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Géographie Économie Société : Article pp.339-363 du Vol.17 n°3 (2015)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 339-363

La densification des banlieues pavillonnaires à Paris et à Toronto au service

de stratégies municipales de centralité différenciées

Anastasia Touati-Morel

LATTS (École des Ponts Paris Tech)

Résumé

L’objet de l’article est d’analyser les mécanismes, les objectifs et les enjeux des politiques de densification des tissus à dominante pavillonnaire des espaces suburbains et périurbains à la lumière des théories politiques urbaines relatives à la post-suburbanisation. L’hypothèse centrale de cet article est qu’il existe un lien entre la stratégie de centralité d’une commune et le type de densification résidentielle privilégié. L’analyse fine des processus étudiés dans quatre municipa- lités de la région parisienne en France et de la région urbaine de Toronto au Canada montre que les politiques de densification résidentielle affichées, dont les formes caractérisent une évolution post-suburbaine donnée, sont explicitement articulées à une recherche de centralité relative dans la région urbaine.

Mots clés : densification, hiérarchie urbaine, politiques urbaines, post-suburbs, stratégie municipale.

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés

Summary

Suburban densification in Paris and Toronto as a tool of differentiated municipal strategies of urban centrality. The purpose of the article is to analyze the mechanisms, objectives and challenges of densification policies in suburban areas in the light of urban political theories concerning post- suburbs. The central hypothesis of this paper is that there is a link between the strategy of centrality of a municipality and the privileged type of residential densification. The detailed analysis of the processes and policies studied in four suburban municipalities of the Paris-City region in France and of the Toronto-City region in Canada shows that the densification policies being put in place,

doi :10.3166/ges.17. 339-363 © 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant : anastasia.touati@enpc.fr

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whose forms characterize a given post-suburban evolution, are explicitly articulated to a search for a relative centrality in the urban region.

Keywords: densification, municipal strategy, post-suburbs, urban hierarchy, urban policies.

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés

Introduction

Parmi l’ensemble des politiques urbaines se réclamant du développement durable, les mesures de densification résidentielle, c’est-à-dire les processus qui voient une augmentation du nombre de logements sur un espace bâti donné, sont depuis plusieurs années présentées comme étant une des issues pour construire une ville moins consommatrice d’espace et de ressources (Owens, 1991 ; Newman et Kenworthy, 1989 ; Fouchier, 1998 ; OECD, 2012). Pourtant, face à la multiplication des textes législatifs visant un développement urbain plus dense, de nombreux analystes soulignent les difficultés à mettre en œuvre localement les politiques de densification, que ce soit d’un point de vue politique ou même strictement économique1.

Les tensions liées à la mise en œuvre des mesures de densification seraient au demeu- rant particulièrement vives dans les espaces de basse densité résidentielle. Or, avec une préférence supposée (et activement produite) des populations pour la maison indivi- duelle (Myers et Gearin, 2001 ; Pinson, Thomann, et Luxembourg, 2006), la question du traitement des espaces pavillonnaires, de leur gouvernance (Ekers, Hamel et Keil, 2012) et de leur éventuelle densification est ici posée. Les tissus de ce type forment des espaces encore peu investis par la recherche sur l’action publique urbaine mais aussi dans le champ opérationnel, alors que ceux-ci constituent un enjeu considérable, du fait de l’importance des surfaces urbanisées en jeu et parce qu’ils renferment des sources de foncier inexploitées en raison des basses densités résidentielles qui y sont pratiquées. Or, les espaces suburbains et périurbains qui sont les terres d’accueil privilégiées des tissus pavillonnaires sont aujourd’hui en pleine transformation, d’un point de vue fonctionnel, politique, économique ou même social, comme en attestent les multiples travaux consa- crés à leur évolution (Dubois-Taine et Chalas, 1997 ; Bontje et Burdack, 2005 ; Halbert, 2005 ; Gilli, 2009 ; Wood, Keil, et Young, 2010 ; Charmes, 2011 ; Nicholas A. Phelps et Wu, 2011). L’objet de cet article est d’explorer les politiques de densification des tissus à dominante pavillonnaire des espaces suburbains (appartenant aux couronnes proches de la capitale d’un espace régional déterminé) et périurbains (appartenant aux couronnes éloignées de la capitale régionale) à la lumière des analyses relatives aux transformations de ces espaces. Différents auteurs ont notamment mis en évidence un processus de post- suburbanisation qui se caractérise par une évolution des formes de territorialité et du processus d’urbanisation des grandes régions urbaines des sociétés capitalistes avancées, dont la diversité des formes urbaines et des types de peuplements (urban settlement) remet en question les catégories traditionnelles de ville (city) et banlieue (suburb).

Plus précisément, nous proposons d’appréhender ces politiques à l’articulation de trois dimensions : socio-politique, morphologique et économique (au sens des marchés fon-

1 Cet article est tiré d’une thèse financée dans le cadre du projet de recherche ANR « Build In My Backyard » (BIMBY).

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ciers et immobiliers). En effet, on a beaucoup analysé les processus de périurbanisation comme des processus socio-politiques (Jaillet, 1999 ; Burbank, Heying, et Andranovich, 2000 ; Levy, 2003 ; Berger, 2004 ; Charmes, 2007 ; Cailly, 2008) et on a beaucoup déploré la conséquence spatiale de l’étalement urbain (Berroir et Cattan, 2006 ; Castel, 2007 ; Djellouli et al., 2010 ; Jaglin et May, 2010 ; Renard, 2011). De même, nombreux sont les travaux qui s’intéressent aux dynamiques économiques de la restructuration des espaces périurbains donnant naissance à des polarités secondaires (Aguiléra, 2002 ; Gaschet et Lacour, 2002 ; Gaschet, 2003 ; Gaschet et Pouyanne, 2011), mais rares sont ceux qui accordent de l’importance aux formes urbaines de ces transformations.

La manière dont ces espaces se modifient et leurs liens avec les systèmes d’action de différents niveaux sont assez peu étudiés. La dimension morphologique est pourtant au cœur du système d’action local des processus de densification. Nous proposons juste- ment, dans le cadre de cet article, de croiser ces perspectives à travers une lecture socio- politique et économique de la transformation matérielle des espaces périurbains par la densification. Plus précisément, l’hypothèse centrale de cet article est que les stratégies de recherche de centralité, au niveau municipal, sont associées à des politiques de densi- fication résidentielle différenciées dont les formes caractérisent une évolution post-subur- baine donnée. Par « politique de densification résidentielle », on entend l’ensemble des actions qu’un gouvernement met en œuvre pour concentrer la construction résidentielle nouvelle dans les espaces déjà bâtis. Nous reprenons également les définitions issues de l’économie urbaine et de la géographie économique selon lesquelles la centralité est la propriété d’offrir des biens et des services à une population donnée, notamment à tra- vers la combinaison d’activités économiques, de fonctions politiques et administratives, d’équipements et de services concentrés en un seul lieu permettant de minimiser les déplacements (Castells, 1973 ; Polèse, 2009 ; Gaschet et Lacour, 2002).

Cet article explore ainsi le lien entre densification résidentielle et niveaux de centralité, au prisme des travaux discutant la notion de post-suburbanisation (première partie) et à travers l’analyse, en contexte, de politiques de densification résidentielle menées dans quatre municipalités suburbaines et périurbaines de la région parisienne et de la région urbaine de Toronto au Canada (deuxième partie).

1. L’avènement d’un système métropolitain polycentrique 1.1. Transformation suburbaines

Depuis au moins la fin des années 1980, de nombreux analystes partagent le constat d’une évolution importante du fonctionnement et de la forme matérielle des suburbs. Différents auteurs ont ainsi mis en évidence les changements à l’œuvre depuis la seconde moitié du XXème siècle aux franges des grandes villes, avec la constitution progressive d’espaces de peuplement, de travail et de loisirs dont la montée en puissance vient contre- balancer les vieux modèles urbains monocentriques (Fishman, 1987 ; Garreau, 1992 ; Dubois-Taine et Chalas, 1997 ; Gollain, 1999 ; Soja 2000 ; Aguiléra, 2002 ; Gilli, 2009 ; Gaschet et Pouyanne, 2011).

Ces auteurs s’accordent ainsi pour dire que de nouvelles formes suburbaines et périur- baines sont apparues dans les régions urbaines américaines et européennes, formes qui

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viennent remettre en cause l’idée d’un monopole de centralité qui serait uniquement détenu par le centre des grandes villes. Nicholas Phelps et Andrew Wood se sont intéres- sés à ces changements dans différents contextes nationaux, en particulier dans des pays européens (Phelps et Wood, 2011). Ils reprennent alors le terme de post-suburb introduit par John C. Teaford (Teaford, 1996), pour faire référence à une période qui succède à l’ère suburbaine (qui impliquait une phase de dilatation spatiale), qui suppose une phase de maîtrise de l’expansion urbaine, et qui inclut une diversification plus grande des fonctions ainsi que différentes formes urbaines et spatiales.

Le terme désigne une rupture avec les processus et les modèles de suburbanisation passés (Phelps, Wood, et Valler, 2010). Les changements à l’œuvre y sont caractérisés comme une restructuration des villes à une échelle métropolitaine et comme une modi- fication de la division intra-régionale du travail entre le centre et les pôles périphériques (Bontje et Burdack, 2011).

Malgré des spécificités locales, les différents auteurs s’intéressant aux développe- ments post-suburbains, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou au Canada, partagent un constat similaire : alors que la post-suburb reste investie de la plupart des éléments idéo- logiques associés à la suburb « traditionnelle » résidentielle (politiques conservatrices de protection des espaces résidentiels notamment (Teaford, 1996)), sa fonction économique implique une série de tensions politiques (Phelps et al., 2006, p. 1). Parmi ces dernières figure la tension entre les objectifs de développement économique et les contraintes impo- sées par les dépenses de consommation collective mais aussi le conflit local entre crois- sance et préservation de l’environnement résidentiel (Phelps et al. 2006, p. 28). Dès lors, par opposition aux suburbs traditionnelles qui ont joué un rôle exclusivement résidentiel dans la division métropolitaine du travail, l’évolution des espaces de banlieue dans le cadre de la post-suburbanisation est vue comme une transformation où les objectifs de développement économique sont progressivement venus contrebalancer les objectifs de protection des aménités résidentielles.

Les analyses développées dans la littérature consacrée aux post-suburbs, en tant que nouveau type de peuplement, constituent ainsi des preuves empiriques de ces change- ments. Elles mettent en évidence les limites analytiques des théories urbaines dominantes telles que la théorie sur les coalitions de croissance (Logan et Moltch, 1987). Cette der- nière place la structuration des intérêts économiques au centre de l’analyse de l’action publique urbaine en s’intéressant à l’impact des coalitions formées entre autres autour des acteurs économiques, propriétaires fonciers et élus locaux en faveur de la croissance économique et urbaine. Ce cadre théorique est pour nous éclairant dans la mesure où il défend une lecture de la formation de coalitions d’acteurs sur une base en partie écono- mique, dimension qui nous paraît essentielle dans l’analyse des processus et politiques de densification urbaine. Il permet ainsi de saisir sous cet angle ce qui se joue dans les processus de production résidentielle. Néanmoins ces approches restent trop américano- centrées et principalement focalisées sur le seul cas des villes-centres, ce qui n’apporte pas un cadre analytique totalement satisfaisant.

La notion de post-suburb est justement intéressante en ce qu’elle donne à voir et à analyser la diversité des transformations à l’œuvre dans les grandes régions urbanisées.

Bien qu’elle soit peu analysée, c’est surtout la caractérisation du processus de post-subur- banisation contribuant à l’émergence de « nouveaux types de peuplement » (new urban

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settlement) dans toute leur diversité qui nous intéresse plus particulièrement, notamment dans sa dimension morphologique. Celle-ci apparaît comme une dimension importante dans la mesure où les formes urbaines, d’une part, sont le produit de filières particu- lières d’aménagement, impliquant des acteurs publics et privés aux pratiques et intérêts et divers, et d’autre part, peuvent influencer l’attractivité économique et résidentielle d’un lieu, ce qui n’échappe pas aux élus locaux.

1.2. Une multitude de régimes post-suburbains

Cependant, si la notion de post-suburbanisation met en évidence une dynamique de transformation (économique, politique, sociale) des suburbs, elle attache peu d’impor- tance à la matérialité urbaine de ces transformations. D’après Nicholas Phelps et Fulong Wu (Phelps et Wu, 2011, p. 4-5), un enjeu majeur des politiques post-suburbaines est le retrofitting (réaménagement, requalification) des espaces suburbains et périurbains. De fait, pour Ellen Dunham-Jones et June Williamson le retrofitting des suburbs passe par la compacité et la densification (Dunham-Jones et Williamson 2011, P. viii).

Nous faisons l’hypothèse que les modalités du retrofitting et la forme des processus de densification qui leur sont concomitants peuvent être analysés en lien avec les différents types de régimes politiques post-suburbains. Ils traduisent une diversité de configurations par rapport à l’économie politique de la suburb traditionnelle dans laquelle les impéra- tifs de protection des aménités résidentielles dominent. La différenciation des processus de développement urbain à l’ère de la post-suburbanisation peut en outre être reliée à la place de chaque commune dans la division métropolitaine, régionale voire internationale du travail et de la consommation. En effet, différents auteurs mettent en évidence l’impor- tance de la position dans cette division sur les processus différenciés d’urbanisation au sein des grandes régions métropolitaines (Logan et Molotch, 1987 ; Scott 1988 ; Brenner, 2000 ; Lang et Knox 2009 ; Fol et Cunningham-Sabot, 2010). Au niveau régional, John Logan et Harvey Molotch font par exemple une distinction entre différents types de régimes subur- bains américains qui varient en fonction de la place la commune en question dans la division métropolitaine du travail (Logan et Molotch, 2007, p. 189-191). Selon les auteurs, les straté- gies adoptées et leur efficacité procèdent de la position dans le « système de stratification » (stratification system) métropolitain qui dépend à la fois du niveau social de la population locale et des rapports de force entre entrepreneurs et résidents vis-à-vis du politique. Logan et Molotch établissent ainsi un lien fort entre rôle des régions urbaines dans la division internationale du travail, place des communes dans la division métropolitaine du travail et stratégies municipales à l’intérieur des régions urbaines.

Dans le processus généralisé de post-suburbanisation entendu comme nouvelle ère de transformation affectant de manière différenciée les espaces périurbains et suburbains, cer- taines communes peinent à se « connecter » aux flux de circulation de la compétition écono- mique globale49. D’autres communes restent délibérément à l’écart des flux de circulation et des processus de développement et adoptent à dessein un régime de gouvernement qui s’ap- parente à celui de la suburb résidentielle. Dans ces dernières, la priorité semble la plupart du temps donnée à la préservation de la qualité et du cadre de vie. Ce sont donc des espaces qui restent intentionnellement dans un schéma résidentiel, à l’image de ce qui se passe dans les communes « club » françaises étudiées par Éric Charmes (2007) ou encore dans

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les banlieues résidentielles américaines où la mobilisation de groupes locaux peut donner naissance à des anti-growth coalitions (DeLeon, 1992 ; Burbank, Heying, et Andranovich, 2000), coalitions visant à protéger l’environnement et le cadre de vie des résidents. Ces mouvements apparaissent dans des communes généralement plutôt aisées, de type « stable/

affluent suburbs ». Dans ce type de communes, on observe des régimes anti-croissance ou des régimes de maintenance (maintenance regimes / caretaker regimes) où les politiques urbaines consistent à empêcher tout type de développement urbain d’envergure, à main- tenir des taxes peu élevées et à préserver le statu quo (Stone, 1989 ; Orr et Stoker, 1994 ; Mossberger et Stoker, 2001 ; Ross et Levine, 2011). Ceci met ainsi en évidence les dissen- sions existant dans les modes de gouvernement de certaines communes périurbaines ou suburbaines, entre exclusivisme qui implique statu quo et logique de développement.

Plus précisément, pour les politiques de densification que nous étudions et dans la lignée des réflexions de Todd Swanstrom (1993, p. 72), la question est de savoir quel type de politique de croissance par la densification est mis en place et quels sont les déterminants socio-poli- tiques, économiques (notamment liés aux marchés) et culturels de chaque type de densification.

Nous souhaitons rendre compte des processus de transformations des tissus suburbains (de pre- mière couronne ou inner ring) et périurbains (de seconde couronne ou outer ring) des régions urbaines de Paris et Toronto en adoptant une lecture socio-politique et économique (au sens des marchés fonciers et immobiliers) de la transformation matérielle de l’espace qui se densifie.

2. L’Île-de-France et la région urbaine de Toronto comme terrains d’exploration 2.1. Des politiques de planification régionales aux effets différenciés sur la régula- tion locale de la densification

La Région Ile-de-France et la région urbaine de Toronto constituent les deux terri- toires dans lesquels s’insèrent nos études de cas. Il s’agit de deux régions métropolitaines devant affronter des problématiques similaires : une nécessaire régulation de la croissance urbaine ayant conduit, au cours des cinquante dernières années, à un étalement sans pré- cédent ; l’impératif d’une construction de logements en nombre suffisant et, pour une part, à des prix abordables pour les ménages modestes ; une indispensable planification simultanée de l’aménagement et des infrastructures de transports en vue de promouvoir une plus grande utilisation des transports publics. Elles présentent toutefois des contextes institutionnels et politiques différents. Bien que ce ne soit pas le cœur de notre propos, il nous faut ici aborder brièvement ces contextes institutionnels de la gouvernance métropo- litaine, tant le poids relatif de la planification régionale diffère, en regard des marges de manœuvre accordées aux administrations locales.

Dans le cas de la région de Toronto, la densification est une préoccupation politique provinciale depuis la fin des années 1980. Mais ce n’est qu’en 2006 qu’une politique de gestion de la croissance coercitive, volontariste et ambitieuse où la densification urbaine occupe une place centrale, est mise en place. Au sein des institutions des différents niveaux de gouvernement, c’est bien la Province qui est l’acteur majeur dans l’élabora- tion et dans la surveillance étroite de la mise en œuvre des politiques de densification par les municipalités. Dans ce fonctionnement et selon l’expression utilisée par de nombreux acteurs, les municipalités seraient les « créatures » de la Province (Keil, 2002), dans la

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mesure où ce sont des objectifs précis de densification déterminés au niveau provincial et suivis de manière précise par le Ministère de l’Infrastructure qui doivent être atteints sur les territoires municipaux. Toutes les municipalités de la région sont sommées d’appli- quer le plan de croissance provincial (Growth Plan) par l’intermédiaire d’outils censés faciliter la densification des espaces urbains. L’instauration d’une ceinture verte (Green Belt Plan) fait ainsi partie d’une stratégie régionale de maîtrise de la croissance urbaine.

En Ile-de-France, depuis les lois de décentralisation qui ont notamment vu un transfert de compétences d’aménagement de l’État vers les collectivités locales, c’est spécialement dans l’exercice d’élaboration du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF), entre 2004 et 2008, que le Conseil Régional d’Ile-de-France (CRIF) s’est imposé comme un acteur légitime dans l’élaboration de la planification régionale. Par la construction d’un document de planification ambitieux, le CRIF a affirmé sa volonté de maîtriser les problèmes que rencontre aujourd’hui la métropole parisienne, comme la lutte contre l’éta- lement urbain, la congestion du système de transport ou encore la construction de loge- ments, au niveau régional. Dans ce document, la compacité constitue le principe fondateur et c’est une véritable planification de la densification au niveau régional que le document préconise, notamment par des prescriptions précises en matière de localisation mais aussi de niveaux de densité à atteindre en fonction des sites choisis. Parallèlement, le projet du Grand Paris a pour ambition de favoriser des pôles de densification autour des sta- tions de transport publics, notamment par l’intermédiaire des Contrats de Développement Territorial conclus entre l’État et les collectivités dont l’objectif est, entre autres, de terri- torialiser les objectifs de production de logements du Grand Paris (OCDE, 2014).

Toutefois, si une variété de documents législatifs issus de différents niveaux de gouver- nement (l’État avec la loi SRU, les lois Grenelle, la loi sur le Grand Paris ; la Région avec le SDRIF de 2008) ont pour objectif d’encourager la densification urbaine au sein de la métropole parisienne, les documents législatifs cités et leur statut (trop optionnel pour les lois SRU et Grenelle ; statut de non opposabilité pour le SDRIF de 2008) sont tels que les municipalités restent les pilotes dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de densification sur leur territoire. Ainsi, le bras de fer entre la Région et l’État, à l’origine de la non-opposabilité du SDRIF de 2008 (révisé pour donner naissance à une nouvelle ver- sion en 2013 finalement validée par l’État et désormais opposable aux documents d’urba- nismes communaux ou intercommunaux) aboutit à ce que la mise en œuvre concrète des politiques de densification soit fortement ralentie ou du moins opère de manière inégale sur l’ensemble du territoire francilien, c’est-à-dire en grande partie selon le bon vouloir des municipalités. Si la récente loi ALUR votée par le parlement entendait initialement instaurer un Plan Local d’Urbanisme Intercommunal, en partie pour favoriser la mise en place de politiques de régulation de la croissance urbaine à l’échelle de bassins de vie, la minorité de blocage2 instaurée par les sénateurs risque de prolonger cette situation de différenciation territoriale en matière de densification.

2 La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) instaure le transfert automatique de la compétence du Plan Local d’Urbanisme (PLU) aux intercommunalités (communautés de communes et d’agglo- mération) selon les modalités suivantes mais prévoit un mécanisme de minorité de blocage qui permet aux maires de reporter le transfert de la compétence PLU au niveau intercommunal s’ils rassemblent un quart des communes représentant au moins 20 % de la population d’une communauté.

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2.2. Des municipalités aux caractéristiques différenciées de part et d’autre de l’Atlantique Dans les deux régions métropolitaines, les politiques et processus de densification de plusieurs communes ont été étudiés : une vingtaine en Ile-de-France et une dizaine dans la région urbaine de Toronto (Darley et Touati, 2013 ; Touati, 2013). La comparaison des terrains doit être appréhendée avec prudence dans la mesure où les contextes natio- naux diffèrent : sur le plan institutionnel, sur le plan des pratiques de planification et sur le plan des formes urbaines dominantes. Les municipalités suburbaines et périurbaines françaises et canadiennes sont issues de processus d’urbanisation différenciés qui ont façonné leur développement et celui de leurs périphéries. Ces processus ont pour origine des facteurs géographiques, fonciers et d’organisation des villes qui sont bien distincts. Il en résulte entre autres des modèles de croissance et des formes urbaines dont les densités de population et de construction sont disparates. Néanmoins, si les municipalités étudiées en France et au Canada sont très différentes en termes de taille (les municipalités cana- diennes sont beaucoup plus grandes que les municipalités françaises aussi bien en termes de population que de surfaces) et de formes urbaines (les municipalités canadiennes sont beaucoup plus étendues et possèdent des surfaces pavillonnaires moins denses que leurs homologues françaises), on retrouve des régularités dans les politiques adoptées de part et d’autre de l’Atlantique. Ce sont donc les politiques de densification résidentielle, leurs justifications, leurs instruments, les acteurs impliqués, qui sont ici comparés.

Dans cet article, nous détaillons les analyses effectuées sur deux municipalités dans chacune des deux régions urbaines, une municipalité suburbaine (Noisy-le-Grand et Markham) et une municipalité périurbaine (Guelph et Magny-les-Hameaux)3.

L’exploration de ces terrains d’étude nous amène à distinguer deux grands types de pro- cessus locaux de densification des tissus à dominante pavillonnaire que l’on retrouve aussi bien dans la région urbaine de Toronto qu’en région parisienne (Touati-Morel, 2015) :

le premier type, illustré par les transformations pavillonnaires observées à Magny-les- Hameaux en France et à Guelph au Canada, est un modèle de densification « douce », c’est-à-dire un processus qui ne change pas fondamentalement les formes urbaines. Le tissu reste à dominante pavillonnaire et c’est majoritairement par des microprocessus de construction d’un deuxième logement (dans les espaces interstitiels ou à l’intérieur de l’enveloppe bâtie existante), à l’initiative de particuliers propriétaires d’une maison indivi- duelle, que le tissu se densifie.

le deuxième type, illustré par les cas de Noisy-le-Grand en France et de Markham au Canada, est un modèle de densification plus forte dont le processus se caractérise au contraire par la multiplication de projets d’aménagement d’envergure venant densifier de

3 Les études de cas ont été sélectionnées pour leur exemplarité dans les formes urbaines produites (densi- fication sous forme pavillonnaire Vs densification par construction d’immeubles de plus grande hauteur) mais aussi pour des raisons de facilité d’accès au terrain et à ses données. L’unité de base sélectionnée pour le choix des études de cas est la commune/municipalité. Cette unité de base varie grandement d’un contexte national à l’autre. Néanmoins, dans les deux pays, c’est bien à ce niveau que se situe la compétence d’urbanisme, autrement dit le pouvoir de délivrer les permis de construire (ou autorisations d’urbanisme au Canada) qui déclenchent administrativement la construction résidentielle et donc les processus de densification que nous souhaitons étudier.

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manière importante des quartiers qui sont initialement de basse densité résidentielle. Il s’agit donc d’une densification qui change de manière significative les formes urbaines, par la substitution ou l’ajout d’immeubles résidentiels et/ou mixtes de plus ou moins grande hauteur, en lieu et place d’un tissu à dominante pavillonnaire, principalement par des grandes compagnies de promotion immobilière.

2.3. Densifications douces

2.3.1. De l’incitation municipale à l’habitant maitre d’ouvrage à Magny-les-Hameaux Magny-les-Hameaux est une commune française de 9000 habitants située dans le dépar- tement des Yvelines, à environ 25 km au sud-ouest de Paris (dans la couronne de banlieue extérieure) et n’est pas directement reliée à la capitale par une ligne de transports en com- mun lourde. Composée à 80 % d’espaces agricoles et naturels et caractérisée par un parc bâti spatialement dominé par les tissus pavillonnaires, la commune présente une grande diversité de paysages qui justifie une double casquette institutionnelle. Elle est en effet à la fois l’une des 7 communes de la Communauté d’Agglomération de Saint Quentin en Yvelines (CASQY) (ancienne Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines) et l’une des 21 communes du Parc Naturel Régional (PNR) de la Haute Vallée de Chevreuse. Cette double appartenance fait de Magny-les-Hameaux, selon son site internet, une commune atypique :

« Magny-les-Hameaux : un confort de type urbain dans un beau cadre champêtre4». Elle implique aussi une tension entre des intérêts contradictoires : un impératif de développe- ment urbain porté par la CASQY et une nécessité de préserver les espaces naturels et agri- coles voulue par le PNR. En 2008, la municipalité a mis en place une politique de densifi- cation douce de ses quartiers pavillonnaires, qui consiste en des allégements réglementaires permettant une densification par divisions parcellaires et constructions successives de pavil- lons sur les parcelles détachées ou autrefois trop petites pour être constructibles.

Plusieurs facteurs ont conduit la commune à entamer la révision de son Plan d’Occupa- tion des Sols (POS) afin de mettre en place cette politique, comme l’impossibilité de réaliser des projets de logements et d’équipements (pour cause de non-conformité au règlement du POS). Parallèlement, avant la révision, de nombreux habitants avaient exprimé leur sou- hait de faire évoluer leur pavillon, que ce soit en termes d’extension de leur habitat ou de divisions de leur terrain. La mise en place d’un Plan Local d’Urbanisme (PLU) permettait ainsi d’aborder non seulement ces questions mais aussi un ensemble d’objectifs fixés par l’équipe municipale : un développement urbain et démographique modéré sans empiéter sur les espaces naturels et agricoles ; la densification du centre-bourg pour marquer la centralité du lieu, le valoriser et renforcer son attractivité ; la préservation du cadre de vie.

En outre, la densification douce prévue permettait de préserver les Hameaux afin d’en évi- ter l’urbanisation excessive ; de maintenir la population et d’en permettre un léger accroisse- ment pour optimiser les équipements en place, notamment parce qu’il existe un collège et des écoles qui ne fonctionnent qu’avec la population magnycoise et qui, sans évolution de cette population, verraient une fermeture de certains groupes scolaires. Il en est de même pour certaines lignes de bus. Ces objectifs sont particulièrement intéressants à mentionner dans la

4 Site internet de la commune de Magny-les-Hameaux : http://www.magny-les-hameaux.fr/heading/

heading22834.html

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mesure où ils témoignent d’une volonté de s’éloigner d’un schéma strictement résidentiel.

À ce titre, Magny-les-Hameaux se démarque de nombre de ses voisines yvelinoises par sa volonté de diversifier son tissu économique et d’augmenter légèrement sa population par la construction de logements et le maintien d’équipements et de services ; elle ne peut donc pas être considérée comme ayant une stratégie de suburb résidentielle ou de commune club. Le PLU exprime également une volonté de favoriser l’attractivité du centre bourg. Ainsi la poli- tique de densification douce mise en place à Magny-les-Hameaux est-elle clairement articulée à une volonté de croissance modérée mais aussi à une stratégie de centralité locale.

Un système d’action original

C’est le premier adjoint, avec le soutien du maire et du service d’urbanisme de Magny-les- Hameaux qui a impulsé la genèse d’une véritable politique de densification du tissu pavillon- naire, faisant de la commune le principal porteur du projet de modification du POS. Les autres acteurs impliqués dans l’élaboration du PLU apparaissent alors plus comme des suiveurs de cette initiative municipale. La CASQY a ainsi soutenu le projet politique de la commune, dans la mesure où il répondait à la fois aux intérêts de la commune et aux intérêts de la Communauté d’Agglomération. La CASQY a d’autant plus joué un rôle d’accompagnement qu’elle n’a pas engagé une politique volontariste d’incitation à la densification au niveau de l’ensemble de l’agglomération. Il en est de même pour l’équipe technique du PNR. L’État, représenté par la Direction Départementale des Territoire (DDT) des Yvelines, a quant à lui été associé au pro- cessus en tant que Personne Publique Associée (PPA), rôle qui ne semble pas avoir été dépassé dans ce cas précis. En tout état de cause, il semble que les outils à la disposition de la DDT pour faire respecter ces objectifs ne soient que des outils de contrôle et non pas d’aide à la réalisation du projet. Enfin, il faut souligner la spécificité du rôle des agriculteurs dans ce processus.

On a beaucoup mis en évidence le fait que les agriculteurs peuvent, dans certains contextes, déclencher ou alimenter le processus de périurbanisation par la vente de parcelles agricoles (Jouve et Napoleone, 2003). Dès lors, nombreux sont les cas où le gel des espaces naturels et agricoles peut entraîner des tensions au sein du système d’action impliqué dans la régulation de la construction dans une commune. Certains agriculteurs voient en outre plutôt d’un bon œil la possibilité, à terme, de pouvoir vendre une partie de leurs parcelles agricoles suite au classement de ces dernières en terrains constructibles, ce qui augmente considérablement leur valeur foncière (entendue comme valeur d’échange). À Magny-les-Hameaux, il n’en est rien et les exploitants agricoles de la commune sont partie prenante de la coalition de croissance

« modérée » visant à protéger les espaces agricoles. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette singulière situation. La principale est que les agriculteurs ne sont pas propriétaires des terres agricoles qu’ils exploitent5. C’est notamment le cas des parcelles qui sont situées aux franges urbaines. Sur ces espaces, les agriculteurs ont une relation d’exploitant-propriétaire avec les institutions propriétaires des terrains, par l’intermédiaire d’un outil juridique particulier : le bail

5 Les deux exploitants présents à Magny-les-Hameaux sont locataires des terres qu’ils exploitent. L’un tra- vaille sur des terrains appartenant à la CASQY et à l’Agence des Espaces Verts, l’autre sur des terrains apparte- nant en partie à la CASQY et en partie à un groupement foncier agricole privé.

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à long terme6. Dans un contexte où les agriculteurs ne possèdent pas la terre, l’existence de cet outil offre une certaine stabilité aux exploitants agricoles, leur permettant d’avoir une vision de l’avenir sur un temps plus ou moins long. Ceci peut en partie expliquer la situation particulière de Magny-les-Hameaux, où il semble exister un consensus en faveur de la densification douce du tissu pavillonnaire. En effet, les différents instruments cités peuvent modifier les anticipa- tions des acteurs locaux, en les liant les uns aux autres sur une durée longue. Ici, en raison d’une configuration de propriété foncière particulière et grâce à la présence d’un certain nombre de règlements protecteurs vis-à-vis des espaces agricoles (PNR, SDRIF), les agriculteurs exploi- tants peuvent se positionner par rapport à un horizon où l’agriculture est durablement présente.

Unprocessusdedensificationpardivisionsparcellairesetconstructionssurpar- celles détachées

Depuis l’entrée en vigueur de cette politique, on observe bien un processus de densi- fication douce du tissu7. L’une des mesures réglementaires qui a le plus d’impact sur la densification et notamment sur les divisions foncières, c’est la suppression du minimum parcellaire, comme le prescrit la loi SRU. On note aussi la suppression du COS (Coefficient d’Occupation des Sols) dans la plupart des secteurs pavillonnaires. La majorité des cas rencontrés concerne ainsi des microprocessus de densification à l’échelle d’une parcelle. La densification douce à Magny-les-Hameaux s’effectue principalement à l’initiative de par- ticuliers propriétaires d’une maison et/ou d’un terrain autour desquels viennent se greffer les acteurs de la communauté professionnelle

de la construction et du marché de la maison individuelle (voir Figure 1).

Figure 1 : Construction d’un pavillon en front de parcelle suite à une division parcellaire (Source : Touati, 2011)

Au centre du système d’action du pro- cessus de densification se trouve donc le

« propriétaire initiateur ». En fonction du projet qu’il envisage, c’est ensuite tout un ensemble d’acteurs professionnels et non professionnels, jouant mutuellement le rôle d’apporteurs d’affaires pour les autres acteurs de la chaîne, qui vont intervenir.

6 Un bail à long terme est conclu pour une durée pouvant aller de 18 à 25 ans. À titre de comparaison, un bail rural est conclu pour une durée de 9 ans. Dès lors, de l’avis de nombreux professionnels, ce bail offre une grande stabilité au locataire, qui peut être comparable à celle procurée par la propriété du sol. Source : Site officiel des notaires de France : www.notaires.fr/notaires/bail-rural (consulté le 9 février 2013).

7  Si le nombre de permis de construire déposés à la mairie de Magny-les-Hameaux depuis 2003 connaît une évolution irrégulière, on observe dès 2008 (entrée vigueur du PLU), une évolution à la hausse du nombre de permis de construire déposés. Les demandes concernant des maisons individuelles notamment sont en progres- sion constante depuis 2007 : entre 2007 et 2010, le nombre annuel de dépôts de permis de construire pour des maisons individuelles a plus que doublé, passant de 23 à 52 (source : ville de Magny-les-Hameaux).

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Les propriétaires fonciers qui divisent et revendent une partie ou la totalité des par- celles divisées voient leur rente foncière augmenter à court terme par les mécanismes de densification dans les dents creuses. On sait d’ailleurs que l’intérêt de la densifica- tion dépend fortement du marché immobilier local. À Magny-les-Hameaux, le marché résidentiel et la pénurie de terrains à bâtir sont tels que les terrains issus d’une division se vendent très bien et peuvent rapporter un revenu substantiel8 aux propriétaires fon- ciers qui vendent un terrain. Il y a donc un intérêt économique fort qui est évident pour les particuliers, le mécanisme de division parcellaire permettant d’augmenter la valeur d’échange d’un bien dans son ensemble, ce qu’avaient bien anticipé certains habitants de Magny-les-Hameaux, au cours de la procédure d’élaboration du PLU. En revanche, pour les acteurs privés professionnels de la construction – vente tels que les promoteurs immobiliers, l’intérêt économique de la densification plus forte du tissu pavillonnaire n’est pas toujours évident et dépend fortement de la configuration locale. Le règlement d’urbanisme de la zone pavillonnaire à Magny-les-Hameaux ne permet pas forcément à un promoteur immobilier de faire une opération d’immeuble collectif rentable, dans la mesure où la constructibilité reste limitée.

En définitive, dans le processus de densification douce, possible à la faveur d’une coa- lition de croissance modérée, c’est bien l’habitant, propriétaire initiateur qui en est le véritable maître d’ouvrage.

2.3.2. Des appartements accessoires source de logements abordables à Guelph Guelph est une ville canadienne universitaire de 140 000 habitants appartenant à la région élargie du Golden Horseshoe et située à 100 kilomètres au sud-ouest de Toronto.

Située à l’extérieur de la ceinture verte (Greenbelt) et dans la couronne de banlieue exté- rieure par rapport à Toronto, la ville possède en son centre une station de transport ferro- viaire à environ une heure de trajet de la capitale ontarienne. Elle est dotée d’une mixité d’équipements publics, commerciaux, industriels et de services, ainsi que d’établisse- ments d’enseignement. L’Université de Guelph, qui est le plus grand employeur de la municipalité, constitue ainsi un facteur important d’attractivité pour la ville.

Les quartiers pavillonnaires dominent spatialement le territoire municipal et sont organisés autour d’un centre-ville plus dense. C’est en partie pour cette raison qu’au milieu des années 1990, la municipalité s’est engagée en faveur d’une forme de densification douce, en autorisant le dispositif provincial des appartements accessoires. Il repose sur la possibilité offerte aux par- ticuliers propriétaires de créer une « seconde unité » (secondary unit) dans toutes les maisons individuelles dites isolées (detached single-family houses) du territoire municipal. Cette unité est entendue comme un logement autonome, séparé du logement principal et possédant une cuisine et une salle de bains propres. La construction d’appartements accessoires vise à diversi- fier l’offre de logement sur le territoire municipal ainsi qu’à augmenter le nombre de logements abordables disponibles et contribue aux objectifs de densification urbaine fixés par la Province.

La mise en place de la politique sur les appartements accessoires en 1995 à Guelph a été suivie d’une densification résidentielle effective des quartiers de basse densité rési- dentielle de la ville. Depuis 1995, en moyenne, 100 nouveaux appartements accessoires

8 En 2010, en fonction de la localisation et de la taille du terrain, un terrain à bâtir pouvait se vendre entre 200 000 et 300 000 euros à Magny-les-Hameaux, pour une surface moyenne de 700 m2.

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ont été construits et enregistrés chaque année. Selon les déclarations des acteurs muni- cipaux interrogés, ils ont été une source significative de nouveaux logements abordables dans la ville et représentent chaque année, environ 8,5 % en moyenne de la production résidentielle totale dans la ville. Il s’agit d’un véritable processus de densification douce qui aboutit à la construction de logements, soit à l’intérieur des maisons, soit à l’extérieur, sous une forme qui reste pavillonnaire (voir Figure 2).

Figure 2 : Un appartement accessoire aménagé dans une maison individuelle à Guelph (entrée de l’appartement visible sur le côté de la maison) (Source : Touati, 2012)

À l’image du processus de densification douce observé à Magny-les-Hameaux, ce sont les particuliers propriétaires d’une maison individuelle qui sont au centre du processus effectif de densification observé à Guelph. La municipalité joue un rôle réglementaire de validation du permis de construire et d’enregistrement de l’appartement accessoire. Dans le cas de Guelph, son rôle dans le processus effectif de densification est même en phase d’évolution vers un rôle d’accompagnement et de régulation plus fine du processus, dans la mesure où la municipalité réfléchit à une manière de réguler les vitesses de densifica- tion en fonction des quartiers pavillonnaires.

Cette politique entre dans une stratégie municipale visant à contrôler la croissance de la ville, notamment en créant une ville compacte, à taille humaine. La ville tient en effet à permettre une croissance et un développement qu’elle qualifie de « modérés9 », afin de

9 Le document d’urbanisme de la municipalité (Official plan) est explicite sur ce point : « Encourage inten- sification and redevelopment of existing urban areas that is compatible with existing built form (…). Growth will be planned to be moderate, steady, and managed to maintain a compact and human-scale city for living, working, shopping, and recreation »..

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préserver le caractère suburbain de son paysage. Elle mise ainsi sur une densification qui doit être « compatible avec les formes urbaines existantes » (City of Guelph, 2006, p. 9), à travers une augmentation progressive des densités résidentielles moyennes.

Par ailleurs, parmi les centres de croissance désignés par la Province dans le cadre de sa politique Places to Grow, figure le centre-ville de Guelph (Downtown Guelph). Le principe est d’y concentrer la croissance, que ce soit en matière d’investissements pour les infras- tructures ou pour la création de logements et d’emplois. Mais la municipalité de Guelph, considérant que les objectifs de densification fixés par la Province pour son centre-ville étaient trop élevés, a entamé des discussions pour les négocier à la baisse et a obtenu gain de cause, estimant ainsi pouvoir préserver un fonctionnement urbain « à taille humaine ».

Un marché peu porteur

La ville de Guelph entend donc densifier, modérément, de manière préférentielle le centre- ville désigné par la Province comme un centre de croissance. Or, comme nous l’avons déjà évoqué, la densification effective dépend essentiellement de la demande locale et il s’avère que pendant longtemps, le centre-ville de Guelph a fait l’objet de peu de constructions rési- dentielles. On peut expliquer l’absence de transactions immobilières dans le centre-ville par l’absence d’attractivité résidentielle et par les contraintes réglementaires fortes (notamment des hauteurs maximales peu élevées) qui ont longtemps perduré. De plus, de l’avis de dif- férents promoteurs, la nouvelle politique mise en place par la ville de Guelph ne serait pas suffisante pour initier une réelle dynamique de densification, les hauteurs maximales restant encore trop basses pour rentabiliser des opérations densification.

Ceci illustre les orientations prises par la ville de Guelph qui articule une stratégie de densification douce des quartiers pavillonnaires et une stratégie de densification qui reste modérée dans le centre-ville, ce qui est à mettre en relation avec une volonté de croître modestement et de ne pas miser sur une stratégie de croissance économique et démogra- phique. La ville poursuit dès lors une stratégie de centralité plutôt locale, comparative- ment à d’autres municipalités de la région (voir le cas de Markham plus loin).

2.3.3. Des politiques de densification douce articulées à des stratégies de centralité locale Les observations menées à Magny-les-Hameaux et à Guelph, deux municipalités, différentes sur le plan de leur poids démographique, mais qui ne sont pas au cœur de leur région urbaine respective, mettent en évidence une densification douce des espaces pavillonnaires de ces deux villes, qui ne change pas de manière importante les formes urbaines : le tissu reste à dominante pavillonnaire. Dans le premier cas (Magny-les- Hameaux), la politique mise en place résulte d’une coalition originale de croissance

« douce » constituée autour de différents acteurs tels que la municipalité, les habitants, les agriculteurs, le PNR et la CASQY, ainsi que les acteurs locaux de la construction en diffus. Dans le second cas (Guelph), la politique mise en place résulte d’un compromis entre les exigences provinciales de densification et la volonté municipale de garder un paysage construit « à taille humaine ». Dans les deux cas, la politique de densification douce mise en place est spécifiquement articulée, par les acteurs locaux, à une volonté de croissance modérée que l’on peut interpréter comme une stratégie de centralité rela- tivement locale. Au contraire, dans les municipalités de première couronne étudiées, les stratégies urbaines mettent davantage l’accent sur une croissance urbaine soutenue.

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2.4. Des politiques de densification forte

2.4.1. La mairie à la manœuvre à Noisy-le-Grand

Noisy-le-Grand est une commune française de 63 000 habitants située dans le dépar- tement de la Seine-Saint-Denis, à environ 17 km à l’Est de Paris. Elle est desservie par deux lignes du système régional express de transport (RER A et RER E) en trois stations qui permettent aux Noiséens de rejoindre le centre de Paris en moins de trente minutes, et traversée par une autoroute desservant différents quartiers de la commune. La ville possède par ailleurs en son sein un quartier d’affaires en pleine expansion et constitue un pôle d’emploi majeur en Ile-de-France. Avec un parc construit dominé par le logement collectif, la mairie a mis en place une politique volontariste de construction de logements depuis 2004. Qualifié de maire bâtisseur autant par ses partisans que par ses détracteurs, le maire entend ainsi faire de la commune la capitale économique de l’est parisien et un pôle urbain attractif.

C’est la création de la ville nouvelle en 1965 qui contribue au développement de la commune. Des années 1970 à l’arrivée du maire actuel, Michel Pajon, en 1992, on note une forte présence de l’État en ce qui concerne l’aménagement du territoire communal.

Aujourd’hui, la municipalité souhaite s’émanciper de l’action de l’Établissement Public d’Aménagement de Marne-le-Vallée (EPA Marne).

L’attractivité constitue un objectif politique clairement exprimé par le maire de Noisy- le-Grand. La mairie entend permettre à la ville de jouer un rôle déterminant de pôle éco- nomique mais aussi résidentiel, dans une dynamique d’échelle régionale. C’est à ce titre qu’elle mène une politique de densification forte qui se caractérise notamment par la mise en place de plusieurs projets de développements résidentiels et mixtes de grande hau- teur sur une partie de ses quartiers pavillonnaires. Pour cela elle effectue une acquisition systématique des parcelles notamment en faisant appel à l’Établissement Public Foncier d’Ile-de-France, dans le cadre de Zones d’Aménagement Concerté (voir Figures 3).

Figure 3 a : Photographie de la rue Pierre Brosolette en juillet 2008. Source : Google Street Map (date de la prise de vue : juillet 2008)

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Figure 3b : Vue en perspective des principes d’aménagement de la ZAC du Clos aux Biches.

Source : Extrait du Dossier de création de la ZAC « Le Clos aux Biches »,

Étude d’Impact (mars 2005 : 87)

L’une des premières raisons évoquées par les différents acteurs de la commune pour justifier la politique de densification est le besoin accru de logements pour les Noiséens mais aussi au niveau régional. La commune s’inscrit ainsi pleinement dans la lignée du projet de SDRIF10 qui met l’accent sur la densification des espaces urbains existants et la mutation des friches, en donnant la priorité aux espaces les mieux desservis. La densifi- cation forte est alors conçue comme un moyen de répondre à la politique volontariste de construction de logements dans laquelle la ville s’est engagée.

En effet, compte tenu des objectifs que la ville s’est fixée en termes de production de logements et d’activités, il existe un enjeu fort de libération de foncier à Noisy-le- Grand. Or, d’après les acteurs municipaux, le territoire communal est presque totalement urbanisé : il resterait très peu d’emprises foncières libres. C’est dans ce contexte que la commune justifie son intervention sur du foncier déjà bâti, qualifié, par les acteurs ren- contrés, de foncier « peu dense » comme les tissus pavillonnaires. Si la part de maisons individuelles est moindre par rapport au nombre de logements collectifs, les surfaces d’habitat pavillonnaire dominent néanmoins spatialement la commune (voir Figure 6.3).

Elles couvrent 40 % du territoire communal urbanisé.

10 Projet du SDRIF adopté par délibération du Conseil régional en 2008.

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Sur des secteurs dits de « projet », on a alors affaire à une politique de type intervention- niste, dans la mesure où ces secteurs sont soumis à une intervention directe de la municipalité qui met en œuvre un projet d’aménagement venant densifier fortement les quartiers pavillon- naires. À ce titre, la commune de Noisy-le-Grand fait appel à toute une panoplie d’instruments (droit de préemption urbain, secteur de projet, sursis à statuer, établissement public foncier etc.) qui lui permet de mener à bien son projet d’aménagement. Selon les déclarations des acteurs municipaux, ces outils sont indispensables pour que la puissance publique puisse être le maître d’ouvrage de la fabrication de la ville, plutôt que « laisser faire les forces du mar- ché ». Le quartier du Clos aux Biches par exemple, considéré comme du tissu « agricole peu bâti », est ainsi l’un des quatre secteurs de projets produits par cette politique interventionniste de densification. Localisé à environ 1 km du centre-ville, il se trouve à proximité de deux sta- tions du RER A, celles de Noisy-le-Grand Mont d’Est et de Bry-sur-Marne.

C’est la SOCAREN, Société d’Economie Mixte (SEM) municipale, qui s’est vue confier l’aménagement de la ZAC du Clos aux Biches, par une convention passée avec la ville de Noisy-le-Grand le 12 mai 2005. Le programme confié à la SEM portait sur envi- ron 1 500 logements dont 30 % de logements sociaux, 40 % en accession subventionnée et 30 % en accession libre. Il prévoyait également des commerces en pied d’immeubles et divers équipements (crèches, établissement pour personnes âgées, groupe scolaire, etc.).

Si le projet est maintenu tel quel, on passerait d’une densité résidentielle d’environ 8 logements par hectare11 à une densité résidentielle de 161 logements par hectare, soit une multiplication par 21 de la densité résidentielle d’origine.

Le choix de la densification forte est ainsi affiché comme une nécessité pour que Noisy-le-Grand devienne un pôle urbain majeur de la hiérarchie régionale : c’est une des seules manières, ainsi que l’affirment les élus de la commune12, de pouvoir construire de façon massive des logements et des équipements, pour accueillir une population nouvelle ou encore des entreprises nécessitant des surfaces logistiques parfois importantes.

Cette politique est ainsi explicitement articulée à la nécessité de faire de Noisy-le- Grand un pôle économique et d’habitat majeur, ce qui inscrit clairement la ville dans une dynamique de post-suburbanisation visant un degré de centralité sub-régionale.

2.4.2. Une politique flexible à Markham

La ville de Markham est une municipalité canadienne suburbaine de 260 000 habi- tants située au nord-est de Toronto, dans la couronne de banlieue intérieure par rapport à cette dernière. En termes de transports, la ville est desservie par des bus interurbains provinciaux rapides et il existe aujourd’hui un projet d’extension de la ligne « Yonge » du système de métro de la ville de Toronto dont l’un des arrêts se situe à la frontière

11 On dénombrait avant le début des opérations de démolitions 70 pavillons sur cet espace de 9,3 hectares.

12 C’est ce dont témoigne cet extrait d’entretien réalisé avec un responsable municipal : « Il y a un vrai poten- tiel qui doit être mis au service de la collectivité région pour jouer son rôle à la fois de pôle économique mais aussi de lieu d’habitation (…). Il faut qu’on fabrique du foncier. Comme le territoire urbanisable est quasiment totalement urbanisé, évidemment on va intervenir sur du foncier déjà bâti et peu dense (…). Donc sur tous ces projets on est bien sur cette logique de densifier. Puisque sur des tissus très faiblement bâtis, on va passer à des densités de 1 voire plus. On va avoir des immeubles à 4-5 niveaux, on va avoir des appartements, ce ne sera plus des maisons » (Entretien réalisé le 11/01/2011).

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de Markham, ce qui a des conséquences importantes sur le développement futur de la ville. Markham est aujourd’hui une ville en pleine croissance et l’une des municipalités les plus riches du Canada. Cette attractivité est le résultat d’une politique de croissance économique initiée à la fin des années 1980 et notamment avec l’installation de la com- pagnie IBM. C’est ensuite dans la continuité d’une croissance économique et urbaine forte consécutive à l’arrivée de nombreuses autres compagnies, que la municipalité a mis en place une stratégie de développement plus volontariste pour accueillir de nouveaux équipements (résidentiels, de bureaux et commerciaux). Depuis le début des années 1990, la ville s’est progressivement transformée d’une suburb traditionnelle, principalement à vocation résidentielle en un véritable pôle post-suburbain caractérisé par la présence de nombreuses entreprises et d’équipements et services à vocation métropolitaine.

C’est également à cette période que la ville s’est engagée dans une politique volon- tariste de densification dont l’un des objectifs majeurs est de créer un centre urbain aux formes compactes. Mais bien que cette politique ait été mise en place dès le milieu des années 1990, il a fallu attendre une dizaine d’années pour que le marché s’adapte à cette nouvelle donne et que des constructions denses voient effectivement le jour.

L’inertie du marché

Une des raisons de cette inertie est que les promoteurs qui avaient jusque dans les années 1990 eu l’habitude de travailler à Markham opéraient en extension de l’espace urbain existant et le plus souvent selon des formes urbaines très peu denses (construction de maisons individuelles principalement). Dès lors la dynamique de marché correspon- dant aux possibilités offertes par cette politique ambitieuse de densification a seulement émergé à la fin des années 1990.

La densification, si elle est permise par les documents d’urbanisme, n’est possible que si le marché et les infrastructures locales le permettent. À Markham, plusieurs éléments supra-locaux ont permis de créer un climat favorable à la densification. La consolidation du transport urbain régional, le projet d’extension du métro de Toronto jusqu’à Markham et l’instauration d’une ceinture verte sont autant d’éléments qui créent un climat favorable à la densification des zones bâties. En outre, la politique duale de gestion de la croissance repré- sentée par le Growth Plan et le Greenbelt Plan (ceinture verte) a eu, de l’avis de nombreux observateurs, une influence considérable sur la création de « marchés de la densification ».

Autrement dit, l’augmentation des droits à construire dans les Urban Growth Centres, cou- plée à la limitation du nombre de terrains constructibles par l’instauration de la ceinture verte, a eu un effet de viabilisation économique de la densification, du fait de la raréfaction du foncier constructible13. Ceci montre que les autorités supra-locales, et en particulier ici la Province de l’Ontario, peuvent être créatrices de marché. La province joue donc un rôle non négligeable dans le système d’action de la densification forte à Markham. On notera d’ailleurs que la dynamique a été différente à Guelph, notamment du fait des contraintes réglementaires qui ont longtemps perduré en matière de densification plus forte.

13 À ce propos, entre 2005 et 2011, les prix fonciers ont presque doublé (Données de la compagnie de crédit immobilier Real Estate Finance Group). Cette augmentation des prix fonciers, en rendant plus coûteuse une opération dans sa partie « acquisition foncière », favorise les gros projets dont les marges financières permettent de couvrir les surcoûts de la densité à la différence de projets plus petits.

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Unedensificationforteorchestréeparlesgrandescompagniesdepromoteursimmobiliers C’est seulement depuis quelques années qu’on observe un changement dans les pratiques de construction à Markham qui alimentent un processus de densification forte. Il est caractérisé par la multiplication de projets de grande envergure incluant la construction d’immeubles de grande hauteur résidentiels et/ou mixtes qui viennent petit à petit couvrir les espaces vacants du nouveau centre-ville de Markham autrefois à dominante pavillonnaire (voir Figure 4). Ces projets sont principalement pilotés par de grandes compagnies de promotion immobilière.

Figure 4 : Programme de densification résidentielle à proximité immédiate d’un quartier pavil- lonnaire à Markham (Source : Touati, 2012)

Les constructions en question viennent densifier un tissu lâche, sur une parcelle vacante bordée au nord par un quartier résidentiel pavillonnaire (voir Figure 5).

Figure 5 : Images aériennes du secteur du boulevard Cox en 2002 (gauche) et en 2009 (droite : projet en rouge). Source : Google Earth, 2012 (images satellite datant respectivement du 18/05/2002 et du 1er /09/ 2009)

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La municipalité de Markham revendique pleinement cette politique incitative de den- sification laissant la part belle aux acteurs privés. Ainsi, dans le processus de densification effectif, la municipalité joue un rôle parmi d’autres (technique et réglementaire), là où les acteurs privés (promoteurs immobiliers, agents immobiliers, bureaux d’étude, etc.) du déve- loppement urbain jouent un rôle plus influent (notamment sur les choix de localisation, sur la nature et la forme des programmes de construction) dans l’évolution du processus.

Cette politique incitative est en outre justifiée, selon les responsables municipaux, par la nécessité de concurrencer la ville de Toronto en termes d’habitat et d’emploi et donc d’être attractif pour les promoteurs immobiliers notamment. Une des manières d’attirer ces derniers est par exemple d’adopter une réglementation plutôt lâche qui contribue à augmenter leurs marges de manœuvre en faveur de la densification forte. C’est précisément ce qu’a fait la ville de Markham, le document d’urbanisme (official plan) offrant de grandes marges d’interpré- tation dans les hauteurs et les densités admises sur certains secteurs. C’est ainsi que plusieurs de nos interlocuteurs à la région de York, utilisaient le terme de « free ride densification » pour qualifier la politique mise en œuvre à Markham. La densification est en effet peu contrôlée dans sa forme par la municipalité et est explicitement encouragée pour répondre à un objectif de croissance urbaine et économique, dans le but de positionner favorablement Markham dans la compétition entre municipalités de l’aire du Grand Toronto (Greater Toronto Area).

À ce titre, à l’inverse du cas de Guelph, la volonté de la municipalité est d’aller encore plus loin14 que ce qui est imposé par la Province en dépassant les objectifs de densification prescrits. Il s’agit d’une véritable attitude volontariste en matière de densification, reven- diquée par le maire de la ville lui-même15.

En outre, le choix de la densification forte, alors que la ville de Markham possède encore beaucoup de marges de manœuvre en termes de foncier disponible, témoigne ainsi d’une stratégie de centralité subrégionale.

2.4.3. Des politiques de densification forte articulées à des stratégies de centralité sub-régionale

L’observation des dynamiques de construction à Markham et Noisy-le-Grand, deux muni- cipalités situées en proche banlieue de leur capitale régionale respective, met en évidence un deuxième type de transformation des tissus pavillonnaires : les processus de densification forte qui changent plus radicalement les formes urbaines. Dans les deux cas étudiés, les sys- tèmes d’action de la densification forte font notamment intervenir des grandes compagnies de promotion immobilière, aspect que nous ne développons pas dans le cadre de cet article.

14 Plus précisément, alors que l’objectif de densification qui avait été imposé était de 40 % (c’est à dire que 40 % des nouvelles constructions doivent être localisées à l’intérieur de l’enveloppe urbaine désignée), la ville de Markham se donne pour objectif d’atteindre un taux de 60 % de densification, à l’inverse de la ville de Guelph qui a demandé une réduction des objectifs de densification

15 “The Growth Plan didn’t change anything in terms of the direction, if anything it set perhaps a higher goal in the sense of greater intensification (…). It gave us some new opportunities and again not only to meet but exceed the provincial plan on growth and population (…). The Growth Plan had designated 40 % of the new growth being in the urban envelope (…). We here decided that 60 % of the new growth will happen in the urban envelope. So I would say that the Growth Plan is a very good base on which to strengthen on our local policy about intensification” (Entretien avec le maire de Markham, le 07/03/2012).

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Ces processus résultent en grande partie de politiques dont certaines des orientations sont similaires, comme la volonté de faire de la municipalité considérée un pôle urbain subrégional. On peut en revanche noter que contrairement au cas de Noisy-le-Grand où c’est la municipalité qui est au centre à la fois de l’élaboration mais aussi de la mise en œuvre de la politique de densification forte, la politique incitative de densification forte à Markham fait des promoteurs immobiliers les principaux acteurs du processus.

Discussionetconclusion:despolitiquesdedensificationarticuléesàdesstratégies decentralitésdifférenciées

Nous avons étudié dans cet article des processus contrastés de densification résiden- tielle dans quatre communes périphériques des agglomérations parisienne et torontoise.

Alors que la ville compacte est aujourd’hui plébiscitée comme favorisant la construction de villes « durables », les cas présentés montrent que la densification constitue aujourd’hui un instrument permettant de répondre à des enjeux politiques locaux grandement diffé- renciés en fonction de la situation économique, sociale et géographique des communes au sein de la métropole. Les schémas conceptuels qui décrivent les dynamiques urbaines et politiques contrastées entre la banlieue traditionnelle et la ville centre peuvent être revisités à la lumière des évolutions que connaissent aujourd’hui les espaces suburbains et périurbains. Le statu quo en faveur de la préservation du cadre de vie souvent attribué à la suburb résidentielle traditionnelle, ou plus récemment aux communes résidentielles clubbisées françaises (Charmes, 2011), opposé au schéma de la coalition de croissance (Logan et Molotch, 1987) le plus souvent appliqué aux villes-centre notamment, n’épuise pas la diversité des dynamiques actuelles de régulation des espaces périurbains. Les cas présentés ici nous amènent à nuancer cette opposition, et à nous démarquer de ces deux modèles types, à l’image de l’évolution des suburbs évoquée par le concept de post- suburb. En outre, les études de cas donnent à voir différents types d’évolutions post- suburbaines.

Desstratégiespost-suburbainesdecentralitédifférenciées

L’analyse fine des processus en contexte et des différentes politiques visant spécifique- ment la densification fait apparaître un résultat important : dans les quatre municipalités, les politiques de densification affichées sont explicitement articulées à une recherche de cen- tralité relative. Le degré de centralité de la municipalité considérée, qui dépend entre autres du degré d’accumulation d’équipements, de services et de commerces et du degré de diver- sification des fonctions présentes sur le territoire (notamment par rapport aux municipalités voisines) s’apprécie alors à l’aune d’une analyse multi-scalaire au sein des régions étudiées.

Plus précisément, les quatre cas mettent en évidence un lien fort entre politique de densification et projet urbain et économique de la municipalité considérée. Dans les municipalités étudiées, la forme de la densification mise en œuvre au sein des espaces à dominante pavillonnaire dépend en partie du degré de centralité visé par une municipalité donnée dans la hiérarchie régionale en formation, que l’on peut interpréter comme une conséquence du processus de post-suburbanisation. Selon la définition adoptée dans cet article, il s’agit d’un processus par lequel des espaces aux caractéristiques initialement suburbaines (fonctions principalement résidentielles) évoluent de façon dynamique et se

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