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Oncologie : Article pp.98-108 du Vol.5 n°2 (2011)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

La mise en œ uvre d ’ une démarche éthique peut-elle influencer la souffrance des soignants ?

Can the implementation of ethical processes have an influence on medical persons’ suffering?

C. Bolly

Reçu le 20 février 2011 ; accepté le 11 avril 2011

© Springer-Verlag France 2011

RésuméPour un soignant, la question éthique fondamentale est celle de l’attention à l’autre, en tant que sujet singulier et non pas en tant qu’objet de soins. Dans la pratique, sa mise enœuvre ne permet pas—et c’est heureux—de dispenser le soignant d’un questionnement quant à sa propre manière d’être sujet et de s’engager dans le soin. Cet article relate l’expérience d’un atelier d’aide à la décision éthique, en montrant qu’une démarche éthique peut aider les soignants à trouver un juste milieu dans leur engagement, évitant à la fois l’épuisement et l’indifférence, tous deux signes de souf- france. Les réponses à une enquête menée auprès des soi- gnants qui participent régulièrement à cet atelier mettent en évidence différents éléments qui influencent favorablement leur bien-être et la qualité de leur présence, en faisant de l’écoute de soi un préalable à l’écoute de l’autre. Une seconde expérience, celle de la création et de l’utilisation d’un outil d’apprentissage du raisonnement éthique, confirme cette influence positive. La conscience apportée à la dimension éthique de notre travail nous aide ainsi à com- prendre la nécessité de poser, seconde après seconde, des choix conscients et de les incarner dans les moindres de nos gestes. Elle montre que le sens de nos actions est à cher- cher, non pas seulement dans le contenu des décisions à prendre, mais également dans la manière dont nous les pre- nons et les mettons en œuvre. En cela, elle nous permet d’éprouver quotidiennement qu’en construisant les meilleu-

res décisions possibles pour les patients, nous nous construi- sons en tant que soignants. C’est toute une philosophie de la transmission qui est alors à l’œuvre.Pour citer cette revue : Psycho-Oncol. 5 (2011).

Mots clésDémarche éthique · Aide à la décision · Éthique narrative · Souffrance des soignants · Limites · Vécu personnel · Outils d’apprentissage · Émotions

AbstractThe fundamental ethical question for medical staff is that of the attention to the other as a singular subject and not as the object of care. In practice, its implementation does not allow—fortunately—to exempt the medical staff from questioning their own way of being a subject and of beco- ming involved in care. The article relates the experience of an

“assistance to ethical decision-making”workshop, showing that ethical processes can help medical staff find a middle way in their commitment, avoiding exhaustion as well as indifference, which are both signs of suffering. Answers to a survey among medical staff who regularly take part in the workshop clearly emphasize several elements that favourably influence their well-being and the quality of their presence, making self-attention a preliminary to attention to the other.

A second experience, the creation and use of a learning tool for ethical reasoning, confirms that positive influence. Being conscious of the ethical dimension of our work helps us understand, second after second, the need of making cons- cious choices and making them come true in every single gesture. It shows that the meaning of our actions is not only to be sought in the content of our decisions but also in the way we take and implement them. As such, it allows us daily to feel that building the best possible decisions for the patients enables us to build ourselves as medical persons. It is a whole philosophy of transmission which is then at work.

To cite this journal: Psycho-Oncol. 5 (2011).

Keywords Ethical processes · Assistance to decision making · Narrative ethics · Medical persons suffering · Limits · Personal feeling · Learning tool · Emotions

C. Bolly (*)

Haute École Robert Schuman, 64 rue de la Cité, B-6800 Libramont, Belgique

e-mail : cecile.bolly@hers.be ; cecile.bolly@uclouvain.be Centre académique de médecine générale, Commission éthique interuniversitaire de la chaire de médecine générale, Université Catholique de Louvain, 5360 Avenue E. Mounier, 53, B-1200 Bruxelles, Belgique

Cécile Bolly est médecin et psychothérapeute. Elle a écrit et collaboré à plusieurs livres sur l’éthique, démarche qu’elle cherche à développer dans des groupes de soignants, mais également avec des étudiants en médecine (UCL) et en soins infirmiers (HERS).

DOI 10.1007/s11839-011-0314-6

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Atelier d’aide à la décision éthique Historique

En 1998, la société scientifique de médecine générale a lancé, en Belgique francophone, le projet Réseau d’Aide en Médecine Palliative Extramuros (RAMPE) avec comme objectif principal de former les médecins généralistes à la pratique des soins palliatifs à domicile.

Plus de 600 médecins francophones se sont inscrits à cette formation organisée en trois ans, à raison de quatre ateliers par an.

À la suite du projet RAMPE, dans le cadre de l’atelier

« Questions éthiques », un des 12 ateliers du programme de formation, certains médecins ont manifesté le souhait de poursuivre une réflexion à propos des problèmes éthiques qui émergent dans leur pratique.

Dans le sud de la Belgique (province de Luxembourg), il a été décidé de lancer un projet pilote et de rassembler différents soignants formés en soins palliatifs et tentés à la fois par l’aventure de l’interdisciplinarité et par celle du questionnement éthique.

C’est ainsi qu’est né le projet GIRAFE : Groupe Interdis- ciplinaire de Réflexion, d’Aide à la décision et de Formation en Ethique clinique.

Concrètement, les participants à ce groupe s’engagent dans une recherche, travail interactif basé sur l’analyse de situations vécues pour une durée d’un an minimum, à raison de quatre ateliers par an, soit le même rythme que le projet RAMPE.

Au départ, 20 personnes ont répondu à l’appel : parmi elles, neuf médecins généralistes, un médecin spécialiste en soins palliatifs, une psychologue, deux bénévoles et sept infirmières (dont quatre travaillaient à domicile).

Dix ans plus tard, le nombre de participants varie entre 25 et 30 lors de chaque atelier. On compte moins de méde- cins généralistes (3) et davantage de soignants travaillant en hôpital. L’interdisciplinarité continue à être une réalité grâce à la présence de différentes professions soignantes : médecins, infirmier(e)s (hôpital, domicile, infirmière–ensei- gnante), ergothérapeute, bénévoles en soins palliatifs, assis- tante sociale. Des soignants luxembourgeois et français se sont joints aux belges, en raison de leur intérêt pour la dimension éthique de leur travail et de la proximité géogra- phique. Lors de chaque atelier, deux ou trois invités partici- pent au groupe pour découvrir la démarche.

Le projet est intégré au pôle éthique développé par une Haute École1qui forme des infirmiers, des kinésithérapeutes et des logopèdes (orthophonistes).

Méthodologie de la démarche Objectifs

Les objectifs principaux du projet sont les suivants :

apprendre à discerner la dimension éthique d’un pro- blème, à l’analyser et à la prendre en compte dans la déci- sion finale à construire ;

apprendre à développer une réflexion qui dépasse le cadre de la prise de décision et des dilemmes éthiques pour favoriser l’intégration d’une attitude éthique dans le quo- tidien du travail des soignants ;

apprendre à s’impliquer en tant que sujet soignant, en trouvant le juste milieu entre l’indifférence à l’autre et l’envahissement par l’autre, et cela en développant une attention particulière à l’écoute de soi, de son propre vécu et de ses limites.

Description de la démarche

Pour atteindre ces objectifs, le travail en atelier est basé sur l’acquisition d’une démarche d’aide à la décision qui s’articule en quatre axes [1] :

lécoute du récit ;

laccueil et le partage des émotions et des jugements spontanés ;

la prise de distance, la recherche de compréhension et de discernement ;

le partage du changement.

Cette démarche utilise une grille d’aide à la décision éla- borée à partir de grilles bien connues en éthique (celle de H. Doucet ou de G. Durand et C. Growe au Canada ou encore celle du centre d’éthique médicale de l’université de Lille) mais aussi à partir d’un travail de formation et de supervision d’équipes soignantes de l’hôpital et du domicile.

Elle vise à mettre enœuvre une éthique de la discussion et d’éviter l’arbitraire d’une éthique de la conviction.

Ni la démarche globale ni la grille qu’elle propose ne per- mettent d’aboutir à une solution toute faite—se distinguant ainsi d’une recette à appliquer—mais toutes deux aident les soignants à cheminer vers une décision et à développer le dialogue et le respect nécessaires à un travail d’équipe. Par ailleurs, l’expérience montre qu’au fil de son appropriation, la démarche sert de base, d’une part, à un travail d’approfon- dissement de différents concepts éthiques, d’autre part, à la prise de conscience de la nécessaire écoute de soi et de ses propres limites en tant que soignant.

On remarque d’ailleurs que les temps 1 et 3 de la démar- che sont centrés sur le patient, tandis que les temps 2 et 4 sont centrés sur les soignants, assurant ainsi une dimension de partenariat et de circularité (Fig. 1).

1Haute École Robert-Schuman, Libramont.

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•L’écoute du récit, de l’histoire

Le récit que fait le patient de ce qui lui arrive est un élément fondamental en éthique. En effet, par les termes qu’il choisit, le patient représente en quelque sorte son expérience, il la transmet à son interlocuteur, il relie les événements en leur proposant un ordre, une signification, il donne une forme à son vécu [2]. Écouter son récit, donner de l’importance à l’interprétation qu’il propose sont autant de manières de lui permettre d’être sujet de soins, de manifester sa recherche de sens, de cohérence, d’ouverture. Il s’agit là de tout le pari de l’éthique narrative, qui rappelle l’influence du récit sur la construction de l’identité et lui donne une place centrale dans le soin, « moment où un homme souffrant appelle un autre être humain, soignant » [12].

Cependant, le récit dont il s’agit dans l’atelier n’est pas celui du patient, mais celui du soignant qui souhaite analyser une situation et qui la met par écrit afin de la proposer pour accord au responsable de l’atelier. Il peut s’agir d’un membre du groupe ou de quelqu’un d’extérieur, qui sollicite une aide ponctuelle.

Il existe évidemment un risque de projection, qui peut être réduit par l’attention à relater des faits et à éviter toute réac- tion subjective de celui qui fait le récit de la situation. C’est là un des premiers rôles de l’animateur de la démarche, rôle qui se met donc en place lors de la préparation écrite de l’atelier. La même attention à l’ensemble des informations données au groupe est de rigueur dès le début de l’atelier.

S’ils le souhaitent, dès que le récit est terminé, les soignants présents sont invités par l’animateur à poser des questions à propos d’éléments qui leur permettraient de mieux compren- dre la situation. La mise de côté de toute réaction subjective

n’est que très provisoire, puisque le deuxième temps de la démarche est consacré au vécu des soignants.

•Accueil et partage des émotions

Quand l’écoute d’un récit est motivée par le vécu d’une situation difficile, presque toujours en lien avec la souffrance et souvent avec la mort, elle provoque d’emblée de nom- breuses émotions chez les soignants.

Habituellement, ces émotions ont mauvaise presse en médecine ! Elles sont ignorées, réduites à une fragilité mal- venue, assimilées à un manque de professionnalisme.

Ceux qui l’ont expérimenté savent pourtant qu’un travail réflexif ne peut réellement féconder une attitude à dévelop- per, une décision à prendre, un choix à faire, que s’il est précédé par l’accueil des émotions que la situation provoque [9].

Pour cela, il nous semble nécessaire, d’une part, de dis- tinguer les jugements spontanés et les émotions, d’autre part, de passer de manière consciente des uns aux autres.

On pourrait illustrer ce retour sur soi par la dynamique du

« jour des encombrants », du « vide-greniers », de la « vente de garage ».

Il s’agit en effet d’une démarche qui ne vise pas à accu- muler des éléments justificatifs ou accusateurs orientés vers quelqu’un d’autre, mais plutôt à prendre conscience de la part de soi qu’on implique dans le soin, à oser s’y engager tout en apprenant à se défaire du superflu, en particulier de ce qui, en nous, provoque notre propre souffrance.

Si le jugement spontané de l’autre — essentiellement quand il est péjoratif—encombre tout soignant par rapport à la rencontre possible avec un patient, il devient ainsi un cul-de-sac, un obstacle, voire un espace mort. La meilleure manière de le vivifier, c’est de passer du jugement de l’autre à l’expression d’une émotion de soi ; c’est de transformer un

« il » ou « elle » en un « je », qui s’autorise à nommer son propre vécu et à y être attentif en l’accueillant, en lui souhai- tant la bienvenue.

S’amorce alors un travail de vacuité qui, précisément, ouvre à la rencontre et à la créativité.

Dans le cadre de la démarche éthique, l’accueil des juge- ments spontanés et la proposition de les transformer en émo- tions sont concrétisés par un moment particulier, où l’animateur propose une contenance, où il garantit une écoute mutuelle entre soignants, sans jugement et sans projet pour l’autre. Cela ne peut se faire que si les conditions d’un véritable dialogue sont mises en place, pour que chacun se sente entendu et respecté, accueilli dans sa différence et dans toutes les dimensions de son être, y compris sa part d’ombre.

Ce temps d’arrêt permet à la fois d’ébaucher un travail de résonance, qui se fera ailleurs, et d’éviter une submersion, où on deviendrait en quelque sorte l’objet de ses émotions.

Fig. 1 Les quatre temps de la démarche

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Il invite chacun, dans un autre espace-temps, à entamer ou poursuivre un travail intérieur, du côté de ses racines, de ce qui le fonde, de son histoire, de ses manques et de ses difficultés, du sens qu’il cherche à donner à sa vie.

Les émotions sont donc considérées comme autant de portes ouvertes, d’invitations à un voyage vers un proche ou un lointain intérieur. Un voyage vers le centre de soi.

Il devient alors possible de se libérer de croyances, de préjugés, de certitudes…pour se mettre à construire, à éla- borer, à adhérer à quelque chose de neuf [9]. Ce deuxième temps constitue donc un préalable à la capacité de centrer son attention sur la situation, sur les acteurs et les enjeux qui la constituent.

•Recherche de compréhension et de discernement

La troisième étape de la démarche se fait en sous-groupes au sein desquels une discussion interdisciplinaire permet de faire l’inventaire des facteurs en cause, de mettre en contexte les valeurs en jeu, de tenir compte des différentes disciplines sollicitées par le questionnement éthique et d’éclaircir les éléments qui les mettent en tension.

L’utilisation d’une grille en sept étapes permet de structu- rer la réflexion et de promouvoir l’exercice d’un discerne-

ment éthique, pour remplacer ainsi le jugement spontané, souvent stérile et enfermant (Fig. 2).

Rappelons que cette grille s’inspire de grilles québécoises et française, elles-mêmes proposées dans le cadre d’analyses a priori ou a posteriori de situations complexes d’un point de vue éthique.

Elle constitue un outil—et donc un moyen—mais en aucun cas ne représente une fin en soi.

Son utilisation concrète a été décrite par ailleurs [1]. Nous insisterons ci-dessous sur l’intérêt de l’ensemble de la démarche (au-delà de la grille, donc) par rapport au vécu des soignants, en nous centrant, d’une part, sur deux temps particuliers à cet égard, d’autre part, sur le processus mis en place grâce à son utilisation. La démarche d’écriture est importante tout au long du travail, et ce, y compris pour utiliser la grille, parce qu’elle permet une distanciation pro- pice à la fois à la réflexion et à la réflexivité.

•Partage du changement

La septième étape proposée par la grille est celle de la syn- thèse du travail de chaque sous-groupe. Les différents scé- narios élaborés sont présentés à l’ensemble du groupe, avec une analyse succincte de ce qu’ils mettent en jeu et une cla- rification de la ou des questions éthiques qu’ils posent.

1. Mise par écrit, individuellement, du choix spontané 2. Création de 3

scénarios possibles 3. Analyse de chaque

scenario (valeurs, conséquences,

moyens mis en œuvre)

4. Formulation de la question éthique principale

5. Choix de la décision

préférée et

argumentation

6. Retour individuel, par écrit à l’option spontanée

7. Synthèse, en grand groupe

Fig. 2 La grille en sept étapes

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Vient alors le quatrième temps de la démarche, où toute l’attention se centre à nouveau sur le vécu des soignants présents.

La question principale qui est posée ici est celle du chan- gement : entre le début de cette réflexion commune et la synthèse qui vient d’avoir lieu, qu’est-ce qui a changé dans la perception que chacun a de la situation, dans son ressenti ? Cette question permet aux soignants de partager aux autres leur vécu tout au long de ce travail, évoquant une éventuelle modification de leurs émotions, la persistance ou la disparition de certaines difficultés, la prise de cons- cience de découvertes, d’ouverture…Elle permet de vivre concrètement l’équilibre entre le « donner » et le « recevoir » dont parle l’éthique relationnelle.

Elle aide à comprendre combien chacun se construit au sein d’une histoire partagée [5] et combien les patients et les soignants sont tous partenaires de cette construction.

Par la circularité dont elle témoigne, l’ouverture à cette question montre que la dimension éthique de la prise de déci- sion ne dépend pas uniquement du contenu de la décision, mais également, du processus mis en place pour la construire.

Ce quatrième temps constitue en quelque sorte un rituel de passage : à travers lui, quelque chose du vieil homme ou de la vieille femme se ferme en chaque soignant et d’autres pistes s’ouvrent, qui permettent de quitter la réunion et de repartir vers les patients avec quelque chose de neuf, de créatif, d’audacieux.

Avis des participants

Une enquête par questionnaire a été réalisée en février 2011.

Un courrier électronique a été envoyé aux 25 participants régulièrement inscrits aux ateliers. Parmi eux, 19 ont répondu, soit 76 %.

Le questionnaire comportait deux questions préalables sur la durée et la régularité de la participation aux ateliers, puis quatre questions semi-ouvertes et trois questions ouver- tes, qui seront détaillées ci-dessous.

Quatre participants sont présents depuis le début des ate- liers (dix ans), un depuis six ans, quatre depuis cinq ans, deux depuis quatre ans, trois depuis trois ans, trois depuis deux ans et deux depuis un an. La majorité d’entre eux par- ticipent à quatre ateliers par an (huit participants). Ils ne sont que trois à participer à deux ateliers. Sept personnes partici- pent à trois ateliers sur quatre. Une seule personne n’a parti- cipé qu’à un atelier.

Parmi les éléments qui motivent à s’inscrire à ces ateliers (Fig. 3), on retrouve prioritairement :

le désir dune réflexion interdisciplinaire, d’un échange de perspectives (cité 13 fois) ;

le désir dune formation pratique en éthique (cité 12 fois) ;

le désir dune remise en question de sa pratique (cité neuf fois).

La perception de la nécessité de parler de ses propres dif- ficultés professionnelles, de son vécu et de sa souffrance dans un lieu propice et respectueux de chacun est citée six fois. La constatation d’une certaine insatisfaction profession- nelle, d’un certain mal-être est citée cinq fois.

Pour expliquer la persistance de leur investissement dans la durée (Fig. 4), les soignants évoquent essentiellement :

les apprentissages possibles (en termes de savoirs, de savoir-faire, d’attitudes) [cités 15 fois] ;

le fait quils tiennent compte du vécu et/ou de la souf- france des soignants et qu’ils permettent de les exprimer (cité neuf fois) ;

lambiance des ateliers, leur dynamique (huit fois) et le ressourcement qu’ils permettent (huit fois).

Les changements de pratique qu’ils provoquent sont cités cinq fois.

Fig. 3 Facteurs influençant la motivation à sinscrire aux ateliers

Fig. 4 Facteurs influençant la poursuite de la participation aux ate- liers

Fig. 5 Principaux bénéfices de la participation aux ateliers

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Les principaux bénéfices de la participation aux ateliers (Fig. 5) sont les suivants :

une meilleure prise en compte de la dimension éthique de la pratique de chacun (citée 13 fois) ;

une plus grande satisfaction dans le travail, un meilleur bien-être (cité sept fois) ;

une plus grande motivation à réagir aux difficultés liées à la pratique (citée sept fois) ;

une plus grande confiance en soi (citée cinq fois).

À la question des facteurs qui permettent d’obtenir ces bénéfices, en particulier le bien-être au travail, les soignants répondent par les éléments suivants :

une implication dans les quatre temps de la démarche (citée 13 fois) ;

une participation régulière aux ateliers (citée dix fois) ;

lassurance que certaines règles sont respectées, entre autres la confidentialité et le non-jugement (citée neuf fois) ;

le fait de pouvoir mettre en pratique ce que les ateliers apprennent (citée neuf fois).

Analyse des résultats

L’analyse des réponses aux questions semi-ouvertes montre que ce qui motive les soignants à participer à ces ateliers est avant tout lié au désir de partager une réflexion interdiscipli- naire (13 réponses) et de se former en éthique (12 réponses).

Si la possibilité de parler de son vécu et/ou de sa souf- france de soignants intervient peu dans la motivation des participants à s’inscrire aux ateliers, elle prend par contre une place plus importante dans la motivation à poursuivre ces ateliers, ainsi que dans les bénéfices perçus. Elle est ainsi en deuxième position parmi les arguments qui poussent les soignants à poursuivre leur investissement dans les ate- liers (neuf réponses). On note également que la perception d’une plus grande satisfaction et d’un meilleur bien-être au travail est— ex aequo avec une plus grande motivation à réagir aux difficultés—en deuxième place parmi les béné- fices perçus (sept réponses).

L’analyse des réponses aux questions ouvertes permet de mieux comprendre l’influence des ateliers sur le vécu et la souffrance des soignants.

La question qui interroge le deuxième temps de la démar- che (accueil des émotions et des jugements spontanés) met en évidence les éléments suivants :

nommer ses propres émotions et jugements permet de relâcher la pression, de décharger son sac à dos, de libérer la tension intérieure, de ne plus se sentir englué, de ne pas rester dans « du brut et du souffrant » ;

apprendre à abandonner un jugement et à se mettre à l’écoute de ses propres émotions constitue une manière

« d’être en soi », de s’occuper de soi, de revenir à soi sans chercher la cause de son mal-être à l’extérieur de soi-même ;

amener ses émotions à un niveau conscient facilite la dis- sociation entre ce qui se joue pour le patient et pour le soignant et permet de réajuster la distance soignant– soigné ;

prendre conscience de son implication subjective permet de moins se projeter dans une situation en étant encombré de ses propres affects, et ainsi d’entamer une réflexion plus objective, avec un certain détachement, une neutra- lité bienveillante par rapport à la situation complexe et à ses acteurs.

Plusieurs participants insistent sur le fait que ce deuxième temps de la démarche représente un moment difficile mais essentiel, qui s’ouvre progressivement comme un chemin per- mettant d’aborder la montagne à laquelle on doit faire face.

À la question qui interroge le quatrième temps de la démarche (partage du changement), de nombreuses réponses contiennent le mot « ouverture ».

Celle-ci est explicitée par les soignants de différentes manières :

la possibilité de sortir de la dichotomie de départ, de découvrir de nouvelles perspectives, de s’entrevoir dans une autre situation, d’envisager de « l’autre », du « pos- sible ailleurs » et donc de sortir d’une éventuelle confu- sion provoquée par un horizon qui semblait bouché ;

la perception de quelque chose qui aide à grandir, d’un mouvement, d’un changement, donc de la vie ;

la capacité à se laisser toucher par ce que vivent les autres soignants, à se sentir relié à ses semblables ;

la possibilité d’entendre le changement vécu par l’autre comme ce qui aide à comprendre la complexité du chan- gement vécu en soi ;

la découverte de chemins insoupçonnés en soi, créés grâce à la prise de conscience, au lâcher-prise, à la volonté de quitter une vision étriquée de la situation ;

la mise en application du proverbe zen « Si tu es pressé, fais un détour ».

Les soignants montrent ainsi que ce qui permet à la démarche éthique d’être une réelle ressource, c’est l’ouver- ture aux autres et à soi-même qu’elle suscite.

Ils mettent en évidence ce double mouvement — vers l’autre et vers soi —qui traverse la démarche éthique, qui la révèle, qui permet à chacun d’en faire un acte créateur au sein de sa pratique.

Si la finalité de la démarche n’est pas de se préoccuper de la souffrance des soignants mais bien de soutenir de manière concrète un questionnement éthique, les commentaires des participants montrent que c’est bien parce que la subjectivité des soignants est prise en compte que celle des patients peut l’être à son tour.

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Cela montre que la dimension éthique se trouve tout autant et peut-être même davantage dans le processus mis en place que dans le contenu de la décision. Et cela permet de faire une nouvelle fois le lien entre le raisonnement éthique et l’attitude éthique au quotidien.

La question du temps doit évidemment être abordée, puisque chaque atelier dure entre deux et trois heures. Pour les gourmands d’éthique, ce n’est pas un problème…mais ils ne sont pas nécessairement majoritaires.

Même si, comme le dit le poète, « Nous ne possédons rien, jamais, qu’un peu de temps » [6], la réalité des services hospitaliers ou de la coordination à domicile ne permet pas toujours de dégager le temps indispensable à un tel travail.

C’est pour coller au plus près de la réalité de terrain et pour y transmettre le goût de l’éthique, que nous avons initié un autre projet, qui a consisté à construire, avec un nouveau groupe interdisciplinaire de soignants, un outil d’apprentis- sage du raisonnement éthique. Nous le présentons briève- ment ci-dessous, en le mettant en relation avec le thème qui nous occupe. Il a été possible grâce à la création d’une chaire de médecine générale dédiée à la personne âgée à l’UCL, ainsi qu’au partenariat entre la commission éthique interuniversitaire liée à cette chaire et la HERS.

Création d’un outil d’apprentissage Méthodologie

Un groupe interdisciplinaire d’une vingtaine de soignants s’est réuni une fois par trimestre pendant un an.

Les deux animatrices (une sociologue et un médecin) ont fait alterner des mises en situation collectives et des mises en situation individuelles, afin d’utiliser les échanges au sein du groupe, de construire un plan d’action concret et réaliste et d’apprendre à dépasser les situations posant problème dans le quotidien.

Le déroulement des mises en situation collectives a per- mis d’aborder les situations complexes amenées par les par- ticipants selon trois axes :

linventaire des éléments déclencheurs ;

lélaboration, à partir de l’expérience, d’un plan d’action pour en venir à bout ;

la mise en évidence des connaissances, savoir-faire et atti- tudes qui ont « manqué ».

Au terme de la première séance, un bilan a permis de faire une synthèse du vécu des participants et du contenu du tra- vail, de poser des questions liées à la suite du projet et de proposer des critiques et suggestions. Au terme de la deuxième séance, le bilan s’est centré sur le matériel néces- saire pour élaborer l’outil visé.

La préparation de la troisième séance a permis d’élaborer une grille de questions en rassemblant tous les éléments mis

en évidence grâce aux trois axes d’analyse des situations vécues par les participants. Entre la troisième et la quatrième séance, la grille a été testée par les participants, avant de laisser sa forme évoluer grâce au travail d’une graphiste.

Validation

Pendant une année, la grille a été utilisée dans différentes séances de formation initiale (étudiants en soins infirmiers et en médecine) et continue (groupes interdisciplinaires, séminaires médicaux) avec un protocole bien défini (docu- ment pour l’animateur, questionnaire écrit pour chaque sous-groupe), ce qui a permis de valider l’outil. Lors de sa présentation à un congrès de pédagogie médicale (Sifem, Grenoble 2009), la suggestion de passer de l’idée d’une grille à celle d’un guide d’apprentissage a été retenue et mise en application. Ce changement de nomenclature permet entre autres d’établir un parallèle avec l’apprentissage du raisonnement clinique (Arc) et les éléments pédagogiques qui sont développés à cet égard.

Le guide est constitué d’un ensemble de questions, répar- ties dans cinq rubriques : « La personne dans la situation décrite », « Moi, intervenant », « Les entourages proches »,

« La société », « Les finalités de notre travail ». Le graphisme permet d’évoluer en spirale d’une rubrique à l’autre, en reve- nant inévitablement à une case mise en exergue, pour attirer l’attention sur quatre questions incontournables : « Qui va mal, qui souffre ?, « Qui demande quoi ? », « Pour qui ? »,

« Qu’est-ce qui me gêne, me met mal à l’aise ? ».

Utilisation

Ce guide se trouve actuellement sur un site Web2, où il peut être téléchargé. Son utilisation fait fréquemment l’objet de demandes de formation, en particulier par des groupes de soignants qui sont amenés à travailler en interdisciplinarité.

Lors de ces formations, un formulaire d’évaluation est sys- tématiquement proposé aux participants. Les réponses confirment l’utilisation du guide en tant que cadre de ques- tionnement pour construire une vision structurée d’une situa- tion complexe. Il permet en particulier de ramener la situation du patient au centre de la réflexion et de réfléchir au sens que celui-ci donne à ce qui lui arrive. Un constat récurrent nous intéresse particulièrement ici : quand ils com- mentent l’intérêt du guide, les soignants mettent systémati- quement en évidence la place qui y est proposée pour exprimer les particularités de leur investissement dans le soin, ainsi que la question des limites qui sont les leurs.

Dans un travail interdisciplinaire, il est évident que les limi- tes sont posées et vécues différemment par chaque individu

2www.herslibramont.be.

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mais également par chaque fonction soignante. Le fait de ne rien en dire contribue à faire du vécu de chacun quelque chose de marginal, voire de répréhensible. « Suis-je un bon soignant si je ressens telle ou telle émotion ? »…« Que vont penser les autres si je n’accède pas à toutes les demandes qui me sont faites ? », etc. Ouvrir un dialogue à ce propos permet au contraire de se relier à ses semblables, d’entrer en connexion avec eux, de se déculpabiliser, mais également de s’ouvrir à son propre vécu et d’entamer ou de poursuivre un cheminement.

Points de convergence

Une « table d’orientation » éthique

L’expérience montre que la démarche et le guide mettent tous deux en évidence un ensemble de domaines qui sont en lien avec le questionnement éthique. Si ce dernier prend la forme d’un petit (ou d’un grand) « ça ne va pas ! » qui vient à la conscience du soignant, les domaines interpellés peuvent être considérés comme autant d’angles de vue qui peuvent éclairer le questionnement éthique et parmi lesquels on distingue en particulier : la réflexion philosophique (sens de l’action, ses fondements, sa visée), les règles juridiques, déontologiques et institutionnelles (régulations liées au vivre-ensemble), les enjeux socioculturels (économie et sociologie de la santé, santé publique, cultures, religions), les connaissances scientifiques (savoirs, expérience, sources validées), le contexte relationnel (soignants–soignés–pro- ches) et le vécu personnel de tous les acteurs (émotions, his- toire, intuition…) (Fig. 6).

Ce schéma constitue ainsi une rosace, une table d’orien- tation, qui permet à la fois de distinguer et de relier des élé- ments fondamentaux, dans le domaine individuel et dans le domaine collectif.

C’est l’enracinement de la médecine dans le soin qui lui donne sa dimension éthique et doit orienter ses priorités— précisément celles du soin et de la thérapeutique—mais cela ne peut se faire sans prendre en compte les développements sociaux, économiques, techniques, scientifiques… de la médecine contemporaine [13].

De la même manière, si le soin est au cœur même de la réalité de la vie des soignants, il est aussi au cœur du sens qu’ils cherchent à lui donner et des valeurs qu’ils veulent exprimer. Il ne peut être pensé hors de sa dimension relation- nelle et il constitue peut-être même la genèse de la subjecti- vité. En effet, ce n’est pas parce qu’il concerne un corps vivant, mais bien parce qu’il est adressé à ce corps vivant, qu’il le constitue comme un sujet et qu’il le rend ainsi capable de soigner et de se soigner [13].

Cela nous ramène à un concept déjà décrit [11] qu’il est possible d’exprimer par la nécessité pour les soignants de

travailler en tant que « je », pour aller à la rencontre d’un

« tu » (le patient et ses proches), au sein d’une collectivité faite de « ils » (les autres disciplines, les différents angles de vue).

L’attention à soi-même

En éthique, l’utilisation d’une démarche ou d’un outil suscite parfois la controverse, parce qu’elle est perçue comme une recette à appliquer ou comme l’occasion de se débarrasser à peu de frais d’un nécessaire questionnement éthique en rem- plissant quelques items dans une grille. La question posée dans cet article et le témoignage des professionnels concer- nés montrent qu’au sein des démarches proposées, l’espace- temps consacré au vécu des soignants constitue un élément capital, non seulement pour alléger leur souffrance, mais également pour les rendre plus disponibles au vécu des patients et plus professionnels dans les attitudes qu’ils développent.

Ce n’est pas seulement leur raisonnement éthique — comme capacité à analyser une situation complexe —qui est amélioré, mais également leur attitude éthique au quoti- dien, dans l’attention qu’ils peuvent porter à l’autre en tant que sujet singulier. Il s’agit là de deux piliers d’une approche pragmatique de l’éthique.

L’invitation qui est faite aux soignants de vivre l’écoute d’eux-mêmes comme préalable à l’écoute de l’autre permet de mieux comprendre la part de soi que les professionnels impliquent dans l’activité soignante et donc également la nécessité de poser un cadre et de respecter des limites.

Certaines de ces limites sont liées à des contraintes exté- rieures (institutionnelles, économiques, techniques…) mais d’autres sont issues de notre réalité intérieure. Au cœur de celle-ci et dans ce que nous en exprimons, les émotions tien- nent une place importante, parce qu’elles constituent à la fois ce qui témoigne de notre vulnérabilité et ce qui nous amène à y réagir [4].

C’est précisément le fait de les nommer, de les faire nôtres, de les mettre en lien avec d’autres éléments de notre histoire, qui permet de ne pas toujours considérer que l’ennemi est à l’extérieur ni que nous sommes victimes des situations et des autres acteurs.

Le travail intérieur que l’accueil des émotions initie n’est cependant pas un but, mais un moyen, un pas sur le chemin qui permet de quitter le moi pour le soi. En faisant d’une émotion un phénomène plutôt qu’un problème, en la laissant être une vague à la surface de l’océan, il devient possible de quitter l’égocentrisme pour le détachement [8], de s’ouvrir à sa liberté intérieure, à son être essentiel. Une nouvelle dia- lectique s’ouvre alors : dimension éthique et dimension spi- rituelle y ont des choses à se dire…mais cela, c’est une autre histoire !

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La question des limites

Celle-ci mérite évidemment tout un développement. Nous nous contenterons ici de quelques éléments qui nous sem- blent fondamentaux parce qu’ils concernent à nouveau ce double mouvement vers l’autre et vers soi.

« C’est quand tu chantes pour toi que tu ouvres pour les autres l’espace qu’ils désirent » [6].

La capacité à poser des limites s’élabore à travers l’his- toire de chacun, histoire qui se déploie dans le temps avec une certaine trajectoire, et dont nous savons qu’elle aura une fin.

Or, c’est par cette histoire que nous apprenons à devenir sauveur, à faire plaisir à l’autre au prix de l’oubli de soi, à tenter de réparer les dettes de nos aïeux, à être fidèle envers et contre tout, à ce qu’on a dit de nous, à vouloir être Fig. 6 « Table dorientation » éthique : intégration de différents angles de vue

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parfait…croyant qu’il s’agit là du seul chemin possible pour être aimé.

Toutes ces attitudes et ces croyances représentent autant d’obstacles à notre capacité à poser des limites. Il n’est donc pas étrange que pour apprendre à nommer ses propres limi- tes, pour les connaître, pour se les approprier, pour les faire respecter, il faille revisiter sa propre histoire. Il s’agit de prendre en considération le passé et de chercher à en com- prendre le sens pour construire l’avenir. Cette remise en question nous aide à faire des choix conscients, qui nous permettent de poursuivre notre propre histoire et d’en être ou d’en devenir le sujet.

Une part de ce travail consiste à faire de notre quête de reconnaissance un passage ou encore une étape, qui nous permettent d’évoluer vers une plus grande liberté intérieure et non un but, qui nous emprisonne dans la soumission au regard des autres.

Être le premier à respecter ses propres limites représente un geste à la fois humble et audacieux, qui doit venir de l’intérieur, pour éviter que ce qui est extérieur à nous- mêmes ne nous enchaîne.

À cette condition-là, le fait de poser des limites constitue un don que nous faisons à l’autre : celui de pouvoir être aimé malgré ses propres limites et sa propre imperfection.

Ce faisant, nous rejoignons la question éthique fonda- mentale et nous permettons à l’autre—malgré les difficultés que cela comporte et les inquiétudes que cela suscite — d’être, face à nous, un sujet, et cela quels que soient le moment de sa vie et la proximité de sa mort.

Si elles sont posées dans le respect mutuel, les limites peuvent ainsi servir de cadre au déploiement de la liberté de chacun et servir de condition à une relation où rien n’est joué d’avance. C’est ce qu’on appelle une rencontre.

Et parfois, c’est d’une rencontre intérieure qu’il s’agit.

La démarche et le guide présentés dans cet article ont parfois comme « seul » intérêt de mettre en contact les soi- gnants avec l’éthicien qui sommeille en eux, de leur révéler à eux-mêmes la dimension éthique qu’ils cherchent à dévelop- per, sans parfois la nommer ainsi. N’est-ce pas le plus impor- tant ? Démarche et guide contiennent en eux-mêmes la question de ce qui fait levier et de ce qui dit la limite. Ils ne peuvent être utiles que s’ils ne confondent pas les outils nécessaires avec l’artisan qui les choisit, ni avec l’œuvre qu’il veut réaliser.

Avec le temps et l’exercice, se dévoile le cœur de la démarche éthique. Étonnamment, on y découvre, toute en subtilité, une philosophie de la transmission. Si celle-ci représente un acte de générosité, elle contient, en creux, l’exigence de la transformation de soi [2]. Transmettre, c’est donner, en souhaitant que l’autre devienne meilleur que soi. Ce projet-là, en lui-même, suffit pour transformer celui qui donne autant que celui qui reçoit.

Conclusion

Au XIVesiècle déjà, un mystique persan écrivait : « Je possède un joyau, et cherche quelqu’un qui sache le regarder. » [7].

Sept siècles plus tard, une petite histoire nous ramène à cette symbolique. Elle se passe au cœur d’un village ardennais qui se désole en voyant qu’il est impossible d’attirer des touristes.

Pour les intéresser davantage, un comité se crée. Ses membres réfléchissent aux actions à mener pour ouvrir le village à l’ex- térieur, pour y promouvoir des rencontres, pour améliorer la qualité de la vie des habitants et de leurs hôtes.

Parmi tous les projets envisagés, c’est l’idée de faire venir un sculpteur qui est retenue : on lui demande de créer une œuvre susceptible d’attirer le regard, de donner envie de faire un détour, de rencontrer les habitants.

Au jour convenu, le sculpteur se fait livrer un immense bloc de pierre et aussitôt, se met au travail.

Tout le village est là, attentif, épiant les moindres gestes, admirant la maîtrise des outils.

Une semaine plus tard, il y a nettement moins de badauds.

Après un mois, le sculpteur n’intéresse plus personne. Per- sonne…sauf un enfant. Tous les matins en partant à l’école et tous les soirs en rentrant chez lui, il s’arrête quelques minutes près du sculpteur. Il est à bonne distance et observe l’artisan. Il ne dit rien…et le sculpteur a compris l’impor- tance de préserver ce silence.

Le jour où, enfin, le travail s’achève, l’enfant risque un pas de plus. Il s’approche de l’artiste et lui demande : « Dis, quand tu as vu le gros bloc de pierre, comment savais-tu qu’il y avait un cheval dedans ? »…

Ce petit conte dit bien une part de notre métier de soi- gnants, celle qui se base sur la confiance, celle qui ne peut pas faire l’économie de choix éthiques. Parce qu’il s’agit de rencontrer l’autre en tant que sujet, en tant que personne avec qui nous pouvons prendre le risque d’une relation où rien ne sera joué d’avance. Oui, la veine du bois ou de la pierre peut suggérer la forme que fera émerger l’outil…mais le sculp- teur ne sait cela qu’après « et son geste reste une invention libre, imprévisible, dont le sens n’est accessible que par l’image future à laquelle il donne lentement naissance » [10]. Ne prenons de la métaphore que ce qu’elle peut nous donner… et partons à la rencontre de l’autre dans la confiance : en cocréant les conditions possibles de sa liberté, c’est le chemin de notre propre liberté intérieure que nous ouvrons.

RemerciementJe souhaite remercier chaleureusement tous les soignants du groupe Girafe pour leur participation enthousiaste aux ateliers et leurs réponses au questionnaire : sans eux, cet article n’aurait jamais pu voir le jour… Conflit d’intérêt :l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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Références

1. Bolly C, Grandjean V, Vanhalewyn M, Vidal S (2004) Léthique en chemin. Démarche et créativité pour les soignants. Weyrich Édition, Neufchâteau et lHarmattan, Paris

2. Bolly C (2007) Et léthique dans tout ça ? Weyrich Édition, Neufchâteau

3. Byron Good BJ (1998) Comment faire de lanthropologie médi- cale ? Institut synthélabo pour le progrès et la connaissance, Le Plessis Robinson

4. Delage M (2008) La résilience familiale. Odile Jacob, Paris 5. Grassin M (2001) Le nouveau-né entre la vie et la mort. Éthique

et réanimation. Desclée de Brouwer, Paris 6. Guillevic E (2001) Le chant. Gallimard, Paris

7. Hafez de Chiraz (2006) Le Divân. Verdier de Poche

8. Juliet C (2003) Les mille monts de Lune. Poèmes coréens. Albin Michel, Paris

9. Lery N (1999) Méthodologie daide à la décision éthique dans les situations complexes. Revue Soins Cadres, Elsevier-Masson, Paris no32

10. Meirieu P (2007) Le choix déduquer. Éthique et pédagogie. ESF, Paris

11. Ricoeur P (1990) Avant la loi morale, l’éthique. In Encyclopedia Universalis, 4

12. Sirven R (1999) De la clinique à léthique. LHarmattan, Paris 13. Worms F (2010) Le moment du soin. À quoi tenons-nous ? PUF,

Paris

Références

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