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Oncologie : Article pp.263-268 du Vol.5 n°4 (2011)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE

Estime de soi, fragilité sociale, précarité et cancer

1

Self-esteem, social fragility, precariousness and cancer

B. Bernard

Reçu le 31 décembre 2010 ; accepté le 14 octobre 2011

© Springer-Verlag France 2011

RésuméLe manque ou la perte de l’estime de soi oriente cer- tains sujets vers des erreurs de choix stratégiques inconscients qui peuvent les fragiliser socialement et augmenter les facteurs d’inégalités de santé (au sens OMS du terme) par un déficit de conduites et de prises en charge sanitaire. Les conséquences peuvent être un état dépressif latent, des décompensations fré- quentes, des addictions. Le déni de la dépression conduit à une absence de soins considérés alors comme inutiles. Le sujet se réfugie dans des conduites addictives, succédanés de traite- ments anxiolytiques et antidépresseurs. Les conséquences sociales sont inévitables : échec scolaire, difficulté à créer des liens avec difficultés sentimentales et rupture des liens fami- liaux, comportement suicidaire, addictions, instabilité psy- chique et sociale. Dans un milieu protégé socialement et finan- cièrement, le manque d’estime de soi peut être masqué et la précarisation réduite considérablement grâce à l’implication de l’entourage. Pour les sujets qui ne bénéficient pas de cette protection, la précarisation sociale est inévitable. Les consé- quences sanitaires sont importantes et ces sujets sont les oubliés des plans de santé publique. Ils n’adhèrent à aucun des messa- ges de prévention et d’incitation aux dépistages et leur com- pliance aux traitements est faible. En cancérologie, cela est res- ponsable de pertes de chance et aggrave les inégalités en santé.

Le fil rouge du Plan cancer 2009/2013 est la réduction de ces inégalités en santé et les mesures qui visent à atteindre cet objectif seront rappelées. Mais elles ne seront efficientes de façon concrète pour les populations en situation de précarité que si celles-ci retrouvent « leur estime de soi ». Pour citer cette revue : Psycho-Oncol. 5 (2011).

Mots clésEstime de soi · Réduction des inégalités sociales de santé · Plan cancer

AbstractThe lack or loss of self-esteem directs some sub- jects to errors of unconscious strategic choices that can wea- ken them socially and increase the factors of health inequa- lities (in the WHO term sense) by a deficiency of health supportive care. The consequences can be a latent depres- sion, frequent relapses and addictions. Denial of depression leads to a lack of care which are considered as unnecessary.

People takes refuge in addictive conducts, substitute of anxiolytic and antidepressant treatments. The social conse- quences are inevitable: school failure, difficulty of develo- ping links with sentimental difficulties and breakdown of family ties, suicidal behavior, addictions, mental and social instability. In a socially and financially protected environ- ment, lack of self-esteem can be hidden and precarious considerably reduced with the involvement of the entourage.

For people who do not benefit of this protection, the social casualisation is inevitable. The health consequences are significant and these people are forgotten by public health plans. They do not agree with the prevention and screening messages and their treatment compliance is low. In oncology it means loss of chance and increase of health inequalities.

One of the goal of the French cancer plan 2009-2013 is the reduction of these health inequalities and measures to achieve this objective will be recalled. But they will be realy efficient for populations in precarious situation only if they find again “their self esteem.”Mots clés : Estime de soi ; Réduction des inégalités sociales de santé ; Plan cancer To cite this journal: Psycho-Oncol. 5 (2011).

KeywordsSelf-esteem · Reduction of social inequalities in health · French cancer Plan

Aujourd

hui ce sujet concerne 25%

des personnes vivant en France

En effet, s’ajoutent aux 5% de la population en situation de précarité identifiés depuis longtemps, les 20% de la popula- tion en situation de fragilité sociale reconnus depuis peu.

B. Bernard (*)

Psycho-oncologue, 135 avenue de Versailles, F-75016 Paris, France

e-mail : bnbernard@laposte.net

1Cet article a été rédigé à partir de la communication faite au 27e Congrès de la Société Française de Psycho-Oncologie (SFPO) le 9 novembre 2010

DOI 10.1007/s11839-011-0349-8

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Il se pose pour ces populations la difficile question de l’égalité d’accès à la santé au sens OMS du terme, à savoir un état de complet bien-être physique, mental et social, et pas seulement une absence de maladie ou d’infirmité.

Devoir traiter de ce sujet, au début du 21esiècle, dans le pays qui réinvestit, en Europe, le pourcentage le plus impor- tant de son produit intérieur brut dans la protection sociale et qui affiche l’Egalité dans sa devise interpelle.

Et concernant l’objet du 27econgrès de la Société Fran- çaise de Psycho-Oncologie portant sur « Inégalités et Can- cers, les enjeux psychiques », se pose le dérangeant sujet de l’égalité d’accès à toutes les mesures des Plans cancer suc- cessifs, de la prévention et du dépistage à l’accompagnement vers la réinsertion dans la vie ou malheureusement encore trop souvent vers les soins palliatifs. Ou plus précisément la question de l’égalité d’accès à l’offre de prise en charge globale sanitaire (médico sociale et sociale) et à l’innovation.

Précarité et pauvreté

La pauvreté a toujours existé. Dès le moyen âge, les mono- théismes instaurent l’aumône ; pauvreté vient de « pauper », qui s’obtient par la prière. La prise en charge de la pauvreté est ainsi organisée autour des lieux de culte avec la notion judéo-chrétienne du bien et du mal et n’existe que sous la forme du bénévolat. A chacun ses pauvres ! A partir du 19esiècle et de l’ère industrielle s’organise, avec le mouve- ment ouvrier, la solidarité ouvrière et le combat pour la reconnaissance de ses droits. C’est le début d une prise en charge républicaine. Dans les années 1980, à la fin des 30 glorieuses avec 2 millions de chômeurs, des associations se créent pour venir en aide aux personnes en difficultés : Emmaüs en 1954 ; Joseph Wrezinski et son mouvement ADT quart-monde en 1980 ; Coluche et ses restos du cœur la même année ; la fondation Abbé Pierre en 1990.

Les causes de précarité sont nombreuses et intriquées. La prise en charge de la pauvreté va au fil du temps se profes- sionnaliser et être à l’origine de la création de nouveaux métiers avec des niveaux d’étude de plus en plus importants.

Les bénévoles ont toujours leur place dans la prise en charge de la pauvreté, de la fragilité sociale et de la précarité.

On les retrouve dans les associations sociales (par exemple et de façon non exhaustive les Resto du cœur, la Fondation Abbé Pierre, ADT quart-monde, les établissements de santé publics et parfois privés) et en cancérologie (par exemple, la Ligue nationale contre le cancer et ses 103 comités départementaux).

Ces bénévoles sont de plus en plus souvent encadrés par des professionnels, et de plus en plus de formations profes- sionnalisent le bénévolat. Il n’est plus question uniquement de bonne volonté, pré-requis nécessaire mais non plus suffi-

sant pour un bénévole, mais aussi d’efficacité et de bonnes pratiques.

Mais les professionnels de santé et les bénévoles sont ils vraiment formés pour la prise en charge de ces populations, pour les repérer, les informer et les accompagner ?

En décembre 2009, le Haut conseil de santé publique pré- cise que les inégalités sociales de santé sont systématiques, les différences n’étant pas distribuées au hasard mais selon un schéma constant dans la population [1]. Socialement construites et résultant de circonstances indépendantes de la volonté des personnes elles sont considérées comme injus- tes et modifiables.

Mais qu

en est-il de la perte de l

estime de soi ?

Parfois à l’origine de comportements mettant en danger l’individu, elle peut être la conséquence d’une altération de son état de santé et compromettre sa guérison ou sa mise en rémission. Même si la plupart des professionnels connaissent bien ce sujet, rencontré souvent dans leurs pratiques profes- sionnelles, il faut tenter de poser une définition de l’estime de soi.

Cette représentation psychologique ne se définit pas sim- plement dans les bibliographies mais dans notre pratique et je dirais que l’estime de soi se conjugue avec le verbe être, et non pas avec le verbe pouvoir qui fait plus référence à la confiance en soi. Il faut distinguer cette expression de la confiance en soi qui bien que liée à l’estime de soi est plus en rapport avec des capacités qu’avec des valeurs.

La confiance en soi renvoie à « je ne sais pas, mais si tu m’apprends » (notion d’aide) « je pourrai le faire et trouver ou retrouver alors mon autonomie ». Dans l’estime de soi, plus l’écart entre ce que nous sommes (notre soi réel) et ce que nous voulons être (notre idéal du moi) est grand, plus l’estime de soi est faible. Elle est organisée autour de la tri- logie : ce que je suis, ce que les autres me renvoient et ce que je pense valoir. Le patient traduit sa mauvaise estime par « je ne vaux rien » (à l’origine du mot vaurien) et ceux qui essaient de lui montrer le contraire ou de le soutenir se leurrent.

Une personne atteinte du cancer voit son mode de vie personnel, social et professionnel se modifier. La prise en charge, qu’elle se fasse en hospitalisation ou en ambulatoire, est une rupture de l’espace, du temps et du monde organisé.

Tout est rythmé en fonction du traitement. La maladie influence la confiance en soi car le sentiment de contrôle est touché. Quand le patient décompense une mauvaise estime de soi, toutes ses valeurs se trouvent en déséquilibre.

Une mauvaise estime de soi, profonde, peut toucher des indi- vidus issus de tous les milieux sociaux ou professionnels, mais lorsqu’ils existent, les relais éducatifs, culturels, sociaux et économiques arrivent à maintenir le patient hors

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de la précarité. Ce patient peut rester fragile avec des condui- tes à risque. Mais il est protégé de la précarisation par son milieu social de base.

Le patient qui a une estime de soi correcte, peut perdre au cours de sa maladie la confiance en lui. Avec un bon soutien émotionnel (famille, amis, personnel médical), quelle que soit son origine, il va retrouver le sentiment de protection, de réassurance et d’amour dont il a besoin pour retrouver une bonne estime de soi.

Ce soutien consiste à rassurer le patient à propos de ses compétences, de sa valeur, dans des périodes de doute où il a le sentiment que les exigences de la situation stressante dans laquelle il se trouve dépassent ses ressources et ses capacités.

La représentation de la précarité n’est pas la même pour tous, chacun de nous ayant un seuil différent. Nous ne posons pas le curseur au même endroit.

De la mauvaise estime de soi à la fragilité sociale et à la précarité

Il est recommandé aux aidants professionnels, dans le cadre de leur formation et afin de leur permettre d’évaluer le niveau de précarité sociale et matérielle des populations cibles, d’utiliser un score quantitatif de défaveur sociale, le score EPICES (Annexe A).

Ce score retient comme facteurs pouvant favoriser le pas- sage de la fragilité sociale à la précarité : l’absence de diplôme, le faible niveau culturel, le faible niveau d’éduca- tion, le faible revenu, le logement instable [2,3,4], les diffi- cultés de lien sociaux et familiaux le tout en lien avec une mauvaise santé physique et psychique.

Le manque ou la perte de l’estime de soi oriente certains sujets vers des erreurs de choix stratégiques inconscients qui peuvent les fragiliser socialement et augmenter les facteurs d’inégalités de santé, (toujours au sens OMS du terme), par un déficit de conduites et de prises en charge sanitaires. Les comportements individuels souvent compensatoires font office de traitements antidépresseurs. Accompagné d’un mauvais état sanitaire et social, le sujet est entraîné vers une prise en charge limitant une possible guérison.

Une mauvaise estime de soi frappe plus violemment et engendre plus fortement une précarisation avec un déficit de soin pour les catégories les plus démunies de la popula- tion qui accumulent des handicaps successifs (chômage récurrent et / ou de longue durée, faibles ressources, absence de logement ou logements insalubres, isolement, solitude extrême, absence de solidarités familiales, incertitude totale vis-à-vis de l’avenir, maladie, fragilisation psychique) et ce jusqu’à atteindre le seuil de l’exclusion.

La situation de fragilité sociale est avant tout un combat contre des agressions dont la diversité est soulignée par l’apprentissage de la débrouille et du « système D » en

regard d’une menace perpétuelle de chômage, d’éloigne- ment de l’environnement familial ou social, d’un environne- ment urbain dégradé, du poids de situation d’échecs scolai- res et de déqualification sociale. Au-delà de l’épuisement qu’engendre ce combat quotidien, la déqualification sociale qui l’accompagne induit une dégradation de l’image des per- sonnes en situation fragile, à leurs propres yeux comme dans le regard des autres.

De fait, la faillite de l’insertion, l’absence de reconnais- sance sociale et l’impossibilité de donner du sens à l’avenir portent atteinte à la construction de l’identité et, au-delà, à la santé avec conduites à risques, violences et addictions.

Le mal-être apparaît alors comme un symptôme majeur.

Les médecins traitants le savent bien. Les domaines dans lesquels l’estime de soi est mise à mal sont nombreux :

Les sujets décrivent des conditions chroniques de stress plus fréquentes comme la tension conjugale, les soucis financiers, la maladie, des frustrations plus importantes avec des choix de compensation moins grands et des moments de satisfaction moins valorisants. Leur priorité est alors :

« comment s’en sortir à court terme ». Les demandes de soins sont plus tournées vers la gestion des états de stress et la santé mentale que vers la santé en générale.

Se rajoute aussi le sentiment de ne pas faire partie d’un monde où les soignants sont bienveillants. Les médecins, par manque de temps plus que par manque de compassion, eux même renvoyés à leur impuissance devant ces situations extrêmes, confortent sans le vouloir le manque d’estime de soi. La prise en charge est souvent uniquement médicamen- teuse jusqu’à une décompensation plus importante qui mène le sujet vers un service de psychiatrie.

De la fragilité sociale et de la précarité à l

exclusion

Dans ce contexte, il leur est impossible d’adhérer aux mes- sages de prévention et de dépistage précoce qui proviennent, pour ces individus, d’un monde dans lequel ils n’ont plus leur place. La précarité en tant que résultat de situations intri- quées, de fragilisations réciproques, de ruptures en chaîne, peut mener jusqu’aux portes de l’exclusion. Aujourd’hui, l’exclusion, est le stade ultime de la précarité, la consé- quence d’une situation de précarité qui s’éternise et s’aggrave en se nourrissant de facteurs environnementaux et d’elle même. Allant au-delà d’un point de non retour, cette situation devient difficilement réversible et les personnes sont dès lors stigmatisées, comme se trouvant “en dehors de la société”. Jean Furtos [4,5] définit l’exclusion comme le quatrième stade de précarité socio-psychologique où

« Tout ou presque est perdu, surtout l’estime de soi ». C’est le stade où la souffrance empêche de souffrir.

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L’exclusion est indissociable d’un sentiment de honte qui, pour être parfois dénié, caché ou transformé en défi, n’en est pas moins omniprésent et pernicieux. L’individu en situation d’exclusion, de désaffiliation sociale avec perte du sentiment d’être un citoyen reconnu, souvent en rupture familiale avec ses ascendants et descendants, ne peut plus s’inscrire dans la chaîne des générations. Pour ne plus vivre certaines souf- frances extrêmes, il lui faut s’exclure de lui-même, ne plus sentir, ne plus ressentir et utiliser des moyens psychiques de rupture extrêmement coûteux : déni, clivage, projection.

A ce stade, l’exclusion sociale se double d’une auto- exclusion psychique.

Les situations de vulnérabilité et de mauvaise estime de soi doivent donc être intégrées dans le concept de Précarité.

Elles sont tellement combinées qu’il est parfois difficile de reconnaître si ces fragilités expliquent ou sont issues de la situation de précarité. C’est la raison pour laquelle il semble important d’ajouter en tant que telle la perte de l’estime de soi au score Epices.

La personne en situation précaire est celle qui n’a plus de place à occuper. En situation de vulnérabilité, facilement iso- lée, sa santé est le moindre de ses soucis. Que faire d’une peau dont personne ne veut ? Comment se projeter dans un avenir médical quand les besoins fondamentaux ne sont pas assurés et garantis de façon pérenne ? Plus le patient est en situation de précarité plus son diagnostic est retardé, tant par son comportement que par les difficultés d’approche des milieux médicaux somatiques. Une consultation dure en moyenne deux fois plus longtemps quand le praticien se reconnaît comme venant du même milieu social que le patient. Entre un patient peu compliant et des soignants pas ou mal formés à la communication avec cette frange de la population, la durée de la consultation se réduit au minimum syndical.

Les aidants professionnels travaillant dans les maisons relais de la Fondation Abbé Pierre ont identifié cette inéga- lité fréquente de prise en charge. En cancérologie, dès la première consultation, du fait du mode de présentation, du fréquent retard au diagnostic et donc du stade plus avancé de l’affection, de la faible compliance réelle ou présupposée, les locataires de ces établissements passent directement au niveau des soins palliatifs sans passer par la case soins curateurs. Par contre ils expriment leur sentiment de ne plus faire uniquement partie des exclus, mais également d’une famille plus valorisante, celle des malades, la maladie leur redonnant leur citoyenneté. Ce sentiment peut perdurer jusqu’au décès du patient.

Triste et courte fenêtre dans la perte de l’estime de soi.

Dans ce milieu dur où la maladie psychique, les addic- tions et la souffrance engendrent de fréquentes décompensa- tions, dans ce monde où l’exclusion est le fil rouge, le malade n’est pas exclu mais bénéficie au contraire d’aides

et d’attentions de ses semblables, situation que l’on ne retrouve pas toujours ailleurs.

Les travailleurs sociaux font à leurs côtés un accompa- gnement d’une grande efficacité avec une humanité éton- nante, et cela souvent sans la formation adaptée à la prise en charge de cette population. Ce manque de formation peut les fragiliser. C’est un des facteurs de l’épuisement profes- sionnel fréquent chez eux.

De plus, en raison de la réduction des crédits disponibles au niveau des collectivités et des associations ces emplois sont souvent des contrats précaires, et / ou à temps partiel et certains travailleurs sociaux rejoignent alors la population des travailleurs pauvres en cours de fragilisation sociale.

Enfin, il y a des personnes qui ont besoin de soins psychiatriques en plus des soins somatiques. Leurs troubles psychiques peuvent être l’origine ou la conséquence de leur situation d’exclusion. Mais les deux possibilités sont sou- vent intriquées, la situation économique ne permettant qu’une prise en charge à bas coût, excluant prévention et dépistage. La priorité est alors donnée à la prise en charge psychique qui protège la société.

Notre société est bâtie pour les inclus qui peuvent se défi- nir dans leur rapport aux exclus et on peut citer ici la célèbre phrase de Michel Foucault : « On a longtemps transformé les fous en exclus et maintenant on tente de ranger les exclus chez les fous !»

Les conséquences sanitaires

Pour ces populations en situation de fragilité sociale et de précarité, les conséquences sanitaires sont importantes et ces sujets sont les oubliés des plans de santé publique.

Le bilan du premier Plan cancer réalisé par la Cour des comptes [6] a confirmé qu’il avait changé beaucoup de cho- ses, pour les patients, leurs proches et les soignants mais a mis en évidence une hétérogénéité de l’efficience concrète, sur le terrain. Cette inégalité à première vue territoriale cor- respond en fait souvent à une inéquité sociale.

Le Haut conseil de santé publique a depuis précisé que la mise en œuvre de ce premier plan avait, comme celle de toutes les autres stratégies de santé publique aggravé les iné- galités en santé [7]. Et dans notre domaine, la cancérologie, ce différentiel d’efficience est responsable de pertes de chances.

C’est la raison pour laquelle le fil rouge du Plan cancer 2009/2013 est la réduction de ces inégalités en santé [8].

Plusieurs mesures et actions de ce second Plan cancer visent à atteindre cet objectif. Elles sont à l’origine d’expé- rimentations et de projets concrets dédiées aux populations en situation de fragilité et de précarité. Parmi ces projets en cours, plusieurs trouvent leur origine dans les actions

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menées depuis de nombreuses années par certaines des asso- ciations précédemment citées :

la Fondation Abbé Pierre qui, par son implication dans de multiples associations soutient des projets de réhabilita- tion sociale des personnes en situation précaire et de récu- pération de leur « estime de soi » au travers de l’accès au logement, à une prise en charge médicale suivie, pour certains à un travail et forme les travailleurs sociaux à l’information sur la prévention et les dépistages ;

la Ligue nationale contre le cancer qui assure une aide logistique et parfois financière à ses comités départemen- taux afin qu’ils puissent organiser des actions concrètes et efficaces pour et avec les populations fragiles.

Il s’agit de projets dont le but est de permettre à ces publics et parfois à ceux qui contribuent à leur prise en charge, de se réapproprier leur « estime de soi », et ainsi de récupérer les attributs de la citoyenneté en termes de droits et de devoirs sur les plans sanitaire, médico-social et social, le tout dans un parcours de prise en charge habituel, non stig- matisant. Ces projets associent les services centraux et sur- tout déconcentrés de l’Etat, les professionnels de santé, les associations de patients ou prenant en charge ces populations défavorisées. Plusieurs sont en préparation en zones urbaines et rurales, en Lorraine, en Anjou, en PACA et dans le Nord.

En Ile-de-France et à l’occasion de la restructuration d’un établissement de santé privé dont 40% de la patientèle est en situation de fragilité sociale voire de précarité, ce projet prend appui sur la préparation de nouveaux projets médicaux et d’établissement. Il associe dans un premier temps le per- sonnel soignant (dont les médecins cancérologues) et admi- nistratif de l’établissement, des associations accompagnant les patients traités pour cancer et leur proches et les maisons relais soutenues dans la région par la Fondation Abbé Pierre.

Il doit également et rapidement associer, dans le cadre d’un essai prospectif sur la réhabilitation bucco dentaire, le dépar- tement universitaire de stomatologie de la faculté de méde- cine Pierre et Marie Curie et un industriel avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations. Enfin ce projet devrait être soutenu par l’Agence régionale de santé d’Ile de France et se concrétiser fin 2011. Les actions prévues, toutes d’accès libre et gratuit pour les patients et les professionnels concer- nés, sont :

le financement d’emplois de médiateurs en cancérologie, postes destinés à des jeunes adultes issus de la population cible ;

lorganisation de la formation commune de tous les acteurs professionnels y compris les médiateurs et des bénévoles à l’identification, à l’information et à l’accom- pagnement des populations défavorisées ;

la mise en place d’un accompagnement psychologique des acteurs ;

la mise à disposition pour les patients de prestations de psycho oncologie et de soins de support ;

linclusion possible dans un essai de réhabilitation bucco dentaire pour tous les patients présentant des séquelles morphologiques et fonctionnelles en lien avec des cancers des voies aéro digestives supérieures et leur traitement.

Cette démarche se veut pluri-institutionnelle, pluri- disciplinaire, respectueuse de l’indépendance, des fonda- mentaux, des périmètres de compétence et des contraintes et des moyens de chacun des participants. Sa préparation exige la solidarité des acteurs et leur coresponsabilité dans la réflexion et la mise enœuvre, solidarité et coresponsabilité qui sont le gage de la pérennité sur la durée du projet, péren- nité dont les personnes en situation de fragilité sociale et de précarité ont besoin.

Conclusion

Christian Hervé rappelle que « L’ultime finalité de la méde- cine est sûrement de pérenniser, comme elle a su le faire depuis des millénaires, une attitude d’aide et de compréhen- sion face à l’insupportable situation de souffrance, physique ou morale, que peut connaître tout être humain » [9].

J’insiste donc sur l’importance d’inclure dans les détermi- nants de santé, la fragilité sociale et l’estime de soi et d’as- surer, sur ces sujets, une formation initiale et continue à tous les acteurs y compris les médecins afin de leur éviter des

« anticipations négatives » vis à vis des populations défavo- risées pouvant parfois conduire à une prise en charge de moindre qualité.

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Conflit d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références électroniques

1. Les inégalités sociales de santé : sortir de la fatalité. HCSP. Décem- bre 2009 - www.hcsp.fr/docspdf/avisrapports/hcspr20091112_

inegalites.pdf

2. Les personnes sans domicile. Rapport public thématique. Cour des comptes. Mars 2007 - www.ccomptes.fr/CC/documents/RPT/Rap- portPersonnesSansDomicile.pdf

3. Létat du mal logement. Fondation Abbé Pierre. Rapport annuel 2009 - www.fondation-abbe-pierre.fr/_pdf/rml_09.pdf

4. Habitat insalubre et absence de soucis de soi. Furtos J. Colloque international sur le thème Habitat insalubre / santé des 20 et 21 mai 2005 - www.habitatindigne.logement.gouv.fr/IMG/pdf/

furtos_cle116b29.pdf

5. Le syndrome dauto exclusion. Furtos J. - www.bibliotheques-psy.

com/spip.php?article1543

6. Mise enœuvre du Plan cancer 2003-2007Cour des comptes, juin 2008 - www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPT/2008-RPT_Cancer_

zJO.pdf

7. Evaluation du plan cancer 2003 2007 : Rapport final. HCSP.

Janvier 2009 www.hcsp.fr/docspdf/avisrapports/hcspr20090131_

EvaluationCancer.pdf

8. Plan cancer 2009 2013 : ministères chargés de la Santé et de la Recherche et INCa. Novembre 2009 www.plan-cancer.gouv.fr 9. Personne vulnérable en état de précarité ou dexclusion. Christian

Hervé. www.asdes.fr

Annexe A. Le score Epices

Daprès « Le score Epices : un score individuel de précarité.

Construction du score et mesure des relations avec des données de santé dans une population de 197 389 personnes. Catherine Sass (catherine.sass@cetaf.cnamts.fr) et coll. »

Afin dévaluer le niveau de précarité sociale et matérielle de leur consultants les centres dexamen de santé ont élaboré un score quantitatif de défaveur sociale.

Construit en 1998 à partir dun questionnaire initial de 42 ques- tions portant sur les différentes dimensions de la vulnérabilité et de fragilité sociale il retient 11 questions parce quelles contri- buaient le mieux à la définition du niveau de précarité. Elles sont affectés dun coefficient et la combinaison des réponses oui/non et des poids des questions donne le score pour chaque personne allant de 0 (absence de précarité) à 100 (précarité maximum)

Les 11 questions du score Epices

Constante 75,14

Calcul du score : chaque coefficient est ajouté à la constante si la réponse à la question est oui.

Numéro Questions Oui Non

1 Rencontrez-vous parfois un travailleur social ? 10,06 0

2 Bénéficiez-vous dune assurance maladie complémentaire 11,83 0

3 Vivez-vous en couple ? 8,28 0

4 Êtes-vous propriétaire de votre logement 8,28 0

5 Y-a-t-il des périodes dans le mois où vous rencontrez de réelles difficultés financières à faire face à vos besoins (alimentation, loyer, EDF) ?

14,80 0

6 Vous est-il arrivé de faire du sport au cours des 12 derniers mois 6,51 0

7 Êtes-vous allés au spectacle au cours des 12 derniers mois 7,10 0

8 Êtes-vous parti en vacances au cours des 12 derniers mois 7,10 0

9 Au cours des 6 derniers mois, avez-vous eu des contacts avec des membres de votre famille autre que vos parents ou vos enfants

9,47 0

10 En cas de difficultés, il y a-t-il dans votre entourage des personnes sur qui vous puissiez compter pour vous héberger quelques jours en cas de besoin

9,47 0

11 En cas de difficultés, il y a-t-il dans votre entourage des personnes sur qui vous puissiez compter pour vous apporter une aide matérielle ?

7,10 0

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