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Oncologie : Article pp.275-279 du Vol.5 n°4 (2011)

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CAS CLINIQUE /CASE REPORT

Cancer du sein, violences et réminiscences ou comment les traitements anticancéreux peuvent raviver des traumas sexuels refoulés

Breast cancer, violence and reminiscing or how anti-cancer treatments can revive repressed sexual traumas

M. Roques · F. Pommier

Reçu le 20 juin 2010 ; accepté le 10 octobre 2011

© Springer-Verlag France 2011

Résumé Dans cet article, les notions de traumatisme et d’effraction corporelle sont étudiées comme réaction psychique au cancer du sein. Les auteurs présentent l’hypothèse selon laquelle des violences intériorisées et impossibles à élaborer psychiquement soient susceptibles de s’exprimer pendant les traitements du cancer du sein.

L’étude du cas de Béatrice tente de montrer que les effrac- tions corporelles qui les accompagnent peuvent raviver des traumas sexuels refoulés.Pour citer cette revue : Psycho- Oncol. 5 (2011).

Mots clésCancer du sein · Violence · Traumatisme · Refoulement · Effraction corporelle

AbstractIn this paper, the concepts of trauma and bodily violation are studied as psychogenic reactions to breast cancer. The authors present the hypothesis that internalised violence, which is impossible to overcome psychologically, is likely to be expressed during breast cancer treatment.

The case study of Béatrice attempts to show that bodily violations that people live with can revive repressed sexual traumas.To cite this journal: Psycho-Oncol. 5 (2011).

KeywordsBreast cancer · Violence · Trauma · Repression · Bodily violation

Introduction

Alors que les théories psychosomatiques s’orientent du côté de ce qui a généré un trouble somatique, quel est l’impact psychique d’un tel trouble ? Certains auteurs confirment la nécessité de penser une articulation entre soma et psyché, car « l’être humain est psychosomatique par nature : toute variation dans l’état somatique correspond à une modifica- tion dans l’état psychique et vice versa » [15]. Ils rendent compte ainsi de l’unité indivisible et essentielle de l’homme, qualifiée de « somatopsychique » avec l’idée que le soma préexiste à la psyché [10]. Dans la clinique actuelle des patients souffrant de troubles somatiques, l’intérêt du psy- chologue s’oriente volontiers, plutôt que vers l’étiologie du trouble, vers les répercussions psychologiques de l’affection, car la maladie grave entraîne de multiples remaniements psychiques.

Grâce à l’analyse du cas de Béatrice atteinte d’un cancer du sein à l’âge de 52 ans, nous proposons de traiter des relations entre la maladie cancéreuse, des abus sexuels infan- tiles et la répétition de maltraitances qui perdurent au fil de la vie et, par ailleurs, de soumettre l’hypothèse suivante : les effractions corporelles des traitements anticancéreux peuvent-elles favoriser l’émergence d’éléments refoulés de l’ordre d’un trauma sexuel qui demanderaient à être élaborés à l’occasion de la maladie ?

Étude de cas

Je rencontre Béatrice dans le cadre médical, le médecin lui a annoncé la maladie il y a trois mois, elle a été traitée par quelques séances de chimiothérapie dans un premier temps, puis par des séances de radiothérapie dans un second temps après lesquelles nous nous rencontrons une fois par semaine.

Elle a perdu tous ses cheveux et ses poils, elle met un bonnet

« à l’extérieur » mais pas dans le cadre thérapeutique, « je me

M. Roques (*)

Psychologue clinicienne - ATER en psychologie clinique - Université Toulouse II Le Mirail - Doctorante - Laboratoire de psychopathologie des atteintes somatiques et identitaires (LASI) - Université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense

e-mail : marjorie.roques@live.fr F. Pommier

Psychiatre, psychanalyste - Co directeur du LASI - Université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense DOI 10.1007/s11839-011-0346-y

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découvre » dit-elle en souriant, manifestement satisfaite de me surprendre.

Béatrice se décrit comme ayant été particulièrement fragilisée par son cancer. Elle évoque des troubles de l’humeur avec une tendance réelle à se déprimer. Elle se plaint aussi d’une fatigue physique intense à cause des trai- tements. Bien qu’ayant toujours cherché à se maîtriser à la faveur de diverses techniques de relaxation, elle se sent aujourd’hui désœuvrée face à la maladie. Après l’annonce, Béatrice me confie qu’elle n’est pas du tout étonnée, car le cancer du sein s’inscrit dans une lignée familiale transgéné- rationnelle : sa grand-mère et sa mère ont aussi été atteintes.

Elle a cependant du mal à dédramatiser l’annonce et refuse de parler des femmes qui l’entourent. Lorsque je lui demande de donner des éléments à propos de celles qui ont vécu la même maladie, cette question laisse place à un long silence, un vide, elle ne sait trop qu’en dire. Son discours porte davantage sur les hommes qui ont été proches : père, maris, fils.

Au premier entretien, Béatrice parle d’un parcours chaotique et l’entretien bifurque rapidement sur son fils aîné Lionel, fruit d’un premier mariage avec un homme qu’elle qualifie de psychopathe. Même s’il n’a jamais porté atteinte à son intégrité physique ni à celle de son fils, Lionel aurait cependant hérité de sa violence verbale. C’est ainsi qu’à par- tir du divorce des parents, la relation mère–fils devient très difficile. Lionel part inopinément du domicile pour rejoindre son père. Béatrice m’explique avoir souffert de cet abandon et je remarque qu’à l’évocation de cette période de sa vie elle semble se retirer de la relation qui débute avec moi. Elle m’évince pour un temps comme si j’étais absente, une attitude qui me fait penser précisément aux techniques de relaxation au cours desquelles le participant est invité à expirer et fermer les yeux comme pour se recentrer sur soi et se protéger des agressions extérieures.

Béatrice rencontre ensuite un autre homme qui devient son mari, ce n’est qu’après le mariage qu’elle s’aperçoit que Christian est violent, une violence qui cette fois-ci ne se porte pas sur les objets, mais contre elle. Je remarque pourtant qu’elle continue à parler de ces mouvements de violence sur un ton monocorde et qu’aucun affect n’y semble associé. Le nouveau mari de Béatrice est décrit comme ne portant aucune attention à Lionel et le blâmant régulière- ment. Ce dernier est perdu, tiraillé entre ce beau-père auto- ritaire et son propre père, permissif et laxiste. C’est ainsi que Béatrice acquiert peu à peu une position d’intermédiaire entre son mari et son fils et pâtit des violences de l’un et l’autre, violence physique d’un côté et verbale de l’autre.

En dépit du caractère conflictuel de la relation, elle met au monde un second fils, Florent.

Béatrice dit comprendre que ce qui l’a conduit jusqu’à moi, son « symptôme », concerne principalement ses relations avec les hommes, le cancer étant venu raviver des

problématiques qu’elle pensait avoir « réglées ». Elle a bien tenté, étant sophrologue, de résoudre ses difficultés en ayant recours à cette technique de relaxation mais en vain. Elle doit se rendre à l’évidence, tout ce qu’elle a cherché à enfouir refait surface avec la maladie. Elle qui a pour coutume de contenir et contrôler ses affects ne les maîtrise plus au quotidien. Dans le cadre thérapeutique, Béatrice rejoue ce débordement, sa gestuelle désarticulée en séance laisse une anxiété massive se décharger, comme si elle ne pouvait pas être mentalisée en angoisse et qu’elle s’exprimait au travers du comportement. Elle relate son second mariage, une union insupportable, car son mari la frappe régulièrement devant ses fils. Elle rompt par peur pour la sécurité de ses enfants.

Sans cette raison ajoute-t-elle, elle ne serait peut-être jamais partie.

Au détour d’un entretien, elle finit par aborder un thème qu’elle aurait préféré taire comme elle le dit elle-même dans l’après-coup. Elle a été abusée par plusieurs hommes à partir de l’âge de quatre ans et jusqu’à 12 ans : oncles paternels, amis de ces oncles. Sans en avoir fait part de façon explicite à quiconque jusqu’à présent, elle s’étonne elle-même de son aveu. Elle avait bien tenté d’en parler à ses parents, mais elle ne fut entendue qu’après avoir été accusée dans un premier temps, puis le sujet devint tabou, elle-même essayant de l’oublier. Béatrice raconte qu’un jour, alors qu’elle regarde une émission de télévision sur les abus sexuels pendant l’enfance, elle a l’impression de ressentir tout à coup l’odeur poisseuse de ses anciens agresseurs sexuels, et se met à revivre sensoriellement les sévices qu’elle a subis. Aujour- d’hui encore, Béatrice pense que cet épisode a très fortement influencé ses choix et ses relations futures avec les hommes et va même jusqu’à se demander si ce n’est pas elle qui attire des hommes violents. Sans dire qu’elle se sente coupable, il semble cependant que c’est ce qu’elle cherche à exprimer en insinuant à plusieurs reprises avoir mérité les maltraitances.

Relativement à ses croyances, l’idée que son cancer du sein soit situé à gauche prend un sens précis : ce côté sym- bolise pour elle le masculin. Cette interprétation lui permet d’associer sur ce qui la met en colère à ce moment-là. Son père est chez elle depuis quelques jours et semble indifférent à sa maladie : « il n’a jamais laissé de place pour la parole » relève-t-elle en saisissant l’occasion de s’exprimer davan- tage à son sujet. J’apprends l’importance qu’a pu avoir son père dans sa vie après son premier accouchement : « avant j’admirais ma mère, mon père était absent, ensuite ce fut mon père ». À ce moment-là, elle parvient à aborder sa rela- tion avec sa mère, passée sous silence jusqu’alors. Il se dégage beaucoup de déceptions vis-à-vis de cette mère qui l’a abandonnée à deux reprises : une première fois lorsque Béatrice, adolescente, ose lui conter les violences sexuelles dont elle est victime. La réaction de sa mère n’est pas celle à laquelle elle s’attend, elle rétorque de façon assez insensible qu’elle espère qu’il ne s’agit pas d’un de ses frères puis

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lorsqu’elle en est assurée, le sujet devient tabou. Le père de Béatrice, lui, éprouve beaucoup de culpabilité et de remords, lui demandant pourquoi elle ne lui en a pas parlé plus tôt. La deuxième déception maternelle a lieu après l’accouchement de son premier fils, son mari est en déplacement et sa mère choisit de partir en voyage au même moment « j’avais besoin d’elle, elle était tout pour moi, je lui ai demandé de rester mais elle ne voulut rien entendre ». Béatrice décrit l’autre comme n’étant jamais à la bonne distance ou à la bonne place : soit intrusif et envahissant, soit abandonnique et déprimant. À la suite du nouvel abandon maternel, elle entre dans un processus dépressif qui dure plus d’un an, une période pendant laquelle Béatrice rejette à son tour Lionel, répétant ainsi, mais cette fois dans une position maternelle, l’abandon provenant de sa propre mère. Aujourd’hui encore, elle ne peut s’empêcher de penser que la relation avec son fils aîné est difficile à cause de ses négligences passées.

Lors d’un entretien, Béatrice évoque l’angoisse inhérente aux retrouvailles avec Lionel qu’elle n’a pas vu depuis quel- ques années. Elle qualifie leurs relations d’assez correctes lorsqu’ils sont loin l’un de l’autre et communiquent par divers médias, mais plus difficiles lors d’une confrontation de visu. Cette fois-ci au vu de son état, elle ne peut pas l’affronter comme auparavant. Béatrice va jusqu’à se sentir responsable de la souffrance et de la violence de son fils.

Au décours d’une autre séance quelques semaines après avoir revu Lionel, Béatrice souhaite m’avouer une pensée qui l’a fortement dérangée. Elle raconte que lors d’une soirée, dans un moment d’euphorie en compagnie de son fils, elle ressent une envie irrésistible de l’embrasser sur la bouche. Elle se ravise aussitôt, refusant de répondre à cette excitation odieuse, mais se sent perturbée par cette envie irrésistible… Cet aveu sera l’occasion pour Béatrice de cesser la psychothérapie.

Sens du symptôme somatique

En psychanalyse, nous savons que le symptôme hystérique en tant que formation de désirs inconscients requiert une signification, ce qui n’est pas le cas pour le symptôme soma- tique qui se présente comme étant dénué de sens. Même si le symptôme somatique est « bête » pour reprendre les termes de S. Freud, il est primordial, voire vital pour certains mala- des de donner un sens à leur maladie. Ce travail de mise en sens nommé « roman de la maladie » [7], ou « travail de la maladie » [12], n’appartient pas au discours objectif de la science mais constitue la réalité du sujet. L’atteinte orga- nique mettant à l’épreuve le narcissisme de Béatrice l’amène à utiliser cette fragilisation comme un tremplin élaborateur.

C’est ainsi que la « somatisation symbolisante » [4] inter- vient lorsque, par l’intermédiaire du corps malade, le chemin des représentations mentales qui manquait jusque-là était

frayé pour laisser advenir les conflits psychiques. L’affection crée donc un « frayage somatique » [4], conduisant de l’excitation à la pulsion et à la représentation, elle fonctionne comme précurseur des représentations mentales. Chez Béatrice, le cancer du sein semble ranimer le processus de mentalisation alors qu’il avait été mis à mal laissant dans l’ombre des parties entières de sa psyché.

Cette reprise de l’élaboration psychique est repérable au travers de la quête étiologique de Béatrice. Toutefois, nous appréhendons le sens qu’elle attribue à son cancer du sein selon un seul aspect : celui de contre-investissement dans son rôle défensif, primordial pour maintenir l’homéostasie psychique. En effet, nous saisissons bien l’intention de Béa- trice de capturer la maladie par le sens, dans une recherche de ce qui a généré l’atteinte dans le passé, mais il nous paraît cependant important de rappeler la relativité du sens dans la complexité du symptôme, puisqu’il n’existe aucun lien de cause à effet entre le sens trouvé au symptôme et le type de maladie qu’il a engendré [6]. Béatrice évoque à plusieurs reprises le sein gauche, ce côté qui représente pour elle la masculinité. Cette interprétation témoigne du fait que le cancer est vécu comme un juste châtiment s’inscrivant dans la continuité des maltraitances. En effet, notre patiente ne semble ni surprise ni révoltée par la découverte de son cancer, ce qui témoigne d’un fort sentiment de culpabilité.

Épisodes dépressifs de Béatrice

Ce sentiment qui perdure encore aujourd’hui et semble exacerbé à l’occasion de la maladie nous paraît prendre source dans la relation aux abuseurs. Les dires de Béatrice témoignent du fait qu’elle a eu l’impression d’être une

« aguicheuse » [8] même étant enfant : « Si c’est arrivé ce n’est pas par hasard, je dois y être pour quelque chose » me dit-elle. Cette culpabilité a été accentuée par la discréditation de la mère qui l’a accusée indirectement en protégeant ses frères. Béatrice s’est sentie à la fois coupable et abandonnée par le seul adulte référent et pare excitant. Les sentiments d’abandon et de culpabilité générés par la mère ont été ravi- vés par le premier accouchement. Ce moment de la vie de Béatrice s’est en effet accompagné d’affects dépressifs majeurs, eux-mêmes sous-tendus par la complexité à accéder à une identité symbolique de mère face à une mère toute puissante, indétrônable, abandonnique, ni maternante ni fiable.

Béatrice a souffert d’une dépression du post-partum qui durera plus d’un an, suite à la naissance de son premier fils.

L’acte de mettre au monde un enfant garçon pour une femme qui a été abusée sexuellement pendant son enfance n’est pas sans conséquence, car fantasmatiquement, elle a pu donner vie à un abuseur potentiel [8]. Souvenons-nous, concernant la relation avec son premier fils, que Béatrice après avoir

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rejeté son bébé, a instauré d’emblée, en raison de la culpa- bilité éprouvée vis-à-vis de ce même rejet, une relation incestuelle comme tentative effrénée de réparation narcis- sique et objectale. L’organisation incestuelle des liens conduira Lionel à reproduire cette violence en guise de contre-investissement de la relation fusionnelle maternelle et d’une possible tendresse prise en horreur.

Expression de l

agressivité en psychothérapie

L’évocation des abus sexuels dans la thérapie permet d’inté- grer un tiers dans l’intimité d’une scène répulsive dont ce dernier est le spectateur, dans une tentative d’expiation de la honte et la culpabilité qui accablent Béatrice. À chaque séance, l’agressivité de notre patiente s’exprime avec une telle force et une telle intensité que nous pouvons penser qu’elle avait été largement réprimée durant des années paral- lèlement au refoulement des traumas sexuels. Béatrice semble vouloir choquer par les mots qu’elle emploie comme pour faire résonner chez moi ce qui semble ne pas se sym- boliser chez elle. Béatrice dit contrôler ses émotions sans jamais se laisser déborder, mais en séance, elle laisse poindre son agressivité au travers du comportement comme si le corps avait son mot à dire. C’est comme si la violence qu’elle devait éprouver envers ses agresseurs était déplacée et dirigée vers elle dans un mouvement masochiste mais demanderait, à l’occasion de la maladie, à s’adresser à un autre. Ces allers-retours entre agressivité retournée contre soi (masochisme) et dirigée vers l’autre (sadisme) tout comme l’alternance abandon/intrusion ouvrent une brèche dans l’actuel, afin de surmonter l’effraction de l’excitation sexuelle impossible à maîtriser dans l’enfance.

Le clivage qui s’était mis en place lors des violences perdure sous une forme particulière : une partie d’elle permet la violence (battue, maltraitée verbalement), l’autre la rejette vivement (agressivité, pratiques spirituelles). Nous pouvons d’ailleurs supposer que le recours à des techniques de relaxation renvoie à une volonté de maîtrise des émotions et une recherche d’un objet interne stable, maîtrisable, et non effrayant.

Cancer et traumatisme

Les mécanismes de défense qui avaient été opérants cèdent sous le poids de l’atteinte somatique. Béatrice n’est plus capable de maintenir la seule partie qu’il lui est possible d’accepter en elle. Retourner la culpabilité contre elle, neutraliser l’excitation l’empêchent de passer à l’acte, mais ces procédés semblent considérablement coûteux pour le Moi et méritent d’être transformés. Dans la situation de cancer, la mise en jeu de diverses effractions corporelles

trouve des similitudes avec les abus sexuels, les violences conjugales et la première grossesse, entraînant encore une fois des mouvements dépressifs. Certains mécanismes de défense se sont mis en place pour lutter contre ces affects et représentations intolérables, mais à cause d’une émission de télévision sur les abus sexuels étant adulte, la probléma- tique sexuelle s’embrase avec la levée du refoulement réveil- lant des souvenirs douloureux.

Nous savons que dans la théorie freudienne du trauma sexuel [2], le trauma est divisé en deux temps : l’effroi est le temps durant lequel l’enfant est confronté à l’action sexuelle d’un adulte séducteur, une scène subie sans qu’il lui donne un sens. Il s’agit d’un moment où ni affect ni repré- sentation ne peuvent exister. Le second temps est celui de l’après-coup, il s’agit d’une réactualisation de la première scène qui prend sens au cours d’une seconde scène grâce au retour du refoulé dans la situation que nous évoquons.

C’est précisément dans l’après-coup pendant les traitements anticancéreux que les scènes de viol prennent sens pour Béa- trice. La rémanence quasi hallucinatoire de l’odeur poisseuse des anciens agresseurs lors de la vision de l’émission de télévision lui a rappelé le traumatisme des viols répétés.

Les abus sexuels irreprésentables psychiquement prennent donc sens par la voie sensorielle à l’occasion du cancer du sein.

Il apparaît que les traumatismes non sexuels qu’implique le cancer peuvent faire réémerger des traumas sexuels refou- lés. La maladie, par son aspect « sensationnel », intègre un contre-investissement des émois de tendresse et de sensualité venant faire écho aux maltraitances passées. La reviviscence non seulement des abus mais aussi des violences conjugales dans le cas de Béatrice met en exergue les procédés masochistes et sadiques pour lutter contre une réalité trop douloureuse.

Portée de la radiothérapie

La demande, de la part de Béatrice, d’un suivi psychothéra- peutique n’émerge pas à n’importe quel moment puisqu’elle a été déclenchée par la réactivation de l’atteinte narcissique en raison de la réminiscence psychique des abus sexuels infantiles qui, au demeurant, ont émergé à cause des fragili- sations de l’enveloppe corporelle. Cette demande n’est pas formulée à l’annonce de la maladie ou pendant la chimio- thérapie mais seulement lors de la radiothérapie (il n’y a pas eu d’ablation du sein). Il n’est pas rare de voir émerger une demande de suivi lors de la radiothérapie, car elle est décrite comme étant moins pénible que la chimiothérapie qui comporte plus d’effets secondaires. Toutefois, Béatrice perçoit les séances de radiothérapie comme agressives et invasives et qualifie ce traitement d’« intrusif » à cause des

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rayons qui pénètrent en elle et surtout dans ce qu’ils raniment en termes de traumatismes.

Le concept de « Moi Peau » [1] permet de saisir la diffi- culté, à travers la métaphore de la Peau, de gérer les conflits internes lors d’une effraction du pare excitation à l’occasion d’une atteinte somatique. Au même titre que la chair est à vif lorsque le soma est lésé, on peut entrevoir un inconscient mis à nu et dépourvu de défenses quand le corps est traumatisé.

Nous dirions que « la question de l’effraction corporelle, c’est-à-dire du“corps étranger”réel ou imaginaire, suscep- tible de modifier l’image de soi, traverse ces situations (extrêmes) puisqu’elles mettent en jeu le corps lui-même » [13]. D’autres auteurs [5,14] emploient aussi la notion d’effraction, moins pour rendre compte de l’aspect psychique du traumatisme que pour y ajouter la dimension corporelle. Il est question d’acte violent et transgressif ren- voyant à la pénétration forcée dans un lieu privé. Les barriè- res étant franchies, l’agresseur peut pleinement satisfaire ses pulsions destructrices, après son passage, des traces demeu- rent et l’intérieur saccagé demande réparation. L’effraction corporelle à la différence du traumatisme psychique est caractérisée par des difficultés de cicatrisation et de recons- truction, car l’agent générateur de la rupture traumatique s’incruste dans l’appareil psychique pour y perdurer et s’y développer.

Conclusion

Il semblerait que les phénomènes corporels accompagnant le cancer du sein de Béatrice viennent donner sens à des trau- mas sexuels n’ayant pas été élaborés jusqu’alors, mais qui auraient réussi à s’exprimer en premier lieu par l’intermé- diaire du comportement (lors des premières séances), puis plus tard à s’élaborer, voire se « psychiser ». L’expérience de la maladie et du traumatisme nous renvoie encore une fois à penser les rapports entre soma et psyché dans une perspec- tive somatopsychique [9] plutôt que « psychosomatique ».

Dans l’approche psychosomatique, l’hypothèse selon laquelle « le corps est le jouet de l’esprit » [11] prédomine et considère l’affection somatique comme étant une défense de l’esprit face aux dommages psychiques provoqués par les vécus mortifères. Dans le cas d’une maladie grave telle que le cancer, l’esprit est sans aucun doute tributaire du corps,

puisque ce dernier, en raison des effractions corporelles, est largement réprimé dans son expression. Ici, les modifi- cations corporelles ont un impact spécifique (que nous avons tenté de décrire) différent de celui du traumatisme psychique qui ne comporte aucune blessure physique, car en effet :

« Les transformations du corps semblent complexifier la reprise post-traumatique d’une certaine mobilité psy- chique » [3].

Conflit d’intérêt :l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

1. Anzieu D (1985) Le Moi Peau. Dunod, Paris, 1995

2. Breuer J., Freud S. (1895) Etudes sur lhystérie, Paris, biblio- thèque de psychanalyse, 2002

3. Coopman AL (2008) Traumatisme somatique : lesprit comme jouet du corps. In: Cahiers de psychologie clinique, De Boeck, no 30

4. Dejours C (2008) Les dissidences du corps. Payot, Paris 5. Ferenczi S (1909) Transfert et introjection. In:Œuvres complètes.

I. Payot, Paris, 1975

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7. Gori R, Del Vogo MJ, Poinso Y (1994) Roman de la maladie et travail de transformation du symptôme : complémentarité des approches psychanalytique et biomédicale : clinique sémiologie et thérapeutique. Psychol Med 26(14):14348

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Références

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