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Oncologie : Article pp.25-33 du Vol.5 n°1 (2011)

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SYNTHÈSE /REVIEW ARTICLE

Facteurs psychologiques d ’ adhésion au dépistage du cancer colorectal par le test Hémoccult

®

II

Psychological factors of colorectal cancer screening adherence by Hemoccult®II test

M. Bridou · C. Aguerre · C. Reveillere · K. Haguenoer · J. Viguier

Reçu le 18 octobre 2010 ; accepté le 24 janvier 2011

© Springer-Verlag France 2011

RésuméChez les Français de plus de 50 ans, le cancer colo- rectal est une cause majeure de morbidité et de mortalité, et l’efficacité thérapeutique est d’autant améliorée que la mala- die est traitée précocement. Pour une population asympto- matique présentant un risque moyen de développer un cancer intestinal, le test de dépistage a été systématisé. Le test habituellement utilisé est le test Hémoccult®II. Il permet de repérer d’infimes traces de sang dans les selles. Le recours à ce test reste encore de nos jours en deçà des normes recommandées (35/50 %), en dépit des campagnes de sensibilisation qui encouragent son usage. Ce dernier dépend de plusieurs facteurs : l’âge, le genre, le statut marital et le niveau d’étude, tout comme certains freins socio- économiques et culturels et des raisons pratiques propres à la méthode employée. Quoi qu’il en soit, le dialogue et les recommandations du médecin envers le dépistage du cancer colorectal paraissent décisifs. Or, la peur, l’embarras, la gêne peuvent décourager certains patients à parler ouvertement avec leur médecin du cancer colorectal et de la technique bien particulière de son dépistage. Le rôle probable de ces émotions perturbatrices vis-à-vis de l’adoption d’un test de dépistage du cancer fait l’objet d’un nombre croissant d’études. Il est notamment encore difficile de savoir si

l’anxiété décourage ou motive le dépistage du cancer colorectal. Nous pensons qu’il est important de mieux décrire les attitudes psychologiques affichées à son égard, en vue d’optimiser l’impact des campagnes qui recom- mandent son usage et de faciliter le dialogue singulier avec le médecin. Pour citer cette revue : Psycho-Oncol.

5 (2011).

Mots clésDépistage du cancer colorectal · Adhésion · Facteurs psychologiques · Anxiété envers la santé · Embarras

Abstract In French people aged over 50 years, colorectal cancer is a major cause of morbidity and mortality. For an asymptomatic population at average risk of developing this somatic disease, the test usually used is the Hemoccult II® Test, which can detect the presence of occult blood in the stool. It is clear that using this test remains today below the recommended standards despite health campaigns that encourage efficient use. Several practical reasons and socio-economic obstacles can be invoked to explain these findings. Anyway, the doctor’s recommendations against screening for colorectal cancer seem to be decisive. But fear and embarrassment may deter some patients from tal- king openly with their doctors about colorectal cancer and its screening. The possible role of these disturbing emotions in the adoption of cancer screening has been the subject of a growing number of researches over the past thirty years.

But, it still remains very unclear whether anxiety inhibits or motivates colorectal cancer screening. To promote equal access to it, we think it is important to better describe the psychological attitudes displayed toward it, to maximize the impact of campaigns that recommend the use of the Hemoccult II®test.To cite this journal: Psycho-Oncol.

5 (2011).

Keywords Colorectal cancer screening · Adherence · Psychological factors · Health anxiety · Embarrassment

M. Bridou (*) · C. Aguerre · C. Reveillere UFR Arts et sciences humaines,

département de psychologie,

EA2114 Psychologie des âges de la vie, université François-Rabelais,

F-37041 Tours cedex 01, France

e-mail : morgiane.bridou@etu.univ-tours.fr K. Haguenoer

Laboratoire de santé publique, université François-Rabelais, F-37041 Tours cedex 01, France K. Haguenoer · J. Viguier

CHRU de Tours, centre de coordination des dépistages des cancers, Tours cedex 09, France

DOI 10.1007/s11839-011-0304-8

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Introduction

Le cancer colorectal est la deuxième cause de décès par can- cer en France (17 000 décès recensés par an1), et la morbidité demeure importante (37 000 nouveaux cas enregistrés chaque année [5]). Il est également établi sur un plan médical qu’un traitement précoce améliore l’efficacité thérapeutique.

Cela, associé aux coûts humains et financiers colossaux de cette maladie, a stimulé le développement de recherches visant à mettre au point des tests de dépistage capables de repérer l’existence d’un cancer colorectal à un stade relati- vement précoce et curable2. Pour une population asympto- matique présentant un risque moyen de développer ce type d’affection, le test de dépistage habituellement utilisé est le test Hémoccult® II. Pratiqué au domicile par le sujet lui- même, il permet de déceler d’infimes traces de sang dans les selles. Si le test s’avère positif (2 à 3 % des cas), des investigations médicales complémentaires sont réalisées (coloscopie notamment). Elles peuvent permettre d’éradi- quer des polypes intestinaux ayant dégénéré en tumeurs can- céreuses ou susceptibles de suivre cette voie évolutive. Une étude Cochrane a été effectuée en 2007 et a établi que le dépistage opéré à grande échelle via le test Hémoccult® II a notablement réduit au cours de ces dernières années l’occurrence et les conséquences délétères du cancer colo- rectal [17]. C’est pourquoi les organisations sanitaires de dif- férents pays ont systématisé ce type de dépistage de masse auprès de la frange de population des plus de 50 ans qui pré- sentent un risque moyen de développer cette pathologie3.

Dans notre pays, ce dépistage organisé du cancer colorec- tal a été inauguré en 2002. Il a débuté dans 22 départements et a été étendu en 2008 à l’ensemble du territoire [4,50] avec l’objectif d’atteindre la norme recommandée de 50 % de la population concernée4. Si l’adhésion est en augmentation (25 % des personnes âgées de plus de 50 ans en 2005 et 38 % en 2008), elle reste toutefois à améliorer afin d’attein- dre les 50 % visés. D’où l’importance de mieux identifier les caractéristiques sociodémographiques et psychologiques des personnes qui effectuent ou non cette démarche de dépis- tage, ainsi que les facteurs et processus influants.

Ce travail vise à présenter :

une synthèse des travaux effectués dans le domaine du dépistage du cancer colorectal par le test Hémoccult®II ;

afin de mieux comprendre psychologiquement ce qui pousse les individus à effectuer un test de dépistage du cancer colorectal et ce qui en décourage plutôt l’usage ;

à articuler ces connaissances spécifiques concernant ce type de dépistage avec des connaissances plus générales sur les comportements de santé en psycho-oncologie et en psychologie de la santé.

Cette revue de question a été effectuée à partir des bases de données Medline et PsycINFO, à partir des mots clés colorectal cancer screening, adherence, « Hémoccult® II », psychological factors, socio-economic factors. Elle a porté sur la période comprise entre septembre 2009 et mai 2010.

Quelques données de base

Les données de la littérature [8,11,14,23,24,31,48] montrent que desparamètres sociodémographiques(sexe, âge, situa- tion familiale, etc.) influent sur l’usage du test Hémoccult® II. Les femmes sont plus enclines que les hommes à effectuer le test Hémoccult®II. Le statut marital et le niveau d’étude jouent également : être marié(e) et avoir fait des études sup- érieures sont également favorables [10]. L’âge semble avoir un impact, deux périodes étant moins favorables au dépis- tage : être tout juste âgé(e) de 50 ans ou avoir plus de 70 ans [43,48]. Parmi les facteurs socio-économiques, en France, ceux qui rencontrent d’importantes difficultés financières, connaissent des situations de précarité5et/ou ne possèdent pas de mutuelle de santé ne recourent pas (ou moins) à ce dépistage [14,37]. L’importance du coût de la protection médicosociale a été particulièrement étudiée aux États- Unis, pays où les assurances santé proposées et les soins médicaux prodigués peuvent avoir un coût prohibitif pour certaines couches sociales [7]. De ce fait, la peur « que l’on trouve quelque chose» y est très fréquemment invoquée pour justifier le fait de ne pas procéder à un test de dépistage du cancer [ibid.], argumentation économique qui touche plus particulièrement certains groupes ethniques (les Noirs amé- ricains ou les Hispaniques comparés aux Européens).

À noter qu’aux États-Unis, ces écarts socio-économiques se confondent aussi avec desdifférences interculturelles. Ainsi, bon nombre d’études menées outre-atlantique spécifient et

1Institut national du cancer (2008a). Atlas de la mortalité par cancer en France métropolitaine (évolution 1970–2004). Boulogne-Billancourt.

2Institut national du cancer (2008b). Dépistage organisé du cancer colorectal : un moyen décisif pour lutter contre la deuxième cause de décès par cancer en France.

3Ne sont pas concernées par ce dépistage de masse : les personnes à risque très élevé de cancer colorectal du fait d’une prédisposition génétique (polypose adénomateuse familiale notamment) ou présentant des antécédents personnels/familiaux de cancer colorectal, ou atteintes d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Ces personnes doivent plutôt régulièrement bénéficier d’un dépistage ciblé par coloscopie.

4Institut national du cancer (2009). La situation du cancer en France en 2009. Collection Rapports et Synthèses.

5Ida Ben-Amar (avril, 2010). Freins et leviers au dépistage organisé des cancers du sein et colorectal, et du dépistage du cancer du col de l’utérus auprès des populations en situation de précarité en région Centre. Communication présentée dans le cadre des 6esJournées de la prévention Inpes. Paris, France.

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comparent entre elles les attitudes des Caucasiens et des Hispaniques à l’égard du dépistage du cancer colorectal, et les confrontent à celles des Américains de souche africaine [39] ou d’origine asiatique [20,46]6. Ces travaux impliquent bien souvent des investigations qualitatives (quasi ethnologi- ques, essentiellement basées sur desfocus groups), qui débou- chent généralement sur des recommandations cliniques différenciées. Ces dernières guident l’élaboration des messa- ges sanitaires délivrés dans le cadre des programmes éducatifs ciblés, au regard des besoins informationnels propres à la population considérée [19] et des vecteurs de communication qu’elle affectionne tout particulièrement.

Des données à la fois plus générales des comportements de santé et particulières à ce type de dépistage sont aussi à prendre en compte. Par exemple, parmi les hommes, ceux qui bénéfi- cient d’une bonne santé, qui sont non fumeurs et effectuent des visites régulières chez le dentiste, adhèrent davantage à cette démarche de dépistage [45]. Par ailleurs, des justifications

« techniques »spécifiques au test Hémoccult®II (difficultés visuelles, entreposage problématique des selles, etc.) ont été notées [45].

Enfin, desraisons pratiques(conditionnées à l’organisa- tion de la vie quotidienne, telles que le fait d’être trop affairé, de résider en dehors de la ville, d’avoir des obligations pro- fessionnelles ou familiales) sont également souvent mises en avant pour expliquer le défaut de dépistage du cancer colo- rectal [48,49].

En résumé, de l’ensemble de ces données nous pouvons retenir quelques caractéristiques favorables ou non à l’enga- gement vers une démarche de dépistage du cancer colorectal via le test Hémoccult®II. Plusieurs facteurs influent sur son usage : l’âge, le genre, le statut marital et le niveau d’étude, tout comme certains freins socio-économiques et culturels.

Des raisons pratiques, propres à la méthode employée, sont aussi des facteurs à considérer. D’autres motifs mis en avant sont le fait de se sentir en forme et/ou d’être asymptoma- tique, un désintérêt et/ou un manque de prise de conscience de la nécessité de faire le test.

Rôle des facteurs psychologiques et impacts dans le cadre de la consultation médicale Sur un plan individuel, desmobiles psychologiquespeuvent aussi sous-tendre l’adhésion et le défaut de dépistage et être invoqués pour expliquer partiellement (ou mieux compren- dre) l’un et l’autre. Ces facteurs motivationnels interviennent sur la qualité de la relation soignants–soignés qui apparaît in fine comme la clé de voûte du dispositif de dépistage du cancer colorectal, comme nous allons l’argumenter subsé-

quemment. Les facteurs et processus psychologiques peu- vent être classés en deux grandes catégories et, pour chacun d’entre eux, nous envisagerons leur poids sur la rela- tion soignants–soignés :

les facteurs cognitifs, d’une part ;

les facteurs émotionnels, d’autre part.

Impact des facteurs cognitifs

Dans le cadre du dépistage du cancer colorectal, il a été établi [10] que les croyances s’avèrent constructives lorsque l’individu :

pense quil est susceptible de développer un cancer (sen- timent de vulnérabilité) ;

est persuadé qu’un dépistage tardif risque d’avoir des conséquences fâcheuses, aussi bien sur le plan mental que physique (perception d’un danger et/ou d’une menace) ;

est relativement convaincu du fait que les actions qu’il va déployer pour éviter cette éventualité redoutée vont être couronnées de succès (sentiment d’efficience).

Ce travail se situe dans le cadre plus général du modèle

«des croyances envers la santé» (Health Belief Model) [42]

qui stipule que l’adoption de comportements de santé pré- ventifs, comme par exemple le recours au dépistage, est fonction du degré de prise de conscience des dangers soma- tiques encourus et des possibilités d’action envisageables. La perception de la menace et des moyens d’y faire face est en partie révélatrice des croyances générales relatives à la santé et à la maladie, plus ou moins ancrées et catégoriques, aux- quelles les individus adhèrent. Ces dernières s’avèrent dys- fonctionnelles sur le plan psychologique lorsqu’elles sont foncièrement irréalistes (peu conformes à la réalité) et quasi- ment irrévocables (hermétiques aux critiques).

Ainsi, dans ce modèle, la perception des risques cancé- reux personnellement encourus est centrale, et il convient d’étudier ce qui peut en faire varier le degré. Celui-ci dépend étroitement des expériences et des événements de vie ayant un lien de signification proche (exemple : un proche atteint par un cancer colorectal, des antécédents personnels de poly- pes), et une surestimation des risques oncologiques encourus est associée à des pratiques de dépistage plus fréquentes [14]. Pour autant, la menace encourue est rarement évaluée à sa juste valeur [1]. De manière somme toute peu surpre- nante, les risques oncologiques ont en effet tendance à être minorés lorsqu’ils sont autoévalués, et sont plutôt enclins à être majorés lorsqu’ils concernent l’état de santé d’autrui.

Cette forme d’optimisme irréaliste revêt indubitablement un caractère défensif, en évitant aux individus d’être fronta- lement exposés à des pensées déplaisantes (s’imaginer par exemple gravement malade, voire carrément agonisant).

6Point sur lequel nous reviendrons en étudiant le poids des facteurs émotionnels et affectifs.

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Elle peut autrement dit amener à éluder certaines facettes de la réalité difficilement concevables (probabilité indubitable- ment accrue d’avoir un cancer en vieillissant et de devoir suivre un traitement pour le soigner par exemple), mais qu’il vaudrait pourtant mieux prendre pleinement en consi- dération pour pouvoir composer avec de façon pragmatique et pérenne. Un cas de figure sensiblement différent est celui des personnes présentant des symptômes vaguement évoca- teurs d’un cancer colorectal. Ces dernières se livrent généra- lement à leur « normalisation », en essayant de les imputer à des causes moins préoccupantes, ce qui peut tout bonnement parfois les conduire à ne pas en parler à leur médecin ! [44].

A fortiori, le fait d’être asymptomatique et/ou de ne pas se sentir du tout concerné par le cancer rend peu conscient de la nécessité de faire un test de dépistage7[4].

Pour autant, le fait d’entrevoir les dangers somatiques encourus ne suffit pas toujours à favoriser l’intention de se faire dépister [52], quand bien même la personne pense pou- voir arriver aisément à entreprendre cette démarche préven- tive (fort sentiment subjectif d’autoefficacité).

Les appréhensions anxieuses reposant sur d’hypothéti- ques scénarios catastrophiques sont, pour leur part, suscepti- bles de décourager l’usage d’un test de dépistage du cancer colorectal, dans la mesure où ce dernier risque de confirmer de façon irrévocable le bien-fondé des craintes pressenties (le doute est ici préféré aux certitudes). C’est notamment l’argumentation qui prévaut chez les individus enclins à interpréter de façon alarmiste des informations intéro- ceptives parce qu’ils les jugent foncièrement déconcertantes.

Les croyances erronées portant sur l’utilité générale des comportements de santé préventifs, quels qu’ils soient, peu- vent également entraver leur adoption. À titre d’illustration, les représentations subjectives des limites supposées et les prétendus défauts des tests de dépistage du cancer colorectal peuvent contribuer à les discréditer en les rendant relative- ment vains et inutiles [25] (exemples : «À quoi bon s’embêter à faire un test Hémoccult®si ses résultats ne sont pas fiables à 100 % ! », « Faire examiner ses selles n’empêche pas d’avoir un cancer colorectal»). Or, le cancer colorectal est une maladie qui apparaît beaucoup moins effrayante quand l’utilité de son dépistage précoce est bien comprise [10].

Les recommandations du médecin traitant envers le dépistage du cancer colorectal s’avèrent à cet égard décisives [12–14,26]. En effet, le médecin traitant intervient dans la procédure en prescrivant le test Hémoccult® II, une fois que les invitations postales à effectuer ce test soient parve- nues à leurs destinataires indiquant de consulter leur méde- cin traitant. Rappelons de prime abord que les informations médicales délivrées poursuivent un double objectif : sensibiliser d’une part les patients à l’existence des risques

oncologiques encourus, et les convaincre d’autre part de l’in- térêt du dépistage précoce du cancer colorectal, le tout en les laissant libres de décider de façon éclairée de ce qui leur semble bon pour eux. Du côté de la population, deux tendan- ces ont été repérées :

certains individus se contentent de quelques informations utiles et pertinentes leur permettant de juger eux-mêmes du bien-fondé du dépistage et de choisir de l’effectuer ou non (lieu de contrôle interne) ;

dautres préfèrent laisser toute latitude à leur médecin traitant pour décider de la pertinence et de la nécessité pour eux de s’engager dans une telle entreprise (lieu de contrôle externe).

Quoi qu’il en soit, les personnes présentant un risque moyen de développer un cancer colorectal sont plus favora- bles à son dépistage lorsqu’elles pensent avoir préalablement fait le tour de la question avec leur médecin [26]. Ce constat conforte l’idée que l’implication des médecins généralistes est un élément clé de réussite des campagnes de dépistage de masse organisées, sous réserve que la relation qu’ils nouent avec leurs patients se révèle satisfaisante [13]. Or, la pers- pective de devoir parler à son médecin du cancer colorectal est susceptible de générer de fortes angoisses, compte tenu de la menace pour la santé qu’il représente, voire de susciter un grand embarras, au regard de la résonance taboue qui entache encore négativement de nos jours la représentation sociale de cette maladie qui concerne des parties intimes du corps.

Incidence des facteurs émotionnels

Les recherches actuelles les plus prometteuses portant sur les attitudes envers le cancer colorectal et son dépistage sont principalement polarisées sur deux grands ensembles d’émo- tions perturbatrices (revêtant un caractère paralysant ou motivant) : celles qui témoignent d’un sentiment de gêne ou d’embarras et celles qui attestent de l’existence de peurs et/ou d’une anxiété [7,44,48].

Caractère potentiellement entravant de l’embarras et/ou de la gêne

Comme le stipule sciemment Pucheu [38], «le cancer colo- rectal touche une partie intime du corps, plutôt taboue et rarement mise en avant ». Nonobstant ce constat clinique avéré, c’est seulement depuis peu que les sentiments de gêne et d’embarras ressentis dans le cadre d’une consultation médicale font l’objet de recherches scientifiques approfon- dies. Or, ces éprouvés prédominent bien souvent lorsque les individus rechignent à évoquer leurs mouvements intesti- naux intempestifs, à parler de constipation et/ou à signaler à leur médecin la présence de sang dans leurs selles [7]. De

7 Il s’agit d’un facteur important de non-compliance selon l’étude EDIFICE 2 [4].

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plus, nous pouvons légitimement penser que le malaise psy- chologique qui en résulte peut grandement perturber les patients lorsque leur médecin est amené à les examiner, voire les conduire à recourir à certains subterfuges pour évi- ter qu’il n’ait à le faire.

Des analyses qualitatives soigneusement réalisées confor- tent dans l’idée que ce sont tout particulièrement les procé- dures médicales nécessitant le dévoilement de certaines parties intimes du corps et leur examen minutieux (examens gynécologiques, urologiques ou coloscopie par exemple) qui occasionnent le plus de gêne, d’inconfort, voire aussi d’angoisses chez les patients [44]. Le malaise ressenti peut résulter d’une prise de conscience relativement abrupte et brutale du caractère trivial et incongru de la situation d’aus- cultation, ou encore, de sa possible connotation sexuelle lorsque les symptômes rapportés concernent une région du corps particulièrement sensible et/ou érogène, a fortiori si elle requiert un examen médical approfondi [44].

De ce fait, s’entretenir avec son médecin du cancer colo- rectal et de son dépistage peut parfois prendre une tournure extrêmement embarrassante [3,6,22]8. Ce point a été parti- culièrement étudié aux États-Unis et est sensible auprès de certaines populations. Pour des raisons de pudeur, les Américaines d’origine japonaise asymptomatiques préfèrent consulter un gastroentérologue de sexe féminin [2,20,32,47].

Or, dans les faits cela s’avère rarement envisageable étant donné leur rareté (les médecins femmes gastroentérologues représentent seulement 10 à 20 % des effectifs). La majorité d’entre elles (87 %) se dit prête à différer une coloscopie, voire à payer plus cher cet examen pour s’assurer qu’il puisse être fait par une femme (vrai pour 14 % des patientes).

Pour autant, très peu d’entre elles (5 %) envisagent de le refuser si tel n’est pas le cas. Les femmes qui se déclarent gênées à l’idée que la coloscopie soit effectuée par un homme (soit les deux tiers des femmes) sont en règle géné- rale les moins âgées et/ou celles encore en activité profes- sionnelle. Leur médecin traitant est fréquemment une femme, et il s’agit bien souvent de leur première coloscopie.

Par la suite, si cet examen s’avère moins embarrassant qu’elles ne se l’imaginaient, il est donc possible qu’elles reconsidèrent par la suite leur point de vue sur la question [32]. Mais il peut aussi arriver que certaines d’entre elles affichent une telle pudeur corporelle qu’elles l’érigent en dogme, revendiquant leur attachement à certaines valeurs culturelles et/ou leur appartenance religieuse (au regard d’une certaine lecture de la religion musulmane par exem-

ple). Enfin, en dépit de sa facilité d’utilisation apparente, d’après un rapport de recherche australien vantant les bien- faits d’un programme national de dépistage des cancers intestinaux, le test Hémoccult®II peut à lui seul grandement incommoder certaines personnes qui répugnent à manipuler leurs selles9.

Constatant que le cancer colorectal et son dépistage demeurent encore de nos jours des sujets tabous pour bon nombre de gens, et arguant qu’il est très important de les encourager à surmonter la gêne qu’ils ressentent, l’Associa- tion canadienne du cancer colorectal (ACCC) a lancé tout récemment (au mois de mars 2010) une audacieuse cam- pagne de sensibilisation intitulée «Faites voir vos fesses».

Cette injonction étonnante vise à sauver des vies en mettant en avant l’importance de se faire diagnostiquer le plus tôt possible un éventuel cancer. En France, des messages publi- citaires ont également été spécialement conçus pour démys- tifier la question en en donnant une illustration humoristique.

Citons en exemple le slogan « Cinq minutes aux toilettes peuvent vous sauver la vie » qui accompagne le dessin d’un personnage qui déclare partir en mission secrète en se dirigeant vers les WC…

Rôle équivoque de la peur et de l’anxiété

Si le dépistage du cancer est largement perçu en France comme stressant (pour 69 % des personnes interrogées), un tiers le jugeant même « très stressant »10, c’est particulière- ment le cas pour le dépistage du cancer colorectal. En effet, il est considéré comme étant la plus stressante des mesures de dépistage du cancer (dixit 75 % d’entre eux), la plus désa- gréable (selon 76 % d’entre eux) et la plus douloureuse (d’après 46 % d’entre eux). Le fait que cette démarche diag- nostique puisse comprendre comme examen une coloscopie joue sans doute beaucoup dans cette perception6. L’appréhen- sion semble aussi venir de l’issue jugée irrévocable de la pro- cédure, le dépistage étant souvent envisagé comme un moyen imparable de détecter des cancers à des stades extrêmement précoces de leur développement. Pour autant, les lettres d’in- vitation envoyées aux personnes âgées de plus de 50 ans pour les inciter à faire un test d’examen de leurs selles ne sont sources d’inquiétudes majeures que pour une poignée d’entre elles, plus fréquemment du sexe féminin, et si jamais des per- turbations émotionnelles apparaissent, elles ne semblent pas décourager outre mesure l’usage du test Hémoccult®II [27].

8Notons, par ailleurs, que le problème de la gêne et de l’embarras se pose a priori moins au Royaume-Uni, dans la mesure où les Anglais présentant un risque moyen de développer un cancer colorectal sont fortement incités à procéder au dépistage de sang dans leurs selles sans en référer au préalable à leur médecin traitant. Cette procédure simplifiée leur évite autrement dit de devoir débattre de certaines questions susceptibles d’être délicates à aborder.

9D’après un rapport de recherche australien (publié en octobre 2005) vantant les bienfaits d’un programme national de dépistage des cancers intestinaux (« Australia’s bowel cancer screening pilot and beyond »), consultable sur le site web suivant: http://www.astscreen.info.au/

internet/screening/publishing.nsf/content/pilot.

10Institut national du cancer (2009). La situation du cancer en France en 2009. Collection Rapports et Synthèses.

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Ces quelques données suggèrent que l’information actuel- lement délivrée sur les risques cancéreux encourus accroît habilement la prise de conscience de la nécessité de procéder à un dépistage du cancer colorectal, sans nécessairement générer de trop fortes angoisses pouvant par la suite para- lyser l’action [41]. Mais pour compléter ce constat de façon tout à fait objective, il convient aussi de noter qu’un certain nombre d’individus invités à un test de dépistage du cancer colorectal souffre d’inquiétudes pathologiques liées au cancer, et que ces préoccupations très ciblées peuvent parfois subsister pendant des mois, voire pendant des années, après que le dépistage ait été effectué, et ce, quelle qu’en soit l’issue [7]. Ce constat surprenant nous amène à nous intéresser au rôle très spécifique de l’anxiété envers la santé, un phénomène qui a rarement été examiné de près dans le cadre du processus qui amène ou non à se faire dépister un cancer [33,40].

Précisons de prime abord que l’anxiété envers la santé est actuellement conceptualisée comme une variable dimension- nelle, ses diverses graduations constituant un continuum dont un des pôles extrêmes est l’hypocondrie. Elle se carac- térise principalement par un biais attentionnel envers les informations se rapportant à la santé (se traduisant clinique- ment par une hypervigilance anxieuse envers les risques oncologiques encourus), couplé à des erreurs de logique qui conduisent à interpréter de façon distordue certaines informations médicales (principalement celles qui sont jugées menaçantes et alarmantes). Lorsqu’elle est massive, elle peut compromettre la capacité à décrypter et à utiliser de façon compétente les informations médicales se rapportant au cancer11[18]. Des messages sanitaires, auxquels les gens sont habituellement réceptifs de façon positive, peuvent de surcroît induire chez les individus excessivement préoccupés par leur état de santé des perturbations émotionnelles majeu- res. Ces dernières résultent d’attributions causales erronées (croire par exemple qu’une excroissance de chair est forcé- ment une tumeur cancéreuse ou qu’un saignement anal signe nécessairement l’existence d’un cancer rectal) et s’accompa- gnant bien souvent d’importants évitements phobiques.

Une forte anxiété spécifique à la santé est aussi suscep- tible de donner lieu à une quête éperdue de réassurances médicales, n’atteignant pas leur finalité escomptée (c’est- à-dire tranquilliser). En effet, les préoccupations anxieuses des individus se faisant excessivement du souci pour leur santé sont particulièrement difficiles à apaiser, quand bien même ils visitent très régulièrement leur médecin et ne pré- sentent aucun signe tangible de maladie somatique. D’im- portants niveaux résiduels d’anxiété sont également remarqués chez ces sujets après un examen de dépistage du cancer colorectal aux résultats de bon augure [33]. De plus,

leurs appréhensions injustifiées et/ou démesurées s’expri- ment bien souvent aussi par des plaintes lancinantes qui peuvent compromettre la bonne communication patient– médecin. De fortes craintes anxieuses, paraissant totalement disproportionnées au regard des risques oncologiques a priori encourus, peuvent peut-être aussi un peu dissuader les médecins de préconiser l’usage de mesures de dépistage du cancer, compte tenu du profond désarroi qu’elles risquent de générer. Remarquons de surcroît que la crainte d’avoir ou de développer un cancer se double bien souvent chez cer- tains patients d’un sentiment subjectif de gêne à l’idée de faire probablement perdre du temps à son médecin, en lui confiant des préoccupations qu’il risque de trouver totale- ment infondées et/ou révélatrices de tendances hypocondria- ques, ce qui peut tendre à stigmatiser le problème [44].

Essai de synthèse et de modélisation

Les données présentées ci-avant suggèrent tout d’abord que la décision d’effectuer ou non un test de dépistage du cancer colorectal découle partiellement d’un raisonnement cognitif, plus ou moins rationnel, qui se forge [31] :

à partir de la représentation subjective des risques onco- logiques encourus (stress perçu) ;

à laune de lidée que lon se fait des tests de dépistage censés les apprécier et de ses capacités personnelles à gérer la situation stressante (contrôle perçu) ;

au regard des possibilités d’aides médicales envisageables (soutien social perçu).

En effet, les perturbations émotionnelles que les situations d’interaction soignants–soignés génèrent chez certains patients (peur, anxiété, embarras, gêne, voire honte12, dégoût, sentiment de souillure et/ou d’humiliation, etc.) sont égale- ment susceptibles de déterminer leurs attitudes envers ce comportement de santé préventif.

Force est par ailleurs de constater que le processus perceptivocognitif qui amène à se soucier excessivement du cancer présente de troublantes similitudes avec celui qui régente l’intensité des manifestations anxieuses et leurs fluc- tuations [29]. Il diffère en revanche sensiblement du pro- cessus de jugement qui sous-tend l’évaluation des risques oncologiques encourus [15,16], dans la mesure où ce dernier conditionne de manière indépendante le degré d’adhésion au dépistage du cancer [30], notamment colorectal [36].

Quel rôle jouent très précisément certaines émotions négatives (peur, anxiété, gêne, embarras, etc.) sur le plan évaluatif et décisionnel ? C’est essentiellement l’incidence de la cancérophobie sur l’adoption ou non de comportements

11L’expression «littératie en matière de santé» (health literacy) est parfois employée pour désigner cette capacité.

12Étymologiquement, «honte » vient du franciquehaunita, même radical que honnir (1080) qui signifie «mépriser».

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de santé préventifs qui a été examinée. Certains travaux menés sur la question suggèrent que la peur du cancer est un élément motivationnel important qui encourage le dépis- tage [51]. Nonobstant ce résultat d’étude, la peur est bien sou- vent invoquée par les gens qui rechignent à faire un dépistage du cancer colorectal [15,16]. Ce constat se vérifie tout particulièrement chez les personnes ayant des antécédents familiauxde cette maladie : plus elles redoutent de la déve- lopper, moins elles ont l’intention de faire une coloscopie [28]. Plus précisément, la peur des résultats prédispose à obli- térer des conseils médicaux promouvant le dépistage du can- cer en général [1,15] et tend à compromettre le recours au dépistage du cancer colorectal en particulier [18,33,48].

Plus rares sont les études qui se sont penchées surles spé- cificités des cognitionsalimentant la peur et l’anxiété, à savoir les particularités des inquiétudes (normales ou pathologiques) se rapportant au cancer colorectal et leur impact sur le dépis- tage de cette pathologie. Certes, il est vrai que la plupart des personnes présentant un risque moyen de développer un can- cer colorectal (83–87 %) déclarent ne pas se soucier outre mesure de ce cancer, ou éprouver tout au plus quelques légè- res inquiétudes à son égard [51], à la différence des personnes ayant des antécédents familiaux de cancer colorectal (beau- coup plus soucieuses). Aussi, il s’avère de nos jours encore très difficile de savoir dans quelle mesure les inquiétudes spé- cifiques au cancer colorectal inhibent ou motivent son dépis- tage, tout particulièrement celui qui repose sur la recherche de sang dans les selles [7,15].

Comment expliquer par ailleurs le fait que les préoccupa- tions se rapportant au cancer puissent aussi bien être consi- dérées comme des freins envers le dépistage, que comme des leviers motivationnels ? Une première explication tient tout d’abord au fait que des aspects distincts des inquiétudes se rapportant au cancer13peuvent conditionner de manière dif- férente l’adhésion au dépistage du cancer colorectal [7].

L’aspect quantitatif des émotions négatives et des inquiétu- des qui les alimentent est fort probablement aussi à prendre en considération pour expliquer ces résultats discordants.

Selon Janis et Feshbach [21], le niveau d’anxiété s’avère optimal lorsqu’il nourrit des inquiétudes constructives qui favorisent une anticipation relativement réaliste et pragma- tique des situations aversives à affronter et facilitent subsé- quemment les prises de décisions appropriées pour y faire face. Il favorise autrement dit la résolution de problèmes, en aidant à cultiver une attitude proactive à leur égard (procéder par exemple à un test de dépistage du cancer pour éviter d’éventuels dégâts somatiques irréversibles) [9].Un niveau modéré de préoccupations cancéreuses(ni

trop élevé, ni trop bas) s’avère salutaire via l’état d’activation physiologique optimal qu’il entraîne (arousal propice à l’action). A contrario, un niveau trop faible d’éveil physio- logique peut conduire à nier les risques encourus et une exci- tation physiologique trop importante favoriser le recours à des évitements phobiques (paralysent tous deux l’action).

De nos jours, l’approche sociocognitive de la santé centrée sur le traitement de l’information (Cognitive-Social Health Information Processing Model) défend cette hypothèse curvilinéaire ou en « U » inversé [36].

Une récente méta-analyse examinant son bien-fondé sug- gère que les inquiétudes modérées en rapport avec le cancer du sein peuvent encourager son dépistage [16], mais on ne sait pas s’il en est de même pour le cancer colorectal.

La difficulté à élucider le rôle des émotions perturbatrices dans le cadre de la démarche du dépistage du cancer colo- rectal montre également que l’on a fort probablement affaire à un processus motivationnel et décisionnel extrêmement complexe, combinant à la fois des données émotionnelles, perceptivocognitives et relationnelles, s’amorçant et s’autoa- limentant dans des circonstances stressantes bien précises, et prenant sens à la lueur d’une logique explicative des besoins informationnels propres à chaque individu. À cet égard, il convient tout particulièrement de se demander dans quelle mesure les préoccupations cancéreuses encouragent ou non le dépistage, au regard de la manière individuelle de faire face habituellement au stress (coping), comme le suggèrent notamment Miles et al. [34,35]. Ces derniers ont identifié deux principales attitudes envers les informations médicales, diamétralement opposées, qui permettent de composer avec le risque cancéreux, avec plus ou moins de brio : le style de faire face au stressvigilantet le style de faire face au stress évitant. Les personnes « vigilantes » (monitors) ont tendance à rechercher des informations médicales, tandis que les per- sonnes « évitantes » (blunters) ont tendance à les oblitérer.

Partant de là, les « vigilants » sont plus enclins à croire qu’ils risquent de développer une maladie comme le cancer et à s’en alarmer, ce qui peut les inciter à opérer un dépistage, tandis que les « évitants » vont plutôt chercher à divertir leur attention et à minimiser le caractère menaçant des informa- tions médicales dont ils disposent, en rechignant notamment à effectuer un dépistage. Forts de ce constat, il convient de respecter leur besoin d’information ou de non-information, en vue de les ménager psychologiquement et de les sensibi- liser avec tact à la nécessité de se faire suivre régulièrement sur le plan médical [26], plus facile à faire en situation indi- viduelle qu’en situation de dépistage organisé.

Conclusion

Il s’avère aujourd’hui incontournable de prendre en considé- ration les perceptions subjectives et les attitudes

13Des études montrent par exemple que la peur d’être prématurément ridée est pour certaines femmes un argument de taille pour arrêter de fumer, davantage pris en considération que la peur de développer un cancer du poumon

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psychologiques des individus envers le cancer colorectal et son dépistage de masse, le but étant de mieux comprendre leurs réticences et les raisons les amenant à y avoir recours.

À notre connaissance, peu d’études françaises se sont pen- chées sur les facteurs psychologiques garants ou non de l’adhésion à la démarche de dépistage du cancer colorectal (test comprenant un examen des selles par le sujet lui-même et nécessitant un dialogue sur le sujet avec son médecin généraliste. De plus amples recherches menées dans notre contexte culturel sont donc nécessaires afin d’élargir nos connaissances dans ce domaine. Il demeure notamment essentiel de préciser la nature des processus perceptivoco- gnitifs (forgeant nos représentations) et décisionnels (régis- sant nos actes) via lesquels certaines émotions perturbatrices vont conditionner, du moins en partie, l’adhésion à la procé- dure de dépistage Hémoccult® II. Ces investigations nous aideront subséquemment à mieux concevoir des interventions ciblées visant à renforcer l’adhésion au dépistage du cancer colorectal. Afin de promouvoir l’égalité d’accès à cette mesure préventive, nous postulons également qu’il est pri- mordial d’analyser les attitudes envers le dépistage du cancer colorectal de différents groupes sociodémographiques, afin de mieux cibler les campagnes de promotion du dépistage du cancer colorectal et d’optimiser in fine leur impact bénéfique.

Il importe aussi de contextualiser la question du dépistage colorectal en l’inscrivant résolument dans le cadre de l’étude de la relation soignants–soignés, tout particulièrement de ses avatars. Dans cette perspective, il convient de s’intéresser au rôle difficile que le médecin doit endosser pour tenter de sensibiliser leurs patients à l’idée qu’ils encourent peut-être un risque oncologique, sans les alarmer outre mesure. Cela implique de leur part beaucoup de tact et un peu de psycho- logie. Ils sont en effet tenus de composer avec brio avec différents challenges et enjeux cliniques, comme par exem- ple arriver à suffisamment mettre à l’aise un patient visible- ment gêné à l’idée de devoir parler du cancer colorectal ou encore à tranquilliser les personnes excessivement anxieuses à l’idée d’avoir un cancer en les aidant à interpréter de façon moins dramatique et plus constructive leurs symptômes (réattribution causale). Ils doivent aussi veiller à accorder la même qualité d’écoute aux patients qui présentent des plaintes mineures et/ou tentent de banaliser leurs symp- tômes, qu’à ceux qui présentent des craintes démesurées et/ou infondées. Dans cette perspective, une meilleure com- préhension du mode de fonctionnement émotionnel de leurs patients souffrant d’anxiété envers la santé peut, selon nous, leur être d’une grande utilité. Gardons en vue qu’il ne s’agit pas ici de leur proposer un travail psychothérapeutique approfondi et de longue haleine (visant à traiter un trouble hypocondriaque avéré), mais plus simplement de les aider à surmonter leurs craintes circonstancielles, en vue qu’ils consentent de façon éclairée et le plus sereinement possible à effectuer un test de dépistage du cancer colorectal.

RemerciementsCette recension des données de la littérature s’inscrit dans le cadre d’une recherche scientifique se rappor- tant aux freins et aux leviers psychologiques envers l’exa- men de dépistage du cancer colorectal (étude « EF SPEED CANCOL »), coordonnée par Colette Aguerre et subven- tionnée par l’Institut national du cancer (INCa) dans le cadre de son appel à projet 2010 « Recherche en sciences humaines et sociales, santé publique et épidémiologie ».

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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