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Géographie Économie Société : Article pp.3-24 du Vol.17 n°1 (2015)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 3-24

Régénération culturelle et développement de clusters créatifs :

l’exemple de l’agglomération du Grand Manchester

Bruno Lusso

Professeur certifié d’histoire et de géographie, Docteur en géographie, Chercheur associé au Laboratoire TVES

UFR de Géographie et Aménagement de Lille, Université Lille 1 Cité Scientifique, Avenue Paul Langevin, 59655 Villeneuve d’Ascq Cedex

Résumé

L’agglomération du Grand Manchester a pour caractéristique d’avoir connu à partir des années 1960 un effondrement de son activité textile traditionnelle. En s’appuyant sur la capacité d’entre- prise de ses grandes familles capitalistes, la conurbation s’est réorientée vers une économie majo- ritairement tertiaire (banques, enseignement supérieur et recherche, publicité, production télé- visuelle) stimulant le tissu créatif et artistique local. Afin d’accompagner le développement de ces industries émergentes, les pouvoirs publics ont lancé en partenariat avec des acteurs privés, diverses opérations de régénération culturelle des quartiers industriels et créé diverses structures chargées d’animer et de rapprocher les acteurs des industries créatives. Si la croissance de l’éco- nomie culturelle mancunienne est très forte, les collaborations au sein des différentes industries créatives demeurent encore marginales.

Mots clés : économie culturelle, industries culturelles et créatives, proximités, régénération urbaine, développement métropolitain.

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

doi :10.3166/ges.17.3-24 © 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant : blusso@cegetel.net

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Summary

Cultural regeneration and development of creative clusters: the example of the Greater Manchester metropolitan area. Since the 1960s, the Greater Manchester metropolitan area has faced a traditional textile activity decline. Thanks to the capitalist families entrepreneurship, the Manchester conurbation has refocused metropolitan economy on new service activities (banks, higher education, research, advertising, television production…) and has boosted its creative and artistic milieu. The objective of the Manchester public authorities is to help these emerging acti- vities development. So, they have launched with private actors several operations of industrial districts cultural regeneration and the creation of creative and cultural industries network orga- nizations. If the growth of the cultural economy is very important, partnerships between creative industries actors remain very limited.

Keywords: cultural economy, cultural and creative industries, proximities, urban regeneration, metropolitan development.

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Introduction

Le terme d’industries culturelles largement employé dans le domaine de la philosophie de l’art ou de l’économie de la culture, désigne l’ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l’essentiel de la valeur tient dans leur contenu symbo- lique : livre, musique, cinéma, télévision, radio, jeux vidéo. Les industries culturelles se dis- tinguent des industries créatives, dans la mesure où elles s’intègrent dans ce vaste ensemble que le Département de la Culture, des Médias et des Sports du gouvernement de Tony Blair définit comme « des industries qui ont pour origine la créativité individuelle, l’habileté et le talent et qui ont un potentiel de création de richesses et d’emplois en générant et en exploi- tant la propriété intellectuelle. Ainsi, les “industries créatives” comprennent la publicité, l’architecture, le marché d’art et d’antiquité, l’artisanat, le design, la mode, le stylisme, les films, la vidéo, les logiciels de loisirs interactifs, la musique, les arts du spectacle, l’édition, les jeux pour ordinateur, la télévision et la radio » (DCMS, 1998). Pour l’UNESCO (2006) qui propose une définition relativement similaire, « les industries créatives englobent les industries culturelles auxquelles s’ajoutent toutes les activités de production culturelle ou artistique, qu’elles aient lieu en direct ou qu’elles soient produites à titre d’entité indivi- duelle. Les industries créatives sont celles dont les produits ou les services contiennent une proportion substantielle d’entreprises artistiques ou créatives et comprennent des activités comme l’architecture et la publicité ». Selon l’UNESCO, ces deux concepts ne sont donc en rien synonymes ou interchangeables dans la mesure où l’objectif des industries créatives n’est pas à proprement parler culturel.

Le Grand Manchester ou Greater Manchester est un comté métropolitain constitué de dix districts métropolitains et créé le 1er avril 1974 à la suite du Local Government Act de 1972. Située au nord-ouest de l’Angleterre, la conurbation du Grand Manchester est l’une des agglomérations les plus peuplées du Royaume-Uni avec une population totale de 2,57 millions d’habitants. Le Grand Manchester est un ancien centre textile et portuaire dont le décollage date du début de la Révolution industrielle. Le développement industriel

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a entraîné une importante concentration des populations et a profondément marqué le pay- sage urbain. Or, dès les années 1960, les activités industrielles traditionnelles connaissent un recul rapide entraînant la disparition massive des emplois, le départ des investisseurs, la hausse du taux de chômage, de la pauvreté et une forte émigration. La difficulté pour ces régions à résoudre leurs problèmes entraîne la nécessaire intervention des pouvoirs publics qui, par des aides injectées dans l’économie régionale, vont appuyer les politiques de recon- version axées sur le développement de l’économie des services. Malgré tout, l’aggloméra- tion mancunienne demeure victime d’une image particulièrement dépréciée en raison de la dégradation du cadre de vie et de l’environnement urbain provoquée par plusieurs décen- nies d’activité industrielle intensive. L’amélioration de l’image de marque de la conurbation industrielle va donc devenir un véritable enjeu politique.

À partir des années 1980, la problématique du rôle de la culture dans le développement économique évolue profondément. La culture, originellement considérée comme un luxe subordonné à une croissance urbaine forte, est devenue un outil de développement terri- torial. La culture sert désormais de levier à nombre de projets de requalification urbaine (Andres, Ambrosino, 2008). Considérée comme motrice dans les processus de transfor- mation physique et sociale des espaces déprimés, la régénération culturelle (Bianchini et Parkinson, 1993) s’est imposée dans l’esprit des pouvoirs publics comme une des stra- tégies de développement urbain, notamment dans les anciens quartiers industriels, et ce dans une optique de redynamisation territoriale et de marketing urbain (Ingallina et Park, 2005). C’est en ce sens qu’il faut comprendre le soutien à partir des années 1990 des édiles de l’agglomération de Manchester en direction de l’économie culturelle et créative.

Peut-on qualifier de « créative » l’agglomération de Manchester ? 1. Les dynamiques territoriales des industries culturelles et créatives

La ville demeure le lieu où s’exprime de manière privilégiée la créativité (Grésillon, 2002) comme le montre le célèbre exemple des réalisations artistiques de la Renaissance dans les villes italiennes sous l’égide des Médicis. En effet, la concentration des popula- tions dans les plus grandes agglomérations urbaines augmente de manière substantielle la probabilité de trouver des créateurs et un public réceptif à l’innovation artistique (Scott, 2005) si bien que Jacqueline Beaujeu-Garnier a choisi dans son manuel de Géographie Urbaine publié en 1988 d’identifier au sein des fonctions métropolitaines des « fonctions de création et de transmission ». De ce fait, il apparaît important de présenter dans cette première section les principaux débats relatifs à la ville créative, et plus généralement à la créativité, stimulée par la proximité et les collaborations entre les différents talents.

1.1. Les débats autour de la créativité et de la ville créative

Robert J. Sternberg et Todd I. Lubart (1995) définissent la créativité comme « l’habileté à produire un travail qui doit être nouveau (original et inattendu) et appropriable (utile) ».

Margaret A. Boden (1994) suggère pour sa part que la créativité trouve son fondement dans la recombinaison de connaissances existantes et que « ces nouvelles combinaisons doivent être porteuses car pour qualifier une idée de créative, il ne faut pas qu’elle soit simplement nouvelle mais intéressante ». Le principal débat développé sur la créativité au sein de la com-

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munauté scientifique est celui qui oppose les tenants d’une créativité individuelle et ceux d’une créativité collective. Ainsi, Hans Joas parle de la « la créativité de l’agir » (1999) pour souligner l’appartenance de la créativité à l’espace de l’expérience individuelle et non de la connaissance partagée. La littérature a traditionnellement attribué au créateur le caractère de génie torturé vivant en marge de la société et menant une vie faite d’excès à l’image d’Arthur Rimbaud, grand consommateur d’absinthe (Brenot, 2007). Toutefois, il apparaît assez réduc- teur de nos jours de considérer le créatif comme l’individu désocialisé de l’imaginaire col- lectif. L’approche actuelle de la créativité et de l’innovation en entreprise insiste aussi sur le caractère collectif de la création de produits et de services. La diversité cognitive engendrée par un groupe social permet alors de stimuler le potentiel créatif (Milliken, Bartel et Kurtzberg, 2003). Alan G. Robinson et Sarah Stern (1998) affirment même que la créativité en entreprise est engendrée par des échanges imprévus d’informations entre employés et entre services, ce qui favorise l’émergence des projets initialement non programmés. La créativité n’est pas un don, mais une capacité partagée par le plus grand nombre à créer des croisements d’idées imprévus que l’entreprise doit chercher à encourager et à valoriser. La créativité devient alors un attribut social (Rouquette, 1973) dans la mesure où le créatif doit acquérir une légitimité au sein du groupe social auquel il appartient. La confiance et l’acceptation de la différence deviennent alors des éléments clés sous-jacents de la créativité (Suire, 2004). La créativité a donc pris une place croissante dans l’économie, notamment en raison du développement des thèses sur la ville créative de Charles Landry (2000) et Richard Florida (2002).

À partir du milieu des années 1990, les travaux de l’urbaniste-sociologue Charles Landry ont cherché à mettre en évidence les relations entre créativité et développement des territoires. Son ouvrage, The Creative City: A toolkit for urban innovators, sorti en 2000, a permis de populariser la notion de ville créative au sein de la communauté scien- tifique. Son questionnement sur la ville créative provient de l’analyse de la crise urbaine qui a affecté un bon nombre de villes industrielles anglaises qui ont connu au cours des années 1970 et 1980 un effondrement de leur système productif fondé sur la mono-indus- trie, entraînant une crise économique et sociale sans précédent. Ces villes, après avoir tenté en vain diverses alternatives économiques de sortie de crise, ont cherché, avec suc- cès parfois, à trouver des ressources de redéploiement en régénérant par la culture et les industries créatives d’anciens quartiers industriels tombés en déshérence. À partir de ce constat, Charles Landry développe l’idée que la créativité ne se situe pas seulement du côté du marché du travail, mais qu’elle est aussi au cœur de l’urbanisme. Pour lui, les décideurs publics doivent être en mesure de créer le cadre urbain qui permette aux créatifs de s’épanouir. De ce fait, les politiques publiques doivent être capables de développer un projet culturel d’envergure gourmand en capitaux publics, mais aussi de répondre à des impératifs en matière de développement économique. La culture du territoire peut donc devenir un atout dans le sens où elle permet l’activation d’une identité propre au territoire tout en la faisant s’ouvrir et dialoguer avec le monde. La notion développée par Charles Landry inscrit clairement la problématique de la ville créative dans un questionnement européen autour de la gestion de la crise urbaine et de la revitalisation des villes avec une forte implication des pouvoirs publics. En ce sens, elle se distingue très clairement de la théorie de Richard Florida développée au même moment à partir de l’exemple des villes nord-américaines où l’intervention publique dans les processus de régénération urbaine et culturelle est beaucoup plus limitée.

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Dans son ouvrage The Rise of the Creative Class publié en 2002, l’économiste amé- ricain Richard Florida avance l’idée d’une corrélation certaine entre la présence d’une classe créative dans les grandes villes et d’un haut niveau de développement économique.

Travaillant sur la structure de l’emploi des villes, Richard Florida identifie la classe créa- tive comme une population urbaine, mobile, qualifiée et connectée. Cette classe créative se localise en fonction de trois paramètres : la technologie, le talent et la tolérance. Si la technologie intimement liée aux dynamiques d’innovation ne fait pas débat, les deux autres catégories paraissent toutefois beaucoup moins communes. Les personnes dotées d’un talent défini chez Richard Florida simplement en fonction du niveau d’études, sont attirées par les villes qui disposeraient d’une vie culturelle dynamique avec des équipe- ments culturels de qualité, des festivals ou une importante vie nocturne. La présence dans ces villes de minorités visibles (communautés étrangères ou homosexuelles, quartiers branchés d’artistes qualifiés de « bohémiens » et animant une culture off) encouragerait un dépassement des idées conventionnelles et une ouverture des talents dont la créativité serait stimulée. Ainsi se crée un cercle vertueux, le talent attirant le talent, mais aussi les entreprises, le capital et les services. Pour appuyer ses thèses, Richard Florida a mis en place une batterie d’indicateurs statistiques comme le Gay Index ou le Bohemian Index, censés mesurer l’attractivité d’une ville à partir du nombre d’artistes et d’homosexuels qui y sont implantés.

Néanmoins, ses indicateurs, tout comme sa définition de la ville créative, suscitent une vive polémique au sein de la communauté scientifique. En effet, de nombreux pro- grammes de recherche internationaux tentent de vérifier la validité de la thèse de Florida (Programme ACRE, Chantelot, 2006). Les critiques se multiplient (Levine, 2004 ; Tremblay, 2006 ; Vivant, 2006 ; Tremblay et Tremblay, 2010). Ces dernières ont pour point commun de remettre en cause les thèses de Richard Florida sur les points suivants :

– une interprétation simplifiée et schématique du phénomène de croissance économique en milieu urbain ;

– l’absence de prise en compte de la banlieue comme espace potentiel de localisation de la classe créative ;

– des choix méthodologiques discutables comme le Gay et le Bohemian Index qui déter- minent selon Florida des villes plus créatives que d’autres.

Néanmoins, ces critiques n’ont pas pour autant empêché l’engouement politique pour la thèse de la classe créative dans la mesure où se multiplient les études institutionnelles qui cherchent à classer les villes sur cette nouvelle échelle de l’attractivité urbaine.

1.2. Succès et mise en œuvre des politiques en direction de la créativité

Ainsi, au début des années 2000, la ville créative est devenue le nouveau credo du développement économique des villes. L’enjeu est important pour ces villes qui cherchent à renoncer à leur passé industriel pour mieux aborder le virage de l’économie de la connaissance. « Comme les expériences des années 1980 ont montré qu’il n’était pas facile pour des villes de tradition industrielle de se reconvertir dans les hautes techno- logies, par manque d’institutions de recherche et à cause d’une faible réactivité du tissu industriel local, le pari des industries culturelles devrait être plus facile à relever car la créativité est une ressource plus accessible (pense-t-on) que la connaissance scientifique

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exigée pour engendrer des innovations technologiques » (Liefooghe, 2009). Il n’est donc pas étonnant de voir l’UNESCO initier un Réseau des Villes Créatives, avec pour finalité

« le partage des expériences, des idées et des bonnes pratiques visant le développement culturel, social et économique. Les villes pourront ainsi perpétuer leur rôle de centres d’excellence et aider d’autres villes, en particulier du monde en développement, à ren- forcer leur propre créativité » (UNESCO, 2004). Il en est de même pour les programmes successifs Urbact I, II et III qui visent à échanger et à capitaliser les expériences entre les différentes villes européennes en matière de régénération culturelle et de soutien aux industries créatives. C’est dans ce cadre que des échanges notables ont pu être dévelop- pés entre différentes métropoles anciennement industrialisées comme Lille, Birmingham, Manchester ou Katowice. En Europe, une quarantaine de villes revendiquent aujourd’hui le titre de ville créative. Mais c’est le gouvernement travailliste britannique qui est l’une des premières institutions à mettre en place dès 1997 un ambitieux programme de soutien à la créativité par le biais du Département de la Culture, des Médias et du Sport (DCMS).

Ce programme vise à faciliter la transformation d’anciens quartiers industriels par le développement de clusters reposant sur les industries créatives.

Ces initiatives politiques sont indubitablement liées aux recherches scientifiques menées sur les pratiques culturelles et créatives observées dans d’anciennes friches industrielles.

De nombreux chercheurs pensent que la crise qui caractérise les villes, et à une échelle plus fine les friches industrielles, constitue aussi une période charnière annonçant un éventuel renouveau (Hall, 1998). Les processus de reconquête des friches industrielles, véritables stigmates physiques de la crise, grâce à la culture et aux pratiques artistiques, participe- raient de ce mouvement. Dans certains de ces espaces dévitalisés, « l’après crise s’offre comme un temps de veille révélateur de leurs potentialités sociales et urbaines » (Andres et Ambrosino, 2008). Dans les villes, les friches industrielles ont pour caractéristique de se localiser dans des quartiers péricentraux parfois confrontés à de sérieux problèmes d’acces- sibilité et de pollution. L’habitat situé à proximité abrite une population socialement défa- vorisée, parfois confrontée à des problèmes d’insécurité. Ceci a plutôt tendance à effrayer les investisseurs. Le contexte peu favorable, le relatif isolement et l’état potentiel de dégra- dation des bâtiments placent souvent les friches industrielles, mais aussi les secteurs urbains qui leur sont rattachés, en dehors du marché foncier (Bonneville, 2004), ce qui est particu- lièrement le cas lorsqu’aucun projet urbain n’est envisagé. La présence de vastes espaces libres en pleine ville encourage des artistes souvent en marge et/ou désargentés à réinvestir les lieux de manière légale ou sous la forme de squats.

C’est ainsi qu’ont émergé ce que la Délégation interministérielle à la Ville a appelé au début des années 2000 les Nouveaux Territoires de l’Art que nous pouvons égale- ment nommer « friches culturelles », « fabriques artistiques » ou encore « art factories ».

Ce processus de réhabilitation des friches par les activités culturelles ou créatives existe depuis la fin des années 1960 (Grésillon, 2008). Longtemps restés des lieux spontanés et sauvages, occupés par des collectifs d’artistes en opposition idéologique avec le pou- voir dominant, ces friches culturelles changent de nature à la fin des années 1980. Leurs occupants n’étant plus en opposition systématique avec le pouvoir, elles reçoivent désor- mais le soutien des pouvoirs publics qui ont clairement compris l’enjeu que pouvaient représenter les artistes dans ces friches en matière d’image culturelle. En effet, certaines collectivités territoriales vont jusqu’à reconstituer des lieux de création artistique dans

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d’anciennes friches industrielles désaffectées. C’est le cas dans le Nord-Pas de Calais avec la scène nationale Culture Commune dont les compagnies théâtrales sont accueillies dans l’ancien site minier du 11/19 de Loos-en-Gohelle, à proximité de Lens, fermé en 1986 et entièrement réhabilité dans les années 1990 en Fabrique Théâtrale (Lusso, 2011).

D’ailleurs, les animateurs de ces lieux ou les directeurs sont bien souvent des stratèges qui ont intégré le vocabulaire du marketing urbain et qui saisissent parfaitement les enjeux économiques métropolitains (Grésillon, 2008).

Ces créateurs deviennent aux yeux des pouvoirs publics une ressource précieuse pou- vant contribuer à la transformation d’une friche urbaine en un quartier culturel dynamique.

Les pouvoirs publics, s’appuyant sur les expériences réussies de friches culturelles dans un bon nombre de villes nord-américaines multimillionnaires comme New York, Los Angeles ou Baltimore, décident de saisir le potentiel de « reimageenering » (Paddinson, 1993) que peuvent offrir la culture et les industries créatives dans une optique de redyna- misation territoriale de ces anciens quartiers industriels et de marketing urbain (Ingallina et Park, 2005). Ainsi, en matière d’action publique, la planification de clusters culturels au sein de quartiers labellisés « culturels et créatifs » ou d’« industries culturelles » est en passe de devenir une « orthodoxie de l’aménagement et de la revitalisation urbaine » (Mommaas, 2004 ; Scott, 2004). Les initiatives politiques se multiplient pour offrir aux créatifs la qualité de vie et l’ambiance urbaine supposées les attirer (Liefooghe, 2009) en régénérant ces anciens quartiers industriels ou en institutionnalisant les squats. Par ailleurs, les aménageurs n’hésitent pas à s’inspirer – de manière explicite ou implicite – de modèles qui existent dans les grandes villes états-uniennes ou dans certaines villes anglaises sous l’impulsion des théories de Charles Landry. Pourtant, la dynamique des industries créatives observée dans des villes multimillionnaires comme New York ou Los Angeles qui possèdent par ailleurs de puissantes industries culturelles largement entre- tenues par des structures de formation de renom et un esprit entrepreneurial très fort, est fatalement très différente de celle observée dans des villes moyennes qui n’ont en aucun cas la même masse critique en termes de tissu économique, de marché du travail et d’ani- mation culturelle (Liefooghe, 2010).

Les grandes métropoles offrent donc les conditions indispensables à l’essor d’une pro- duction culturelle et artistique qui présente différentes caractéristiques. À ce sujet, les géographes Allen J. Scott et Frédéric Leriche (2005) ont souligné trois phénomènes spa- tiaux propres à ce genre de production que sont :

– la concentration géographique d’un grand nombre de créateurs au statut de travailleur temporaire ou indépendant qui les poussent à être innovants dans leur travail ;

– la constitution de réseaux favorisés par les échanges formels et informels entre les entre- prises, et permettant de réduire les risques pour les créateurs ;

– la circulation des informations et innovations dans le cadre de ces réseaux que les créateurs réutilisent au sein même de leur firme pour développer des idées nouvelles.

Ces trois groupes de critères constituent des facteurs favorables à « l’émergence d’abondantes externalités positives qui doivent être transformées en économies d’ag- glomération par les stratégies de localisation des producteurs » (Scott et Leriche, 2005). Ces différentes constatations nous amènent à poser la question du rôle des proximités et d’une dynamique de cluster dans le développement des industries créa- tives et culturelles.

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1.3. Culture, créativité et dynamiques réticulaires

En dépit de la popularisation des clusters par Michael Porter (1990, 1998, 2000) qui a remis à l’ordre du jour les recherches de Joseph Schumpeter (1911) et celles d’Alfred Marshall (1890) sur les districts industriels, il n’existe actuellement pas de consensus autour d’une définition précise des clusters (Feser, 1998). En effet, « ni la définition de ce qu’est un cluster, ni la délimitation de ses frontières spatiales et de son contenu, ni encore l’identification des conditions de son émergence et de son évolution, ne sont vraiment tranchées. L’étude de la question de la spécificité des clusters et des réseaux d’innovation reste encore embryonnaire ». Néanmoins, trois acceptions du terme sont reconnues par la communauté scientifique :

– La première, économique, met l’accent sur la dimension sectorielle et fait du cluster un regroupement d’entreprises liées par des relations clients-fournisseurs ou par des techno- logies, des zones d’emploi, des clients ou des réseaux de distribution communs.

– La seconde, relationnelle, s’appuie sur la mise en réseau des acteurs et sur la proximité géographique souvent très variable.

– La troisième, plus territoriale, voit d’abord dans le cluster, un lieu, un pôle disposant d’une masse critique d’acteurs (compétences humaines ou technologiques, capacités de pro- duction...), grâce à une forte concentration d’entreprises, d’organismes de recherche et de formation opérant dans un domaine particulier, s’appuyant sur la présence d’un capi- tal-risque, de l’État et des collectivités territoriales et visant l’excellence internationale.

L’ancrage territorial des différents acteurs est par conséquent très fort.

Pour autant, est-il possible de proposer une approche réellement synthétique et opéra- tionnelle de la notion de cluster ? La question de la spécificité des clusters et des réseaux d’innovation a fait l’objet de nombreuses recherches empiriques dans le secteur des hautes technologies (Saxenian, 1994 ; Swann et Prevezer, 1996 ; Feldman, 2003 ; Depret et Hamdouch 2006). L’intérêt de ces travaux plus ou moins récents est qu’ils ont cherché à développer une approche plus précise et opérationnelle de la notion de cluster. Le terme de cluster d’innovations ou cluster innovant a alors progressivement émergé de ces tra- vaux (Pressl et Solimene, 2003 ; Ernst, 2006 ; Depret et Hamdouch, 2006 ; Leducq et Lusso, 2011), supplantant d’autres notions jusqu’ici très régulièrement employées.

Conformément aux approches traditionnelles, la qualité de l’environnement local (infrastructures et cadre de vie), la présence de créatifs ou de talents sont des conditions indispensables à l’émergence d’un cluster innovant. Le cluster innovant s’apparente à la collaboration étroite des différents acteurs du développement territorial déjà identi- fiés par les écoles de pensée traditionnelles sur les clusters : entreprises, structures de formation, instituts de recherche publique et privée, et pouvoirs publics (Etzkowitz et Leydersdorff, 1997). Toutefois, pour que le cluster soit innovant, ces quatre catégories d’acteurs regroupés en associations doivent se mettre en accord autour d’une stratégie ou trajectoire de développement cohérente et définie de manière collégiale (Maillat et Kébir, 1999) à l’échelle régionale (Enright, Dodwell et Scott, 1996), afin de mieux renforcer la résilience du cluster innovant face aux chocs extérieurs. Le cluster doit néanmoins rester ouvert sur le monde extérieur, afin qu’il puisse s’approprier des technologies conver- gentes provenant de clusters concurrents et continuer à proposer des produits répondant aux attentes du marché (Coe, 2001). Ceci suppose des apports financiers considérables

Figure 1 : Les principaux attributs du cluster innovant

Formations

Politiques publiques

Entreprises R&D publique

et privée Equipements

Talents

Environnement

Capitaux Acteurs extérieurs :

- Etat

- Entreprises extérieures au territoire - Clusters concurrents et/ou partenaires aux technologies complémentaires

Gouvernance collégiale

Marché Groupement associatif Paradigme technologique

NI NO VA TI ON

Conditions d'émergence du cluster innovant Paramètres à prendre en compte Territoire régional

Acteurs parties prenantes du cluster Interactions

Objectif

Réalisation : B. Lusso, 2013, TVES, Lille 1, d'après Leducq et Lusso (2011)

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dans le domaine de la R&D pour mieux faire face à une clientèle de plus en plus exigeante en termes de qualité. Le cluster innovant n’a donc en aucun cas une vocation immédia- tement marchande (Glon, 2007) et laisse supposer des dynamiques évolutives (Camagni, 1991 ; Crevoisier, 2001). Ainsi, selon Ron Boschma (2004), se dégagent cinq grandes catégories de proximité (institutionnelle, organisationnelle, géographique, sociale et cognitive) nécessaires à la pérennisation du cluster innovant (figure 1).

Les clusters, notion apparemment purement économique, ont aussi connu des applications dans le monde de la culture grâce aux travaux précurseurs d’Allen J. Scott (1997) sur la concentration géographique des industries culturelles – notam- ment cinématographiques – à Los Angeles. Dans un secteur dominé par des entre- prises de petite taille (Scott, 1997) dont la production repose principalement sur la capacité créative de leurs effectifs salariés, la proximité favorise une émulation et encourage le partage de ressources communes extérieures aux firmes (Storper et Scott, 1995). Ainsi, une quasi-intégration verticale se recompose grâce à ces relations 1.3. Culture, créativité et dynamiques réticulaires

En dépit de la popularisation des clusters par Michael Porter (1990, 1998, 2000) qui a remis à l’ordre du jour les recherches de Joseph Schumpeter (1911) et celles d’Alfred Marshall (1890) sur les districts industriels, il n’existe actuellement pas de consensus autour d’une définition précise des clusters (Feser, 1998). En effet, « ni la définition de ce qu’est un cluster, ni la délimitation de ses frontières spatiales et de son contenu, ni encore l’identification des conditions de son émergence et de son évolution, ne sont vraiment tranchées. L’étude de la question de la spécificité des clusters et des réseaux d’innovation reste encore embryonnaire ». Néanmoins, trois acceptions du terme sont reconnues par la communauté scientifique :

– La première, économique, met l’accent sur la dimension sectorielle et fait du cluster un regroupement d’entreprises liées par des relations clients-fournisseurs ou par des techno- logies, des zones d’emploi, des clients ou des réseaux de distribution communs.

– La seconde, relationnelle, s’appuie sur la mise en réseau des acteurs et sur la proximité géographique souvent très variable.

– La troisième, plus territoriale, voit d’abord dans le cluster, un lieu, un pôle disposant d’une masse critique d’acteurs (compétences humaines ou technologiques, capacités de pro- duction...), grâce à une forte concentration d’entreprises, d’organismes de recherche et de formation opérant dans un domaine particulier, s’appuyant sur la présence d’un capi- tal-risque, de l’État et des collectivités territoriales et visant l’excellence internationale.

L’ancrage territorial des différents acteurs est par conséquent très fort.

Pour autant, est-il possible de proposer une approche réellement synthétique et opéra- tionnelle de la notion de cluster ? La question de la spécificité des clusters et des réseaux d’innovation a fait l’objet de nombreuses recherches empiriques dans le secteur des hautes technologies (Saxenian, 1994 ; Swann et Prevezer, 1996 ; Feldman, 2003 ; Depret et Hamdouch 2006). L’intérêt de ces travaux plus ou moins récents est qu’ils ont cherché à développer une approche plus précise et opérationnelle de la notion de cluster. Le terme de cluster d’innovations ou cluster innovant a alors progressivement émergé de ces tra- vaux (Pressl et Solimene, 2003 ; Ernst, 2006 ; Depret et Hamdouch, 2006 ; Leducq et Lusso, 2011), supplantant d’autres notions jusqu’ici très régulièrement employées.

Conformément aux approches traditionnelles, la qualité de l’environnement local (infrastructures et cadre de vie), la présence de créatifs ou de talents sont des conditions indispensables à l’émergence d’un cluster innovant. Le cluster innovant s’apparente à la collaboration étroite des différents acteurs du développement territorial déjà identi- fiés par les écoles de pensée traditionnelles sur les clusters : entreprises, structures de formation, instituts de recherche publique et privée, et pouvoirs publics (Etzkowitz et Leydersdorff, 1997). Toutefois, pour que le cluster soit innovant, ces quatre catégories d’acteurs regroupés en associations doivent se mettre en accord autour d’une stratégie ou trajectoire de développement cohérente et définie de manière collégiale (Maillat et Kébir, 1999) à l’échelle régionale (Enright, Dodwell et Scott, 1996), afin de mieux renforcer la résilience du cluster innovant face aux chocs extérieurs. Le cluster doit néanmoins rester ouvert sur le monde extérieur, afin qu’il puisse s’approprier des technologies conver- gentes provenant de clusters concurrents et continuer à proposer des produits répondant aux attentes du marché (Coe, 2001). Ceci suppose des apports financiers considérables

Figure 1 : Les principaux attributs du cluster innovant

Formations

Politiques publiques

Entreprises R&D publique

et privée Equipements

Talents

Environnement

Capitaux Acteurs extérieurs :

- Etat

- Entreprises extérieures au territoire - Clusters concurrents et/ou partenaires aux technologies complémentaires

Gouvernance collégiale

Marché Groupement associatif Paradigme technologique

NI NO VA TI ON

Conditions d'émergence du cluster innovant Paramètres à prendre en compte Territoire régional

Acteurs parties prenantes du cluster Interactions

Objectif

Réalisation : B. Lusso, 2013, TVES, Lille 1, d'après Leducq et Lusso (2011)

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de complémentarité construites dans le cadre d’associations, de guildes ou de fédéra- tions professionnelles plus ou moins formalisées, et qui entretiendraient des relations étroites avec les institutions publiques, dans la mesure où la culture demeure un sec- teur largement subventionné par les pouvoirs publics. L’accès au capital, le partage d’équipements, la mobilisation des compétences, la circulation et le croisement des idées et de la main-d’œuvre qualifiée contribuent à conforter l’avantage compétitif de ces espaces spécialisés. En d’autres termes, il y a un lien entre une organisation spa- tiale concentrée (clusters) (Porter, 2000) et le mode de production de ces industries culturelles (milieu créatif) (Camagni et Salone, 1993 ; Camagni, 2002). Ce « milieu » constitue la base d’un échange enrichissant la créativité individuelle et collective des membres appartenant au cluster culturel.

Ces clusters impliquent qu’une épaisseur artistique – cette fragile « écologie des rela- tions interpersonnelles » (Shorthouse, 2004) – s’édifie en un lieu bien circonscrit grâce d’une part à la capacité d’agrégation des acteurs culturels et artistiques, mais aussi par l’établissement de réseaux sociaux entre ces différents acteurs. Dans ce cadre, la notion de cluster culturel incrémental caractérise le processus de construction d’une agglomération nécessitant la présence d’une identité culturelle préétablie et spontanée (Ambrosino, 2007), c’est-à-dire qui ne soit pas construite seulement à partir de politiques publiques volonta- ristes comme c’est bien souvent le cas. Ainsi, dans un contexte de compétitivité renfor- cée, la concentration spatiale dans le domaine de la culture et des industries culturelles permet de rendre efficace un objet ou une production attachée à l’identité d’un territoire (Santagata, 2002). Néanmoins, il existe différentes dénominations, « district culturel » et « cluster culturel » qui soulignent la distinction entre activité et production à caractère culturel. Dans le cadre de structures s’organisant autour d’une activité culturelle, l’objectif est de structurer un réseau d’activités extrêmement intégrées et hautement spécialisées, au moyen d’une stratégie de fusion des ressources endogènes (Valentino, 2002). La dynamique spatiale s’appuie sur des traditions artisanales et un patrimoine culturel commun, c’est-à- dire un capital de connaissances qui rapproche la concentration géographique d’une forme d’organisation spontanée liée à une atmosphère culturelle. Le terme de district culturel est donc plus communément employé par ces chercheurs, très probablement par analogie avec le district industriel de Marshall qui reposait en grande partie sur l’idée d’atmosphère indus- trielle. Ainsi, le district culturel serait en grande partie épuré de sa vocation productive et défini comme un territoire de consommation concentrant équipements à vocation culturelle, commerces spécialisés et manifestations artistiques.

2. Le Grand Manchester : une agglomération urbaine créative ?

Si les plus grands centres urbains offrent les talents, les infrastructures et le cadre de vie indispensables au développement des industries culturelles et créatives, qu’en est-il d’une agglomération anciennement industrialisée comme le Grand Manchester ? Tel est l’enjeu de cette deuxième section qui tentera d’analyser les facteurs d’émergence, la répartition géographique et les collaborations mises en place au sein des industries créatives et culturelles du Grand Manchester. Afin d’identifier le tissu créatif local et répondre à ce questionnement, nous nous sommes appuyés sur deux enquêtes menées à l’échelle de l’agglomération :

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– la première réalisée en 2007 présentant les principales mutations et caractéristiques écono- miques de l’agglomération du Grand Manchester ;

– la deuxième menée en 2010 par le Bureau national des statistiques s’intéressant aux entre- prises créatives implantées dans le Grand Manchester.

Ces deux études ont permis de recueillir un grand nombre de données chiffrées utiles pour caractériser les industries créatives à l’échelle du Grand Manchester. L’analyse de ces deux études est complétée par une série d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de cadres de la municipalité de Manchester et de responsables d’organismes chargés d’ac- compagner le développement des industries créatives (Creative Industries Development Service) et d’animer et de structurer le secteur (Creative Industries Networking Group).

Ces rencontres ont permis de récolter des informations relatives aux grandes phases de constitution du tissu créatif mancunien, d’identifier les points forts et les faiblesses de l’économie créative locale, d’inventorier les principales structures culturelles et éduca- tives, mais aussi d’accéder aux plans d’aménagement des quartiers créatifs de l’agglomé- ration du Grand Manchester. Ces entretiens ont été complétés par une trentaine de ques- tionnaires envoyés à des entreprises productrices de contenus multimédias pour identifier une éventuelle dynamique de cluster et approfondir les réflexions recueillies auprès du Creative Industries Networking Group.

2.1. Les conditions d’émergence du tissu créatif dans la conurbation du Grand Manchester

Le capital humain et la créativité sont devenus des ressources indispensables au déve- loppement régional (Mellander et Florida, 2007). Pourtant, un débat persiste autour de deux questions clés. La première concerne le rôle de l’éducation et de la créativité dans l’émergence du capital humain (Verdier, 2006), tandis que la seconde pose la question des facteurs influant sur sa distribution (Wolfe, 2002 ; Asheim, Coenen et Vang, 2007). Face à un inéluctable processus de désindustialisation, les pouvoirs publics et les élites écono- miques de la conurbation du Grand Manchester ont souhaité réaliser un changement de trajectoire qui dépend néanmoins fortement de variables économiques et technologiques (Massard, 1991). Toutefois, l’agglomération a réussi à s’adapter aux évolutions de l’éco- nomie en opérant une bifurcation à partir de savoir-faire issus de la « vieille économie » selon un processus de rupture-filiation (Maillat et Kébir, 1999). En s’appuyant sur la capacité d’entreprise des grandes familles capitalistes qui ont anticipé le recul de l’acti- vité textile dès la fin du XIXe siècle, la conurbation du Grand Manchester s’est très rapi- dement réorientée en direction d’une économie majoritairement tertiaire ou à fort contenu technologique : banques, sociétés d’assurance, agents de change, publicité, production télévisuelle (implantations locales des chaînes Granada, BBC et Channel M), enseigne- ment supérieur et recherche (McNeil et Nevell, 2000). En effet, la ville, qui concentre quatre grandes universités, compte plus de 50 000 étudiants (Higher Education Statistics Agency, 2008) comme le souligne le tableau suivant :

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Tableau 1 : Distribution des étudiants formés dans le Grand Manchester selon les universités

Universités Nombre d’étudiants

University of Manchester 16 009

Manchester Metropolitan University 19 154

University of Manchester Institute of Science & Technology 5 837

University of Salford 12 621

Total 53 621

Source : “Greater Manchester: fsacts and trends”, 2007

La valorisation des connaissances scientifiques par la création d’entreprises a été ren- due possible grâce à la création d’incubateurs (Biosciences Incubator créé dans le cadre de la Manchester University et accueillant 250 scientifiques travaillant sur des projets axés sur les biotechnologies) ou par la mise en place d’organismes chargés de rapprocher les acteurs (le Manchester Technology Management Centre est le résultat d’un partenariat entre le North West Technology Web, la ville, la Manchester Metropolitan University, le Hulme Regeneration Ltd et le Manchester Science Park). Ces structures ont favorisé la création dès les années 1990 d’entreprises dans des secteurs porteurs tels que les biosciences, les tech- nologies de l’information et de la communication, l’industrie du multimédia et du design (Greater Manchester Research and Information Planning Unit, 2007).

L’agglomération de Manchester dispose également d’un important tissu d’équipements culturels (une quarantaine de musées, une dizaine de galeries d’art, quatre grands théâtres auxquels s’ajoutent des structures beaucoup plus petites), deux orchestres symphoniques et un orchestre philarmonique. La création musicale, fortement ancrée dans l’agglomération, a été stimulée par la présence de la célèbre Manchester School qui a formé de grands com- positeurs classiques, mais aussi d’écoles moins prestigieuses à l’instar du Royal Northern College of Music ou de l’Ecole de musique de Chetham. Dans un contexte métropolitain déprimé où la musique pouvait apparaître comme vecteur de revendication et d’ascension sociale, et marqué par une intense vie nocturne (présence de plus de 500 dépôts de bois- sons et de boîtes de nuit réputées à l’image du club l’Haçienda), une scène musicale appe- lée « Madchester », en raison de l’alliance de plusieurs styles musicaux (rock et rave) et de son caractère underground, a émergé autour de groupes tels que The Stone Roses ou Happy Mondays. Ce mouvement a contribué à populariser en Europe occidentale la rave music au début des années 1990, notamment par le biais d’une radio locale, Radio Sunset 102 (Haslam, 2000). La scène musicale locale est alors internationalement reconnue grâce notamment à des groupes de rock tels que The Smiths, Joy Division, New Order, Simply Red ou Oasis, mais aussi à des chanteurs charismatiques comme Morrissey (The Smiths), Richard Ashcroft (The Verve) ou Jason Kay (Jamiroquai).

Le dynamisme de la scène musicale mancunienne trouve en grande partie ses origines dans une vie nocturne intense développée depuis les années 1930 avec de nombreux clubs de jazz, bars ou pubs (Parkinson-Bailey, 2000). Pourtant, au début des années 1990, le conseil municipal de la ville de Manchester constate un déclin de ce secteur marqué par la fermeture de nombreux établissements. C’est dans ce contexte que les autorités locales

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décident de développer à partir de 1993 une vaste campagne appelée « Manchester : la ville des 24 heures » visant à redynamiser un secteur traditionnellement fort dans la ville.

Ainsi, le Manchester Development Corporation (outil d’urbanisme opérationnel servant à la régénération de l’agglomération du Grand Manchester) lance plusieurs projets dont le plus emblématique est celui de Canal Street, un quartier de la ville où se concentrait depuis la fin des années 1940 la communauté homosexuelle. Ainsi, l’ouverture de nou- veaux bars, du premier supermarché gay et le lancement, à partir de 1991, d’un festival annuel organisé au mois d’août ont permis de donner une nouvelle vie à ce quartier qui attire désormais 200 000 visiteurs par an. En 2010, l’économie de la nuit mancunienne représente un chiffre d’affaires annuel de 100 millions de livres sterling et emploie 12 000 personnes (Manchester Enterprises, 2010).

Toutefois, une telle dynamique tient moins d’une ambiance particulière libérant la créativité individuelle ou collective qu’à des politiques publiques extrêmement volon- taristes. En effet, économistes et sociologues ont souligné que l’intervention des pou- voirs publics dans le domaine industriel et culturel favorisait l’émergence de réseaux sociaux, la créativité, l’innovation (D’Ovidio, 2005) et donc le développement écono- mique régional (Moulaert et Mehmood, 2008). Le cas du Grand Manchester ne fait pas exception à la règle tant les autorités publiques ont accompagné la dynamique émergente des industries culturelles et créatives locales. Les exemples sont nombreux : Castlefield et Salford pour l’audiovisuel et le multimédia, le Northern Quarter autour de différentes niches créatives. Situé au nord-est du centre-ville de Manchester, le Northern Quarter est une ancienne zone d’entrepôts et d’ateliers marginalisée dès les années 1970 par le déclin du commerce et la fermeture du marché de gros. Squatté au début des années 1990 par quelques créateurs désargentés et des populations défavorisées regroupées au sein de l’Association du Quartier Nord, le Northern Quarter va faire l’objet d’un ambitieux programme de régénération urbaine initié en 1995 par la municipalité de Manchester avec pour objectif le renversement de l’image de marque dépréciée de ce secteur urbain tombé en déshérence. Plusieurs actions - réhabilitation de bâtiments pour y accueillir des entreprises, amélioration des espaces publics par la création d’un programme d’art public, rénovation de l’habitat insalubre pour proposer de nouveaux logements à prix abordable - ont été menées, témoignant de la volonté des pouvoirs publics d’attirer les entreprises créatives. Si le Northern Quarter est devenu le haut lieu de la créativité mancunienne avec de nombreux studios de cinéma, d’enregistrement musical ou de design (O’Connor et Gu, 2010), il est aussi victime de la spéculation immobilière et de la gentrification qui transforment progressivement le quartier en zone de bureaux et de résidences pour des catégories socioprofessionnelles aisées, quitte à chasser les artistes qui ne peuvent plus payer les loyers revalorisés (Corijn, 2009).

Ce soutien des pouvoirs publics à l’économie culturelle et créative se manifeste aussi par la mise en place d’organismes chargés d’animer et de structurer les différentes filières.

C’est le cas de la mise en place en 2000 par la municipalité de Manchester d’une asso- ciation dont l’objectif est d’assister le développement d’un tissu d’entreprises liées aux industries créatives, le Service de Développement des Industries Créatives (CIDS). Cette structure non lucrative inclut des domaines aussi divers que la musique, le design, les médias, l’édition, les arts de la scène, la mode et les jeux vidéo. Le CIDS vise à créer un environnement dans lequel les entreprises créatives peuvent se développer et mettre

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en place toute une série de services interconnectés. Si le CIDS s’inscrit à la base dans le cadre de la stratégie culturelle de la ville de Manchester, l’initiative a rapidement été rattachée à l’axe économique de la municipalité et s’inscrit dans le projet « Manchester, Capitale de la connaissance » (O’Connor et Gu, 2010). Les autorités publiques locales ont clairement reconnu l’importance de l’économie culturelle et créative au sein de la conurbation du Grand Manchester. Mais quel est le poids réel de ces activités en termes d’emploi ? Existe-t-il une masse critique dans ce secteur ?

2.2. Géographie et masse critique d’un secteur localement dynamique

L’agglomération du Grand Manchester compte en 2010 plus de 60 000 personnes tra- vaillant dans le domaine de l’économie créative. Si la conurbation représente un peu moins de 4 % de la population active du Royaume-Uni, elle pèse néanmoins pour 4,3 % de la masse salariale, chiffre tout à fait honorable compte tenu du caractère très indus- triel de l’agglomération. L’industrie du multimédia (cinéma, télévision, enregistrement sonore, jeu vidéo, contenu numérique) domine très largement le tissu créatif avec 41,5 % des employés, suivie par les arts visuels (dessin, mode, architecture, design) qui repré- sentent plus 31 % de la masse salariale. Les arts du spectacle sont très minoritaires : avec à peine 6 % de la population créative mancunienne, ils sont principalement représentés par les troupes théâtrales (Manchester Enterprises, 2010) (tableau 2).

Tableau 2 : Distribution des emplois créatifs selon la discipline dans l’agglomération du Grand Manchester et à l’échelle du Royaume-Uni

Grand Manchester Royaume-Uni Part du Grand Manchester à l’échelle nationale

Multimédia 25 000 581 600 4,37 %

Arts du spectacle 3 700 79 300 4,67 %

Édition de livres

et de journaux 12 300 337 900 3,65 %

Arts visuels 18 800 401 700 4,68 %

Total 60 200 1 400 500 4,3 %

Source : Manchester Enterprises, 2010

D’un point de vue géographique, le dynamisme de l’économie culturelle est particuliè- rement fort dans le cœur de l’agglomération (Manchester, Trafford et Salford) et de cer- taines villes situées à l’est comme Oldham et surtout Stockport au détriment de la partie nord-ouest (Wigan, Bolton, Bury) de plus en plus marginalisée en raison de la concentra- tion des financements publics et privés sur les secteurs et quartiers les plus dynamiques et de leur caractère davantage résidentiel (tableau 3).

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Tableau 3 : Les emplois dans les industries culturelles et créatives du Grand Manchester Ville Nombre d’employés Part dans l’emploi total de l’aire (%)

Bolton 3 100 2.9

Bury 2 000 3.1

Manchester 18 400 5.9

Oldham 4 000 4.8

Rochdale 1 700 2.4

Salford 5 600 4.8

Stockport 9 100 7.5

Tameside 2 300 3

Trafford 10 600 7.9

Wigan 2 900 2.9

Grand Manchester 59 700 5

Source : Manchester Enterprises, 2010

D’un point de vue sectoriel, les emplois créatifs dans l’industrie du multimédia se concentrent principalement dans le cœur de l’agglomération (secteur de Castlefield, du Northern Quarter à Manchester et quais de Trafford qui accueillent les nouveaux studios de la BBC, tous les trois soutenus par des politiques publiques locales) et aussi à Oldham, ancienne ville textile qui s’est reconvertie dans le secteur de la production électronique et l’édition numérique. Quant à l’édition, aux arts vivants et visuels, ces activités se déve- loppent principalement dans des niches généralement localisées dans d’anciens quartiers industriels transformés par l’économie culturelle et les services (O’Connor et Gu, 2010) (carte 1).

Les différents entretiens effectués ont montré que le niveau d’études de ces créateurs est en moyenne élevé. Plus de la moitié dispose d’un diplôme sanctionnant quatre années dans l’enseignement supérieur et les deux tiers ont au moins un niveau licence (Higher Education Statistics Agency, 2008). Dans une agglomération où une industrie aussi tech- nologique que le multimédia est dominante, la question de la qualification des jeunes diplômés s’avère déterminante quant à l’émergence d’innovations capables de pérenniser le secteur. En ce sens, la conurbation de Manchester dispose d’un bon niveau de qualifi- cation dans le domaine des industries culturelles et créatives (figure 2).

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Figure 2 : Distribution des créatifs dans le Grand Manchester en fonction de leur niveau de qualification Carte 1 : Répartition des industries culturelles et créatives au sein de l’agglomération du Grand Manchester

MANCHESTER TAMESIDE ROCHDALE

OLDHAM

STOCKPORT TRAFFORD

SALFORD BURY BOLTON WIGAM

N

0 10 km

Concentration d’entreprises du multimédia

(cinéma, télévision, enregistrement sonore, jeu vidéo, contenu numérique)

MANCHESTER TAMESIDE ROCHDALE

OLDHAM

STOCKPORT TRAFFORD

SALFORD BURY BOLTON WIGAM

N

0 10 km

Concentration d’entreprises d’art du spectacle (théâtre, musique, danse)

MANCHESTER TAMESIDE ROCHDALE

OLDHAM

STOCKPORT TRAFFORD

SALFORD BURY BOLTON WIGAM

N

0 10 km

Concentration d’éditeurs de livres et de journaux

MANCHESTER TAMESIDE ROCHDALE

OLDHAM

STOCKPORT TRAFFORD

SALFORD BURY BOLTON WIGAM

N

0 10 km

Concentration d’entreprises d’art visuel (dessin, mode, architecture, design)

MULTIMEDIA ART DU SPECTACLE

EDITION DE LIVRES

ET DE JOURNAUX ART VISUEL

Niveau d'études

Bac + 5 Bac + 3 Bac

Contrat d'apprentissage Autre qualification Sans qualification Niveau d'études

Bac + 5 Bac + 3 Bac

Contrat d'apprentissage Autre qualification Sans qualification

Réalisation : B. Lusso, 2013, TVES, Lille 1, d’après Manchester Enterprises, 2010

Source : ONS, Annual Business Inquiry, 2010

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En une dizaine d’années, l’agglomération du Grand Manchester a connu une croissance du secteur des industries culturelles et créatives si importante (entre 5 à 10 % par an) qu’elle est rapidement devenue le troisième pôle britannique voué aux industries culturelles et créatives.

Le secteur des industries culturelles et créatives a généré 1,9 milliard de livres sterling, ce qui représente 5 % du PIB de l’agglomération. Avec 18 000 entreprises, le secteur est principa- lement porté par des TPE et des PME (Manchester Enterprises, 2010). Toutefois, le dyna- misme de ces industries est indéniablement lié à des politiques publiques volontaristes dont le coût économique, même s’il est partagé avec les investisseurs privés, est très élevé (plus de 3 milliards de livres sterling cumulées) (Manchester Enterprises, 2010). Ainsi, tout l’enjeu des autorités publiques est de pérenniser et consolider ce secteur en stimulant les collaborations entre les différents acteurs et les filières. Existe-t-il donc une dynamique réticulaire au sein des industries culturelles et créatives de la conurbation du Grand Manchester ?

2.3. La relative faiblesse de la dynamique réticulaire

Avec le soutien du Fonds de la Loterie Nationale et de Creative Manchester, le Creative Industries Networking Group (CING) a été lancé en 2008 avec pour mission d’animer le secteur mancunien des industries culturelles et créatives, et de faciliter les collaborations entre les différents membres de cette association professionnelle. Plusieurs grands types d’actions sont alors envisagés tels que :

– L’accompagnement au développement commercial et international des entreprises ; – La mise en place de formations adaptées aux besoins des firmes ;

– L’organisation de rencontres récurrentes visant à fédérer les acteurs des industries cultu- relles et créatives ;

– La promotion des talents locaux et régionaux lors de performances, de salons ou de conventions d’affaires.

Ouverte aux champs créatifs du design, de la photographie, du film d’animation, de la musique, de la mode, du multimédia, de la publicité, du marketing, de l’architecture et de la télévision, l’association professionnelle ne compte pourtant au terme de six années d’activité que 1 800 firmes adhérentes, alors que le secteur des industries culturelles et créatives mancunien est composé de plus de 18 000 entreprises. La difficulté à rassembler les différents acteurs des industries culturelles et créatives au sein d’une même structure provient de la préexistence d’associations professionnelles thématiques tels que Manchester Digital, Media Training North West (multimédia, numérique), Northwest Vision, Northern Film Network (cinéma, télévision) ou The Red Eye North West Photography Network (édition, photographie). Ces dernières disposent d’une gouvernance stratégique composée des acteurs de la filière (entreprises, structures de formation et de recherche, investisseurs publics ou privés) et d’une structure opérationnelle composée de professionnels chargés de l’animation des filières économiques. En ce sens, le CING, dirigé par un manager et une employée à plein-temps, ne répond pas clairement aux attentes des entreprises en matière de représentativité et de prospective. À Manchester, la construction d’une gouvernance regrou- pant l’ensemble des acteurs des industries culturelles et créatives à l’échelle métropolitaine (proximité institutionnelle) capable de développer une stratégie d’animation et de dévelop- pement (proximité organisationnelle) n’est pas encore à l’ordre du jour et pourrait constituer un frein à la constitution d’un cluster fondé sur l’innovation.

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De la même manière, les entretiens effectués auprès du CING révèlent que seule- ment un tiers des entreprises du secteur des industries culturelles et créatives du Grand Manchester a développé des relations avec une autre firme. Certes, les relations dans le domaine du multimédia et des arts visuels, activités dépendant très fortement de l’inno- vation technologique des supports de diffusion, sont plus fortes avec de nombreuses col- laborations. La construction des réseaux collaboratifs est en revanche beaucoup moins avancée dans le domaine des arts du spectacle et de l’édition où seulement 20 % des entreprises ont développé des échanges avec d’autres firmes. Ces réseaux ont souvent été construits dans le cadre de programmes proposés par le CIDS ou le CING. Pourtant, l’enquête menée en 2010 sur le secteur mancunien des industries culturelles et créatives révèle qu’un grand nombre d’entrepreneurs souhaite développer un climat de confiance et de réciprocité à l’échelle du Nord-Ouest de l’Angleterre ou de l’agglomération du Grand Manchester, vecteur de proximité sociale (Manchester Enterprises, 2010). Mais ces relations ne semblent pas pour le moment amenées à être approfondies. Ainsi, en dépit de structures telles que Creative Manchester chargée de faciliter le transfert des connaissances du monde académique en direction des entreprises, peu de programmes de recherche associant un laboratoire et une firme ont émergé, exception faite de l’industrie du multimédia et dans une moindre mesure les arts du spectacle. De ce fait, nous sommes encore très loin d’une proximité cognitive qui lierait les différents acteurs du secteur mancunien des industries culturelles et créatives.

Ainsi, les questionnaires envoyés aux entreprises du multimédia du Grand Manchester révèlent qu’il s’agit principalement de banales relations client/fournisseur qui privilé- gient très clairement l’échelle métropolitaine, voire régionale, et donc, une certaine forme de proximité géographique. De plus, l’enquête menée sur le secteur créatif mancunien (Manchester Enterprises, 2010) montre que dans l’industrie du multimédia, ce type de collaborations domine (ces firmes travaillent en étroite collaboration avec des entreprises du commerce, des biotechnologies, des télécommunications et des services financiers), avec un net avantage accordé aux échelles métropolitaines et régionales qui représentent respectivement 27,2 % et 27,5 % des échanges. Ainsi, l’essentiel des collaborations est fondé sur la proximité géographique, même si 36,5 % des échanges le sont à l’échelle du Royaume-Uni. Beaucoup plus rares sont les collaborations à l’international, soit 9,2 % des réseaux dans l’industrie du multimédia (Manchester Enterprises, 2010). En effet, les différents entretiens menés sur le terrain ont souligné que les entreprises du secteur man- cunien des industries culturelles et créatives sont à 90 % des TPE employant moins de 10 salariés. La moitié d’entre elles sont monosalariales. La petite taille des entreprises et la difficulté à mobiliser des fonds dans un marché instable expliquent principalement leurs réticences à lancer un développement à l’international. Ainsi, les relations demeurent occasionnelles et rarement fondées sur l’échange de connaissances codifiées. De la même manière, seulement 2 % des entreprises du secteur des industries culturelles et créatives du Grand Manchester ont fait une demande de brevet, principalement dans l’industrie du multimédia et les arts visuels (Manchester Enterprises, 2010). Il est clair que nous ne sommes pas réellement en présence d’une dynamique de cluster innovant.

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Conclusion

Depuis le succès des deux thèses sur la ville créative de Charles Landry (2000) et de Richard Florida (2002), nombre de métropoles, qu’elles soient multimillionnaires ou marquées par la reconversion de leur économie industrielle traditionnelle, ont cherché à instrumentaliser l’économie créative pour assurer un renversement de leur trajectoire de développement. Ainsi, ont émergé d’ambitieuses politiques d’accompagnement au déve- loppement des industries culturelles et créatives, ainsi que de vastes opérations de régéné- ration culturelle qui passent parfois par la valorisation de squats et de résidences d’artistes pour créer de véritables quartiers ou clusters culturels. Il est indéniable que les dyna- miques de ces industries culturelles et créatives reposent sur des logiques de localisation fondées sur la proximité. Par conséquent, la théorie des clusters popularisée par Michael Porter au début des années 1990 a été largement réutilisée de manière plus ou moins consciente par les pouvoirs publics dans leurs politiques de redéploiement politique par les industries culturelles, alors que la définition fait encore débat. Pourtant, les apports des recherches sur les clusters les plus innovants ont souligné le rôle clé de la délimitation du périmètre de la grappe à l’échelle régionale, l’importance de la gouvernance collégiale et d’un soutien financier des pouvoirs publics sur le long terme.

Dans la conurbation du Grand Manchester, le changement de trajectoire de dévelop- pement économique souhaité par les autorités publiques et le monde entrepreneurial a facilité la création d’un terreau favorable aux industries culturelles et créatives. Ce volon- tarisme s’est traduit par une politique de soutien à l’enseignement supérieur, par la créa- tion de quartiers culturels dans le cadre de vastes opérations de régénération urbaine, mais aussi par des politiques d’accompagnement au développement économique des industries culturelles et créatives. Si la qualité de la vie culturelle et nocturne mancunienne a pu jouer un rôle dans le développement de la créativité musicale, elle ne participe finalement que très peu à la création d’un tissu de 18 000 entreprises créatives et de 60 000 travail- leurs à l’échelle du Grand Manchester. L’agglomération du Grand Manchester s’inscrit donc davantage dans la continuité des thèses de Charles Landry sur la ville créative qui soulignent le poids déterminant des décideurs publics et d’un projet culturel global dans la construction d’un cadre favorable à l’expression et à l’épanouissement de la créativité.

Si la localisation de ces firmes créatives privilégie souvent d’anciens quartiers industriels labellisés « culturels » ou « créatifs » par les autorités publiques, le secteur des industries culturelles et créatives à l’échelle du Grand Manchester demeure encore à ce jour peu structuré. En effet, aucune organisation professionnelle n’a réussi à animer l’ensemble du secteur qui reste principalement construit autour de quelques clubs d’entreprises théma- tiques. Ce secteur d’activités, principalement dominé par des relations banales de clients/

fournisseurs, n’est toujours pas engagé dans une dynamique de cluster innovant en dépit d’une croissance rapide de l’économie culturelle et créative mancunienne. Ce résultat montre néanmoins qu’une industrie culturelle et créative a des chances d’émerger et de se développer indépendamment de la construction d’une dynamique de cluster d’innovation aux relations complexes et variées.

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