• Aucun résultat trouvé

Le régime juridique du commerce des produits agricoles dans le droit de L'OMC

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Le régime juridique du commerce des produits agricoles dans le droit de L'OMC"

Copied!
288
0
0

Texte intégral

(1)

Thesis

Reference

Le régime juridique du commerce des produits agricoles dans le droit de L'OMC

ZOURE, Théophane

Abstract

La multifonctionnalité de l'agriculture est un sujet fondamental dans les négociattions du Cycle de Doha. Reconnaître cette multifonctionnalité de l'agriculture revient à lui assigner des fonctions non commerciales. Cette thèse se penche sur le droit de l'OMC pour voir s'il prend en compte le particularisme de l'agriculture. La première partie est consacrée au GATT de 1947. Elle montre que le GATT ne distinguait pas les produits agricoles des produits industriels. La seconde partie est consacrée à l'Accord sur l'agriculture de 1995 qui reconnaît à l'agriculture des fonctions non marchandes. Cette reconnaissance n'a pas de portée juridique réelle. La troisième partie est consacrée au Cycle de Doha. L'enjeu de ce Cycle réside dans la traduction de la multifonctionnalité en normes juridiques. Nonobstant les diverses propositions, l'issue de ces négocations est incertaine. Faute de réserver à la multifonctionnalité un traitement adéquat, l'OMC sera fragilisée et on assistera à une montée du bilatéralisme.

ZOURE, Théophane. Le régime juridique du commerce des produits agricoles dans le droit de L'OMC. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2011, no. D. 826

URN : urn:nbn:ch:unige-149923

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:14992

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14992

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Le régime juridique du commerce des produits agricoles dans le droit de L'OMC

Monsieur Théophane Noël ZOURE Thèse de Doctorat

Sous la direction du Professeur Gabrielle MARCEAU

(Références à jour au 1er janvier 2010)

Faculté de droit de l’Université de Genève

Imprimatur No 826

(3)

« Demain, celui qui gouvernera le monde est celui qui pourra donner à manger aux autres. »

Abbé Isidore OUÉDRAOGO Secrétaire Exécutif National OCADES BURKINA FASO

(4)

3  REMERCIEMENTS

Je souhaiterais par ces lignes exprimer toute ma reconnaissance au Prof. Gabrielle MARCEAU qui a assuré la Direction de cette Thèse et qui m’a permis de mener à bien ce travail de recherche.

Je remercie le Prof. Laurence BOISSON DE CHAZOURNES pour son encadrement et ses précieux conseils.

Ma gratitude va également à Madame DABAKYO Victorine, Conseillère d’Intendance Universitaire, pour sa relecture attentive ainsi que ses critiques porteuses d’améliorations.

(5)

4  Liste des Principales abréviations

AACU ou AsA : Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay ACP (pays) : Pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

Al. : Alinéa

Art. : Article

Accord SMC : Accord sur les subventions et les mesures compensatoires AsA ou URAA : Accord sur l’agriculture

CAOC : Considérations autres que d’odre commercial CCD : Conseil de Coopération Douanière

CE ou CEE : Communautés Européennes

CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest CITI : Classification Internationale par Type d'Industrie

Doc. : Document

Et al. : Et autres

FAO : Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture GATT : General Agreement on Tariffs and Trade

MGS : Mesure Globale de Soutien

MSS : Mécanisme de sauvegarde spéciale pour l’agriculture

OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques OCMB : Organisation Commune du Marché de la Banane

OMC : Organisation Mondiale du Commerce

ONIC : Office National Interprofessionnel des Céréales (de France) ONU : Organisation des Nations Unies

Op. cit. : Opere citato (Déjà cité)

ORD : Organe de Règlement des Différends de l’OMC

P ou PP : Page (s)

PAC : Politique Agricole Commune des Communautés Européennes PDD : Programme de Doha pour le Développement

PMA : Pays les Moins Avancés

PED : Pays en développement

RDUE : Revue du droit de l’Union européenne

TSD : Traitement spécial et différiencié pour les PED S ou SS : Suivant (es)

SGS : Clause de sauvegarde spéciale pour l’agriculture

SGEDE : Le soutien interne global ayant des effets de distorsion des échanges SMC : Accord sur les Subventions et les Mesures Compensatoires

Supra : Ci-dessus

UE : Union européenne

UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine

 

(6)

Sommaire

 

Introduction... 7

  Titre 1Le statut de l’agriculture : Du GATT de 1947 à l’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay ...17

  Chapitre 1Le traitement juridique de l’agriculture dans le GATT de 1947 ...20

Section 1 : De l’application à l’agriculture des principes du GATT ...20

§1 : De la lutte contre le protectionnisme... 21

§2 : Les exceptions à l’article XI:1 du GATT de 1947 ... 27

Section 2 : Vers la spécialisation de l’agriculture dans le GATT de 1947...40

§1 : L’autorisation des subventions agricoles dans le GATT... 40

§2 : Le débat jurisprudentiel sur le critère de la « part équitable du marché » ... 45

Chapitre 2 Le traitement jurisprudentiel de l’agriculture dans le GATT de 1947 : le cas de l’Affaire Banane I ...49

Section 1 : De la genèse de l’affaire banane I ...50

§1 : Le régime européen de la banane... 50

§2 : Les acteurs du conflit et leurs positions ... 55

Section 2 : La confirmation jurisprudentielle de l’application à l’agriculture des règles du GATT de 1947...63

§1 : Le traitement des contingents tarifaires... 63

§2 : De l’application à l’agriculture de la clause NPF ... 68

  Titre 2 Le cadre institutionnel et juridique de l’agriculture dans le GATT/OMC ...71

  Chapitre 1Les règles du Cycle d’Uruguay sur l’accès aux marchés...74

Section préliminaire : De la nécessité et de la place de l’Accord sur l’agriculture dans le système juridique de l’OMC...75

§1 : Présentation de l’Accord sur l’agriculture ... 75

§2 : La surveillance de l’Accord sur l’agriculture ... 78

Section 1 : Les règles d’accès aux marchés agricoles...79

§1 : La tarification des mesures non tarifaires et la consolidation des droits ... 80

§2 : Les engagements de consolidation et de réduction des droits de douane... 86

Section 2 : La consécration de la spécificité de l’agriculture dans le système OMC...91

§1 : L’institution d’un système de protection conditionnelle pour l’agriculture ... 91

§2 : Les contingents tarifaires de l’Accord sur l’agriculture ... 96

§3 : Régime juridique des produits agricoles : bilan des nouvelles règles d’accès aux marchés... 102 

  Chapitre 2 La règlementation des subventions dans le droit de l’OMC ... 105

Section 1 : L’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires... 106

§1 : Règles de base et définition ... 106

§2 : Les mesures compensatoires ... 117

Section 2 : Les règles sur les subventions de l’Accord sur l’agriculture... 125

§1 : Le démantèlement progressif du soutien interne... 126

§2 : La règlementation des subventions à l’exportation ... 134  

(7)

Chapitre 3 De la mise en œuvre de l’Accord sur l’agriculture ... 142

Section 1 : Les rapports entre l’Accord sur l’agriculture, le GATT et l’Accord SMC ... 142

§1 : Les rapports entre l’Accord sur l’agriculture et le GATT 1994 ... 143

§2 : Les immunités temporaires contre les actions au titre du GATT et de l’Accord SMC... 148

Section 2 : De l’appréciation du nouveau régime juridique de l’agriculture : bilan de la mise en œuvre de l’Accord sur l’agriculture ... 152

§1 : Donner à l’agriculture un statut moins spécifique ... 152

§2 : Bilan de la mise en œuvre de l’Accor sur l’agriculture ...154

  Titre 3 L’avenir de l’agriculture : les négociations du Cycle de Doha ... 158

  Chapitre 1 L’agriculture, un secteur particulier à l’OMC ... 160

Section 1 : Le concept de la multifonctionnalité de l’agriculture : éléments de définition ... 160

§1 : Les fonctions non commerciales de l’agriculture... 161

§2 : De la justification de l’intervention publique par la multifonctionnalité... 163

Section 2 : Les implications juridiques du concept de multifonctionnalité dans le GATT/OMC... 172

§1 : Le droit du GATT/OMC tient-il compte de la Multifonctionnalité de l’agriculture ?... 172

§2 : Des modalités possibles de l’intervention publique ... 182

  Chapitre 2 Le Programme de réforme de l’agriculture ... 206

Section 1 : Le processus de réforme de l’agriculture ... 206

§1 : Les fondements juridiques de la réforme agricole ... 207

§2 : Les principaux acteurs du Cycle de Doha et aperçu de leurs positions... 227

Section 2 : Impact de la multifonctionnalité sur les résultats du Cycle de Doha en matière agricole ... 243

§1 : Le nouveau régime de l’agriculture issu des négociations du Cycle de Doha... 244

§2 : Le traitement spécial et différencié pour les PED... 262

  Conclusion... 267

BIBLIOGRAPHIE ... 275

(8)

Introduction

__________________________________________________________________________________

(9)

8  L'histoire des relations économiques internationales reste marquée par la crise de 1930 dont le crash boursier du jeudi 24 octobre reste le plus grand symbole. Mais dès 1925 déjà, certains signes précurseurs laissaient envisager cette crise. Bien que toutes les analyses se focalisent sur les éléments monétaires et financiers de la crise, l'agriculture reste cependant le domaine par lequel la crise a commencé. En effet, en 1925, la mécanisation de plus en plus forte de l'agriculture a entraîné une surproduction. Les paysans américains, incapables d'écouler leurs stocks, ont vu leurs salaires baisser et ont quitté les champs pour la ville. Après la crise de 1930, et après la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale, les différents gouvernements ont opté pour une politique agricole plus protectrice des agriculteurs. Dans la plupart des cas, ce sont des politiques interventionnistes et protectionnistes qui ont été appliquées1. La production agricole a alors repris et les surplus ont saturé le marché mondial, entraînant de ce fait une baisse des prix.

Dans cette situation, l'agriculture ne pouvait plus échapper à toute réglementation internationale. La question était délicate du fait de la liberté totale dont les états ont bénéficié pendant longtemps. Elle était difficile du fait aussi de la grande influence des lobbys agricoles sur les politiques gouvernementales. L'agriculture est donc devenue au fil des ans une des composantes importantes du commerce international des marchandises et représentait 10 % du commerce mondial en 19952. Dans cette ambiance générale, « s'attaquer à l'agriculture dans l'enceinte du GATT revenait donc à s'immiscer dans la souveraineté nationale »3. Mais vu l'importance de la question, le GATT ne pouvait l’ignorer et un tel secteur ne pouvait plus être exclu du système commercial international.

C'est pourquoi «le GATT de 1947 appréhenda initialement l’agriculture, sans doute avec quelques spécificités, pour s'en désintéresser progressivement au cours des ans »4. Traiter des produits agricoles n'était pas une mission facile et les quelques progrès faits par le GATT de 1947 furent plus ou moins anéantis, particulièrement par le waiver de 19555. Deux dispositions ont été consacrées l'une à la question des restrictions quantitatives, et l'autre à celle des subventions à l'exportation.

La question des restrictions quantitatives : l'article XI du GATT

Il y a restrictions quantitatives lorsqu'un État met en œuvre certains moyens6 dont la finalité est de limiter les volumes à l'exportation ou à l'importation. De telles restrictions quantitatives ont un effet néfaste sur le commerce international et sont par conséquent interdites par le GATT7. Cette       

1 BOUCHEZ (D.), « L’agriculture », in DAILLIER (P.), DE LA PRADELLE (G.) et GHERARI (H.) (Sous dir.), Droit international économique, 1ère édition, Paris, éd. Pedone 2004, p. 475.

2 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), Droit international économique, 1ère édition, Paris, Dalloz 2003, p.129.

3 BOUCHEZ (D.), op. cit., p. 475.

4 Ibid., p. 128.

5 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op. cit., p. 132 ; BOUCHEZ (D.), op. cit., p. 475.

6 Il peut s'agir de contingents, de licences à l'exportation ou à l'importation ou de tout autre procédé dont la finalité est de restreindre le commerce des produits agricoles.

7 Art. XI:1 du GATT.

(10)

9  interdiction de principe n'est pas catégorique. Au regard du contexte de l'époque, trois exceptions ont été introduites pour tenir compte de la spécificité de l'agriculture au lendemain du deuxième conflit mondial. Ainsi bien qu'étant interdites, «un État est fondé à recourir à des restrictions quantitatives sur les exportations des produits agricoles dans une situation critique de pénurie »8. En clair, un État peut, dans une telle situation, interdire la vente de ses produits agricoles à l'étranger.

Par contre, un État ne pourra recourir à des restrictions quantitatives que si de telles mesures sont

«nécessaires pour l'application de normes ou de réglementation concernant la classification, le contrôle de la qualité ou la commercialisation de produits destinés au commerce international »9. Les restrictions quantitatives sont enfin permises si elles sont nécessaires à l'application de mesures gouvernementales ayant un but précis10. La permissivité des restrictions quantitatives ne devait pas avoir pour effet d'ériger ces exceptions en règle de principe. Il était donc nécessaire de garder un contrôle strict de leur application. À ce sujet, les panels ont joué un rôle important en précisant notamment les conditions requises pour l'application de l'article XI11.

La question des subventions dans le GATT

La place et le rôle des pouvoirs publics dans la vie économique sont fonction de l'idéologie en cours dans l'Etat. Si les années 1820-1914 ont marqué l'apogée du libéralisme économique, traduit par la célèbre maxime "laissez faire, laissez passer"12 de Vincent DE GOURNAY, confinant l'Etat dans le rôle "d'Etat gendarme", la crise de 1930, la deuxième guerre mondiale et la reconstruction vont redonner à l'Etat un rôle central dans la vie économique. L'intervention de l'Etat provoque alors trente années de croissance économique, période dite des "trente glorieuses", et l'on pense avoir trouvé ainsi le remède aux éventuelles crises économiques. Au même moment, se développe la théorie de l'Etat providence et «les idées de Keynes formulées dans les années trente et faisant la promotion d'un Etat subvenant aux besoins de la population dans les secteurs où le marché semble incapable de le faire, ont […] la faveur des dirigeants de plusieurs pays capitalistes au sortir de la deuxième guerre mondiale»13. La place de l'Etat se renforce considérablement jusqu'aux années 70 qui constituent l'âge d'or de l'interventionnisme étatique.

Le modèle keynésien de l'Etat ne résistera pas à la montée des thèses monétaristes et de la Nouvelle Macro-économique Classique dans la décennie 70-80 et depuis les années 90, «il semble au       

8 Art. XI:2 (a) du GATT. Voir également CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op. cit., p. 129.

9 Art. XI:2 (b) du GATT.

10 Art. XI :2 (c) du GATT.

11 Voir l’affaire Canada-Restrictions à l'importation de crème glacée et de yoghourt, 1989, IBDD S36/71. Voir également BOUCHEZ (D.), op. cit., p. 476.

12 Cette formule résume les idées des économistes physiocrates et des économistes adeptes de la théorie des droits naturels qui dénoncèrent l'interventionnisme économique de l'Etat au XVIIIe siècle. Voir à ce propos, «Le libéralisme économique, années 1820-1914, l'âge d'or du libéralisme économique» in www.histoiredeFrance.fr

13«Les courants de pensées : Keynes et l'Etat providence », in www.cvm.qc.ca/pitlamon/module24.htm

(11)

10  contraire que l'on assiste à un certain reflux des analyses et politiques d'inspiration libérale […]»14. Il s'agit alors d'une «remise en cause du dirigisme économique qui s'explique par la mondialisation qui rend plus difficile l'action des autorités économiques, et par la victoire des idées libérales […]»15. L'époque semble révolue où les dirigeants politiques prenaient toutes les décisions en matière économique. Mais il ne faut surtout pas s'y méprendre, l'Etat n'a pas totalement abandonné l'économie entre les mains des seuls individus, des seuls acteurs privés. Son contrôle n'a pas disparu ; il a connu des mutations, des changements aussi bien de nature que d'échelle.

Les instruments d'intervention de l'Etat sont nombreux et diversifiés. Dans le secteur économique, la distribution des finances reste un des instruments d'action les plus utilisés par l'Etat dans la mesure où, entre autres choses, l'Etat «détermine les flux de dépenses en faveur de groupes, de catégories, de couches sociales, en stimulant certaines activités et en ayant sur les autres un moyen de dissuasion»16. La stimulation de certaines activités par la distribution d'aides étatiques, plus couramment appelées subventions, peut poser des problèmes dans la mesure où l'aide accordée à un secteur d’activités peut avoir des répercussions sur d'autres secteurs nationaux ou internationaux.

Les Etats en sont conscients et tentent, de façon timide parfois, de minimiser les "externalités négatives" qu'engendrent leurs subventions. Marc BENITAH définit cette externalité négative comme

«a practice having adverse effects on third parties without their assent »17. Très tôt, en effet, «les Etats se sont donnés les moyens dans leur ordre interne de lutter contre les effets défavorables pour leurs producteurs des aides publiques accordées à leurs concurrents étrangers»18. C'est ainsi que dès 1897, les Etats-Unis vont adopter leur première loi "anti-subventions", la countervailing duty law. Du fait de l'intéressement d'autres Etats au problème, il ne fait pas de doute que la question ne peut pas être résolue dans le seul cadre national. À ce sujet, certains regroupements d'Etats ont déjà traité de la question. C'est le cas des Communautés Européennes qui, dans le Traité de la Communauté Européenne, ont posé le principe selon lequel, «sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions»19. Le Professeur Michel BAZEX voit en cette disposition la base de ce qu'il appelle la

« discipline communautaire des aides d'ETAT »20.

      

14 BAUBY (P.) et al., L'Etat et le marché, Paris, Eonomica, 1994, p. 7.

15 «Peut-on encore contrôler l'économie nationale?», in www.chez.com/econline

16CASSESE (S.), «Les finances comme moyen d'action des pouvoirs publics », in CHEVALLIER (J.) et al., L'Etat propulsif. Contribution à l'étude des instruments d'action de l'Etat, Paris, Ed. Publisud, 1991. pp 155-164.

17 BENITAH (M.), The law of subsidies under the GATT/WTO system, Ed. KLI, 2001, p. 7.

18 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.),op. cit., p.200.

19Art. 87 §1 TCE ; voir également, THOUVENIN (J.-M.) (sous dir.), Droit international et communautaire des subventions. Le cas de l'aéronautique, Paris, PUF, 2001, p. 1.

20 Idem.

(12)

11  Le problème des subventions n'est pas posé uniquement en Europe. Il est, on peut le dire, unanimement posé à l’échelle mondiale. L'octroi des subventions dans la période de l'après deuxième guerre mondiale est la deuxième phase d'une politique protectionniste plus vaste dont les origines remontent au lendemain de la crise de 1930. En effet, après avoir protégé le secteur agricole par diverses mesures, notamment les restrictions quantitatives, les Etats devaient désormais permettre à leurs agriculteurs d'exporter leurs productions21.

Sur cette question, la différence entre les produits industriels et les produits agricoles est évidente. En effet, alors que le GATT de 1947 était plutôt sévère quant aux subventions allouées au titre des premiers, il était plus libéral s'agissant des seconds. Ainsi, s'agissant des produits agricoles, les Etats peuvent accorder des subventions à leurs producteurs nationaux à la condition que ces subventions ne leur permettent pas de détenir « plus qu'une part équitable» du marché d'exportation pour le produit concerné22. L'expression « part équitable du marché» est essentielle dans la disposition du GATT consacrée à la question. Il est toutefois déplorable qu'elle n'ait reçu aucune définition, toute chose qui a rajouté aux difficultés que les différents panels ont rencontrées.

Il est permis, au regard de l’évolution du secteur agricole, de soutenir que les États-Unis ont été de ceux qui ont bouté l’agriculture hors GATT. En effet, l’analyse du contexte des politiques agricoles de l’après guerre (1947) révèle, sans surprise aucune, que les Etats-Unis étaient le principal exportateur de produits agricoles de cette période. Fort de cette suprématie, ils ont œuvré à ce que l’agriculture reste un secteur soumis à un « traitement spécial », et ont obtenu de ce fait que ce traitement spécial soit taillé sur mesure pour leur Agricultural Adjustement Act. Dans cette logique, le Congrès américain déclarait en 1951 dans la section 22 de l’Agricultural Adjustement Act qu’«aucun accord commercial ne pouvait être appliqué d’une manière qui soit incompatible avec la présente section ». Aucun Etat ne put donner la réplique aux États-Unis, pas même la Communauté Européenne qui n’existait pratiquement pas. Aussi, sous la menace de quitter le GATT, ils obtinrent en 1955 une dérogation temporaire qui resta finalement en vigueur pendant 40 ans.

Les trois exceptions que sont les restrictions quantitatives, les subventions et l’exception américaines, ont maintenu l’agriculture hors du GATT. La dernière a particulièrement créé une discrimination au profit des États-Unis et a été une source de mécontentement pour les autres pays.

Fondamentalement, ces exceptions ont permis aux Etats de subventionner leurs agricultures, d’assurer une protection à la frontière et d’exporter leurs excédents de production. Comme il fallait s’y attendre, ces politiques contribuèrent à créer un « désordre »23 sur les marchés agricoles mondiaux, désordre caractérisé par une généralisation des distorsions des marchés mondiaux. Cette situation a eu pour conséquence de multiplier les litiges commerciaux et l’on note qu’entre 1980 et       

21 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op. cit., p. 130.

22 Art. XVI : 3 du GATT. Voir également CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op. cit., p. 130.

23 D. Gale JOHNSON (1973).

(13)

12  1990, 60 pour cent des litiges soumis à l’organe de règlement du GATT concernait l’agriculture. Au regard de ceci, il était devenu indispensable de donner à l’agriculture un régime juridique plus clair, et de lui donner un statut qui soit plus en conformité avec le nouveau contexte des relations économiques internationales. C'est ce pas qui a été franchi avec la Déclaration Del Este (Uruguay) du 20 septembre 1986 qui annonçait que :

« les négociations auront pour objectifs :

i) d'assurer une libéralisation accrue et une expansion du commerce mondial au bénéfice de tous les pays, en particulier des parties contractantes peu développées, et notamment une amélioration de l'accès aux marchés par la réduction et la suppression des droits de douane, des restrictions quantitatives et autres mesures et obstacles non tarifaires […] »24. »

L’ambition est grande ! Mais face à la montée du protectionnisme et à l’érosion du cadre libre- échangiste25 posé par l’Accord Général, les PARTIES CONTRACTANTES se devait de réaffirmer la philosophie économique du GATT. Dans cette veine – et pour que la profession de foi si bien clamée ne soit pas suspectée – les PARTIES CONTRACTANTES s’empressèrent d’inclure l’agriculture – secteur combien sensible – dans les thèmes de négociation. En effet, « [Elles] conviennent qu'il faut d'urgence renforcer la discipline et améliorer la prévisibilité dans les échanges mondiaux de produits agricoles en corrigeant et en prévenant les restrictions et les distorsions, y compris celles qui sont liées aux excédents structurels, de façon à réduire l'incertitude, les déséquilibres et l'instabilité qui règnent sur les marchés agricoles mondiaux.

Les négociations viseront à libéraliser davantage le commerce des produits agricoles et à assujettir toutes les mesures touchant l'accès à l'importation et la concurrence à l'exportation, à des règles et disciplines du GATT renforcées et rendues plus efficaces dans la pratique, en tenant compte des principes généraux régissant les négociations:

i) par l'amélioration de l'accès aux marchés, au moyen notamment de la réduction des obstacles aux importations ;

ii) par l'amélioration de l'environnement compétitif grâce à un accroissement de la discipline concernant l'utilisation de toutes les subventions directes et indirectes ainsi que des autres mesures touchant directement ou indirectement le commerce des produits agricoles, en incluant la réduction progressive de leurs effets négatifs et en s'occupant de leurs causes ;

      

24 Extrait de la Déclaration de Punta Del Este du 20 septembre 1986.

25 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op. cit., p. 101.

(14)

13  iii) par la réduction au minimum des effets défavorables que les réglementations et obstacles sanitaires et phytosanitaires peuvent avoir sur le commerce des produits agricoles, en tenant compte des accords internationaux applicables en l'espèce ».

Cette déclaration marque du même coup le début du processus de libéralisation du commerce des produits agricoles. Le contexte général défavorable de l’époque pouvait laisser croire que cette libéralisation annoncée du commerce des produits agricoles allait faire l’effet d’un pétard mouillé. L’affirmation n’est point exagérée. L’accord sur l’agriculture issu du Cycle d’Uruguay – on le verra – n’aura finalement réussi qu’à déblayer le terrain et n’est en réalité que la première phase de la libéralisation du commerce des produits agricoles dans l’Organisation Mondiale du Commerce (ci-après OMC).

La philosophie économique défendue par le GATT hier et l’OMC aujourd’hui tire ses racines du processus d’édification de l’ordre économique néolibéral de l’après-guerre. Son principe de base, pour le présenter dans sa plus simple expression, consiste dans la proclamation de la liberté du commerce. Le but de ce principe est, par la participation au commerce international du plus grand nombre d’États, de bannir les obstacles aux échanges. L’explication de cette démarche est donnée par CARREAU et JUILLARD qui soutiennent que « l’idée centrale demeure une division internationale du travail réalisée par le libre jeu des forces du marché en fonction de la loi de l’avantage comparé »26. Faut-il comprendre par là l’expression d’une nostalgie de l’époque du "laissez faire, laissez passer" ? L’on peut en douter. Il est vrai que l’écroulement d’une part du système socialiste, et d’autre part l’adhésion démesurée des pays en développement au libéralisme a consacré le triomphe de ce modèle économique. Maintenant que toute alternative à ce modèle d’organisation économique semble à ce jour illusoire, il importe tout de même de s’interroger sur certains de ses aspects. Faut-il que l’État se garde de toute intervention dans le commerce des produits agricoles ? Autrement dit, faut-il libéraliser le commerce des produits agricoles ? Dans l’affirmative, comment réaliser cette libéralisation ? Les émeutes de la faim survenues en mars 2008 dans certains pays africains27 nous rappellent que ces questions sont encore actuelles et doivent recevoir un traitement rapide et adéquat.

Commerce agricole, la pauvreté et la sécurité alimentaire

L’agriculture est devenue un sujet important et délicat dans le système commercial multilatéral et les négociations qui lui sont consacrées sont sources d’énormes tensions qui sont dues au fait que l’agriculture est un secteur sensible ayant des liens avec d’autres questions sensibles, notamment la pauvreté et la sécurité alimentaire. Sur le sujet, deux courants s’opposent.

      

26 CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), op. cit., p. 36.

27 Burkina Faso, Caméroun, Côte d’Ivoire.

(15)

14  Le premier courant soutient qu’une libéralisation du commerce des produits agricoles permettrait de lutter contre la pauvreté et d’assurer la sécurité alimentaire. Il affirme que cette libéralisation est « la voie optimale pour maximiser les gains tant en termes d’efficacité que de bien-être dans les secteurs ruraux, ce qui accroîtra le niveau de vie de tous »28. Abondant dans ce sens, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) « conclut que la libéralisation multilatérale du commerce offre de nouvelles perspectives aux plus démunis et à ceux qui sont en situation d'insécurité alimentaire, grâce à son action catalytique en faveur du changement et en favorisant des conditions permettant aux victimes de l'insécurité alimentaire d'améliorer leurs revenus et de vivre une existence plus longue, plus saine et plus productive »29. Dans la pratique, les politiques agricoles telles qu’envisagées au cours des négociations du Cycle d’Uruguay ont opté – malgré les résistances de la société civile – pour une libéralisation du commerce agricole. Elles consistent notamment « à réduire le rôle de l’Etat sur les marchés agricoles, en supprimant par exemple le soutien étatique au secteur agricole et en réduisant les barrières au commerce international des produits agricoles »30. L’argument était qu’une libéralisation accrue des échanges aurait eu un impact décisif sur la croissance économique, sur la création des emplois, donc une forte augmentation du pouvoir d’achat des populations31.

Le second courant, tout en reconnaissant que le commerce peut contribuer à assurer la disponibilité des denrées alimentaires, souligne les limites de cette libéralisation. Ainsi, l’on peut penser qu’en cas de crise alimentaire grave, les pays producteurs opteront, au mépris de tous les accords de l’OMC, d’interdire l’exportation des produits agricoles, et cela, au bénéfice premier de leurs propres populations. Il est vrai que l’exportation des produits locaux subséquente à la libéralisation peut ouvrir de nouveaux marchés et créer des emplois. Mais il faut reconnaître que les éventuels bénéfices générés ne profiteront qu’à une minorité, notamment les grands producteurs agricoles.

Dans un tel contexte, soutenir qu’une large libéralisation du commerce agricole entraînera ipso facto une réduction de la pauvreté est une erreur de jugement qu’il n’est pas permis de commettre, tant l’enjeu est immense pour les populations des Pays en développement (ci-après PED). C’est par ailleurs, nous semble-t-il, une mauvaise appréciation des données de base, car cette approche perd de vue que « beaucoup de ces personnes travaillent dans des petites exploitations et pratiquent l’agriculture de subsistance et la grande majorité d’entre elles produisent des denrées destinées à la consommation locale »32 ; pour reprendre les propos de l’Abbé Isidore OUEDRAOGO, « celui qui       

28Instutute for Agriculture Trade Policy (IATP), « Implanter les droits humains.Envisager le commerce agricole et l’OMC du point de vue des droits humains », Note d’information n°1, Collection THREAD, mars 2005, p.2.

29 FAO, La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2005, FAO, Rome 2005, p.6.

30 IATP, op. cit., p.2.

31 STANTON (G.), « L’Agriculture, le commerce et la sécurité alimentaire. Questions et alternatives concernant les négociations de l’OMC dans la perspective des pays en développement », in FAO, Rapport et documents de Colloque, Vol. I, Genève, 23-24 septembre 1999, p.2.

32 IATP, op. cit., p. 1.

(16)

15  gouvernera le monde est celui qui pourra donner à manger aux autres »33. Ce courant soutient également qu’il est important que le principe de souveraineté alimentaire des peuples soit reconnu et que soit reconnu aux États, le droit pour ceux qui le souhaitent, de pouvoir protéger leur agriculture et de ne s’ouvrir au commerce international qu’au rythme qu’ils auront eux-mêmes choisi. Dans la même veine, il est de plus en plus admis qu’un certain niveau d’autosuffisance est nécessaire34 et que les PED devraient « être autorisés à fixer des objectifs d’autosuffisance raisonnable afin de préserver le niveau de l’emploi dans le secteur agricole […] »35.

L’essentiel à ce jour est de concilier ces deux courants en construisant du mieux possible « le régime juridique du commerce des produits agricoles dans le droit de l’OMC ». Deux principales raisons ont justifié le choix de ce sujet :

− enjeux économiques et sociaux du commerce agricole d’abord : s’il est vrai que pour les pays développés, l’agriculture a perdu son poids économique de l’époque, surplacée notamment par le secteur des services, pour les PED cependant, l’activité agricole occupe encore une place fondamentale dans leur système économique. Étant ressortissant d’un PMA Membre de l’OMC où le secteur agricole emploie la majorité de la population et joue un rôle important dans la sécurité alimentaire, il était important de voir comment le commerce des produits agricoles est reglementé par le droit de l’OMC et quelle marge de manœuvre le système multilatéral donne aux Membres de l’OMC dans la poursuite de leurs politiques agricoles natinoales.

− un intérêt scientifique ensuite : il s’agit de voir quelle est la capacité du système multilatéral à appréhender, à traduire en normes juridiques et à intégrer dans le système normatif de l’OMC la multifonctionnalité, concept plus éthique que juridique et aussi complexe.

Ces centres d’intérêt nous ont suggéré une interrogation : Quel est donc le régime juridique du commerce des produits agricoles dans le droit de l’OMC ? Cette interrogation, nous semble-t-il, pose la problématique suivante : le droit du GATT/OMC reconnaît-il l’agriculture comme un secteur particulier à soumettre à des règles autres que celles des produits industriels ? Autrement dit, est-ce que le maïs, le blé, le lait, le mil d’une part, et les voitures, les chaussures et les ordinateurs d’autre part, peuvent être soumis au même régime juridique ?

Deux objectifs majeurs ont guidé nos travaux de recherche :

− il s’est agi pour nous d’apporter une contribution au débat sur le traitement juridique qu’il convient de faire du secteur agricole dans le droit positif de l’OMC, et notamment la nécessité qu’il y a à prendre en compte les considérations autres que d’ordre commercial ;       

33OUEDRAOGO I. (Ab), Secrétaire Exécutif National de l’OCADES (Burkina Faso), in Sidwaya n°6187 du 03 juin 2008, www.sidwaya.bf.

34 Prof. Kirit S. Parikh, op. cit.

35 Ibid.

(17)

16 

− il s’est agi également pour nous de dire que l’agriculture est un secteur particulier, et l’évaluation des règles actuelles montre que ce particularisme n’est pas suffisamment pris en compte dans le droit positif de l’OMC.

Au-delà des deux objectifs, la thèse que nous allons défendre dans ce travail de recherche est de dire que l’agriculture est un secteur particulier, et que la multifonctionnalité de l’agriculture est désormais un élément à prendre en compte dans la révision de l’AsA. Nous reconnaissons que les règles actuelles de l’Accord sur l’agriculture contiennent quelques dispositions qui traitent de la multifonctionnalité de l’agriculture. Cette prise en compte de la multifonctionnalité n’est malheureusement pas suffisante. Nous soutenons par conséquent que les nouvelles règles qui seront adoptées à l’issue du Cycle de Doha devraient reconnaître la multifonctionnalité de l’agriculture de façon non équivoque. Cette reconnaissance devrait se traduire en des règles de droit donnant plus de flexibilité aux Membres (et particulièrement aux PED et PMA) dans la conduite de leurs politiques agricoles nationales.

Pour défendre cette position, nous analyserons d’abord le GATT de 1947 pour montrer que l’Accord général ne reconnaît pas à l’agriculture un caractère particulier (Titre 1). Nous verrons ensuite que l’Accord sur l’agriculture reconnaît à l’agriculture des fonctions non marchandes, mais cette reconnaissance n’a pas de portée juridique réelle (Titre 2). Nous nous attèlerons enfin à justifier le caractère particulier de l’agriculture qui devrait être pris en compte par les négociations du Cycle de Doha. À défaut d’un nouvel Accord sur l’agriculture, nous étudierons les grandes lignes des Modalités. Des suggestions seront faites pour une meilleure prise en compte de la multifonctionnalité de l’agriculture (Titre 3).

(18)

17 

Titre 1

________________________________________________________

Le statut de l’agriculture :

Du GATT de 1947 à l’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay

(19)

18  L’agriculture est un secteur sensible et son statut dans le GATT/OMC qui a été beaucoup discuté dans le système commercial multilatéral. Sous le GATT de 1947 déjà, la question s’est posée de savoir si ce secteur relevait du champ d’application de l’Accord général. La question méritait d’être discutée, en raison notamment des différentes politiques agricoles des Parties Contractantes qui contribuèrent à créer un « désordre36 » sur les marchés agricoles mondiaux, ce désordre étant caractérisé par une généralisation des distorsions des marchés mondiaux.

En effet, dans la période d’après-guerre, les Parties Contractantes ont, la plupart du temps, adopté des politiques agricoles interventionnistes et protectionnistes qui ont eu de graves conséquences sur les marchés mondiaux37. Ces politiques agricoles ont rendu difficile le contexte international. En particulier, elles ont contribué à lancer une guerre commerciale entre les États-Unis et l’Europe.

C’est pourquoi, « depuis les années 60, aussi bien les États-Unis que la Communauté européenne se sont lancés dans une course aux subventions à l’exportation, afin d’écouler leurs excédents »38. Entre autres conséquences, cet affrontement États-Unis-Europe a laissé pour compte beaucoup de pays qui n’ont pas pu assurer des débouchés satisfaisants à leurs productions agricoles39. Ces pays ont commencé à critiquer cette situation, provoquant le débat sur le statut de l’agriculture dans le GATT de 1947.

Signé le 30 octobre 1947 et entré en vigueur le 1er janvier 1948, l’Accord général (GATT) réglementait le commerce des marchandises40, exception faite des marchandises invisibles41 ou services. Il couvrait aussi bien les produits industriels que les produits agricoles, même si, à l’égard de ces derniers, quelques exceptions42 ont été prévues. En réalité, « le GATT de 1947 appréhenda initialement l’agriculture, sans doute avec quelques spécificités, pour s'en désintéresser progressivement au cours des ans »43. Il convient toutefois de préciser que ce désintéressement était surtout politique, puisque rien dans la lettre du GATT n’exclut l’agriculture de son champ d’application.

      

36 D. Gale JOHNSON (1973).

37 BOUCHEZ (D.), « L’agriculture », in DAILLIER (P.), DE LA PRADELLE (G.) et GHERARI (H.) (Sous dir.), Droit international économique, 1ère édition, Paris, éd. Pedone 2004, p. 475.

38 LUFF (D.), Le droit de l’Organisation mondiale du commerce.Analyse critique, Bruxelles, Bruylant, 2004, p.217.

39 Idem.

40 Préambule du GATT de 1947, paragraphe 2.

41 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit, p.45.

42 Articles XI et XVI du GATT ; dérogation américaine de 1955.

43 Idem, p. 128.

(20)

19  Les hésitations du GATT à soumettre l’agriculture aux mêmes règles que les produits industriels ne font pas de doute ; l’explication que l’on peut en donner n’est pas aisée pour autant. Au nombre des différentes raisons qui peuvent être avancées, la plus intéressante est celle qui soutient que

«agriculture is different and must be treated differently »44. La question se pose pourtant de savoir si le GATT de 1947 reconnaît à l’agriculture un caractère particulier au point de le traiter différemment. À ce propos, il faut noter que « le GATT ne dit pas grand-chose concernant spécifiquement l’agriculture ce qui, en théorie, signifiait que le commerce des produits agricoles devait pour l’essentiel être traité comme le commerce des autres marchandises »45.

S’agissant néanmoins de la question relative au particularisme de l’agriculture dans le GATT, nous pensons comme certains auteurs, que « les rédacteurs de l’Accord [général] étaient parfaitement conscients du statut politique particulier dont jouissait alors le secteur agricole dans les économies de l’époque »46, en témoignent les importantes exceptions prévues aux articles XI:2 et XVI:3 du GATT.

Il apparaît alors évident que le statut de l’agriculture dans le système commercial multilatéral relève d’un paradoxe47. Autant le GATT a rencontré beaucoup de succès dans le processus de libéralisation du commerce des produits industriels, autant il a eu, vis-à-vis du secteur agricole, une approche réservée. Du fait de cette approche, les marchés des produits agricoles ont connu un « désordre »48 au point qu’il était devenu nécessaire de clarifier le traitement juridique de l’agriculture dans le GATT (Chapitre 1). Dans cette entreprise, la jurisprudence devrait, comme à son habitude, préciser le traitement juridique que le GATT fait des produits agricoles (Chapitre 2).

      

44 Ricardo, cité in Dr Melaku Geboye Desta, op. cit., pp. 5-6.

45 FAO, Les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture. Manuel de référence I. Introduction et sujets généraux, Rome, 2001, in http://www.fao.org/DOCREP/003/X7352F/x7352f04.htm.

46 Idem.

47 DESTA (M. G.), The law of international trade in agricultural products. From GATT 1947 to the WTO Agreement on Agriculture, London, KLI, 2002, p.6.

48 JOHNSON (1973), cité in FAO (2001).

(21)

20 

Chapitre 1

________________________________________________________

Le traitement juridique de l’agriculture dans le GATT de 1947

Discuter du traitement de l’agriculture dans le GATT peut, a priori, surprendre parce que rien dans l’Accord général de 1947 ne permet de penser que ce secteur était soumis à un régime juridique différent de celui des produits industriels.

Il est important de rappeler, d’entrée de jeu, les objectifs que les rédacteurs de l’Accord général lui ont assignés : il se devait, entre autres, de poursuivre le « relèvement du niveau de vie [des populations des Parties contractantes], la réalisation du plein emploi et d’un niveau élevé et toujours croissant du revenu réel […] ». Pour atteindre un tel objectif, le GATT s’est donné pour moyens juridiques « la conclusion d’Accords visant […] la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce et […] l’élimination des discriminations en matière de commerce international »49. Il est important de noter que l’Accord général ne fait point de distinction entre produits industriels et produits agricoles. Partant de ce constat, les principes généraux du GATT sont présumés applicables à l’agriculture (Section 1).

Au fil des ans cependant, le particularisme de l’agriculture s’est imposé de fait, d’une part, du fait de l’importance politique de ce secteur dans les Etats parties à l’Accord général, et d’autre part, et de façon intrinsèque, du fait des fonctions non commerciales de l’agriculture. Le GATT, il est vrai, ne traite pas spécifiquement de l’agriculture, mais les exceptions dont elle bénéficie peuvent, à tout le moins, être considérées comme ouvrant la marche vers une spécialisation de l’agriculture (Section 2).

Section 1 : De l’application à l’agriculture des principes du GATT

Du point de vue des dispositions légales, l’agriculture est un secteur normal dans l’Accord général, et de ce fait, « les principes fondamentaux du GATT et tous les articles qui en découlent [lui]

sont pleinement applicables […]»50. Sont donc applicables à l’agriculture les principes       

49 GATT 1947, Préambule, paragraphe 3.

50TANGERMANN (S.), « L’Accord sur l’agriculture de l’Uruguay fonctionne-t-il ? », in Economie internationale 87 (2001), p.17.

(22)

21  fondamentaux du GATT, le plus significatif en l’espèce visant à lutter contre le protectionnisme (§1).

Pour tenir compte de la spécificité de l’agriculture – même si cette spécificité n’est pas explicitement consacrée dans le GATT – l’Accord général ouvre une brèche dans la lutte contre le protectionnisme, et ce, en prévoyant une exception à son l’article XI (§2).

§1 : De la lutte contre le protectionnisme

L’objectif du GATT de 1947 ainsi qu’il est annoncé dans son préambule consistait à élaborer des règles permettant d’asseoir la transparence et de lutter contre le protectionnisme. Cet objectif de transparence ne pouvait être atteinte que si le principe de la protection douanière exclusive était bien accepté des Parties Contractantes (A), et si, par ailleurs, les obstacles au commerce – notamment les restrictions quantitatives – étaient progressivement réduits (B).

A – Le principe de la protection douanière exclusive

La protection des marchés intérieurs et de la production nationale a été considérée par le GATT de 1947 comme une politique commerciale légitime, avec toutefois une préférence pour le recours aux droits de douanes. Il faut se rappeler que, ab initio, l’Accord général portait essentiellement sur les droits de douane51. Pour traiter de la question, le GATT devint un cadre permanent de négociations. En effet, l’Article XXVIII du GATT de 1947 prévoyait des négociations triennales entre les « Parties contractantes principalement intéressées ». Autrement dit, le GATT admettait que les Parties contractantes puissent protéger leurs producteurs contre la concurrence étrangère. Il leur était cependant demandé de maintenir « un niveau général de concessions réciproques et mutuellement avantageuses non moins favorable pour le commerce que celui qui résultait du présent Accord avant les négociations »52.

Manifestation du principe

L’Accord général comporte un véritable statut juridique des droits de douane. Mais, contrairement à ce que l’on peut croire, le principe de la protection douanière exclusive n’est pas posé par l’Article II du GATT qui traite plutôt des concessions tarifaires. C’est l’article XI qui constitue le siège légal de ce principe, même s’il n’est exprimé que de façon négative. En effet, il dispose qu’« aucune partie contractante n'instituera ou ne maintiendra à l'importation d'un produit originaire du territoire d'une autre partie contractante, à l'exportation ou à la vente pour l'exportation d'un produit destiné au territoire d'une autre partie contractante, de prohibitions ou de

      

51 GATT (1947), Préambule, paragraphe 3 ; Article XXVIII bis 2a.

52 Article XXVIII:2 du GATT (1947).

(23)

22  restrictions autres que des droits de douane, taxes ou autres impositions (soulignés dans le texte) que l'application en soit faite au moyen de contingents, de licences d'importation ou d'exportation ou de tout autre procédé »53. En d’autres termes, les droits de douanes sont considérés comme étant le seul moyen de protection possible dans le commerce multilatéral54. La jurisprudence a confirmé cette approche et a affirmé que l’interdiction « […] s'appliquait à toutes les mesures instituées ou maintenues par une partie contractante pour prohiber ou restreindre l'importation, l'exportation ou la vente pour l'exportation de produits, sauf si ces mesures prenaient la forme de droits de douane, taxes ou autres impositions »55.

L’explication qui peut être donnée à cette approche est d’ordre économique. Il est vrai que les droits de douanes constituent un instrument d’action économique qui fausse les coûts de production et de consommation, même si, par ailleurs, leur perception constitue pour les Etats une source importante de recettes publiques. Les droits de douane sont donc un pis-aller que le GATT a choisi de légaliser tant en raison de leur transparence qu’en raison de la nocivité mesurée de leurs effets56. Tirant les conséquences de cette licéité des droits de douane, l’Accord général allait mettre en place un système de protection des concessions tarifaires que les Parties Contractantes se sont accordées lors des différentes négociations.

Application du principe – protection des concessions tarifaires

Ces négociations consistaient, pour les participants, à se faire des offres tarifaires devant aboutir, à la fin des travaux, à des listes de concessions tarifaires annexées à l’Accord général. Au cours de ces négociations, chaque partie contractante s’engageait à « [accorder] aux autres parties contractantes, en matière commerciale, un traitement qui ne [devait pas être] moins favorable que celui qui est prévu dans la partie appropriée de la liste correspondante annexée [à l’Accord] »57. Concrètement, les droits de douanes négociés et insérés dans les listes de concessions des Parties Contractantes étaient considérés comme des droits maxima consolidés, de sorte qu’un Etat ne pouvait, pour un produit visé58, imposer des droits de douane supérieurs au maximum consolidé. Au regard de l’importance de ces concessions, elles faisaient donc l’objet d’une protection. Pouvait-on raisonnablement admettre qu’une partie contractante revienne sur les engagements par elle pris dans sa liste de concessions tarifaires ? Il convient d’y répondre par la négative. Comme va le préciser plus tard l’Organe d’appel de l’OMC, « le sens ordinaire du terme “concessions” donne à penser qu’un Membre peut amoindrir ou abandonner certains de ses propres droits et accorder des

      

53 Article XI, alinéa 1, GATT (1947).

54 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit, p.161.

55Japon-Commerce des semi-conducteurs, rapport du Groupe spécial, L/6309 BISD 35S/116, 04 mai 1988, paragraphe 104.

56 JACQUET (J.-M.) et DELEBECQUE (Ph.), Droit du commerce international, Paris, Dalloz, 3è éd., 2002, p. 44.

57 Article II, alinéa 1.a, GATT (1947).

58 Produits pour lesquels un Etat accepte de consolider ses droits de douanes.

(24)

23  avantages à d’autres Membres, mais qu’il ne peut pas unilatéralement diminuer ses propres obligations »59. Appliqué au GATT, cela revenait à dire que le GATT consacrait l’intangibilité des listes de concessions qui ne pouvaient être modifiées que par le biais de nouvelles négociations60. Ce principe participait de la sécurité juridique et de la transparence.

L’idée générale qui se dégage de cette discussion est que les listes de concessions sous le GATT étaient obligatoires et devaient être protégées dans l’intérêt de la sécurité des relations commerciales internationales. Le débat sur le caractère obligatoire des listes de concessions soulevait, de façon subséquente, celui de leur statut juridique. La liste des concessions d’un Etat constituait formellement un acte unilatéral61 qui peut se définir comme un « acte imputable à un seul sujet de droit international »62. Allant dans ce sens, nous pensons que, même si les Listes de concessions étaient des actes unilatéraux, ils étaient néanmoins pris dans le prolongement « des effets […] de l’acte conventionnel »63, en l’occurrence, le GATT. Ces listes faisaient par conséquent partie intégrante du GATT64 et avaient, du même coup, la même portée juridique obligatoire. La portée juridique obligatoire des listes des concessions tarifaires – et donc du GATT auquel elles étaient annexées – obéissait au principe qui veut que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi » 65. Cette analyse sera plus tard confirmée par l’Organe d’appel de l’OMC dans l’Affaire Communautés Européennes-Matériels informatiques, lorsqu’il a soutenu qu’« une liste devient partie intégrante du GATT […] en vertu de l’article II : 7 du GATT […]. En conséquence, les concessions reprises dans cette liste font partie des termes du traité […]»66. La question du caractère obligatoire des concessions tarifaires a donc reçu une réponse qui semble faire l’unanimité.

Le principe et son application à l’agriculture

Le principe de la protection douanière exclusive tel que discuté plus haut s’applique-t-il aux produits agricoles ? Le GATT de 1947 a-t-il entendu appréhender l’agriculture comme un secteur particulier et, partant, lui consacrer des dispositions spéciales ? L’on peut être tenté de soutenir une telle idée.

      

59 CE-Volailles, WT/DS69/AB/R, paragraphe 98, 13 juillet 1998.

60 Article XXVIII, alinéa 1, GATT (1947).

61 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit, p.91.

62 NGUYEN (Q.D.), Droit international public, 7è éd., paris, L.G.D.J., p. 359.

63 Idem, p. 363.

64 Article II alinéa 1, 2 et 7 ; article XXXIV, GATT (1947).

65 Article 26, Convention de Vienne sur le droit des Traités.

66CE-Matériels informatiques, WT/DS62/AB/R, WT/DS67/AB/R, WT/DS68/AB/R, paragraphe 84, 5 juin 1998.

(25)

24  Mais rien dans les termes de l’Accord général ne permet d’étayer une telle position. En effet, l’article II du GATT traite de « produits » sans autres précisions67. Aussi, peut-on conclure que « les dispositions du GATT relatives au traitement des importations visaient aussi les produits agricoles. En principe, le commerce des produits agricoles ne devait être réglementé que par les droits de douane proprement dits, de préférence une fois consolidés dans les Listes des pays »68. Si donc les Parties Contractantes reconnaissent à l’agriculture une importance politique considérable, cette reconnaissance, s’agissant de l’application du principe de la protection douanière exclusive, n’est pas clairement exprimée dans les dispositions du GATT avant l’entrée en vigueur de l’Accord sur l’agriculture.

B – Le principe de l’interdiction des restrictions quantitatives

Le principe de l’interdiction des restrictions quantitatives est le corollaire de celui de la protection douanière exclusive. De ce point de vue, l’interdiction des restrictions quantitatives peut s’analyser comme un renforcement du principe de la protection douanière exclusive. Il est acquis que les restrictions quantitatives69constituent à ce jour l’essentiel des mesures protectionnistes. Elles sont insidieuses, difficiles à détecter et justifient par ces caractéristiques la préférence du GATT pour les droits de douane. Les restrictions quantitatives recouvrent une multitude de réalités et, par esprit de synthèse, on peut les définir comme « toute mesure ou pratique, qu’elle qu’en soit l’origine (publique ou privée), dont l’effet (si ce n’est le but) est de freiner l’accès des produits d’origine étrangère sur un marché national donné que ce soit au stade de l’importation ou de la commercialisation »70. Cette définition permet d’appréhender les deux facettes de l’article XI, à savoir les restrictions à l’importation et les restrictions à la commercialisation.

Substance du principe

Le principe de l’interdiction des restrictions quantitatives est posé à l’article XI:1 du GATT qui dispose qu’« aucune partie contractante n'instituera ou ne maintiendra à l'importation d'un produit originaire du territoire d'une autre partie contractante, à l'exportation ou à la vente pour l'exportation d'un produit destiné au territoire d'une autre partie contractante, de prohibitions ou de restrictions autres que des droits de douane, taxes ou autres impositions, que l'application en soit faite au moyen de contingents, de licences d'importation ou d'exportation ou de tout autre procédé »71.

      

67 Article II, alinéa 1, 2 et 3, GATT (1947).

68 FAO (2001), module 4.

69 Généralement appelées « barrières non-tarifaires » par opposition aux droits de douane.

70 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit, p.165.

71 Article XI alinéa 1, GATT (1947).

(26)

25  Le principe de l’interdiction des restrictions quantitatives est exprimé de façon large de sorte qu’il laisse croire que l’interdiction couvre toutes les formes de restrictions72. Dans ce sens, les expressions « restrictions quantitatives » et « obstacles non-tarifaires » sont synonymes. L’interdiction énoncée à l’article XI ne tient compte ni de l’origine de la restriction, ni de la méthode utilisée pour la mettre en œuvre. L’article XI du GATT a une portée très large en témoigne son intitulé73. Deux principales observations peuvent être faites :

S’agissant d’abord de l’origine des restrictions, il convient de noter que l’interdiction couvre les restrictions d’origine étatique et, dans une certaine mesure, celles d’origine privée. Ainsi que l’a confirmé un Groupe spécial du GATT de 1947, les restrictions d’origine privée peuvent être assimilées à une régulation étatique lorsque l’acteur privé a fait l’objet d’une « incitation ou désincitation » publique, ou lorsque l’activité normative de l’acteur privé est orientée par « une action ou intervention » étatique74.

De façon générale, en matière de restriction quantitative, la difficulté réside dans l’expression

« mesures gouvernementales » qui n’est pas définie par l’Accord général. La question se pose alors de savoir si une mesure gouvernementale devrait être contraignante pour que l’interdiction de l’article XI:1 puisse s’appliquer. Cette question s’est posée dans l’affaire Japon-semi conducteurs. Dans cette affaire, le Japon était d’avis que seules les mesures contraignantes devaient être considérées comme des mesures gouvernementales. Il a donc soutenu que « la surveillance encourageait les entreprises japonaises à prévenir le dumping, mais seule une décision prise par ces entreprises de leur plein gré permettrait réellement d'atteindre l'objectif visé »75. Et d’ajouter que « les encouragements du gouvernement japonais n'avaient en aucune façon un caractère contraignant et aucune sanction n'était prévue pour les sociétés qui ne s'y conformeraient pas »76. Le Groupe spécial ne l’a pas suivi dans son argumentaire. Il a estimé « […] qu'à la différence d'autres dispositions de l'Accord général, l'article XI:1 ne faisait pas mention de lois ou règlements mais, plus généralement, de mesures. Ce libellé indique clairement que toute mesure instituée ou maintenue par une partie contractante et qui restreint l'exportation ou la vente pour l'exportation de produits est visée par cette disposition, quelle que soit la situation juridique de la mesure »77.

S’agissant ensuite des différentes formes de restrictions quantitatives, l’Accord général vise

« […] les contingents, [les] licences d’importation ou d’exportation, ou […] tout autre procédé »78.

      

72 DESTA (M. G.), op. cit., p. 28.

73 Elimination générale des restrictions quantitatives.

74 Japon-Semi conducteurs, op. cit., paragraphe 109.

75 Ibid., paragraphe 50.

76 Idem.

77 Idem, paragraphe 106.

78 Article XI alinéa 1, in fine, GATT (1947).

(27)

26  Renforcement du principe

L’interdiction des mesures non-tarifaires ne suffit pas en elle-même à combattre ces barrières à la frontière. Autant l’article XI consacre les droits de douane comme unique moyen de protection à la frontière, autant il semble prêter le flanc dans ce sens que l’administration des droits de douane peut être l’occasion pour un Etat de protéger son marché intérieur. En effet, les règles d’évaluation en douane et des formalités douanières peuvent constituer un important moyen de contournement de l’interdiction générale stipulée à l’article XI du GATT. Cette possibilité de contournement n’a point échappé aux rédacteurs de l’Accord général qui ont procédé à un renforcement par les deux dispositions que sont l’article VII et l’article VIII.

L’article VII traite de la valeur en douane et constitue « tout un régime juridique [des] méthodes utilisées pour évaluer les produits importés de façon à éviter des comportements protectionnistes »79. Pour éviter que la méthode d’évaluation en douane soit utilisée à des fins protectionnistes, l’Accord général indique que les évaluations doivent porter sur la « valeur réelle de la marchandise importée » et non sur la « valeur de produits d’origine nationale ou sur des valeurs fictives ou arbitraires »80.

L’article VIII quant à lui traite des « redevances et formalités se rapportant à l'importation et à l'exportation » qui sont des formalités à accomplir lors du franchissement des frontières par les marchandises et peuvent constituer des mesures protectionnistes déguisées81. Il était donc important que l’Accord général règlemente cette matière. Aussi a-t-il stipulé que les frais perçus par les Etats à l’occasion des diverses formalités en douane « seront limité[e]s au coût approximatif des services rendus et ne devront pas constituer une protection indirecte des produits nationaux ou des taxes de caractère fiscal à l'importation ou à l'exportation »82. Par ailleurs, les Etats « reconnaissent la nécessité de restreindre le nombre et la diversité des redevances et impositions »83et « la nécessité de réduire au minimum les effets et la complexité des formalités d'importation et d'exportation et de réduire et de simplifier les exigences en matière de documents requis à l'importation et à l'exportation »84.

L’article VIII est fondamental et contribue à consolider l’interdiction des restrictions quantitatives ou, plus généralement, l’interdiction des mesures non-tarifaires. Et parce qu’il est fondamental, sous réserve de l’application des exceptions de l’article XX qui s’appliquent à toutes les dispositions du GATT, l’Accord ne prévoit aucune autre exception à cette disposition qui doit, dès lors, s’appliquer       

79 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit., p. 166.

80 Article VII alinéa (2) a), GATT (1947).

81 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit., p. 167.

82 Article VIII alinéa (1) a), GATT (1947).

83 Article VIII alinéa (1) b), GATT (1947).

84 Article VIII alinéa (1) c), GATT (1947).

(28)

27  dans toute sa rigueur. L’Organe d’appel de l’OMC réaffirmera plus tard cette approche dans l’Affaire Argentine-Chaussures, textiles et vêtements lorsqu’il a estimé qu’« aucune exception dans l’Accord sur l’OMC [ne permettait] à l’Argentine de se soustraire aux exigences de l’article VIII du GATT »85. S’il est vrai qu’il n’existe aucune exception à l’article VIII de l’Accord général, le principe de l’interdiction des mesures non-tarifaires connaît cependant une exception importante qui pose une fois de plus la question du statut particulier de l’agriculture dans le GATT de 1947.

§2 : Les exceptions à l’article XI:1 du GATT de 1947

Indiquons à titre préliminaire que l’Accord sur l’agriculture, lex specialis, contient des règles pertinentes s’appliquant à l’agriculture. Par conséquent, nos discussions sur l’article XI et l’article XX du GATT ont pour but d’appréhender le statut de l’agriculture avant l’Accord sur l’agriculture.

En rappel, l’article XI alinéa 1er du GATT a institué le principe de l’interdiction des restrictions quantitatives en stipulant qu’« aucune partie contractante n'instituera ou ne maintiendra à l'importation d'un produit originaire du territoire d'une autre partie contractante, à l'exportation ou à la vente pour l'exportation d'un produit destiné au territoire d'une autre partie contractante, de prohibitions ou de restrictions autres que des droits de douane, taxes ou autres impositions […]». Ce principe est toutefois assorti de deux grandes exceptions (A) : d’abord les exceptions de l’article XI:2, particulièrement celle du sous-paragraphe c) relative à l’agriculture et qui ravive le débat sur le statut de ce secteur dans l’Accord général ; ensuite les exceptions générales de l’article XX. Le recours à ces deux types d’exceptions a parfois posé problème compte tenu de la divergence des Parties contractantes sur l’interprétation de certaines expressions pourtant essentielles à l’application de la disposition. Elles ont alors soumis ces questions à la jurisprudence (B).

A – Les conditions de recours aux restrictions quantitatives

Toute partie contractante peut invoquer les exceptions pour justifier des mesures qui seraient contraires à l’interdiction générale des restrictions quantitatives stipulée à l’article XI:1 du GATT. Si les exceptions de l’article XX ne sont pas propres aux restrictions quantitatives (2), celles des sous-paragraphes a) et c) de l’article XI:2 sont spécifiques à l’agriculture et participent plus directement du débat sur le statut juridique particulier de ce secteur dans l’Accord général (1).

Cependant, même lorsque ces exceptions seraient justifiées, elles devront, pour être légales, s’appliquer de façon non-discriminatoire (3).

      

85Argentine-Chaussures, textiles et vêtements, WT/DS56/AB/R, WT/DS56/AB/R/Corr.1, paragraphe 74.

Références

Documents relatifs

Reprenant les caractères du SPG 74 , la clause d’habilitation présente trois traits essentiels dont deux étaient contredits par le système de Lomé. Les préférences

Dans cette procédure d'arbitrage, l'arbitre (17) devrait partir du principe que le délai raisonnable pour la mise en œuvre des recommandations du groupe spécial ou

l'Accord sur la propriété intellectuelle ; l'Annexe 2 inclut le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends et l'Annexe 3 l'Accord sur le Mécanisme d'examen

Le Mali a su également tirer profit du Cadre intégré renforcé (CIR) grâce à l'opérationnalisation de son Unité de mise en oeuvre, à travers laquelle

Exit, voice and loyalty a ainsi pour objectif d’étudier les conditions de développement, conjoint ou non, des deux modes d’action, leur efficacité respective dans

Dès lors, le Manuscrit trouvé à Saragosse s’apparente en bien des points à un vaste laboratoire dans lequel des personnages cobayes subissent l’expérience

- une activité dans laquelle les états mentaux comme les intentions, les représentations, les croyances, les différentes émotions des enseignants et des

Dans notre série, nous avons trouvé une épilepsie active chez 2 de ces enfants (obs 1 et 2) avec des pointes à l’EEG de sommeil, centrales chez l’un, et hémisphériques