, nous soyons obligés de revoir et de bouleverser de fond en comble des théo- ries qui ont eu l'agrément du public et qui sont maintenant fortement enracinées dans les esprits de... comment dirais-je...

de nos...

— De nos partisans, souffla Théophile.

— Partisans ! c'est ça !... Mais pas du tout ! Que me faites- vous dire là ? comme si nous avions des partisans ou en étions

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nous-mêmes ! comme si nous voulions enseigner autre chose que la pure et stricte vérité scientifique !

Théophile se fit tout petit sur sa chaise.

Le secrétaire semi-perpétuel leva les bras au ciel.

— Ce que nous voulons, c'est faire pénétrer dans l'intellect de nos contemporains cette doctrine de l'évolution de l'homme, logique, certaine, scientifiquement démontrée, que nous professons tous ici.

Que d'autres puissent naïvement penser que l'origine de l'homme est divine, libre à eux... mais ils n'ont aucune chance de faire prévaloir leur opinion.

Théophile acquiesça, un peu gêné toutefois. Il savait ce qu'il en était. Les maisons d'édition ne font paraître en toute époque que ce qui est conforme aux goûts, aux tendances et aux directives des seigneurs du jour... C'est profondément humain ; un éditeur n'est pas un Mécène. Mais, comme il avait, en gros, les mêmes opinions que le secrétaire de l'Acadé- mie des Sciences sur cette évolution de l'homme, il garda ses misérables objections pour lui.

Le secrétaire continua, de plus en plus enthousiasmé :

— Il s'agit donc d'apporter une nouvelle preuve, une preuve massue, à ce que nous affirmons depuis trois siècles et plus.

Or, nous venons d'apprendre qu'il se passe, en Syrie, des évé- nements extraordinaires.

Théophile leva les sourcils :

— Quels événements ?

— Alors, mon cher collègue, vous ne lisez donc pas les jour- naux ?

— Rarement, mon cher secrétaire... pour ce qu'il y a dedans !...

— C'est vrai ! mais si vous aviez été curieux le moins du mon- de, vous auriez lu qu'il se passe, là-bas, des faits étranges,

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nouveaux, sensationnels, et qu'en partie ces faits nous intéressent.

Tenez ! je prends au hasard une liasse de coupures dans ce dossier « Syrie », dossier que vous allez compléter par votre voyage.

— Alors, je vais en Syrie... ?

— Oui, il me semble ! et le plus tôt sera le mieux. Il ne faut pas, et ceci dans l'intérêt de la France qui a toujours été présente dans ces régions, être devancés par d'autres savants ; il faut que nous soyons les premiers à procéder aux fouilles indispensables.

Vous avez déjà voyagé en Grèce et en Syrie ?

— Oui, deux fois, répondit Théophile.

— Vous êtes donc mieux à même que qui que ce soit d'en connaître les usages, les habitudes et le mode de vie. C'est ce qui nous a fait penser à vous. Mais, je reprends mon exposé :

En divers endroits de la Syrie, au sud du pipe-line anglais (vous verrez ça sur les cartes que je vais vous remettre), aux endroits marqués par des croix, endroits très approximatifs du reste car personne n'y est allé voir et personne n'y croit...

ce sont des racontars d'indigènes..., il y aurait eu des affaisse- ments du sol, des oasis surgissant autour de sources soudaines...

tout cela est du domaine géologique ; mais il y a mieux : dans ces rectifications profondes du sol, dans ces affaissements, ces ces excavations comme vous voudrez, apparaissent desossements mystérieux. On y retrouve également des poteries, des armes anciennes, bref tout ce qui peut faire l'objet d'une découverte inattendue et faire battre le cœur d'un savant tel que vous.

Moi, je suis trop âgé pour me rendre là-bas. Mes fonctions (et il regarda d'un air désolé la pile des dossiers sur son bureau) me retiennent au rivage... Vous êtes jeune, alerte...

Théophile, flatté, essaya de se voir dans la glace.

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— ... et c'est vous qui avez été désigné pour me remplacer Je suppose que vous acceptez ?

— De grand cœur, répondit Théophile.

— Alors, partez ! Dressez un bilan scientifique de tout ce que vous verrez. Ne vous laissez pas leurrer par les apparences...

ne retenez que ce qui vous semblera concorder avec nos théo- ries, rejetez le reste, qui ne saurait être qu'illusions.

Théophile comprenait très bien. Il fit pourtant une timide objection :

— Mais... si je constatais que...

Le secrétaire semi-perpétuel de l'Académie des Sciences balaya du geste ce doute abominable :

— Vous ne constaterez rien du tout. Il ferait beau voir que l'on vienne mettre en doute nos théories les plus solidement établies. Je ne vous demande pas, naturellement, de nier les faits ni la réalité ; nous sommes des hommes de science, nous autres ; mais si nous admettons, et nous DEVONS admettre, que notre système de l'évolution de l'homme est exact, scienti- fique, précis et archi-prouvé... tout ce qui est contre ne saurait être que faux ou absurde. Il est donc inutile d'en faire le récit puisque cela ne correspondrait à rien et ne risquerait qu'une chose, d'alourdir votre rapport... Puis-je compter sur vous ?

— Certainement, dit Théophile, enthousiasmé à l'idée de refaire un si beau voyage et d'avoir son nom dans les journaux et les revues scientifiques.

Théophile reçut alors des instructions détaillées. Il partirait dans quinze jours : sa place était retenue à bord du courrier de Pord-Saïd ; là, il emprunterait un caboteur pour se rendre à Beyrouth. Les consuls de France de ces deux villes avaient reçu des instructions précises le concernant ; tout serait arrangé, réglé, il n'aurait à s'occuper de rien.

Théophile en fut assez content ; mais en son for intérieur, il

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doutait de l'efficacité de ces mesures. Il avait déjà fait le voyage et savait, par expérience, ce que l'on peut attendre de l'aide officielle dans un pays étranger : autant dire zéro !

Toutefois, dans la crainte de perdre sa belle mission, il garda pour lui son scepticisme.

Dès qu'il fut rentré chez lui, il se mit en devoir de faire ses bagages. Hélas ! il ne trouvait rien de ce qu'il lui fallait. A part les cantines, en zinc et intactes, tout ce qui restait de ses vête- ments était abîmé, percé, mité... Il soupira en regardant mélancoliquement la tenue blanche qu'il avait arborée lors de sa dernière expédition et qui tombait en loques.

Philosophe, il pensa qu'il trouverait sur place de quoi se vêtir convenablement et ne bourra ses cantines que de l'indis- pensable linge de corps et de quelques articles de toilette. Peu encombrants, ces derniers, car Théophile n'était pas ce que l'on appellerait coquet !

Par contre, il fit un choix judicieux de toutes sortes de livres, traités, manuels, dictionnaires, rapports, atlas, tout ce qui en somme avait trait aux anciennes civilisations, Assyriennes, Perses, Médiques, Araméennes, Sumériennes, Égyptiennes, Juives, Phéniciennes et autres qui, tour à tour, avaient occupé ces pays au cours des âges.

Il y adjoignit ses vieux rapports sur l'origine de l'homme, ses anciennes études, des tableaux et des photographies de tous les crânes connus, sous tous les angles possibles, ainsi que plusieurs ouvrages de paléontologie, arides et secs, mais qui le comblaient d'aise lorsqu'il les lisait.

Deux semaines plus tard, il prenait congé du secrétaire et de quelques collègues de l'Académie des Sciences qui, un peu jaloux de sa chance, ne cessèrent pourtant de l'en féliciter.

Il débarqua par le super-rapide du matin, à Marseille, après un court voyage.

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Il aurait pu aller plus vite encore en empruntant l'avion, mais il en avait horreur et, pourtant, à cette époque, l'infra- sonique mettait Marseille à quarante minutes de Paris.

Comme il traversait la ville avant de se rendre au Memphis qui devait l'emmener jusqu'en Égypte, il ne put s'empêcher de remarquer la diversité des affiches collées à tort et à travers sur tous les emplacements libres... Une débauche de papier et de couleurs !

— Quel gaspillage ! pensa-t-il amèrement. Le fils d'un de mes collègues ne me disait-il pas, juste avant-hier, qu'il n'y avait plus de livres de classe faute de papier... ?

Et il essaya de calculer, mentalement, combien de livres de classe étaient perdus par la faute d'un apéritif de marque, des annonces de bals et de fêtes, de matchs de football ou de boxe !

Il lut quelques-unes de ces affiches, avec inquiétude :

— Ce doit être ce qu'ils appellent la publicité, la propagande, le slogan qui frappe et s'incruste dans le cerveau... J'avoue que ça me dépasse !

Il ne se rendait pas compte que le peuple, abreuvé de clichés, de phrases toutes faites, perd l'habitude de penser par lui- même et n'est plus capable de distinguer le « bourrage de crâne » de la simple vérité.

Tout en faisant ces remarques sensées, il oubliait que lui- même allait en mission sur un slogan, un fameux slogan :

« L'homme descend du singe... »

Le navire appareilla dans la soirée et Théophile, peu sujet au mal de mer, occupa ses loisirs à parcourir quelques-uns des livres qu'il extirpait de ses cantines.

Au fur et à mesure qu'il lisait, il pensait :

— Ainsi dans toutes ces régions, nous nous apercevons que les civilisations antiques, que nous considérons comme bar-

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bares, — et en cela nous ne faisons que répéter ce que disaient les Romains, — se sont superposées les unes aux autres, que toutes étaient très évoluées, que toutes connaissaient l'écriture, et possédaient des archives que nous retrouvons et traduisons.

Il regarda les flots bleus qui couraient en une longue houle tracée par l'étrave :

— Ces civilisations étaient-elles plus cruelles que les nôtres ? Et comme il y pensait, il entendit résonner dans sa mémoire des noms anciens tels que : Auschwitz, Dachau, Buchenwald, ou récents : D6, F22... Il conclut :

— En somme rien n'a changé, et si demain une cinquième guerre devait dévaster le monde, les prisonniers seraient, non plus comme au temps de Nabuchodonosor, écorchés vifs, mais brûlés vifs dans des fours crématoires ! Beau progrès !

Délaissant ces sombres pensées, il refit l'inventaire de ses bagages. Le casque et les lunettes bleues y étaient bien. Pour le reste, il se fiait à sa chance.

Pendant la durée de ce rapide trajet de trois jours il fit la connaissance d'un médecin français qui rejoignait un poste en Somalie. Ils se prirent d'une bonne et courte amitié, car tous deux devaient se quitter à Pord-Saïd.

Et comme Théophile lui expliquait le but de sa mission, l'autre lui dit :

— Permettez-moi de vous dire que vous avez probablement oublié une chose !

— Et quoi donc ?

— Une trousse à médicaments !

— C'est vrai ! Je n'y ai pas pensé.

Et son ami de traversée lui fit une liste succincte de tout ce qu'il devait acheter.

— Attention au paludisme, lui dit-il. Ne croyez pas que les

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moustiques anophèles ne piquent pas les gens de votre âge.

C'est une fable ! Méfiez-vous.

Puis :

— Alors ? vous allez voir de vieux débris d'hommes ? Croyez-m'en ! Tous se ressemblent ! J'ai suffisamment fait de mesures et d'autopsies pour vous affirmer que les crânes de nos contemporains ne sont pas plus développés que ceux de nos ancêtres. La capacité crânienne dont vous faites étalage n'apporte aucune donnée sur l'intelligence du sujet. Certains génies de nos jours et des temps passés dont on a mesuré le volume encéphalique nous ont donné des chiffres inférieurs à ceux de certains anthropoïdes.

— Il y a les circonvolutions, dit Théophile.

— Belle objection, en vérité ! rétorqua le docteur. Avez- vous compté celles de nos aïeux ? Non, n'est-ce pas ? puisque vous n'avez pas retrouvé le contenu, mais seulement le contenant ! Cela reviendrait à prétendre que la forme et le volume d'un flacon suffisent pour vous indiquer le degré en alcool du liquide qu'il contenait : ce serait bien hasardeux !

Enfin, bonne chance, dites la vérité, criez-la par-dessus les toits, dites toute la vérité...

— Vous parlez comme un juge, dit Théophile.

— Pourquoi pas ? Vous serez jugé sur vos travaux et si vous ne dites qu'une partie de la vérité, vous ne serez qu'un faux témoin !

Dès son arrivée à Port-Saïd, Théophile s'en fut voir le consul. Comme à l'habitude, il ne trouva, dans les bureaux que le secrétaire du sous-secrétaire.

— Oui ! vous m'y faites penser, dit celui-ci. Je crois bien en effet que nous avons reçu un avis de votre société...

— Ma société, s'exclama Théophile outré ! Mon Académie !

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— Société, compagnie, académie, c'est tout un, riposta le garçon qui avait des lettres et de l'esprit. Mais vous savez, nous, les expéditions scientifiques, ce n'est pas notre rayon. Parlez-moi de tournées théâtrales et d'actrices...

Il y a un certain plaisir et quelques avantages à les bien loger...

Et puis, je vous avoue franchement que je ne sais plus ce qu'est devenue la note qui vous concernait.

Théophile n'en attendait pas plus. Il reprit pensivement le chemin de la Douane et s'en fut consulter une compagnie de navigation étrangère, qui l'accueillit, au contraire, dès qu'il eut décliné ses titres, à bras ouverts.

— Un savant français ! soyez le bienvenu ! Où allez- vous ?

— A Beyrouth ! et de là en divers endroits de Syrie.

— Peut-être pour ces sources nouvelles que l'on signale ?

— En partie, oui, répondit Théophile tout étonné qu'un simple étranger sût ce que les délégués officiels de la France ignoraient ou, plutôt, regardaient comme dénué d'intérêt.

— Alors, soyez tranquille ; il y a justement un bateau en partance, demain. Amenez vos bagages aussitôt que possible, et installez-vous dès ce soir. Vous serez mieux à bord que dans un hôtel inconnu et probablement infesté de parasites.

Le transport des bagages ne fut point chose facile, non pas par leur encombrement, ils étaient modestes, mais parce que les noirs et les Arabes se battaient à qui ferait la course, hurlant et gesticulant autour de Théophile qui ne savait auxquels donner la préférence, jusqu'au moment où le policeman indi- gène, armé de son long bâton, fit une irruption sensationnelle sur les lieux. Tout s'apaisa comme par enchantement, deux ou trois moulinets firent un vide immédiat dans la rue et Théo-

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phile put s'entendre alors paisiblement avec un porteur du plus beau noir.

À l'aube ce fut enfin le départ, et le voyage s'accomplit tran- quillement, .sans histoire, jusqu'à Beyrouth. Il y eut quelques rares escales dont il profita pour visiter à nouveau des lieux qu'il avait déjà vus autrefois et dont il conservait un souvenir précis d'archéologue.

Il se retrempait rapidement dans l'ambiance de l'Orient, tout en pestant contre les mouches et la poussière.

A Beyrouth, nouvelle visite au représentant accrédité et nouvelle déception.

— Oui, oui ! nous avons bien entendu parler de ces nou- velles fantaisistes par la presse de Paris...

— Par la presse de Paris ?... demanda Théophile interloqué.

— Évidemment ! seule compte pour moi la presse officielle de mon pays !

— Alors, les journaux d'ici n'en parlent donc pas ?

— Peut-être que si ! je l'ignore ; je ne connais ni l'anglais ni le turc et ne vais pas m'y mettre à mon âge !

Et sur ces mots définitifs le représentant de la France se leva et tendit une main officielle à notre pauvre savant stupé- fait.

Théophile désolé revint à son hôtel. Comme il le supposait déjà lors de son départ, les instructions de l'Académie restaient lettre morte. Que pouvait importer un malencontreux savant ? Et pourquoi venait-il troubler le bienheureux repos de quel- ques fonctionnaires, peu enclins à délaisser leur routine ?

Le patron de l'hôtel, un Grec aimable et souriant, peut-être un peu trop onctueux, le tira d'affaire. Il était fier, à son tour, d'héberger un hôte de marque et, dès le lendemain, il lui pro- cura tout ce qu'il fallait : voiture et chauffeur.

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Pendant toute la semaine qui suivit, Théophile se préoccupa d'organiser son voyage. Par où commencer ? Il élimina succes- sivement toutes les manifestations de sources jaillissantes pour se rabattre sur ce qui l'intéressait vraiment : les mises à jour fortuites d'anciennes couches géologiques avec tout ce qu'elles comportaient d'observations possibles.

L'accès n'en était pas commode. Il fallait piquer droit vers l'Est sur plus de deux cents kilomètres et par des routes dont le seul souvenir le faisait frémir. Mais que ne ferait-on pour la science ?

Après avoir dressé son plan de campagne, il fit faire le plein d'essence, bourra la voiture de conserves, et s'étant aussi confortablement que possible installé sur la banquette à l'ombre de la capote, donna le signal du départ.

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ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 1 OCTOBRE 1949 SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE MARTIN-M AM Y, CROUAN ET ROQUES,

86, RUE DE PARIS A LILLE.

N° d'impression : 13.373 Dépôt légal 4 trimestre 1949 N° d'ordre d'édition F. 09 LES ÉDITIONS FORTUNY

2, rue Fortuny, PARIS (17

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