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Oncologie : Article pp.92-97 du Vol.5 n°2 (2011)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

La phase de transition vers des soins palliatifs du patient cancéreux, source de stress pour les soignants

The transition phase towards palliative care of cancer patients, a source of stress for the caregivers

P.-A. Charmillot

Reçu le 19 février 2011 ; accepté le 12 avril 2011

© Springer-Verlag France 2011

RésuméLes professionnels impliqués dans l’accompagne- ment de patients souffrant de maladies cancéreuses sont parfois confrontés à décider d’une posture curative et/ou palliative. Trois conditions spécifiques à la transition vers des soins ont été analysées en lien avec le concept de stress.

Il s’agit de la particularité de la trajectoire de la maladie can- céreuse, de l’incertitude générée par le flou de la zone de transition et de l’absence de partage de décision dans l’équipe pluridisciplinaire. Ces conditions particulières asso- ciées à des facteurs relatifs à la personnalité des soignants et/

ou aux spécificités des professions de l’équipe pluridiscipli- naire peuvent générer du stress et avoir une influence sur la prise de décision. Deux mesures sont proposées pour réduire les effets du stress et contribuer à la prévention duburnout.

Pour citer cette revue : Psycho-Oncol. 5 (2011).

Mots clésStress · Transition · Décision · Palliatif · Curatif · Burnout

AbstractThe professionals involved in the care of patients suffering from cancer may be forced to decide on a curative and/or palliative course of action. Three conditions that are specific to the transition towards care were analyzed in connection with the concept of stress: the distinctive feature of the trajectory of the cancer, the uncertainty generated by the vagueness of the transition zone, and the absence of decision sharing within the multidisciplinary team. These particular conditions, which are associated to factors pertai- ning to the personality of the caregivers and/or the occupa- tional specificities of the multidisciplinary team, can cause stress and affect the decision making. Two measures are suggested to reduce the effects of stress and contribute to

preventing burnout. To cite this journal: Psycho-Oncol. 5 (2011).

Keywords Stress · Transition · Decision · Palliative · Curative · Burnout

Introduction

Il est reconnu aujourd’hui que le travail auprès de patients cancéreux constitue une source de stress. Les soignants au contact quotidien de ces patients témoignent des difficultés rencontrées, d’un questionnement incessant ainsi que de moments de découragement. Les conditions difficiles du contexte de l’oncologie constituent des facteurs de risque pouvant parfois affecter la santé des soignants [1].

Une combinaison de nombreux facteurs peut influencer la prise de décision des soignants lors du processus de transition vers les soins palliatifs. Ces facteurs relèvent du domaine ins- titutionnel, social, affectif, conceptuel et communicationnel [2]. Dans cet article, nous aborderons trois caractéristiques de la prise de décision (nous limitons aux processus décision- nels chez les professionnels bien que nous ayons conscience du rôle majeur du patient dans ce contexte), identifiées dans une revue de littérature en 2010 par Charmillot et Walti- Bolliger. Dans un premier temps, nous traiterons de la trajec- toire spécifique des patients atteints de maladies cancéreuses.

Nous nous intéresserons ensuite à l’incertitude en relation avec la zone floue de la transition pour terminer par la déci- sion non partagée dans l’équipe pluridisciplinaire. L’objectif ici est de montrer comment ces caractéristiques contextuelles et individuelles peuvent favoriser un état de stress chez les soignants, pouvant interférer dans la prise de décision.

Tout au long de la trajectoire de la maladie, les profession- nels sont amenés à décider d’options thérapeutiques et de soins qu’ils partagent, en principe, avec le patient. Durant la dernière phase de la maladie, puis lors de la phase

P.-A. Charmillot (*) Professeur HES,

Haute école de santé Arc-Delémont, 1, rue de la Jeunesse, 2800 Delémont, Suisse e-mail : pierre-alain.charmillot@he-arc.ch DOI 10.1007/s11839-011-0316-4

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agonique, un glissement progressif s’opère vers des soins et des traitements à dominance palliative. Il s’agit d’une trajec- toire oscillant entre postures curative et palliative, qui génère une zone floue et incertaine dans laquelle se mélangent fré- quemment des activités mixtes (curatives et palliatives).

Dans ce processus transitionnel, les professionnels sont souvent amenés à prendre une succession de « micro- » décisions.

Notre analyse se base sur le modèle transactionnel du stress. Celui-ci soutient que l’événement n’est stressant que s’il est évalué comme tel par la personne qui le vit. La réponse lors d’une situation stressante n’est donc pas simi- laire d’un individu à l’autre. Cette différence s’explique par le fait qu’une opération d’évaluation cognitive est au cœur de ce processus et amène chaque individu à percevoir l’évé- nement comme source de stress ou pas, puis d’y apporter une réponse spécifique. Dans le processus de décision, la situa- tion du patient est interprétée, entre autres, à la lumière de valeurs professionnelles, elles-mêmes construites au travers de l’histoire de vie, du cursus et du projet professionnel, ainsi que par le contexte dans lequel le soignant travaille.

Par exemple, une infirmière (ce qui s’écrit au féminin s’entend également au masculin) exerçant dans un service de réanimation ou d’urgence aura tendance à développer comme valeur dominante, le maintien de la vie avec l’aide de la technologie si elle veut être performante dans son tra- vail, donc de repousser le plus loin possible les limites entre la vie et la mort. Par conséquent, au décours de la maladie cancéreuse, il s’agira pour les soignants d’abandonner la perspective curative et donc de renoncer à certains traite- ments et soins pour les substituer à d’autres dans une perspective palliative. Dans ce cas, l’intérêt premier des pro- fessionnels n’est plus la maladie, mais la personne en souf- france. Dès lors, il convient d’atténuer les symptômes gênants dans les dimensions biopsychosociales et spirituel- les avec l’objectif d’assurer au patient une qualité de vie optimale. Si ce changement de posture est évalué par le soignant comme contraire à ses valeurs professionnelles, il pourrait être alors considéré comme stressant.

Accompagnement lors de la trajectoire de la maladie cancéreuse

L’évolution des diverses trajectoires de maladies influence la place des soins palliatifs par rapport aux soins curatifs. Lun- ney et al. [3] puis Murray et al. [4] identifient, sur la base de revues cliniques, trois types de trajectoires relatives à des maladies spécifiques, alors que Gill et al. [5] ont identifié cinq trajectoires liées aux capacités physiques lors des acti- vités de la vie quotidienne. Si cette dernière étude permet de relativiser le profil des trajectoires propres aux maladies, nous pouvons toutefois observer une tendance de la trajec-

toire caractéristique chez les personnes atteintes de maladies cancéreuses.1Celle-ci se distingue par un haut niveau fonc- tionnel pour les activités de la vie quotidienne durant plu- sieurs mois (probablement dû aux effets des thérapies), puis par un déclin assez brusque de celles-ci durant les der- nières semaines avant la mort. Pour les soignants, ce chan- gement brutal peut avoir des conséquences sur la charge de stress. La longue période précédant la mort, durant laquelle tout est mis enœuvre au plan thérapeutique et des soins pour viser la guérison, implique un investissement psychoaffectif important de la part des soignants, favorable à la création de liens. La prise de distance face à cet investissement n’est pas toujours possible pour les soignants et peut devenir un facteur de stress au moment de la rupture de la trajectoire du patient. Les professionnels témoignent souvent de leur diffi- culté à prendre les bonnes décisions pour la mise en place de soins à visée palliative, cela d’autant plus si le patient ne peut ou est empêché de réaliser un travail d’acception des diver- ses pertes inhérentes à l’évolution de sa maladie. Sand et Strang relèvent que la proximité de la mort isole et rend difficile le vécu de la réalité et la communication autant pour les patients que les professionnels [6].

Dans ce contexte particulier, certaines caractéristiques personnelles peuvent avoir une influence sur l’intensité de stress (diverses études mettent en évidence que les caracté- ristiques individuelles sont des composantes qui contri- buent à l’épuisement professionnel, mais leurs auteurs les relativisent, dans le sens qu’elles ne peuvent expliquer ce phénomène à elles seules). Par exemple, pour certains pro- fessionnels le choix d’une profession à haut niveau relation- nel pourrait être déterminé par un besoin de réparation narcissique [7]. Ceux-ci ont dès lors des attentes très impor- tantes envers les patients qui sont vus comme un moyen de se guérir. Il en est de même pour « l’identification projective » qui se définit comme une tentative du soignant de dissoudre la distance entre sa propre souffrance et celle du patient. Le soi- gnant aura tendance à prendre en charge activement et globa- lement la souffrance du patient. Il est alors convaincu que lui seul sait ce que le patient veut. Par cette démarche, le soignant fait ainsi taire sa propre angoisse [8]. Dès lors, la perspective d’une fin de vie proche est une source de stress importante, à même d’influencer leur décision lors de la transition. Le pro- cessus d’attachement–détachement relève aussi de caractéris- tiques personnelles. La qualité des liens construits durant l’enfance et le vécu des pertes anciennes chez les soignants conditionnent l’intensité du lien d’attachement avec le patient. Dans ce cas, les soignants développeront des straté- gies d’adaptation inadéquates face au stress engendré par

1Selon l’officier fédéral de la statistique (OFS), la maladie cancéreuse concerne par année un peu plus de 100 000 personnes hospitalisées en Suisse. Plus de 50 % des cas sont décelés entre 40 et 69 ans et près de 15 500 personnes décèdent chaque année de cancer.

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l’éventualité du décès du patient, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques sur la qualité relationnelle et leur santé [9].

Ces caractéristiques individuelles construisent la hardiesse (hardness) décrite par Kobasa. Elle a pour caractéristique de protéger l’individu des effets nocifs du stress. L’effet protec- teur de la hardiesse sur l’épuisement professionnel a été démontré entre autres par Costantini et al. chez les étudiantes infirmières travaillant en cancérologie. Ces auteurs ont mon- tré que plus le score d’endurance est haut, mieux ces étudian- tes résistent à l’épuisement professionnel [10]. Néanmoins, la hardiesse n’est pas toujours stable, elle peut varier en fonction du contexte et à travers le temps. Elle pourrait être une res- source « (…) en modérant la relation entre “stresseurs”et santé, en influençant le processus d’évaluation et les straté- gies decoping» [11]. Trois caractéristiques spécifiques sont relevées chez les individus endurants. Il s’agit du sens de l’engagement, de la maîtrise et du défi. Le sens de l’engage- ment est décrit comme une tendance de la personne à s’impliquer pleinement dans les diverses situations rencon- trées. Le sens de la maîtrise donne la croyance aux soignants d’influencer les événements, alors que le sens du défi « (…) se rapporte à des croyances selon lesquelles le changement, plutôt que la stabilité, est normal » [7]. Si cette dernière carac- téristique se distingue des deux autres comme étant essen- tielle, du fait de la particularité de la trajectoire de la maladie cancéreuse, il n’en demeure pas moins que les deux autres pourraient devenir des facteurs de stress lorsque les mesures thérapeutiques ont échoué et qu’il faut envisager la mort du patient. Nous observons ici l’effet paradoxal de ces caractéristiques, c’est-à-dire essentielles, mais en même temps contre-productives selon l’évolution de la situation du patient. En effet, l’implication dans le projet de guérison du patient nécessite de la part du soignant un investissement, c’est-à-dire, c’est une partie de lui-même qui est engagée et qui fonde un lien d’attachement parfois plus intense. La mort du patient induit la disparition de cet investissement, ce qui est équivalent à une perte et qui nécessite pour le soignant un processus de deuil. Par conséquent, il appartient au soignant de trouver la bonne mesure de son implication dans le projet de guérison du patient. Si celle-ci est mineure, elle pourrait être traduite par le patient comme une forme de désintérêt.

Dans le cas contraire, c’est le soignant qui risque de se « brû- ler » au détriment de sa propre santé. Quant au sens de la maîtrise, c’est-à-dire à la croyance d’un professionnel en sa capacité à faire évoluer la situation du patient vers la guérison par les soins et les traitements, il pourrait aussi contribuer à amplifier son stress. Cet espoir de guérison est alimenté chez le soignant et le soigné, entre autres, par l’efficacité des traitements oncologiques. S’ils s’avèrent inefficaces, cette croyance du pouvoir de guérison est remise en question.

Ce processus peut donc contribuer à amplifier le stress et contrarier son processus de décision. Dès lors, nous pouvons

nous demander dans quelle mesure cette croyance ne partici- perait pas à l’acharnement thérapeutique, problématique par ailleurs très controversée aujourd’hui.

Flou de la complexité source d’incertitude

De nombreux facteurs contribuent à rendre la phase de tran- sition vers des soins palliatifs floue et incertaine. Van Kleffens et al. relèvent les difficultés concernant les choix thérapeu- tiques dans ce contexte, parce que certains traitements peu- vent être administrés de façon curative ou palliative [12]. Le pronostic incertain n’aide pas non plus les médecins à se situer clairement, car de celui-ci « (…) dépendent l’estimation d’une fin de vie et sa préparation, la création d’un lien et d’une relation. Une démarche réactive et proactive en même temps qui demande un fort investissement pour l’ensemble des professionnels impliqués » [13]. La référence à une notion claire des soins palliatifs et aux buts du traitement (guérir ou soulager et améliorer la qualité de vie) est cruciale lors des processus de prise de décision concernant les options théra- peutiques. Le cas échéant, on risque d’induire la confusion chez les patients. Lee et al. relèvent des incohérences dans l’usage de certaines médications pour traiter les patients avec une polypathologie. Notamment, ils relèvent que sou- vent les traitements sont ordonnés par plusieurs spécialistes.

Dans ce cas, il n’est pas rare que les décisions soient prises dans le domaine de la maladie dominante et non dans une approche systémique de la situation. Par ailleurs, les auteurs constatent que plus la situation est aiguë et le patient jeune, plus nombreux sont les décès qui surviennent en soins aigus sans offre de soins palliatifs intégrés. Plus le temps entre le diagnostic et le décès est court, moins sont prises des déci- sions optant pour des soins palliatifs et des décisions de non- réanimation [14]. La décision d’un passage curatif–palliatif est difficile notamment lorsque la complexité thérapeutique fait intervenir divers spécialistes, chacun avec une vision fragmentaire et non systémique de la situation du patient [15]. Ainsi, lors de la transition, la situation du patient peut devenir brouillée, floue. Elle génère chez les soignants de l’incertitude, ainsi que de nombreuses interrogations comme : faut-il que le patient reste alité pour limiter sa fatigue au risque de nombreuses complications ? Faut-il diminuer son hydratation, au risque d’accélérer sa fin ? Faut-il prescrire une antibiothérapie pour traiter sa pneumonie ? Faut-il pro- longer une chimiothérapie au risque d’accélérer la mort du patient et l’empêcher de faire le travail préparatoire de deuil avec ses proches ?

L’incertitude est de manière générale étroitement liée à la notion de variabilité. Plus un système est complexe, plus la variabilité de ses nombreux éléments engendre de l’incerti- tude. Par définition, l’être humain et les systèmes avec lesquels il interagit répondent à ces critères et sont donc

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générateurs d’incertitudes. Le contexte de transition lors de la maladie cancéreuse est à cet égard caractéristique d’une très grande complexité. Un certain nombre de travaux sem- blent démontrer une relation entre incertitude et stress.

« Ainsi, l’anxiété liée à l’incertitude de la finalité ou du deve- nir d’une situation crée du stress dont l’issue peut être trou- vée dans la recherche et l’obtention d’informations (effet sur lecoping). En retour, l’information trouvée va contribuer à réduire l’incertitude et, par conséquent, à diminuer le stress et l’anxiété » (Bar-Tal et al, 2005, cité par Lancry) [16]. Il semble que des traits de personnalité comme l’intolérance à l’incertitude (l’appréhension d’événements négatifs qui pourraient se concrétiser à l’avenir) ou le sentiment de contrôle de la situation soient davantage à la base du pro- cessus anxiété–stress que l’incertitude elle-même. Le senti- ment de contrôle de la situation (en relation avec le“locus of control”, Rotter [1966, 1990]) peut être affaibli si les straté- gies d’ajustement pour réduire le stress ont échoué. Dès lors, nous sommes en mesure de nous demander si ces traits de personnalité peuvent favoriser des mécanismes de défense (le mensonge, la fuite en avant, la rationalisation, l’évite- ment, la fausse réassurance, l’esquive, la dérision) identifiés par Ruszniewski [8]. Ces mécanismes ont des conséquences parfois désastreuses pour le patient et sa famille. Ils peuvent par exemple empêcher ou ralentir le travail préparatoire du mourir du patient et ses proches, renforcer le sentiment de solitude ou altérer le niveau de confiance indispensable pour une relation de qualité.

La décision non partagée dans l’équipe pluridisciplinaire

La collaboration interdisciplinaire lors du passage et de la phase palliative est jugée insatisfaisante par les infirmières [17]. Elles souhaitent plus de cohérence interdisciplinaire pour une prise en charge plus individualisée. Le manque de concertation avec le corps médical au sujet des traitements est fréquemment décrit comme générant des tensions au sein de l’équipe [18].

Cette problématique reste peu explorée, notamment en Suisse, les trois études suivantes fournissent cependant quel- ques indicateurs. La première est une étude française portant sur 120 services de réanimation suivis pendant trois mois, qui relève que 53 % des décès sont précédés d’une décision d’arrêt ou de limitation des soins. Cette décision est prise par un staff médical et infirmier dans seulement 54 % des cas, alors que celle-ci est assumée par le médecin seul dans 12 % des cas [19]. La seconde est l’enquête européenne EURELD (European end-of-life decision) [20] menée en 2002 dans six pays différents dont la Suisse et portant sur 20 480 décès.

Elle relève qu’un tiers des décès sont survenus soudainement et de façon inattendue, ce qui exclut toute intervention médi-

cale. Vingt-cinq à 50 % des décès sont précédés d’une ou de plusieurs décisions de fin de vie susceptibles d’abréger la vie du patient. Celles-ci portent sur la mise en place de traite- ments de la douleur, la non-mise enœuvre ou l’interruption d’un traitement et dans de plus rares cas (entre 01 % à 3,4 %) sur le décès assisté par les médecins, avec l’administration d’une substance dans l’intention explicite de donner la mort.

Il est surprenant de constater dans cette même étude que le patient et sa famille ne sont pas toujours impliqués dans le processus de prise de décision, et que les autres soignants ne sont pas toujours consultés. La dernière est une étude épidé- miologique française menée par l’équipe du Dr Rodary (cité par Estryn-Behar) [8] auprès de 520 infirmières dans un cen- tre anticancéreux en hôpital général. Quarante-huit pour cent de celles-ci relèvent fréquemment un manque d’égard notamment « (…) un manque de respect au sein de l’équipe médicale ou de la part du malade », alors que 26 % des infirmières « (…) pensent que leur connaissance du malade n’est jamais prise en compte lors de la prise de décision ».

Cette pratique peu généralisée du partage de décision entre infirmières et médecins particulièrement, repose en partie sur des facteurs spécifiques, notamment historiques, de la pro- fession infirmière (nous nous référons ici au contexte de la majorité des pays de l’Europe occidentale). Outre la question du genre [21], qui pourrait à l’avenir devenir mineure au vu de la féminisation des professions médicales, celle des rap- ports hiérarchiques entre médecin et infirmière est bien réelle dans le système de santé. La hiérarchisation est traditionnel- lement inscrite entre ces deux corps professionnels, notam- ment parce que la profession médicale reste considérée comme « noble » donc supérieure, alors que celle d’infir- mière est perçue comme subalterne avec des valeurs morales peu valorisées (« fille de salle » « fille à tout faire ») [22].

Une étude norvégienne met en lumière le doute du médecin en ce qui concerne les compétences de l’infirmière alors que l’inverse n’est pas démontré. Toujours dans la même étude, il est intéressant de voir que les médecins sont davantage dépendants des informations des autres professionnels que ne le sont les infirmières [23]. Dans un autre registre, la ter- tiarisation de la profession infirmière, relativement récente dans la majorité des pays de l’Union européenne et la Suisse, fait émerger de nouveaux conflits [24]. Les programmes de formation mis en place récemment laissent plus de place aux modèles scientifiques en nursing avec pour conséquences une expertise spécifique renforcée et une accentuation de l’identité professionnelle des infirmières. Pour développer le partage de décision, il s’agirait d’ancrer une approche interdisciplinaire dans les équipes de soins, qui consiste à utiliser des connaissances de diverses disciplines afin de répondre au mieux aux besoins du patient. Malheureuse- ment, la notion d’interdisciplinarité est encore aujourd’hui monodisciplinaire et se limite aux échanges entre spécialis- tes médicaux (pneumologie, oncologie, chirurgie). Il est

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établi que « (…) traditionnellement, le médecin se considère davantage comme orchestrateur des mesures diagnostiques et thérapeutiques que comme membre d’une équipe de soins » [25]. Cette pratique est en relation avec des questions de ter- ritorialité, au niveau des compétences et de l’espace institu- tionnel et par la crainte, probablement inconsciente, d’être dépossédé de pouvoirs décisionnels. Or, le partage de déci- sion n’enlève en rien l’exigence d’un leadership dans l’équipe pluridisciplinaire, chargée de coordonner et de porter cette décision.

L’absence de décision partagée est génératrice de stress et influence les rapports interprofessionnels et les relations avec le patient. Dans une étude descriptive menée par Fillion et al. en 2003 auprès notamment d’infirmières travaillant dans le champ des soins palliatifs, trois catégo- ries spécifiques de « stresseurs » ont été définies. Il s’agit des « stresseurs » organisationnels, émotionnels et profes- sionnels. Pour cette dernière catégorie, les auteurs mention- nent, entre autres, que « le manque de collaboration des médecins, la difficulté de communication ainsi que l’isole- ment et le manque de latitude décisionnelle » sont source de stress pour les soignants [26]. Il est intéressant de voir que ces trois « états » sont aussi importants pour le pro- cessus de décision et qu’ils peuvent être l’origine ou la conséquence d’un conflit de rôle professionnel. Dans la dynamique du burnout, « …il apparaît que le conflit de rôle est davantage associé à l’épuisement émotionnel et à la dépersonnalisation » [11].

Le rôle professionnel, défini en fonction d’attentes spéci- fiques de l’institution, a pour but de favoriser les relations et de limiter l’ambiguïté et les conflits. Cependant, ce rôle n’est jamais totalement fixé ou prescrit, mais constamment rené- gocié [11], générant une zone « grise », potentielle source de conflits entre les acteurs. Un conflit de rôle peut émerger lorsque les activités sont en opposition avec les propres valeurs des soignants ou si ces activités sont incompatibles entre elles. Le soignant est dès lors amené à réaliser des tâches contredisant certaines attentes. Les périodes de tran- sition et de soins palliatifs portent en elles des caractéris- tiques propres à l’émergence d’un conflit de rôle. En effet, en l’absence de partage de décision, des divergences entre les médecins et infirmières portant sur la posture à adopter pour le patient sont fréquemment observées. Par exemple, l’un des points litigieux peut être lié à la prescription médi- cale (faisant autorité), jugée inadéquate par les infirmières en regard de la situation du patient. L’origine de ces désaccords est à rechercher à la fois dans les caractéristiques du contexte et des professions. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les valeurs qui guident les contextes curatif et palliatif sont fondamentalement opposées. Dans le contexte curatif, il s’agit en priorité de lutter contre la pathologie d’organe en « réparant » la santé (cure). Ici domine une vision centrée sur les fonctions vitales et les processus physiologiques et

chimiques, dans une perspective de donner des soinsstan- dardisés. Dans le contexte palliatif, une fois que la maladie ne peut plus être vaincue, il importede prendre soin, c’est- à-dire d’accompagner en étant à l’écoute de tous les besoins pour permettre au patient de poursuivre et d’achever son chemin. En ce qui concerne le champ des professions, il apparaît, en « caricaturant », que les valeurs des professions médicales sont prioritairement centrées sur la maladie (par ailleurs largement reconnues par le système de santé) alors que celles des professions soignantes sont d’abord centrées sur la personne. Ces caractéristiques sont d’ailleurs éviden- tes à l’analyse des curricula de ces formations, bien que ces dernières années un rééquilibrage puisse être observé. Ainsi, par l’intermédiaire des professionnels, le patient est « jaugé » à l’aune de leurs paradigmes dominants respectifs. Il s’agit pour les sciences infirmières d’une approche plutôt fondée sur les paradigmes de la totalité et de la simultanéité2, alors que la médecine repose en partie sur le modèle biomédical3. L’analyse plurielle de la situation est en soi intéressante et nécessaire, car elle assure une qualité des soins et des traite- ments pour le patient. Cependant, si ces analyses ne sont pas partagées, elles sont source de conflit de rôle et de stress.

Conclusion

En partant de trois conditions spécifiques relatives à la prise de décision lors de la transition vers des soins palliatifs, notre analyse révèle les sources potentielles de stress pour les soi- gnants. Nous avons vu que celles-ci sont liées aux caracté- ristiques de la personnalité, à l’incertitude générée par la phase de transition et au conflit de rôle engendré par des pratiques contradictoires.

En guise de conclusion, nous présentons deux mesures qui, dans le cadre du cursus de formation, peuvent contribuer à la prévention duburnout, notamment en réduisant l’inten- sité du stress lors de la prise de décision. Comme première mesure, nous préconisons la mise en place d’un dépistage auprès des étudiants permettant de détecter rapidement les personnes à risque. Il est essentiel que cette détection soit intégrée à l’activité des formateurs qui les encadrent.

2Deux paradigmes marquent aujourd’hui la discipline infirmière. L’un désigné “de l’intégration”(ou “de la totalité”) “… qui aborde l’être humain de manière systémique en insistant sur l’interrelation de ses dimensions bio-psycho-sociales”et l’autre“de la transformatio”n (ou

“de la simultanéité”),“…inspiré du courant existentialiste, voit en la personne un être unique et singulier porteur de ressources et capable de choix qui vont influencer sa trajectoire de vie et de santé”[27].

3Ce modèle considère que la maladie n’a d’explication que biologique, son paradigme dominant institue la maladie comme objet. Cependant, la médecine instaure la dimension humaine et sociale, notamment par la mise en place de spécialités comme la médecine psychosociale, la médecine sociale, préventive, la médecine communautaire, mais aussi la santé publique ou les soins palliatifs.

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Cependant, l’expérience démontre qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier quelle est la source de stress lors du cursus de formation, car les étudiants sont soumis à une double contrainte, à la fois éducative et professionnelle. Par exem- ple, les enseignants sont amenés à se questionner dans quelle mesure le stress manifesté par les étudiants est relatif à leur formation, qui par ailleurs est aussi moteur de réussite, ou plutôt lié à la confrontation avec la souffrance des patients.

Par conséquent, il s’agirait de mieux sensibiliser les forma- teurs aux signes avant-coureurs d’unburnout, ainsi que de les former à l’utilisation d’outils d’évaluation spécifiques tels que la « Nursing Stress Scale » de Gray-Toft et Anderson (1981).

L’incertitude liée à la zone floue de la transition associée à l’absence de partage de la décision contribue probablement à amplifier le phénomène de stress lors du processus de déci- sion. Dans le contexte de la transition entre curatif et pallia- tif, le partage interdisciplinaire de la décision est important, notamment lorsque celle-ci pourrait accélérer le processus du mourir. Dans ce cas, le partage interdisciplinaire permet de déterminer, en accord avec le patient, une démarche de soins qui tient compte des besoins biopsychosocial et sprituel. Outre sa finalité opérationnelle, cette démarche peut également avoir des effets indirects « cathartiques » au plan émotionnel. L’échange entre soignants de diverses professions est exigeant, parfois laborieux et demande une attitude modeste et respectueuse des caractéristiques discipli- naires de chacun des intervenants. Cependant, l’interdiscipli- narité ne se décrète pas, elle se construit dès le début de la formation. En s’inspirant des modèles de formation dévelop- pés, entre autres, au Canada, une des clés pour l’amélioration des collaborations interprofessionnelles consiste à introduire des espaces de formation communs lors de la formation ini- tiale et postgrade. Cette démarche pourrait facilement se met- tre en place du fait que certaines capacités sont communes aux professionnels du domaine de la santé, notamment au plan relationnel. Ainsi, un enseignement en école et en clinique visant cette hétérogénéité aurait sans aucun doute l’avantage de renforcer une culture commune et de favoriser une meilleure compréhension des spécificités de chacune des professions.

Conflit d’intérêt :l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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