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Oncologie : Article pp.138-144 du Vol.5 n°2 (2011)

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SYNTHÈSE /REVIEW ARTICLE

Le conseil en image, une nouvelle médiation thérapeutique ?

Body image counseling, a new therapeutic mediation?

M.-C. Vassileiou · A. Mariage

Reçu le 21 octobre 2010 ; accepté le 3 janvier 2011

© Springer-Verlag France 2011

RésuméLes études cliniques de femmes atteintes de cancer du sein montrent une modification de l’image spéculaire sus- ceptible d’engendrer un sentiment de dépersonnalisation et d’étrangeté du sujet, constituant une source de forte angoisse.

Le conseil en image est une pratique qui permet à la femme atteinte de cancer de retrouver sa subjectivité unitaire et d’intégrer progressivement les modifications induites sur le corps par les traitements liés au cancer. Ce processus de travail où le corps du patient devient son espace de création, de jeu permet à la personne de se reconstruire à travers son propre regard et celui de son entourage. Pour citer cette revue : Psycho-Oncol. 5 (2011).

Mots clésConseil en image · Analyse des couleurs · Image spéculaire · Image du corps · Enveloppe psychique

AbstractClinical studies of women with breast cancer show that changes revealed in the image seen in the mirror may well induce a sensation of depersonalisation and alienation, which can be a source of great anxiety. Body image counsel- ling is a technique that helps the woman with cancer to recapture her sense of self and gradually to come to terms with the changes in her body that have been produced by the treatment for her cancer. This working through, in which the patient’s body becomes an object of creation and interplay, enables her to reconstruct herself both in her own eyes and in those of her family.To cite this journal: Psycho-Oncol. 5 (2011).

KeywordsBody Image counseling · Colors Analyze · Specular image · Psychological envelopes

Introduction

Les effets secondaires liés aux traitements du cancer sont angoissants pour les patientes et altèrent leur image spéculaire : ablation possible du sein, alopécie, syndrome mains–pieds, dessèchement de la peau, modification du teint, effets unguéaux, amaigrissement ou prise de poids.

Schilder [15] définit l’image du corps comme « la façon dont notre corps nous apparaît à nous-mêmes ». Cette image correspond à la configuration globale que forme l’ensemble des représentations, perceptions, sentiments et attitudes que l’individu a élaborés vis-à-vis de son corps, à travers les expériences qui ont jalonné son existence. Elle a une fonc- tion protectrice, stabilisante et adaptative. L’image du corps est le fondement de l’identité. Cependant, lors de l’annonce du cancer, « les forces qui maintenaient ensemble les fragments et les éléments séparés manquent, fragments d’organes, fragments et éléments psychiques sont dissociés » [10]. L’image spéculaire des patientes se modifie : ce qui faisait leur corps, leur visage, leurs cheveux, leurs yeux change jusqu’à avoir cette impression de ne plus se regarder soi-même, d’être étrangère face à cette image du miroir et du regard de leur entourage dans lesquelles elles ne se recon- naissent pas. La dépersonnalisation est fréquente chez les patientes atteintes d’un cancer et correspond soit à une non-reconnaissance du sujet par lui-même, soit à un senti- ment de dédoublement dépersonnalisant [12]. L’atelier conseil en image a pour but de permettre à la patiente de se reconstruire par ce regard même qui les a destructurées. En posant des mots sur les modifications physiques entraînées par les traitements, en se montrant contenante par rapport aux angoisses qui surgissent et en offrant ce regard positif et rassurant, l’intervenante tente de faire naître chez la patiente l’envie d’investir son corps meurtri.

L’utilisation de la médiation corporelle a déjà été étudiée dans le cas de la psychose ou des états limites. Son objectif est d’initier à partir d’un travail sur la peau et la sensorialité un processus qui vise à instaurer une érogenèse contenante étayée par les expériences sensorielles éprouvées dans la relation transférentielle à la thérapeute [8]. Dans ce sens,

M.-C. Vassileiou (*) · A. Mariage (*) Laboratoire de psychologie EA 3188,

département de psychologie, université de Besançon, 30–32, rue Mégevand,

F-25000 Besançon, France

e-mail : mcvassil@laposte.net, andre.mariage@univ-fcomte.fr DOI 10.1007/s11839-011-0306-6

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une nouvelle pratique prend naissance depuis quelques années dans les hôpitaux : le conseil en image qui utilise le corps des patientes comme médiateur. Une étude dans ce contexte a été effectuée dans le cadre d’atelier look auprès d’adolescentes obèses [14] Cependant, dans le cas du cancer, aucune recherche tentant de faire le lien entre les altérations subies par le corps à cause des effets secondaires des traitements et le réaménagement des enveloppes psychiques dans le cadre de l’utilisation du conseil en image comme médiateur corporel n’a encore été menée. Il s’agira donc, ici, après avoir défini le conseil en image, de s’intéresser aux remaniements entraînés par cette méthode sur l’enve- loppe psychique de patientes atteintes d’un cancer.

Méthode du conseil en image

Le conseil en image, tel qu’il est pratiqué dans l’association

« Les Portes Bleues » au CHU de Besançon, correspond à la méthode « première impression ». Il consiste à accompagner les personnes atteintes de cancer dans un cheminement de valorisation de leur image grâce à des procédés bien définis.

Il permet une adaptation personnalisée en adéquation avec leur mode de vie, leurs exigences personnelles, leurs caractéristiques physiques propres et leur caractère.

L’analyse des couleurs est la méthode par laquelle est déterminé et expliqué le schéma chromatique personnel des patientes. Par une analyse des couleurs structurée ou méthode directionnelle, elles voient de leurs propres yeux comment, en portant des coloris s’harmonisant avec les caractéristiques des couleurs de leur teint, de leurs yeux, cheveux, elles peuvent offrir une image plus resplendissante et harmonieuse. En don- nant le bon équilibre, la personne se voit ne faire qu’une avec ses vêtements. Le système colorimétrique de Munsell [7] est utilisé. Le ton est le nom donné à un groupe de couleurs de teinte similaire (par exemple, les tons de rouge : tomate, framboise, bordeaux, écarlate, pastèque…). La valeur déter- mine l’intensité de la couleur : est-elle sombre ou claire ? La température détermine comment une couleur peut avoir une tonalité jaune (rouge orangé, kiwi), auquel cas nous parlerons de couleur chaude, ou une tonalité bleue (framboise, vert émeraude), de couleur froide. Enfin, la pureté ou la saturation définit à quel point une couleur est lumineuse/vive ou mate/

estompée. Cette méthode consiste donc à déterminer quelles sont les trois caractéristiques chromatiques du sujet, en fonc- tion de l’ordre d’importance de chacune d’entre elles :

sombre ou clair;

froid ou chaud;

lumineux ou mat.

Quarante-huit combinaisons sont possibles. C’est à la patiente de trouver une harmonie globale. Les bonnes couleurs se fondent, sont en harmonie, donnent du relief et

de l’éclat, lissent le teint, gomment les imperfections, don- nent de la vie et de l’éclat aux yeux et aux cheveux ; les mauvaises font l’effet inverse comme si la patiente était dévorée par la couleur. La méthode directionnelle se déroule toujours de la même façon. Le procédé est avant tout éduca- tif, il est crucial que la patiente comprenne pourquoi tel résultat d’analyse en ressort et quelles sont les données de ses coloris naturels qui mènent à ce résultat. En premier, la patiente donne son point de vue. Elle doit se rendre compte toute seule de la couleur qui la flatte le plus :

« Je n’imaginais pas que la couleur pouvait avoir un tel impact sur la personne, dans le sens où il y a des couleurs qui ne nous rendent pas du tout hommage, et qui au contraire nous donnent l’impression d’être encore plus malade que l’on est, qui nous donnent vraiment l’air malade et d’autres couleurs qui nous donnent du peps, qui nous remontent bien le moral et qui nous donnent un bel aspect. » (Mme L.).

La patiente est installée face au miroir, assise confortable- ment. Un bandeau blanc entoure son visage démaquillé et démuni d’accessoires. L’intervenante possède six jeux de sept étoffes (chaque jeu correspond à un type de couleur : claire, sombre, chaude, froide, mate, lumineuse) qu’elle placera une à une sous le visage de la patiente suivant une méthode particulière. Une première étoffe est appliquée sous le visage du sujet, puis est recouverte par l’étoffe opposée : sombre et clair par exemple. Plusieurs couleurs d’étoffes sont utilisées pour s’assurer du « diagnostic » de la valeur.

Cela donne aussi l’occasion à la patiente de « se faire l’œil », la différence étant la plus flagrante à ce stade. Les deux autres jeux d’étoffes sont ensuite appliqués l’un après l’autre : c’est-à-dire lumineux/mat pour définir la pureté ou la saturation et froid/chaud pour définir la température. En accord avec l’intervenante, le sujet doit éliminer les deux piles les moins flatteuses de chaque catégorie. Ayant éliminé les piles négatives, toute l’attention est portée sur les meilleu- res et les positives. Les trois jeux d’étoffes sont utilisés simul- tanément. Ils sont superposés sous forme de « corolles » ou « éventails » des sept couleurs de chaque catégorie restante afin de trouver l’ordre le plus harmonieux, c’est- à-dire l’ordre de la gamme la plus flatteuse à la moins flat- teuse. À la fin de cette étape, il est clairement expliqué à la patiente qu’elle est sans aucun doute dans le « mat/chaud/

sombre » par exemple.

L’analyse du visage en fonction de sa forme (ovale, rond, carré, rectangulaire, triangulaire, forme de cœur ou de losange) permet à l’intervenante de déterminer la coiffure (utilisée comme moyen de rééquilibrage du visage vers la forme idéale de l’ovale) et la couleur de prothèse capillaire la mieux adaptée à la morphologie de la patiente. Il en est de même pour les accessoires : foulards, turbans, chapeaux, bonnets, casquettes.

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En complémentarité au conseil en image, peuvent être proposés des conseils de soins esthétiques par une professionnelle :

le maquillage permet une véritable mise en valeur du visage face à ce miroir ainsi qu’un moyen de pallier les changements causés par les traitements : correction du teint qui s’est modifié ; perte des cils et des sourcils qui pourront être redessinés : poudre pour les sourcils et eye-liner pour les cils ;

les soins corporels atténuent les désagréments physio- logiques entraînés par les traitements liés au cancer : dessèchement de la peau, hyperkératose (ou syndrome mains–pieds), hypersensibilité capillaire lors du port de la prothèse capillaire, éruptions acnéiformes iatrogéni- ques, effets unguéaux ;

les massages sont aussi utilisés. D’après une étude au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York portant sur les effets des massages, Cassileth et Vickers [4] ont observé que le soulagement de la fatigue, de la nausée, de l’anxiété et des autres inconforts ressentis par les patients atteints de cancer persistait au cours des 48 heures suivant le massage.

Le cancer à l’origine de l’effritement du Moi

L’annonce du cancer induit de nombreuses et nécessaires réorganisations psychiques dont le pivot majeur se situerait dans « l’expérience catastrophique de la perte » [10].

Cette hypothèse a été approfondie par Bacqué [3] pour qui le « travail de deuil » est un facteur de développement de la personne et non de son effondrement. Cette approche permet de mieux saisir les différentes pertes liées au cancer : perte de l’illusion d’immortalité, de l’avenir, de l’idéal de santé, perte de petits bouts d’intégrité, d’autonomie, de relations, perte de position sociale, familiale, perte de bien-être, perte de l’image physique donnée à voir aux autres et à soi-même face aux miroirs. Le deuil permet la rupture du lien d’atta- chement ou de l’investissement consacré à l’objet perdu afin de permettre l’intégration d’un nouvel état sans cet objet précédent, mais avec une nouvelle possibilité de lien. Il ne s’agit pas d’une succession de deuils dans le cas des cancers, mais d’un nouveau processus mental qui, s’il suit son cours naturel, doit permettre au patient d’accepter les nouvelles contraintes de la maladie et en même temps de trouver dans ses conditions de vie modifiées des objectifs, une phi- losophie de la vie, une histoire à transmettre et, dans le cas mortel, une approche de la fin de vie pleine et non creuse. Le processus de deuil consiste à reconnaître la réalité des diffé- rentes pertes, à procéder au détachement affectif de chaque souvenir, de chaque attente en lien avec cet investissement perdu. Seulement, dans le cancer, l’objet d’amour est « soi »

projeté dans l’avenir. Un deuil de soi ne peut pas être effec- tué, il doit donc être partiel. Il correspond à un renoncement à l’idéal de soi projeté dans un avenir sans faille et à une transformation du soi malade en un nouvel objet d’investis- sement satisfaisant.

La conseillère en image,

une « mère suffisamment bonne »

Jamart, en 2007 [12], précise que « les atteintes du réel du corps telles qu’elles sont générées par la maladie cancéreuse et infligées par les interventions thérapeutiques sont bien de nature à renvoyer à un corps non encore spécularisé, à ce qui s’éprouve au niveau le plus radical de l’être réel dans l’ordre de la détresse et de l’inadaptation fondamentale du nourris- son. C’est l’Hilflosigkeitde l’enfant à laquelle répondent la parole, la présence et l’absence de ce que Freud a appelé le Nebenmensch, le prochain qui prend soin de l’enfant. Le Nebenmenschdésigne quelque chose au-delà du semblable, à côté du sujet et dans une altérité radicale. C’est auprès de ce prochain que nous apprenons à reconnaître, dit Freud, soulignant la valeur spécifique du corps et du visage humain dans les tous premiers éléments de la reconnaissance mais aussi le paradoxe selon lequel ce auprès de quoi nous appre- nons à reconnaître est, en même temps pour le sujet, le plus fremd, le plus étranger ». Cette confrontation au miroir de ce corps qui n’est plus spécularisé, au travers lequel l’individu ne se retrouve plus, renvoie au stade du miroir de Lacan [13], où l’individu est placé face à un réel dispersé perçu de son corps. Pour que cette image du corps puisse précipiter dans le miroir, il est nécessaire que l’individu s’y identifie et s’y reconnaisse. Ces étapes vers ce nouvel objet d’investisse- ment satisfaisant nécessitent la présence de cet autre, de ce prochain qui prend soin.

Dans le cadre de l’atelier conseil en image, l’intervenante a un unique but relatif à celle qui prend soin : solidifier les bases narcissiques de la personnalité afin de réacquérir le sentiment de continuité d’être et d’identité. Son action se déroule à plusieurs niveaux au sein d’un environnement suf- fisamment bon. Il renvoie à la relation patiente–intervenante, expérience régressive entre la mère et son enfant où lehand- ling, leholdinget l’object-presentingsont nécessaires, ici, à la reconstitution des bases narcissiques. La reconnaissance spéculaire est progressivement préparée par d’autres acqui- sitions extérieures, comme par exemple la reconnaissance tactile. Une patiente dit : «Comme c’est ma dernière séance de chimio, je vais beaucoup regretter ces petits massages qui font tellement de bien physiquement mais aussi morale- ment ». Une première reconnaissance serait inhérente au corps ressenti et, en dernier lieu, naîtrait une reconnaissance visuelle. Dans le développement émotionnel de l’individu, le précurseur du miroir, c’est le visage de la mère. Après que

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l’enfant ait perçu son Soi dans le visage de la mère, puis dans le miroir, c’est la manière dont elle prend soin de son enfant, le regarde, le touche, le contient qui aura un impact sur son développement psychoaffectif, notamment par l’instauration de limites intrapsychiques. La mère regarde le bébé, et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit. Par effet d’imago maternelle à la mère, l’intervenante occupe une place d’imago maternelle dans l’inconscient du sujet : «On se sentait comme des petits poussins avec leur maman poule. Elle prenait soin de nous…On se sent un peu couvées là-bas. On se sentait couvées, elle a toujours un petit mot pour chacune, pour chacun, on se sent vraiment cocoonées. » (propos de Mme L.).

Par effet de transfert, le regard de la conseillère en image renvoie inconsciemment à celui que la mère porte sur son enfant : si l’intervenante regarde avec bienveillance la patiente, elle se regardera avec bienveillance ; et à présent, la propre image de la patiente renvoyée en écho pourra lui permettre d’accéder à son identité symbolique. Allouis [1] a travaillé sur cette fonction du miroir dans le cadre du cancer où « le rôle de la glace n’est pas d’anéantir l’individu en lui renvoyant une image négative de lui-même, mais de l’aider à se reconstruire physiquement, mentalement et intimement ».

Quelques réponses données par Mme L., au Rorschach, permettent d’illustrer ces propos. Seules les thématiques pertinentes autour du narcissisme et du reflet seront retenues du protocole.À la planche VIII, elle projette « un lion ou un tigre » avec « son reflet dans l’eau », ainsi que le reflet dans une planche compacte, la V où elle voit un « oiseau qui est en train de se poser sur l’eau, il a son reflet qui se pose dans l’eau ». Il en est de même aux planches III et VII avec « deux personnages », « deux dames », « deux lapins », « deux chats ».

La centration sur la symétrie et les références à l’axe médian sont utilisées au niveau manifeste comme un recours aux caractéristiques objectives du matériel. Cependant, la centration sur la symétrie sert dans le protocole de support à des réponses spéculaires, notamment aux planches à confi- guration bilatérale, dans les scénarios relationnels qui impli- quent deux personnages ou deux animaux dans une relation narcissique de reflet.

La manière dont l’intervenante agit (regarde positivement et chaleureusement les patientes, dépose son empreinte par le toucher, accompagne sa pratique de paroles bienveillantes, explique les effets secondaires liés aux traitements, rassure) fait diminuer l’angoisse ressentie, permet aux patientes de se sentir exister dans une continuité. L’ensemble des strates sur lesquelles l’intervenante opère permet le remaniement de cette enveloppe psychique mise à mal, car sa constitution

« est le résultat d’un processus de stabilisation des mouve- ments pulsionnels et de turbulences émotionnelles » [11].

Cette pratique permet donc à l’individu de se rassembler et de renforcer sa sécurité interne, de solidifier son narcissisme

et son Moi.Mme L. utilise des réponses « peaux » au sens de Chabert[5]: « vêtements », « chapeau », « lunettes bleues »,

« perruque de clown », « moustache verte », « espèce de chaussures en bas des pieds », « costume noir », « peau de bête », « masque grotesque de carnaval », « couronne »,

« loup vénitien », « clown », « batman », « gais lurons »,

« coiffure afro ».

Ces réponses « peaux » contribuent au renforcement d’enveloppes corporelles visibles et psychiques liées à une problématique narcissique. La forte proportion de réponses

« forme » dans la cotation du Rorschach permet de saisir la capacité de donner aux choses un contour qui établit les frontières stables entre le dedans et le dehors. Dans ce cadre de contenance formelle, les réponses « peaux » sont investies comme une enveloppe ou comme un masque protecteur.

Toutes ces formes perçues constituent des enveloppes perceptrices des images, mais aussi le contour contenant des représentations qui s’y figurent. Les réponses « peaux » renvoient aux enveloppes corporelles et psychiques dont elles traduisent à la fois la valeur différenciatrice et les lacunes qu’elles s’efforcent de colmater grâce à ses défenses rigides de type narcissique.

L’atelier comme espace transitionnel

L’atelier a lieu une fois par semaine, même jour, même horaire, dans un lieu géographiquement stable, connu et contenant pour les patientes : la salle de réunion du service d’hématologie. La disposition du matériel dans la salle où se déroule la séance reste inchangée. Cet espace a pour but d’aider les patientes à affronter les transformations que la maladie leur fait subir en leur proposant notamment des cours de maquillage, un conseil couleur, coiffure et utilisa- tion des prothèses capillaires permettant de pallier les désagréments provoqués sur leur apparence, de reprendre confiance en elles face au regard des autres, de rencontrer et d’échanger avec celles ou ceux qui parcourent le même chemin. Chaque personne est libre d’assister à l’atelier, tout en respectant l’autre. Ce cadre bien défini permet la limita- tion d’un espace dedans–dehors qui renvoie directement à la structuration du psychisme. Pour Mme M., «Ce qui a été le plus dur, ça a été la perte des cheveux. Ça c’était drama- tique : la perte des cheveux, des cils, des sourcils, de tous les poils, j’avais l’impression d’être quelqu’un de complètement nu. », «Je ne me retrouvais plus du tout en moi, ce n’était plus moi, et le regard des autres me faisait assez mal. ».

Après l’atelier, Mme M. dit un autre ressenti : «Ça n’avait plus du tout le même…je me suis prise en photo avec mon appareil photo pour pouvoir leur envoyer pour qu’elles voient bien la forme de ma perruque, le maquillage, j’étais une vraie gamine qui vient de découvrir je ne sais pas quoi, mais vraiment ça m’avait et moralement ça m’avait

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vraiment apporté une bouffée, parce que là, il y avait vrai- ment quelque chose sur lequel on pouvait s’appuyer. C’était vraiment pour moi une métamorphose, un appui. ».

L’atelier conseil en image représente un espace potentiel au sens de Winnicott [17], c’est-à-dire « une troisième aire d’expérience » ni interne, ni externe à ces femmes, peuplée par les objets transitionnels, puis par ses jeux symboliques où leur corps propre devient un espace transitionnel. Une intervenante « suffisamment bonne » permet à ces femmes de vivre dans l’illusion de toute puissance où les espaces Moi et Non-Moi ne sont pas encore clairement définis.

Cette indistinction permet des expériences intermédiaires, où « les objets transitionnels » qu’elles possèdent ne repré- sentent ni cette intervenante, ni leur monde interne, mais les deux à la fois. Les objets transitionnels donnent le sentiment d’exister, malgré les absences de l’intervenante. Le sujet peut donc accomplir les expériences de la vie sans se sentir en danger. Mme F. explique lors de l’atelier,qu’elle s’était retrouvée face à une vendeuse agressive et n’avait pas pu lui répondre, cependant : « J’aurais pu le faire si j’avais eu ma perruque ».

L’objet transitionnel peut être une étoffe, du maquillage, un foulard, un béret, un bonnet, une perruque, un vêtement ou encore l’intervenante elle-même. Ces femmes utilisent leurs objets transitionnels tels des prolongements de cette intervenante, ce qui leur permet d’évoluer en toute confiance et d’aller au-devant d’expériences nouvelles. Van Der Stap [16] témoigne, dans son livre, à propos de ses prothèses capillaires : «Mes perruques m’aident à cacher ce que je veux cacher, comme elles m’aident à oser être la personne que je veux être. Lorsque j’enfile une perruque, je crée l’espace dont j’ai besoin. ».

Cette aire est par conséquent un espace de « jeu » où ces femmes jouent d’abord en relation avec l’intervenante, puis seules. Les activités qui se déploient dans cet espace leur permettent de se séparer psychologiquement de cette inter- venante, et pour finir d’accéder à la créativité et au sentiment d’existence. «Être bien dans sa peau ça ne passe pas que par la tête, ça passe aussi par les vêtements que l’on va porter. Se sentir bien, ce n’est pas que se sentir bien dans sa tête, c’est aussi se sentir bien dans ses basquets comme on dit. » (Mme L.).

L’atelier est un lieu de médiation dans le sens où il recons- titue cet espace de création dans la mesure où l’intervenante réapprend à la patiente à jouer au travers de son corps, dans un cadre contenant : choix des couleurs qu’elle va porter, du maquillage qu’elle va utiliser, de la coupe de la prothèse capillaire, du style de vêtements. La présence de ces objets et phénomènes transitionnels détermine l’existence de cette aire intermédiaire d’expérience permettant l’identi- fication du sujet à l’intervenante et la restauration de son narcissisme, des frontières de son Moi, la symbolisation et la créativité.

Le conseil en image, une médiation à visée thérapeutique

Lorsque le pare-excitation est effracté de manière trop brutale, comme par exemple lors de l’annonce du cancer, il se produit un traumatisme. Pour Ciccone [6], « ce qui soigne n’est pas tant de décharger par la parole ni de voir les fantasmes dévoilés et rendus conscients, ce qui soigne est l’expérience selon laquelle la vie émotionnelle troublée, per- turbée, douloureuse trouve un espace dans lequel elle puisse être reçue et contenue. » L’atelier a pour but d’héberger des expériences et des pensées que le sujet ne peut contenir et penser tout seul. Face au miroir, la patiente peut se regarder et verbaliser autour de ce que lui renvoie son image. La conseillère en image entend, prend soin, rassure, valorise toutes ses émergences. Les émotions, les angoisses et les douleurs sont contenues, car elles sont entendues et com- prises par l’intervenante qui pose des mots, des gestes, des regards à valence maternante sur celles-ci. La prégnance de ce regard bienveillant et valorisant permet aux patientes de se percevoir positivement par identification. La contenance de la conseillère en image, aidée du pare-excitation, est donc en lien avec une autre fonction, celle d’individuation. Cette pulsion scopique renvoie directement à une problématique narcissique et au stade du miroir. La visualisation de cette unité corporelle permet un rassemblement de ce corps et son unification. Au fil des ateliers et du retour au domicile, le regard de l’intervenante, des autres participantes et de leurs proches va permettre le tissage, chez ces patientes, d’une enveloppe rassurante et renarcissisée. À travers tous ces reflets, ces images d’elles-mêmes vont être intériorisées et engendrer dans le miroir un regard bienveillant porté sur elles-mêmes.

Ce concept de dépendance du contenu au contenant qu’Anzieu [2] décrit comme la complémentarité écorce/

noyau, fondant le sentiment de la continuité du Soi, est ver- balisé par les patientes dans les représentations de l’atelier :

« Quand on s’occupe de nous pas que mentalement, les psys ça peut être important, mais quand on s’occupe de nous aussi physiquement, quand on nous dit, porte ça plus tôt que ça, ça te mettra plus en valeur, tu seras plus à l’aise, je trouve que c’est aussi important, ça aide beaucoup à faire passer la maladie, car l’image de soi elle est à l’intérieur et à l’extérieur. C’est ce que l’on renvoie et ce que l’on dégage aussi, et si on est en accord avec ce que l’on a à l’intérieur et à l’extérieur, c’est énorme, c’est extrêmement important » (Mme L.).

Lorsque la personne prend soin d’elle, utilise son corps tel un médiateur par le biais du choix des couleurs, de la forme des vêtements portés, des soins procurés, du maquillage utilisé, de sa coupe de cheveux (ou prothèse capillaire), s’automaterne…, elle entre dans une aire intermédiaire de

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jeu où la réalité n’intervient plus comme une contrainte, mais est remodelée en fonction de ses besoins internes. Jouer pour la patiente devient un acte créateur, une invention qui lui offre une infinité de possibilités. Par ces phénomènes transitionnels, il ne s’agit pas que de mettre en acte la réalité psychique interne du sujet, mais surtout de lui offrir le senti- ment d’exister, d’être « Soi », d’intégrer sa personnalité, son vrai-self. La personne réussit à passer de cette étiquette de malade cancéreuse au statut de femme unique. Ces femmes prennent donc conscience d’être des objets uniques et iden- tifiables dans le monde des objets. Se sentir réel, c’est plus qu’exister, c’est trouver un moyen d’exister soi-même, pour se relier aux objets en tant que soi-même et pour avoir un soi où se réfugier afin de se détendre, mais aussi de retrouver la possibilité de séduire, de se trouver attirante, d’être tout simplement belle.

Ouverture à un travail sur Soi

À travers ce long parcours de la maladie, cette démarche thérapeutique de l’atelier de conseil en image permet une action sur le traumatisme vécu et sur les effets secondaires visibles des traitements. Elle repose sur une action psycho- somatique, dans laquelle le corps est le témoin d’une atteinte profonde liée au cancer et à ses représentations sociales. Cet atelier consiste à « soigner », à « colmater » cette atteinte narcissique engendrée en agissant sur les modifications cor- porelles visibles. À travers ces rencontres, il s’agit de rétablir ce lien primaire à travers des soins physiques et relationnels.

Cette expérience vécue leur permet d’intégrer au plus d’elles-mêmes et de mentaliser ces expériences pulsionnelles chargées d’affects en structures mentales de mieux en mieux organisées. Ce travail sur cette enveloppe corporelle externe de l’image de soi marqué par le passage d’un corps meurtri, voire désexualisé avec une perte des signes de féminité : poi- trine, cheveux, ongles, cils, sourcils, à un corps à nouveau sexualisé : prothèse mammaire, prothèse capillaire, traite- ment et pose de vernis sur les ongles, maquillage des cils et des sourcils, permet donc d’agir sur les limites internes de ces femmes. L’action sur le contenant, où l’image prend à nouveau une forme signifiante par cette féminité retrouvée, exerce une action sur le contenu : ressentis corporels, pul- sionnel. Du sens est redonné à la vie de ces femmes. Par le processus de mentalisation, celles-ci ont la capacité de tolé- rer et d’élaborer des conflits inter- et intrapersonnels ainsi que les états psychiques qui en découlent.

Conclusion

Les progrès de la médecine ont permis une amélioration significative de la qualité des soins apportés aux malades atteints de cancer, ainsi que dans la réduction des effets

secondaires liés aux traitements. La pluridisciplinarité dans les établissements traitants permet aujourd’hui la prise en charge globale du patient : physique, psychique et sociale.

Le conseil en image et les soins esthétiques apportés par des professionnelles tels des soins de support visent à améliorer la qualité de vie des patientes à plusieurs niveaux. Ces méthodes permettent à la personne de revaloriser ce corps source de souffrance, ainsi qu’à se le réapproprier. Il ne s’agit pas seulement d’un réinvestissement physique, mais aussi d’une réinscription de ce corps à travers plusieurs stra- tes symboliques : au niveau de l’enveloppe du corps tactile et spatialisé (peau du sujet avec ses récepteurs sensitifs), de l’enveloppe en tant que frontière entre le milieu interne et le milieu externe du patient (redélimitation du Moi grâce au renforcement des défenses narcissiques), de la mentalisa- tion (élaboration des expériences pulsionnelles chargées d’affects en structures mentales de mieux en mieux organi- sées) qui s’inscrivent dans le temps. Il s’agit que les patientes se reconstruisent « à partir de leur nom, de leurs affects et du corps des sensations, mais aussi à travers le regard de cet autre tant espéré et craint pour les soutenir dans ce processus inquiétant et douloureux de métamorphose, et les confirmer au fur et à mesure dans leur avancé » [9]. Le corps est réin- vesti en tant qu’objet de satisfaction, d’amour et de désir : il est renarcissisé. L’espace de création, « de jeu pour le“Je”» est vu ici comme un « antidote au cancer ». Le groupe médiatisé présente alors une fonction indispensable de réap- propriation de la relation intra- et intersubjective. Ces prati- ques, qui bien entendu ne prétendent en aucun cas une guérison physique, donnent à la personne un accès facilité à une élaboration de ses problématiques qui ont pu déjà émerger, accéder à sa conscience de façon plus ou moins brutale, mais qui sont ici contenues par le cadre. Cette inter- vention à médiation corporelle permet l’ouverture d’un espace de jeu où peut se réaliser un travail analytique avec les patientes. Par la suite, il serait intéressant d’approfondir ce travail thérapeutique, en faisant avec la patiente un travail de liaison et de recherche de sens autour de ses émotions et de son ressenti au cours des séances, entre le corporel et ses représentations psychiques, entre le moment présent et ses souvenirs du passé qui réémergent. Cette complémentarité des pratiques permet de lier une prise en charge du corps associée à la psyché dans un processus de soin et d’unifica- tion du Moi de la personne.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

1. Allouis ML (2005) Soigner son image pour mieux vivre son cancer. Apima, pp 60–3

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2. Anzieu D (1994) Le penser du Moi-peau au Moi-pensant, Dunod, Paris

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