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Article pp.29-48 du Vol.3 n°1 (2005)

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Stratégie d’apprentissage e-learning

Le point de vue du gestionnaire

Corinne Baujard

DRM UMR 7088 - Laboratoire Crepa Université d’Evry Val d’Essonne UFR Sociales et Gestion 2, rue du Facteur Cheval F-91000 Evry

corinne.baujard@univ-evry.fr

RÉSUMÉ. Cet article s’appuie sur les résultats d’une recherche doctorale. La démarche inductive préconisée par la Grounded Theory est adaptée aux retours d’expérience e- learning. Elle permet de repérer divers comportements d’entreprise qui dépendent de la cohérence entre l’environnement, la technologie et la stratégie de l’entreprise. Il en résulte que l’avantage présenté par la solution e-learning est autant lié aux relations établies par l’entreprise avec son contexte externe qu’à ses ressources humaines et technologiques. La stratégie d’apprentissage est largement dépendante des pratiques managériales finalisées lors du déploiement e-learning ou à l’occasion de son enrichissement progressif par l’organisation.

ABSTRACT. This article presents the results of a Phd research. The inductive approach advocated by the Grounded Theory is applied to e-learning methods as they result from experimenting e-learning. According to enterprises, the degree of freedom for taking decision in that field, does vary. It is largely dependent on coherence between the technological environment, the quality of the information system and the training practises used within enterprises. The advantage that e-learning can bring is as much linked to the internal resources of the organisations as to the managerial desires of those in charge.

MOTS CLÉS : cohérence, e-learning, pratiques de formation, Grounded Theory.

KEYWORDS: coherence, e-learning, training and practice, Grounded Theory.

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Introduction

L’impact des TIC sur le management des organisations bouleverse toutes les fonctions de l’entreprise. Les outils de gestion liés aux intranet, groupware, ERP, workflow, e-learning sont désormais largement mobilisés dans les pratiques d’apprentissage. Confrontées aux besoins accrus de formation, les expérimentations se multiplient. Au moment où la formation devient un enjeu stratégique, le e- learning se retrouve au centre des mutations de l’environnement technologique et de l’apprentissage, porteur de conséquences organisationnelles importantes sur les ressources internes que représentent les salariés dans l’entreprise étendue, voire virtuelle (Jacqmot, A. ; Milgrom, E., 1999)1. En rapprochant les fonctions de management, les entreprises ont intégré la notion d’investissement dans leur stratégie. Il s’ensuit une convergence d’attentes pour un nouveau dispositif de formation, plus efficace et économique. De nombreuses études montrent pourtant que les organisations consacrent des montants importants aux technologies de l’information sans que les résultats financiers soient nécessairement corrélés aux dépenses engagées. A l’évidence, ce ne sont pas les investissements technologiques qui assurent la performance, mais leur adéquation avec le facteur humain, leur cohérence avec les ressources stratégiques (Kalika, Kefi, H., 2004)2. Il convient donc de s’interroger sur l’évolution des pratiques de formation dans le changement des organisations (Kirkpatrick, 1998)3, de déterminer si le e-learning est un facteur d’intégration organisationnelle ou un simple instrument de réduction des coûts de formation.

Toute technologie nouvelle s’incorporant dans un système de formation s’accompagne de prétentions d’apprentissage. Les premières théories sur la question ont émergé, sans réellement convaincre, dès la fin des années 1960, avec les cours par correspondance, puis la radio et la télévision (Perriault, 2002)4. Elles séparaient la formation à distance et la formation traditionnelle en mettant l’accent sur l’indépendance du salarié, mais aussi sa responsabilité dans l’apprentissage (Delling, 1987)5. Elles constataient les effets de la distance sur la communication entre le formateur et le salarié, la nécessité de satisfaire les besoins de l’apprenant devenu plus autonome par rapport au contexte d’enseignement traditionnel (Moore, 1973)6.

1. Jacqmot, A., Milgrom, E., (1999), « Formation par le Web : la technologie de l’Internet à la rencontre des besoins de formation en entreprise », Gestion 2000, vol. 16, n° 5, pp. 83-94.

2. Kalika, M., Kefi, H., (2004), Evaluation des systèmes d’information : une perspective organisationnelle, Paris Economica.

3. Kirkpatrick, D. L., (1998), Evaluation training programs, 2e ed., Berrett-Koehler.

4. Perriault, J. (2002), Education et nouvelles technologies, Théorie et pratiques, Paris, Nathan.

5. Delling, R.M. (1987), « Towards a theory of distance education », Bulletin de ICDE. n° 13, janvier, pp. 21-25.

6. Moore, M., (1973), «Toward a Theory of Independent Learning and Teaching », Journal of Higher Education. vol. 44, n°12, pp. 661-669.

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A la même période, diverses études établissaient un lien entre le processus de production industrielle et le processus de formation à distance (Peters, 1983)7. L’enseignement était envisagé comme un produit rationnel de la technologie, un système sociotechnique dans lequel les hommes interagissent avec des outils techniques (Simondon, 1958)8. Il faut néanmoins reconnaître que si ces déterminants modifient le comportement des salariés, si leur réunion conditionne le changement, les entreprises sont aussi tentées de se conformer aux pratiques des autres organisations en raison du caractère stratégique des connaissances.

Selon sa traduction directe, le e-learning est un processus d’apprentissage par lequel les individus acquièrent de nouvelles compétences ou connaissances grâce à des technologies multimédias : internet, intranet, extranet. Il se caractérise par un réseau qui met à jour, stocke, recherche, distribue et partage des informations, les rend accessibles aux salariés à partir de leur ordinateur ou en centre de ressources selon des technologies interactives (supports multimédia, cédéroms, DVD, groupware, intranet, vidéoconférences). Le e-learning est orienté vers des solutions d’apprentissage « qui dépassent les paradigmes traditionnels de l’apprentissage, (par) la disparition des unités de temps, de lieu et d’action entre les apprenants et les enseignants » (Favier, Kalika, Trahand, 2004)9. Les entreprises souhaitent ainsi prendre en considération la diversité d’apprentissage qu’il permet en cristallisant des enjeux financiers, technologiques et organisationnels conformes aux espoirs de la direction générale, du service informatique, des ressources humaines, du service formation et des salariés. On peut ainsi dire que la diversité des intervenants impliqués fait coexister des attitudes très différentes, beaucoup d’interrogations où l’enthousiasme côtoie le scepticisme.

Les interrogations touchent les relations entre le changement technologique et la réduction des coûts de formation. Les responsables de formation reprennent souvent les discours des promoteurs des plates-formes e-learning lorsque les processus à distance se modifient au sein de l’entreprise, sans nécessairement convaincre les salariés. Au reste, il est difficile de mesurer de manière satisfaisante l’efficacité de la nouvelle technologie. En termes de coûts, les entreprises consacrent environ 4 à 6 % de leur masse salariale à la formation, dépense répartie approximativement entre 45 % de salaires, 48 % de coûts pédagogiques et 7 % de

7. Peters, O. (1983), « Distance Teaching and Industrial Production: a Comparative Interpretation in Outline », D. Stewart, D. Deegan, and B. Homberts (réds) Distance education: International perspectives. Londres : Crom Helm, pp. 95-113.

8. Sismondon, G. (1958), Du mode d’existence des objets techniques, Paris Aubier.

9. Favier, M., Kalika, M. Trahand, J., (2004), « E-learning-E-formation : implications pour les organisations », Systèmes d’Information et Management, n° 4, vol. 9, pp. 3-10, spécial e- learning.

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frais de déplacements, hébergements et repas. Mais il convient de prendre également en compte la motivation des salariés, les ressources humaines (Serres, 2002) 10.

L’enthousiasme concerne surtout l’accessibilité aux ressources d’information susceptibles de favoriser les échanges entre les structures. Avec le e-learning, le salarié peut alors devenir acteur, s’informer et se former en agissant. A lui de saisir les informations le concernant (changement de situation professionnelle ou familiale, demande de congés, de formation), de prendre des décisions (affectation des sommes reçues au titre de l’intéressement ou de la participation). L’intranet permet, en effet, d’accéder à des bases de données et d’organiser de nouveaux types d’échanges dans les domaines les plus divers : congés payés, inscription en formation, épargne salariale et protection sociale, gestion des temps, CET, mobilité interne, bilan de compétences. Pour le salarié, les modes d’apprentissage peuvent transformer la gestion administrative des situations de travail en pratiques de formation.

Le scepticisme porte sur l’efficacité de toute formation. C’est devenu un thème récurrent (Mintzberg, 2004)11. Lors des actions de formation, les salariés acquièrent généralement un grand nombre de connaissances, mais ont des difficultés notables à les mettre en pratique. Ils doivent pourtant apprendre de leurs propres expériences et de celles des autres pour communiquer leurs compétences à l’ensemble de l’organisation (Parlier, 1999)12. Pour y parvenir, la formation fait intervenir de multiples acteurs appartenant à la gestion des ressources humaines, au service de formation, au service informatique. C’est l’occasion pour les pratiques de travail de renoncer à la concentration du savoir au profit de sa distribution (Serres, 1998)13. Une telle évolution peut renouveler le concept de formation en l’orientant vers l’expertise, la diffusion des connaissances. Ainsi, au moment où la conception traditionnelle de la formation comme outil d’adaptation de l’organisation du travail apparaît dépassée, les rapports de proximité deviennent l’occasion de nouvelles pratiques professionnelles reposant sur le savoir et la compétence de salariés qualifiés. Le dispositif de formation est vraiment à même de transformer l’accès à la connaissance en outil de pilotage des ressources humaines.

Cette recherche recourt à une démarche qualitative élaborée à partir des principes méthodologiques de la Grounded Theory de Glaser et Strauss (1967). Bien que relativement peu étudié, le thème de l’utilisation des outils e-learning est un

10. Serres M. (2002), « Nouvelles technologies et virtuel », Atelier de réflexion philosophique du 5 mars 2002, Groupe HEC.

11. Mintzberg, H. (2004), Le Management, Voyage au centre des organisations pp. 151-173, Paris, Editions d’Organisations.

12. Parlier M. (1999) « Stratégies de formation et de développement des compétences dans l’entreprise » Dimitri Weiss (coord). Les ressources humaines, Paris, Editions d’Organisations, pp. 413-462.

13. Serres, M. (1998), « La société pédagogique » Apprendre à Distance, n° hors série du Monde de l’Education septembre 1998.

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élément déterminant de l’efficacité organisationnelle. Il permet d’intégrer les dimensions sociales aux pratiques de formation, tout en s’interrogeant sur l’alignement stratégique de l’organisation et les difficultés d’appropriation des outils technologiques. En quoi le e-learning contribue-t-il à la performance sociale ? Quelle est l’ampleur de son apport au changement dans l’entreprise ? Pour répondre à ces questions, et bien que nous disposions de peu d’informations au départ, les variables à prendre en considération requièrent de se doter d’un dispositif d’observation adapté à chaque contexte organisationnel. Il est donc indispensable de confronter en permanence, avec l’aide de la Grounded Theory, les données à la littérature pour mieux comprendre comment elles peuvent rendre la réalité pertinente.

Notre démarche se décompose en plusieurs étapes. Tout d’abord, il importe de prendre en compte diverses contributions théoriques (1), puis d’opérer un choix méthodologique lié aux particularités du contexte, au manque de connaissances théoriques le concernant en raison des faiblesses de l’exploration scientifique à ce jour (2). La méthode inductive conduite selon la démarche enracinée (Grounded Theory) de Glaser et Strauss (1967) paraît la plus adaptée pour appréhender les retours d’expériences et la diversité des contextes de formation. A partir de régularités observées, 45 entretiens semi-directifs sont analysés selon un codage ouvert, sélectif et axial afin de découvrir des catégories d’analyse selon une démarche d’abstraction, de comparaison, jusqu’à saturation des données. On parvient ainsi à repérer plusieurs facteurs d’apprentissage e-learning (3) dont les résultats sont finalement discutés (4) au regard de notre question de recherche (5).

Les champs théoriques

Le e-learning s’inscrit dans une modification de l’environnement technologique propice aux interactions, adaptations et remises en cause de l’apprentissage organisationnel. Au reste, des travaux classiques sur les entreprises ont déjà examiné les aptitudes des salariés obtenues en milieu professionnel par des processus cognitifs transformant les structures (Argyris, Schön, 1978)14, le processus d’encodage des routines dans une perspective comportementale (March, 1991)15. Mais la mesure de l’avantage procuré doit également tenir compte des objectifs stratégiques mis en œuvre pour l’atteindre. Sinon on court le risque « de déconnecter la mesure et la stratégie, autrement dit de passer à côté du but recherché » (Lorino,

14. Argyris, C., Schön, D. A., (1978), Organizational Learning: a Theory of Action Perspective, Addison-Wesley, Reading, MA.

15. March, J. G., (1991), « Exploration and Exploitation in Organizational Learning », Organization Science, vol. 2, pp. 71-87.

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2002)16. Les enjeux stratégiques incitent fortement à concilier les influences réciproques des phénomènes techniques ou sociaux.

La recherche en systèmes d’information envisage généralement la technologie comme un objet social et une fonction technique (DeSanctis, Poole, 1994)17. La théorie de la structuration adaptative étudie les différents mouvements d’appropriation en fonction des caractéristiques technologiques. L’école sociotechnique examine les relations entre les aspects technologiques, sociaux et organisationnels dès lors qu’un processus de structuration opère dans un environnement organisationnel lui même structurant (Orlikowski, 1992)18. On peut faire deux constats à partir de ces recherches. D’une part, les ressources influencent les structures sociales et deviennent des institutions au sein de l’organisation ; l’environnement d’utilisation conditionne ainsi les changements organisationnels.

D’autre part, les représentations des acteurs entrent souvent en conflit avec l’expérience technique des outils précédemment intégrés, leur complexité d’utilisation et les résultats obtenus. La mise en perspective des choix permet aussi de mieux comprendre la nature du lien entre le changement et la stratégie adoptée par l’organisation. Loin de considérer la technologie comme un outil seulement doté de caractéristiques fonctionnelles, il faut en faire un objet social inscrit dans un contexte d’utilisation. En ce sens, le e-learning relie un certain nombre de variables dans l’organisation, opère « un certain arrangement de ressources destiné à traiter une activité ou à résoudre un problème » (Moisdon, 1997)19.

Les travaux du courant systémique permettent d’envisager la structure organisationnelle en termes de systèmes d’information, de tenir compte des interactions entre les aspects technologiques, sociaux et organisationnels (Orlikowski, Robey, 1991)20. En ce sens, l’outil e-learning peut apparaître structurant car il s’impose sous l’influence de l’environnement externe et interne. La relation entre l’apprentissage et le changement des pratiques de formation résulte des interactions des acteurs avec l’objet e-learning.

Les travaux de l’école sociotechnique, repris dans la théorie de la structuration de Giddens (1984)21, attribuent la reproduction des systèmes sociaux aux

16. Lorino, P., (2002), « Vers une théorie pragmatique et sémiotique des outils appliqué aux instruments de gestion », Essec, document de recherche DR 02015, juillet.

17. DeSanctis, Poole (1994), « Capturing the Complexity in Advanced Technology Use:

Adaptive Structuration Theory » Organization Science, n° 5 pp. 121-147.

18. Orlikowski, W.J., (1992), « The duality of technology: rethinking the concept of technology in organizations » Organization Science, vol. 3, pp. 398-427.

19. Moisdon, J.C. (1997) Sous la Dir. Du mode d’existence des outils de gestion, Les instruments de gestion à l’épreuve de l’organisation, Paris, Selim Arslan, pp. 7.

20. Orlikowski, W. J., Robey, D, (1991), “Information Technology and the Structuring of Organizations”, Information Systems Research, vol. 2-2, pp. 143-169.

21. Giddens, A., (1984), The Constitution of Society: Outline of the Theory of Structuration, Cambridge: Polity press.

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interactions des acteurs dans un cadre systémique et interactionniste. Ils insistent sur les influences mutuelles entre la technologie et l’organisation pour comprendre les causes à l’origine du changement à partir d’une réflexion sur l’individu, le groupe et l’entreprise (Le Moigne, 1990)22. Les technologies de l’information apparaissent comme des éléments de la structure sociale dans un environnement organisationnel structurant. Il en ressort que les ressources offertes par le système sont influencées par la mise en place concrète de l’outil technique, qu’il est pratiquement impossible de prédire le résultat de l’usage de la technologie et des relations sociales qui se nouent autour d’elle. Aussi faut-il absolument se demander comment le e-learning conditionne le processus de changement des pratiques de formation.

Une approche inductive du e-learning permet de définir différents types de changement liés aux facteurs organisationnels et stratégiques, mais aussi au contexte d’utilisation, de tenir compte des capacités de la nouvelle technologie à modifier le contexte préexistant. Toute organisation se construit par des outils qui lui permettent de fonctionner, qui transforment les relations en son sein (Orlikowski, 2000)23. Dès lors, même si l’intégration du e-learning n’est pas l’occasion d’une interrogation sur les facteurs de changement, elle fournit toujours de précieux enseignements sur l’efficacité organisationnelle. L’objectif de notre recherche est donc de repérer les modes d’apprentissage e-learning dont les entreprises ont besoin pour réussir un déploiement qui assure la cohérence entre les pratiques de formation et la stratégie d’entreprise.

La méthodologie

La démarche inductive préconisée par la théorie enracinée de B. Glaser et A. Strauss (1967)24 accorde un rôle prépondérant au terrain afin d’intégrer l’ensemble des données recueillies. Il a donc été constitué un échantillon de vingt- huit entreprises très diverses, autant par la taille que par les secteurs d’activité. La plupart ont été sélectionnées en fonction de la représentativité de groupes stratégiques (Thomas, Venkatraman, 1988)25. Elles interviennent dans les secteurs de l’assurance, de la banque, de la construction et de l’équipement automobile, de l’énergie, des télécommunications, de la parfumerie, du tourisme et des transports.

22. Le Moigne, J.L. (1990), La modélisation des systèmes complexes, Dunod, p. 21.

23. Orlikowski, W. J., (2000), « Using Technology and Constituting Structures: A Practice Lens for Studying Technology in organizations », Organization Science, vol. 11, n° 4, pp. 404-428.

24. Glaser, B. G., Strauss, A. L., (1967), The discovery of Grounded Theory: Strategies for Qualitative Research, New York, Aldine de Gruyter.

25. Thomas, H., Venkatraman, N., (1988), « Research on Strategic Groups: Progress and Prognosis », Journal of Management Studies, vol. 25, n° 6, pp. 537-555.

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A partir de 45 entretiens semi-directifs et de comparaisons sur le terrain, l’élaboration de catégories a permis de formuler des propositions explicatives. Pour répondre à la logique de dispersion et augmenter la fiabilité des résultats, l’étude a été élargie aux cas contrastés afin d’accroître la validité des conclusions. Nous partons donc de la réalité sociale pour aller vers l’abstraction, à la découverte d’une classification, jusqu’à saturation des données. En effet, les entretiens ne permettent pas d’appréhender toutes les pratiques, même s’ils donnent largement la parole aux responsables de formation, aux représentants des syndicats professionnels et aux salariés. Pour réduire au minimum l’aléa méthodologique, la quête de la validité externe implique de couvrir de multiples situations pour limiter au maximum la subjectivité inhérente à toute recherche. Il est nécessaire de généraliser les résultats à partir des données recueillies, comparer celles-ci « au domaine local dans lequel elles sont utilisées » (Guilloux, 2000)26. Il faut également atteindre la validité interne qui met en jeu la crédibilité des résultats par rapport à d’autres modes d’accès aux connaissances. Les entretiens ne doivent être que très peu modifiés lors de leur appréhension car la Grounded Theory insiste fortement sur le lien entre les données recueillies. Il est néanmoins nécessaire parfois de les réinterpréter pour une meilleure compréhension.

A ce stade, il convient de générer des propositions à partir de discours éparpillés, de mettre en lumière des articulations. L’analyse du terrain se compose de plusieurs activités successives : la condensation des données brutes des notes de terrain, leur présentation, l’élaboration des propositions. L’analyse des entretiens des responsables de formation débute par le codage en tenant compte des unités d’analyse, qui sont les indicateurs desquels émergent des propositions théoriques qui peuvent être générées initialement à partir des données. Le recueil s’achève lorsque les responsables ont répondu à l’ensemble des situations possibles. L’analyse de contenu implique donc de diviser les discours en unités d’analyse pour créer un travail de catégorisation afin de définir l’univers de référence du discours (Glaser, Strauss, 1967).

Selon la Grounded Theory, on part de l’analyse d’un petit nombre de données, puis on élargit la démarche aux multiples expériences des entreprises au fur et à mesure qu’elles deviennent plus évidentes. La méthode de comparaison des données débute donc par leur définition dès le codage. Les différentes unités repérées sont regroupées en catégories en fonction de leur ressemblance, puis les unités sont classées et les catégories définies. Un tableau de codage a permis de rassembler 80 codes en thèmes, avec les noms des entreprises dans la première colonne du tableau et, verticalement, les réponses de chacune d’entre elles. Il est possible ensuite de se reporter aux citations des entretiens qui justifient le codage. Il est donc facile de comparer les réponses de chaque entreprise sur tel ou tel thème, de rapprocher des firmes entre elles, d’isoler certains paramètres. Chaque code doit être court et

26. Guilloux, V., (2000), « Grounded Theory: concepts et apports », Revue Sciences de Gestion, n° 30, pp. 207-236.

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mnémonique, faire référence à une « catégorie principale » et une « sous catégorie ».

Ainsi, « CI » se réfère à la catégorie CI (contexte interne) et à la sous-catégorie ENVTECH (environnement technologique).

Unités d’analyses illustratives Codes-clés Catégories définies

Contexte interne CI

Entreprise de cosmétologie27 : « Tout doit être mis en œuvre pour éviter le rejet.

Pas seulement pour des raisons de coûts, l’échec du e-learning a un effet

psychologique désastreux sur les salariés impliqués dans la mutation de leur entreprise. Pas question de répliquer la catastrophe des ERP, où l’on a « balancé » la technologie sans accompagnement. Les applications les plus anciennes .sont destinées aux nouveaux salariés. Dans les usines, c’est le responsable qui pilote l’apprentissage à distance. Le e-learning ne peut fonctionner sans relais

pédagogique ».

CI- ENV/TECH

Le contexte dépend des capacités d’adaptation de l’organisation aux dimensions technologiques et comportementales de l’apprentissage.

Le e-learning est parfois difficile à déployer dans certains contextes organisationnels.

Entreprise de télécommunications :

« Dans notre entreprise,

l’accompagnement humain est un élément fondamental du dispositif et se construit sur la base des entretiens intermédiaires.

Durant les semaines qui précèdent ou qui suivent un entretien téléphonique, en fonction du contrat pédagogique du salarié et du travail qu’il a fourni à la fin de la plate-forme, le salarié sait qu’il doit encore travailler dans tel ou tel domaine. Il existe cependant des imprévus, lorsque le salarié n’a pas les ressources pour se renforcer dans ces domaines. Le responsable pédagogique doit faire le point avec lui lors de cet entretien sur son état d’avancement, il l’aide à se relancer psychologiquement ou matériellement.

De même, il aide à débloquer les difficultés qu’il rencontre ».

CI- ACCO/PRO

Les entreprises redoutent la diversité d’utilisations des outils et le caractère aléatoire de leurs effets sur l’expérience des acteurs. La complexité de la technologie agit sur la configuration de travail et dans les procédures d’échange social.

L’influence du groupe détermine les relations de l’individu avec son environnement.

La diffusion de l’outil a un effet indirect sur son acceptation par les salariés. Le e-learning est centré sur des problématiques opérationnelles nécessaires à son succès auprès des salariés.

27. Les diverses organisations citées font l’objet d’une présentation spécifique in C. Baujard, (2004) : Motifs d’adoption, processus d’intégration et modes d’apprentissage e-learning : proposition d’un modèle stratégique, Paris-Dauphine, thèse de doctorat, Annexe 2.

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Entreprise d’équipements automobiles :

« Dans notre formation e-learning, l’accompagnement est un élément majeur.

Nous avons veillé à donner aux salariés la motivation pour leur donner envie de se former en leur montrant le bénéfice du e- learning. Nous avons travaillé par capillarité. Il faut communiquer pour que les salariés ne ressentent pas l’outil comme du flicage. Je pense que les freins

tomberont très vite ».

Banque commerciale : « Nous utilisons largement les nouvelles technologies dans toutes les sphères de nos activités. Les TIC suscitent des changements lourds dans les manières de travailler et dans les modes de management. Il fallait associer dès le départ toutes les strates du management, les managers de managers, afin d’en faire de véritables sponsors. Il fallait qu’ils se servent du média, d’où l’idée de les former en utilisant le e-learning ».

CI- REPR/UTIL

Les contextes organisationnels dépendent des contraintes extérieures ou intérieures perçues par les managers. L’utilité perçue est fortement corrélée avec l’acceptation de la technologie et son utilisation effective.

Constructeur automobile : « Si la culture d’appartenance semble maîtrisée, c’est en partie grâce à la longue histoire de l’entreprise. Cette culture est très importante dans le développement social des salariés. Il faut donc créer une valorisation grâce à la formation e- learning, car nous pensons que cela crée un sentiment de cohésion entre les acteurs, c’est à dire une culture d’entreprise. Elle est un facteur important de motivation qui peut être mis en œuvre que si les salariés la comprennent et se l’approprient ».

SOC- RES/CUL

Les salariés éprouvent des difficultés à s’adapter à la diversité des situations. Certains salariés refusent d’utiliser la nouvelle technologie mise à leur disposition en raison de conflits passés lors du déploiement d’outils sans prendre en considération leurs besoins réels.

La conception traditionnelle de la formation dans l’entreprise perçue comme un outil

d’adaptation de l’organisation du travail apparaît aujourd’hui dépassée.

Entreprise informatique : « L’intranet de formation permet de relier le salarié à une formation en ligne en réactualisant ses connaissances avec son plan de

développement des compétences. La mise à jour des compétences se réalise par l’individu lui-même, il peut savoir à tout moment où il en est des connaissances détenues ».

SOC- EXP/ COM

Le fait de capitaliser sur des processus métiers accroît la pertinence de la démarche compétence associée à la dimension organisationnelle. La formation devient le résultat de l’apprentissage en situation professionnelle qui implique l’adhésion de l’ensemble de l’organisation à la création de

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Entreprise industrielle d’aluminium :

« Pour vaincre d’éventuelles réticences à l’égard du e-learning, nous demandons à chacun de vérifier qu’il n’y a pas de connaissances contraires aux applications métiers, avant d’y intégrer des

informations sur l’environnement général et technique ».

valeur ajoutée. Pour le dispositif e-learning, le contexte est moins structurant que les

représentations des acteurs.

Entreprise de télécommunications :

« Nous avons adopté e-learning pour optimiser les coûts et la gestion des formations internes. Le retour sur investissement : une journée de présentielle est valorisée à environ 250 ¼ sans compter les coûts de déplacement du salarié, d’hébergement et la perte sur son temps de travail ; une formation en ligne revient sans compter les frais d’élaboration des modules de formation à 305 ¼ ».

Groupe d’assurances : « À l’origine, nous avons lancé le e-learning pour faire des économies. On ne fait pas des économies sur les temps de formateurs car les dispositifs doivent être écrits, puis maintenus, les évaluations corrigées, le formateur doit prendre du temps pour téléphoner aux stagiaires ».

ARB- PER/COU

L’investissement e-learning est important dans les secteurs d’activités sensibles à la pression de la concurrence. Le recours accru au marché, au

développement de réseaux d’entreprises, conduit à des réductions inégales de coûts.

Banque commerciale : « La mise en place e-learning, a été l’occasion d’identifier de nombreux freins humains: des craintes liés à cette nouvelle méthode d’apprentissage avec des degrés d’adhésion plus ou moins fort ; des freins liés au système

d’information liés à la taille des tuyaux si notre réseau allait pouvoir intégrer notre plate-forme de formation ; des freins logistiques: sur le temps de travail et pas sur le poste de travail, le centre de ressources pendant le temps de travail, la place de la formation pour le manager ; des freins stratégiques ; la fin de la formation récompense ».

ARB- CHAN/RAT

La formation se fonde sur une vision rationnelle de résolution de problèmes. Les rapports de proximité deviennent essentiels.

Le e-learning est l’occasion de nouvelles pratiques

professionnelles tributaires d’un changement organisationnel important.

……… …… ………

Tableau 1. Exemples d’analyses des données

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Le codage du discours est toujours délicat. Il doit impérativement apparaître à la fois ouvert, axial et sélectif. Il convient de découper les discours en unités d’analyse et de définir les catégories qui vont les accueillir afin de faire émerger les concepts à partir des observations du terrain (Strauss, Corbin, 1994). Le codage ouvert se rapproche le plus possible de la prise de notes. Chaque entretien permet d’aboutir à une série d’unités d’analyses : contexte, ressources de l’organisation, arbitrage stratégique selon les finalités de l’outil. Il est alors possible de regrouper les unités d’analyse retranscrites, d’établir progressivement des catégories et d’attribuer à chacune un code. C’est le codage axial qui transforme les unités d’analyses en catégories. Il sert à repérer les interactions explicatives à l’origine des compétences organisationnelles. Le codage sélectif analyse les relations entre les catégories et les éléments contextuels en termes de contexte local selon l’analyse socio- organisationnelle préoccupée d’arbitrages stratégiques.

Codage axial Sous-thèmes

Codes Codage sélectif

Contexte

L’environnement technologique. CI-ENV/TECH Contexte technologique.

L’appropriation. CI-

ACCO/APPRO Appropriation professionnelle.

La représentation. CI- REPR/UTIL Utilité perçue.

Analyse socio-organisationnelle

Les ressources. SOC-RES/CUL Culture d’entreprise.

Les expériences. SOC- EXP/

COM Compétence professionnelle.

Arbitrages stratégiques

La performance. ARB-PER/COU Réduction des coûts.

Le changement. ARB-

CHAN/RAT Rationalisation de la formation.

……… ………….. ………..

Tableau 2. Relations entre les catégories et les éléments contextuels

Le codage assure l’intégration des catégories au modèle inductif de départ issu du regroupement des catégories centrales. Il aide à trouver le fil conducteur des variables en les reliant au contexte, en tenant compte des conséquences organisationnelles et des effets technologiques. Il permet d’apprécier le contexte technologique, de repérer les ressources organisationnelles de la formation e- learning dont l’arbitrage aboutit à la stratégie d’apprentissage.

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Les résultats

Le e-learning est envisagé de façon très diverse par les entreprises selon leurs choix d’apprentissage, mais aussi la complexité des mécanismes d’appropriation et d’utilisation (Reix, 2004). Identifier le rôle de l’outil nécessite d’insister sur les relations entre les comportements d’apprentissage et l’environnement organisationnel, question centrale posée par la Grounded Theory.

La perception des contraintes environnementales et des exigences technologiques par les managers influe fortement sur la décision d’adoption du e-learning. Lorsqu’une entreprise adopte un nouvel outil, elle est conduite à mobiliser des ressources multiples. A ce moment là, elle est confrontée aux réalités contextuelles telles que les préoccupations de croissance, la préservation des compétences ou la fidélisation des salariés. Le e-learning peut parfois être difficile à déployer dans certains contextes organisationnels en raison de la rapidité du changement technique et de l’idée que se font les salariés de l’utilité de l’outil. Aussi, a priori, on pourrait estimer que l’apprentissage e-learning dépende seulement des capacités d’adaptation de l’organisation aux dimensions technologiques de l’environnement concurrentiel, ce qui n’est pas nécessairement le cas.

L’investissement dans une plate-forme e-learning est fréquent dans les secteurs très exposés à la concurrence (notamment le secteur industriel) soumis à des contraintes liées à la dispersion géographique, soucieux d’un rapide retour sur investissement. Ainsi, sous la présence des clients, les entreprises de service font de l’adaptation permanente un principe d’organisation. A partir d’une plate-forme, elles peuvent distribuer des cours aux clients, les former à distance, instaurer une nouvelle relation avec eux ; certains salariés peuvent même devenir e-consultants de la clientèle.

Le e-learning peut contribuer à former rapidement des milliers de personnes réparties dans des lieux géographiques les plus éloignés. La flexibilité qu’il procure permet au salarié de rester à son lieu de travail ou encore se former en fin de journée, de trouver une réponse immédiate à certaines difficultés. On fournit partout et à toute heure des moyens de formation. Une banque commerciale peut posséder un site formation avec un portail qui permet de s’informer sur les nouveautés en matière de formation, de consulter le catalogue des stages ou d’échanger avec les collaborateurs du groupe. Elle peut développer également une plate-forme conçue pour faire le point sur les compétences et évaluer les connaissances. Le salarié veille ainsi au développement de ses propres compétences selon le plan individuel de formation.

Il n’en demeure pas moins que les entreprises qui subissent le plus de pressions de leurs concurrents sont en général les plus informatisées et les mieux équipées en systèmes techniques. L’outil e-learning y devient une condition d’efficacité de la formation dans les pratiques de travail. Les choix organisationnels dépendent largement des contraintes extérieures ou intérieures perçues par les managers,

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sachant que l’utilité perçue est fortement corrélée avec l’acceptation de la technologie et son utilisation effective. Même si l’investissement e-learning est important dans les secteurs fortement concurrentiels, le jeu du marché et le développement de réseaux d’entreprises conduisent à des réductions inégales de coûts de formation selon les entreprises concernées. Il n’en demeure pas moins que le contexte organisationnel détermine le caractère stratégique des pratiques de formation, que la pression concurrentielle modèle la relation entre le cadre environnemental et technique et les pratiques managériales (Bergeron, Raymond, Rivard, 2001)28.

Les pratiques de travail permises par les technologies de l’information s’inscrivent dans un contexte d’utilisation (Barley, 1986)29. Il en résulte que la croyance dans les avantages potentiels du e-learning est liée à l’expérience des outils précédemment implantés dans l’entreprise, à la capacité qu’ils ont eu à répondre aux attentes. Des rapports de proximité prennent de l’importance aussi bien en situation d’apprentissage qu’à l’occasion de la communication interne. En tenir compte permet à la formation de s’inscrire dans une perspective rationnelle de changement organisationnel.

Dans certaines entreprises, les responsables de formation cherchent des soutiens auprès de la direction générale, qui se propose du reste souvent d’expérimenter le e- learning car elle utilise déjà les outils ERP, email, workflow. La formation échappe ainsi à la compétence exclusive du service formation ; il peut se mobiliser sur un projet e-learning, en partenariat avec n’importe quel autre service. Mais, a contrario, dans d’autres entreprises, les responsables de formation tentent de maintenir par des arbitrages, la relation qui a déjà été établie par diverses structures internes. La redistribution des responsabilités en matière de formation se développe surtout lorsque les contraintes exercées par l’environnement réussissent à donner une vision assez claire des possibilités d’utilisation de l’outil de formation. Cette situation pousse aux rapprochements des solutions e-learning avec les autres pratiques de formation. Il n’en demeure pas moins que les entreprises s’en remettant à une conception strictement utilitariste de la formation e-learning ne tendent pas nécessairement vers le changement organisationnel.

Toute entreprise qui connaît une dispersion géographique et diffuse une formation standardisée sur le lieu de travail peut faire de la nouvelle technologie un support de savoir et d’expertise pour les salariés, une aide à la mise en réseau des pratiques managériales. Elle peut chercher aussi à concilier les projets collectifs avec leurs conséquences organisationnelles, surtout si elle est consciente que les salariés

28. Bergeron, F., Raymond, L., Rivard, S., (2001), « Fit in Strategic Information Technology Management Research: An Empirical Comparison of Perspectives », Omega - The International Journal of Management, vol. 29, n° 2, pp. 125-142.

29. Barley, S.R. (1986), « Technology as an occasion for Structuring: Evidence from observations of CT scanners and the social order of radiology departments”, Administrative Science Quarterly, vol. 31, n°1, pp. 78-108, pp. 81.

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risquent de s’opposer aux nouvelles organisations structurées par l’informatique en raison des expériences passées de déploiement technologique non réussies.

Dans la mesure où des ressources librement accessibles sont mises à disposition sur l’intranet de l’entreprise, les apprentissages se construisent à partir des représentations collectives. En général, les entreprises modérément informatisées sont très sensibles aux conseils de l’environnement éducatif. Elles favorisent une construction progressive des apprentissages centrée sur l’expertise organisationnelle.

C’est alors avant tout l’environnement d’utilisation qui conditionne les changements de configurations de travail (Orlikowski, 2000)30. On constate, du reste, que l’élément déclencheur de l’adoption résulte fréquemment d’une démarche instrumentale, même si la complémentarité entre les outils n’est pas assurée. Par ailleurs, les choix de plate-forme impliquent des décisions lourdes de conséquences, pas seulement financières. Ils entraînent des problèmes de compatibilité entre les intranets et les systèmes d’information des entreprises ; certaines firmes automobiles ont ainsi dû purement et simplement changer leur système d’information pour intégrer le e-learning. Les entreprises qui possèdent déjà dans leur cœur de métier des compétences réseaux sont avantagées dans le choix des normes, des sites périphériques, pour la compatibilité des différentes configurations techniques. Face à ces difficultés, la solution e-learning doit insister sur la facilité d’utilisation, la rapidité de ses résultats, la possibilité d’expérimenter. Avec elle, la formation devient le résultat de l’apprentissage en situation professionnelle par l’ensemble de l’organisation. C’est donc moins le contexte que les représentations des acteurs qui sont structurants dans les dispositifs e-learning.

La perception de l’outil en fonction de la croyance dans ses fonctionnalités est un indicateur de son apprentissage. Les connaissances sur le e-learning sont faibles au moment de la décision d’adoption, l’incertitude est très élevée du fait du degré de nouveauté de l’outil, de ses ajustements réputés difficiles à réaliser. La perception des fonctionnalités de l’outil est influencée par la représentation des acteurs (March, Olsen, 1979)31. Il n’est donc pas surprenant que la culture organisationnelle aide à résoudre les difficultés au moment du déploiement du e-learning. Mais, il n’en va pas toujours ainsi. Les salariés peuvent utiliser la nouvelle technique avec d’extrêmes réticences en raison de conflits passés à propos d’autres outils technologiques dont le déploiement n’a pas tenu compte de leurs besoins réels. En ce cas, sa mise en place peut être difficile en raison de stigmatisations, de comparaisons dévalorisantes. Autant de motifs pour se demander si la conception traditionnelle de la formation dans l’entreprise perçue comme un simple outil d’adaptation de l’organisation du travail n’est pas aujourd’hui dépassée.

30. Orlikowski, W. J., (2000), « L’utilisation donne sa valeur à la technologie », Gérer le savoir par les technologies de l’information, L’art du management, Les Echos Village Mondial, pp. 232-239.

31. March, J. G., Olsen, J. PP. (1979), Ambiguity and Choice in Organizations, 2e ed., Bergen, Universitetsforlaget, with contributions by S. Christensen.

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Discussion des résultats

La stratégie d’apprentissage e-learning et ses répercussions sur le changement des pratiques de formation aboutissent à deux scénarios selon que les pratiques d’apprentissage sont directement finalisées lors de l’adoption de l’outil ou sont enrichies progressivement lors de son déploiement par l’organisation.

Selon un premier scénario, le succès du e-learning dépend des capacités d’adaptation de l’entreprise à son environnement technologique. La stratégie d’apprentissage prend en compte les contraintes externes et internes perçues par les responsables de formation qui estiment que l’acceptation du e-learning est fortement corrélée à son utilisation effective. Cette attitude explique que les pratiques managériales tentent souvent de procéder à des ajustements partiels sans évaluer la contribution du e-learning aux pratiques d’apprentissage. Les entreprises concernées sont généralement très informatisées en raison de la forte rationalisation de leur système d’information, sous l’emprise directe de logiques financières considérées comme vitales pour leur compétitivité. Les responsables de formation mènent des stratégies d’appui auprès de la direction générale en mettant l’accent sur les problématiques opérationnelles de l’outil. Ils ne cherchent pas vraiment à mobiliser les salariés lors du processus d’adoption. Ceux-ci sont enclins à rechercher dans leur environnement des repères d’apprentissage réussis. S’ils ne les trouvent pas, ils estiment la formation e-learning comme marginale par rapport à leurs espoirs d’apprentissage et s’en détournent.

La stratégie e-learning est valorisée dans les secteurs très exposés à la concurrence, particulièrement dans l’industrie. Les activités de formation sont généralement tournées vers la mise à jour des connaissances techniques. On constate cependant que les résultats des changements sont difficiles à prévoir, les réductions de coûts également. L’ampleur du changement organisationnel dépend des choix stratégiques des organisations, mais aussi d’un déterminisme social. La croyance en une formation rationnelle qui résoudrait nécessairement des problèmes est illusoire.

Le e-learning peut être difficile à déployer dans certains contextes organisationnels, poursuivre la satisfaction de nouveaux enjeux stratégiques plutôt que l’amélioration du dispositif de formation. Certains choix organisationnels motivés par des besoins opérationnels peuvent néanmoins devenir par la suite de nouveaux enjeux stratégiques

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Un second scénario révèle, a contrario, des entreprises plus autonomes dans leur processus d’adoption e-learning. Elles sont moins informatisées et semblent construire elles-mêmes leurs apprentissages à partir d’une large négociation avec les acteurs. Même si les responsables de formation sont préoccupés de réduire les coûts de formation, ils tiennent compte des représentations collectives, bénéficient des conseils de l’environnement éducatif. Ils favorisent l’expertise organisationnelle dans les pratiques de travail. La conscience de l’intérêt relatif de l’outil dans la formation permet d’élaborer des représentations conciliant l’attrait de la nouveauté pour répondre aux contraintes de l’environnement et les exigences concurrentielles

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déterminant le rythme des adaptations. La validation de la technologie intervient par expérimentation car on redoute les effets de la complexité technique sur l’expérience des acteurs.

La capitalisation des savoirs n’est qu’une partie de l’apprentissage organisationnel, un de ses outils essentiels. Il n’y a pas de déterminisme technique ou organisationnel, mais une interaction entre le contexte social, les ressources humaines et les modifications. On explique souvent ainsi que les salariés refusent d’utiliser le e-learning en raison de conflits passés lors du déploiement d’outils. En réalité, le changement technique est fortement relié aux utilisateurs, même si les stratégies personnelles ou collectives sont généralement plus déterminantes que les capacités techniques. La préservation des actifs intellectuels implique pour l’entreprise de retenir ses expériences professionnelles malgré le départ de nombreux cadres à la retraite dans les prochaines années. Ainsi, les conditions de l’appropriation, du dialogue social, se nuancent, se complexifient et conduisent souvent à des réactions diverses. C’est donc moins le contexte que les représentations des salariés qui favorisent le changement dans la stratégie d’apprentissage des entreprises. L’équilibre d’intérêts individuels cède devant un environnement cognitif favorable à l’action collective.

Conclusion

Quel que soit le scénario retenu, la prise en compte de l’apprentissage e-learning structure en définitive les pratiques de formation, même si les organisations perçoivent l’outil de façons très différentes, aussi bien en termes d’apprentissage que de conséquences organisationnelles. Les entretiens révèlent une variabilité des expériences qui peut aller de la rationalisation des activités de formation jusqu’au développement de l’autonomie dans les pratiques professionnelles. Au reste, la transversalité des pratiques de travail, qui associe la rationalisation de l’activité de formation, l’expertise et la communication mobilisent des ressources qui valorisent fréquemment les seuls bénéfices obtenus par les acteurs, sans transformer les systèmes de relation dans l’organisation (DeSanctis, Poole 1994)32.

Les deux scénarios révèlent que le contexte social définit généralement les conditions d’apprentissage sans systématiquement remettre en cause les valeurs inhérentes de l’entreprise. Le e-learning résulte d’un processus d’apprentissage collectif, propre à la complexité de l’entreprise. Loin d’être seulement un concept récent dans la formation, il révèle l’émergence de nouveaux comportements par sa dimension stratégique.

Le premier scénario contribue à accroître l’efficience et l’efficacité entre le contexte stratégique de l’entreprise et son infrastructure informatique. Lorsque

32. DeSanctis, G., Poole M. S., (1994), « Capturing the Complexity in Advanced Technology Use: Adaptive Structuration Theory » Organization Science, n° 5, pp. 121-147.

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l’organisation fonde son modèle d’apprentissage sur l’avantage concurrentiel, le e- learning est une variable qui l’aide à obtenir des coûts inférieurs ou à se différencier de ses concurrents. Les applications de l’outil liées au contexte particulier de l’entreprise, permettent de redéfinir des objectifs généraux. Le mode d’apprentissage retenu s’appuie donc sur les processus de l’entreprise adaptés à l’environnement.

Pour éviter une approche en terme de processus de finalisation poursuivi par l’apprentissage e-learning, qui prenne seulement en considération les facteurs clés de succès, le second scénario établit différents ajustements pour compenser les perturbations internes et externes de l’environnement. Il prend en compte les interactions des acteurs avec la technologie. Les responsables de formation doivent anticiper les difficultés d’acceptation et d’utilisation du e-learning. Son déploiement progressif à l’ensemble de l’organisation permet de repérer les défauts techniques et de réduire les risques d’inadaptation. L’appropriation est centrale dans la construction sociale de la technologie. Les modes de formation antérieurs sont maintenus dans le nouveau système. On assure ainsi la continuité de nouveaux apprentissages pour en faire un objet de connaissances collectives qui donne une certaine généralité à l’outil.

Ces deux scénarios présentent cependant des risques pour les entreprises.

Contraintes par leur histoire, les routines et habitudes, elles sont tentées de reproduire à l’identique leur passé, voire même d’interrompre le processus d’apprentissage si les acteurs refusent d’utiliser le e-learning. L’organisation subit alors les conséquences des conflits éventuels des changements de l’environnement et doit s’y adapter. Au reste, les effets d’interdépendance entre les pratiques sociales et les pratiques de travail ne sont pas seulement liés à l’implantation du e-learning mais aussi à l’émergence de nouveaux espaces professionnels. La formation e- learning peut être parfois contournée au détriment de l’apprentissage collectif. En ce cas, le contexte social finit par définir les conditions d’apprentissage sans nécessairement remettre en cause les valeurs inhérentes de l’entreprise.

Lorsque le e-learning est finalisé dès son adoption, les apprentissages rendent les comportements des salariés imprévisibles et risqués. Au contraire, lorsque les pratiques managériales permettent d’enrichir progressivement son utilisation, elles donnent des ressources supplémentaires à l’ensemble de l’organisation. Mais, lorsque le changement organisationnel se transforme en déterminants techniques, des risques d’incompatibilité entre la technologie et la stratégie apparaissent selon les rythmes divers d’appropriation. La stratégie d’apprentissage e-learning oblige alors à réfléchir sur les intérêts individuels en lien avec l’environnement cognitif. Au demeurant, les entreprises qui investissent fortement en formation reconnaissent que

« ce n’est pas la nature d’une invention qui définit les usages, c’est la manière dont les acteurs lui donnent sens en la réinventant localement » (Alter, N., 2003)33. En d’autres termes, la réussite du projet technique créé une convergence d’attentes et de

33. Alter, N., (2003), « Innovation organisationnelle entre croyance et raison », Encyclopédie de l’Innovation, Paris, Economica, pp. 71-88.

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besoins pour un nouveau dispositif de formation, plus efficace, plus économique, autour d’un projet collectif. Le besoin d’adoption externe et d’intégration fonctionnelle de l’entreprise à son environnement accélère le recentrage stratégique de la formation. Dès lors, même si l’on peut estimer que l’on est encore loin d’un bouleversement des conceptions d’apprentissage, une vision centrée sur l’action collective doit absolument tenir compte des retours d’expérience. Autrement dit, l’apprentissage e-learning a tout à gagner à privilégier l’interrogation sur les raisons qui poussent à y recourir plutôt qu’à s’en tenir à une simple approche a priori des espoirs qu’il fait naître.

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