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Géographie Économie Société : Article pp.365-377 du Vol.17 n°3 (2015)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 365-377

Comptes Rendus

Laëtitia Dablanc et Antoine Frémont (dir.), 2015, La métropole logistique. Paris, Armand Colin, 320 pages.

Dirigé par deux chercheurs de l’Institut français des sciences et technologies des trans- ports de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), cet ouvrage constitue une synthèse de recherches récentes conduite par onze auteurs proches de cette institution et incluant deux chercheurs exerçant à l’étranger. Il entend mettre en lumière l’articulation entre un processus – la métropolisation – et une fonction urbaine méconnue des acteurs de l’amé- nagement – la logistique.

Pluridisciplinaire, l’ouvrage fait appel à des notions de géographie urbaine et d’analyse spatiale, de socio-économie des transports, d’aménagement et plus à la marge de sciences politiques, pour cadrer, dans une première partie, les enjeux scientifiques soulevés par la constitution d’un champ de recherche liant logistique et métropolisation. Le premier cha- pitre propose un cadre compréhensif clair de la manière dont les marchandises transitent par les territoires métropolitains, de leur lieu de production à leur lieu de consommation.

Le chapitre suivant est consacré à l’analyse de situations liées à des infrastructures spé- cifiques – les ports et aéroports – et développe leur complémentarité dans un contexte d’internationalisation et d’interdépendance croissantes des économies de marché. Le troi- sième chapitre considère la « méga-région » comme « l’échelle de référence » pour l’ana- lyse scientifique de la métropole logistique, mais aussi comme l’échelon clé de l’action publique et privée régissant l’évolution métropolitaine des activités logistiques.

Entièrement dédiée au contexte francilien, la seconde partie se divise en quatre cha- pitres. Le premier explicite les enjeux liés au territoire régional de la capitale vu comme un haut lieu du transport de marchandises si l’on considère l’ampleur de la demande que constitue la métropole parisienne et son rôle redistributeur à échelle internationale.

Il soulève aussi d’importants enjeux spatiaux de localisation (densité, prix du foncier, congestion infrastructurelle). Les trois autres chapitres de cette partie mettent en lien les spécificités du territoire francilien avec des secteurs particuliers du transport de mar- chandises : la messagerie qui organise le transit, le groupage et le dégroupage des colis ; la grande distribution, dont la fonction logistique est au cœur du modèle économique ; et l’e-commerce dont le succès dépend de l’équilibre entre l’accroissement de la proximité commerciale et la diminution de la proximité spatiale entre vendeurs et acheteurs.

La troisième partie éclaire les résultats des chapitres précédents en les soumettant à des territoires étrangers : le huitième chapitre décrit l’évolution de l’organisation spatiale

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des activités logistiques et de leur appréhension par les pouvoirs publics locaux dans deux métropoles états-uniennes (Atlanta et Los Angeles) ; le neuvième chapitre donne à voir le rôle de la mondialisation et de l’ouverture économique de la Chine, depuis les années 1980, dans le développement de méga-régions et de métropoles logistiques le long du littoral du premier pays exportateur au monde.

La dernière partie est consacrée à une analyse multiscalaire des politiques d’aména- gement et d’urbanisme liées aux questions logistiques. Dans le dixième chapitre, il est question de l’immobilier d’entreprise et des particularités du secteur logistique en termes d’acteurs, d’emprises et usages. Le dernier chapitre invite à repenser les canons de l’urba- nisme dans le domaine logistique pour une réelle prise en compte du secteur dans le développement métropolitain et propose une relecture de l’appréhension par les pouvoirs publics régionaux et locaux des enjeux d’une gouvernance métropolitaine logistique.

L’ouvrage part du constat que la thématique logistique est marginalisée dans le champ de l’aménagement urbain (notamment au profit de celle du transport de voyageurs) alors qu’elle en est une composante essentielle, voire une fonction vitale. À l’opposé, les études ayant trait à la logistique, même dans son volet spécifiquement urbain, ne s’intéressent que de manière secondaire au fait métropolitain, et lorsqu’elles y prêtent attention, ce n’est que pour définir les contours flous d’une gouvernance complexe ou bien alors en termes morphologiques, en considérant la densité urbaine comme substrat contraignant ou cataly- seur du développement économique du secteur. Ce postulat conduit les auteurs à une série d’hypothèses auxquelles chacun des chapitres apporte des éléments de réponse. Ainsi, la direction que prend l’ouvrage se dessine de manière claire et de nombreux liens sont faits entre les chapitres qui permettent au lecteur d’en comprendre la cohérence : à de nom- breuses reprises, et en particulier dans les deuxième et troisième parties, référence est faite aux résultats liminaires présentés dans la première ; de même, le terrain francilien étant souvent mobilisé pour comprendre le fonctionnement systémique de la logistique dans les territoires métropolitains, les recherches sur des terrains étrangers renvoient régulièrement et de manière pertinente à la situation francilienne à titre d’éclairage comparatif.

De manière transversale, les résultats peuvent être présentés en quatre points. La logis- tique est une fonction vitale des territoires métropolitains, qu’elle contribue à façonner matériellement et économiquement ; et réciproquement, la métropolisation participe à la structuration de l’activité logistique à diverses échelles. En effet, ces activités constituent un secteur industriel à part entière car les « fonctions de transport, de stockage et de distri- bution s’apparentent à un véritable processus de production qui connaît une structuration en propre et de plus en plus sophistiquée » (p. 13). Elles participent ainsi à une recompo- sition des territoires, au gré de l’accumulation et de la circulation du capital, des biens et des services au cœur des métropoles et des territoires que leurs infrastructures desservent.

En outre, quelques chapitres abordent la nécessaire prise en compte du contexte social et politique, local et régional – voire international si on prend en compte les intérêts écono- miques des entreprises qui commandent ou du moins dominent l’évolution du paysage logistique métropolitain. Plus globalement, tous les chapitres interrogent et analysent, à des degrés divers, la variété des acteurs impliqués, de leurs domaines d’action et de leurs compétences, de leurs moyens, de leur aire d’influence institutionnelle et spatiale et des intérêts qui les motivent à agir. Cette complexité de la gouvernance logistique métropoli- taine est particulièrement abordée dans la dernière partie.

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Les résultats produits par les enquêtes menées sur le terrain sont très étayés tout au long des chapitres qui ne cessent de rappeler, chiffres à l’appui, que le fret est matériellement, institutionnellement et économiquement omniprésent et intrinsèquement caractéristique des territoires métropolitains qui polarisent les flux de marchandises à toutes les échelles.

À cet égard, les contributeurs de l’ouvrage sont très explicites et illustrent leur propos par des exemples nombreux, précis et éclairants qui permettent de saisir la complexité des enjeux logistiques dans ces territoires.

Une autre grande qualité des textes réside dans le développement argumenté de parti- pris et de suggestions opérationnelles pour faire face aux enjeux contemporains et à venir du secteur logistique métropolitain. Enfin, l’ouvrage peut être considéré comme une réfé- rence pour les chercheurs néophytes comme pour les étudiants de second cycle, du fait de la vivacité et de la précision des descriptions de situations, de l’explicitation et du traitement des sources et des données, des nombreuses définitions opportunément rap- pelées. Le lecteur pourra néanmoins regretter une très grande inégalité dans la formali- sation de l’iconographie, présentant des schémas descriptifs, théoriques ou synthétiques clairs, mais péchant parfois par leur imprécision (légendes fragmentaires, omission de la nomenclature de certains lieux cités dans le texte) ou par leur rendu imprimé (taille et colorisation de certaines cartes ou photographies). Enfin, le lecteur à la recherche d’ana- lyses poussées des faits avancés reste quelque peu sur sa faim dans certains chapitres : beaucoup de points annexes à la démonstration et qui permettraient de se rendre compte de l’ampleur des enjeux soulevés (concernant la géographie du commerce pourtant étroi- tement liée à l’activité logistique, par exemple), sont abordés de manière clairsemée. Il en résulte alors parfois un aspect factuel et descriptif qui, tout en apportant de riches détails sur des situations complexes, ne permet pas d’en dresser un bilan abouti.

La conclusion générale de l’ouvrage annonce de grandes ambitions de prospective pour le champ défriché par l’ouvrage, mais s’achève sur d’humbles perspectives. Les enjeux des liens à tisser entre étude de la métropolisation et des activités logistiques sont posés, mais une des rares pistes envisagées pour y apporter des réponses se réduit à l’acquisition de nouvelles données sur de nouveaux terrains.

Il n’en reste pas moins que La métropole logistique contribue de manière intelligible et pertinente à la pose d’un premier jalon scientifique, invitant ses lecteurs à reconsidérer l’importance des influences réciproques entre le transport de marchandises et la complexi- fication spatiale, institutionnelle et économique du fait urbain aux échelles métropolitaines.

Sabine Bognon ATER à l’Ecole d’Urbanisme de Paris Chercheure associée UMR Géographie-Cités

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

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Denis Varaschin, Hubert Bonin et Yves Bouvier (dir.) (2014), Histoire économique et sociale de la Savoie de 1860 à nos jours, Genève, Droz, 656 pages.

Cet imposant ouvrage est le fruit du travail d’une équipe de onze historiens, dirigée par Denis Varaschin avec Hubert Bonin et Yves Bouvier. Il analyse l’évolution du paysage économique et social de la Savoie depuis 1860, date du Rattachement à la France.

En un siècle et demi, la population des deux départements savoyards a plus que dou- blé, dépassant aujourd’hui 1,2 million d’habitants. On peut donc parler de dynamique démographique, fruit d’une dynamique économique. Le propos des auteurs consiste à confronter les facteurs internes, liés aux Savoyards eux-mêmes, et les facteurs externes dus aux hommes, capitaux et décisions venus d’ailleurs. Sont analysées en détail succes- sivement les « masses de granite » du territoire savoisien forgeant son identité. Le lecteur ne sera pas étonné d’y retrouver la Savoie découpée en domaines d’activités : paysanne, industrielle, bancaire, touristique, énergétique ou entrepreneuriale.

D’emblée, il s’agit de délimiter le territoire savoyard, tâche moins facile qu’il n’y paraît. En effet, hier (en 1860) comme aujourd’hui, le territoire politique (administratif) n’est pas forcément synonyme d’espace vécu. La Savoie est bicéphale avec Chambéry et Annecy, mais aussi aimantée par Grenoble, Lyon et surtout Genève. De la Grande Zone Franche (les deux-tiers nord de la Haute-Savoie) créée en 1860, facilitant l’acceptation de l’Annexion par la population et ravitaillant la Cité de Calvin, nous sommes passés aux migrations pendulaires quotidiennes de 80 000 travailleurs frontaliers vers Genève.

Tout au long de l’ouvrage revient également la question de l’identité (ou originalité) savoyarde. La topographie montagneuse s’impose : d’ailleurs, lors de la première Annexion de 1792, le nom du Mont-Blanc avait été donné au nouveau département. Celle-ci impose des conditions rudes et des solidarités sociales, mais elle génère des aménités naturelles que l’industrie puis le tourisme ont su mettre à profit. Les « Montagnes Maudites » avec leurs glacières, leurs pentes, leurs torrents capricieux ont vu passer la Fée Électricité dite aussi la Houille Blanche avec la naissance de l’électrométallurgie. Chamonix devient la capitale mondiale de l’alpinisme et accueille les premières Olympiades d’hiver en 1924. Les « mau- vais » versants nord des paysans d’autrefois sont devenus l’eldorado des stations intégrées de Tarentaise dans les années 1960. L’identité savoyarde peut ainsi être définie par la capa- cité à tirer parti de ces conditions naturelles a priori défavorables. Citons quelques exemples dans différents domaines. L’agriculture savoyarde a su s’adapter durant ce siècle et demi. À la fin du dix-neuvième siècle, la production laitière dans chaque village s’est ainsi regroupée et mutualisée en fruitières, fabriquant et commercialisant fromage et tomme. Si ce système coopératif a quasiment disparu face à la concentration agro-alimentaire, il subsiste dans les Aravis ou le Beaufortin avec les AOC du Reblochon ou du Beaufort. Dans une agriculture mondialisée, la Savoie a su faire le choix de la qualité et miser sur la carte touristique.

L’industrie savoisienne quant à elle a profité dès le dix-huitième siècle de la force motrice de l’eau comme à Annecy avec la manufacture de cotonnades sur la rivière du Thiou. Plus tard, l’hydroélectricité permet à La Roche-sur-Foron d’être « éclairée » dès 1885 et la montagne du « Salève sur Genève » d’avoir le premier train électrique à crémaillère au monde en 1892. Barrages (Tignes en 1952), conduites forcées, lacs de retenue sont aménagés durant plus d’un siècle et représentent en 2015 12 % de la production hydroélectrique nationale.

Cette nouvelle énergie, au départ peu transportable, génère une électro-industrie dans les

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vallées de Maurienne avec l’aluminium et de l’Arve avec le décolletage. Cette activité dans la région de Cluses est l’héritière d’un travail d’horlogerie aujourd’hui disparu, exercé par les paysans de la région comme double activité en liaison avec Genève. Cette adaptabilité est également bien visible dans le secteur touristique, devenu essentiel dans l’économie savoyarde. Le tourisme, au départ estival et romantique fondé sur l’admiration des pay- sages de montagne, est propulsé par le voyage impérial en 1860 de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, notamment à Chamonix. Le thermalisme à Aix-les-Bains, puis Évian ou St Gervais complète une offre qui reste limitée aux classes supérieures. Megève et Le Revard lancent au début du vingtième siècle la mode des sports d’hiver réservés là-aussi à la bonne société. Après 1945, sous l’impulsion de décideurs publics comme le conseil général de Savoie et d’investisseurs privés, les stations de ski poussent comme des champignons, ouvrant la porte à un tourisme de masse constitutif des Trente Glorieuses. Infrastructures de transport, marché immobilier, matériel de sports d’hiver connaissent leur âge d’or avec des sagas entrepreneuriales comme Salomon. En 1992, la Savoie accueille une deuxième fois les Jeux Olympiques d’hiver à Albertville.

Venons-en à la problématique posée par les auteurs sur le caractère régional ou exté- rieur des facteurs de développement économique de la Savoie pendant cette période. Leur réponse est bien sûr nuancée, mais penche plutôt pour des acteurs majoritairement externes.

En effet, capitaux publics ou privés, décideurs politiques ou économiques et même par- fois travailleurs viennent souvent d’ailleurs. Ainsi les immigrés italiens dominent dans le BTP de l’Annexion jusqu’aux Trente Glorieuses. Le Plan Neige en 1962, les barrages EDF, le tunnel du Mont-Blanc sont issus de décisions prises à Paris. Enfin, si beaucoup de dirigeants de PME sont issus du territoire savoisien et ont parfois réussi à s’étendre fortement à l’instar de Marcel Fournier fondateur à Annecy de Carrefour, la mondialisa- tion aboutit souvent à une concentration et externalisation des décisions. Ainsi dans la vallée de l’Arve, les leaders du décolletage ne sont plus comme naguère des entreprises familiales mais dépendent parfois de fonds de pensions américains, avec les risques pour l’emploi que cela induit.

En conclusion, cet ouvrage bien documenté et précis dresse un tableau détaillé d’un espace productif original et son évolution sur près de deux siècles. On y comprend par- faitement les bouleversements subis par les Savoyards : une succession de révolutions agricole, industrielle puis touristique dans un contexte récent de mondialisation qui les oblige aujourd’hui comme hier à l’adaptabilité.

Pierre Cusin Professeur d’histoire-géographie au lycée d’Annemasse

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Jérémie Cavé, 2015, La ruée vers l’ordure : Conflits dans les mines urbaines de déchets, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 250 pages.

On l’admettra : un tel titre n’a rien d’attirant. D’ailleurs, l’auteur, en note de bas de page, cite l’ineffable Claude Allègre, présenté ici comme un grand visionnaire (no comment…) qui aurait dit ne pas imaginer un étudiant lui demander de diriger une thèse portant sur les déchets. Or, il s’avère que j’ai été membre du jury d’une thèse portant justement sur

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ce qui fait l’objet de ce livre. Il s’en est suivi une publication dans une revue algérienne, pays où le problème des décharges à ciel ouvert - je l’ai vu maintes fois de mes propres yeux - est criant1. Pour accepter de diriger un tel travail, deux choses sont requises : la possibilité d’un soutien financier et le recours à une méthodologie qu’affectionne le directeur de la thèse (par exemple, la méthodologie des systèmes souples). Jérémie Cavé, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et docteur en aménagement de Paris-Est, actuellement chercheur associé au LATTS en plus d’être consultant, avoue avoir bénéficié effectivement du premier point. Quant à la méthodologie, sans informer le lecteur sur les desiderata de son directeur, il a eu recours lui aussi à une approche qualitative impliquant de nombreux entretiens semi-dirigés, en portugais et en anglais. On ne dit plus que les Français sont nuls en langues secondes…

En plus d’avoir été sensibilisé par la problématique faisant l’objet de cet ouvrage, ma motivation à le recenser s’explique aussi par l’un des deux cas faisant l’objet d’une étude comparée soit la capitale de l’État d’Espirito Santo, Vitoria, au Brésil, un pays que j’ai, depuis 1992, parcouru suivant les quatre points cardinaux. Ce qui m’a permis de déceler une petite erreur de l’auteur : Espirito Santo n’est pas le plus petit État du Brésil, trois États lui sont inférieurs en superficie. Par ailleurs, je n’ai jamais mis les pieds en Inde, pays où se trouve Coimbatore, la ville qui complète cette étude de cas. L’objectif de l’auteur consiste à cerner les conflits d’appropriation autour des déchets. Très bien documenté, le recours à une littérature grise (jamais bien définie2) et à des publications officielles ont facilité la préparation des entretiens et leur interprétation, le tout à travers une approche systémique.

Cette dernière a servi l’auteur pour aborder la question à savoir si les déchets sont des biens assortis d’une valeur marchande ou s’ils s’avèrent des nuisances destinées à faire l’objet d’évacuation. Pas facile de trouver la réponse juste quand, comme le signale Cavé, le déchet prend la forme d’un objet flou. En effet, un auteur se voit cité pour voir une mouvance dans le déchet : déchet véritable s’il est abandonné à ciel ouvert et bien privé une fois approprié. Ce qui conduit à la question centrale à la base de la thèse : à qui revient la res derelicta ? La quoi dites-vous ? Googleons : « Expression latine en droit qui désigne les choses abandonnées au premier occupant ou possesseur, c’est-à-dire celles qui ont été laissées de côté par leur propriétaire qui a ainsi abandonné tout droit dessus »3. Sérieux, l’auteur a eu recours à un certain Billet pour dire la même chose. Ceci étant, bienvenue aux confits. Ici notre ami André Torre aurait mérité d’avantage qu’une seule référence à un article publié dans GES (2008). Comme l’écrit l’auteur : « Plus les détritus sont séparés et agrégés, plus nombreux sont les acteurs qui veulent les capter. Plus le service municipal se déploie à la source, plus est compromise l’activité des récupérateurs alter- natifs » (p. 94). Et, en citant cette fois un certain Douglas, Cavé se fait bien comprendre :

« Être en marge signifie être en liaison avec le danger, toucher à la source d’un pouvoir quelconque » (p. 185).

Mais oublions un instant les déchets et prêtons attention à ceux qui s’y intéressent et particulièrement à ceux que l’auteur identifie par le terme wastepicker utilisé en Inde.

C’est bien connu, les Québécois comptent, loin devant les Français, parmi les plus grands

1 Baldé D. et A. Joyal : La gestion des déchets à Cotonou : quel enseignement pour l’Algérie, Revue des sciences commerciales et de gestion, No 8, Juin 2012.

2 Non publiée, que l’on ne trouve même pas même à l’aide de Google.

3 Source : https ://fr.wikipedia.org/wiki/Res_derelictae

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défenseurs de la langue de Molière, même si, comme moi, ils utilisent des anglicismes sans s’en rendre compte. J’ai donc été agacé en lisant le mot wastepicker en 4è de cou- verture et utilisé d’un couvercle à l’autre. Mais j’ai cherché en vain le terme approprié.

Récupérateur ? À vrai dire, je n’étais pas certain tout comme l’auteur qui explique son choix dans deux notes de bas de page. Le terme « chiffonnier » très peu utilisé au Québec, renvoie aux yeux de l’auteur à une réalité sociale anachronique. Je lui donne raison, car durant mon enfance le terme équivalent à chiffonnier était au Québec « guenillou » que l’on ne retrouve effectivement plus4.

Parlons économie. De toute évidence, l’auteur à de solides bases dans cette matière tant décriée au XIXe siècle par Thomas Carlyle (dismal science ; science lugubre)5. Comme il importe d’appuyer sa recherche sur un corpus théorique un tant soit peu solide, Cavé, en entrée de jeu, cite J. Robinson qui a travaillé un projet géographique postcolonial. Mais non, rien à voir avec Joan Robinson qui m’a tant nourri à une époque révolue depuis longtemps. L’intérêt de (Jennifer) Robinson pour les villes « ordinaires » en opposition aux villes « globales » a conduit au choix de deux villes d’importance moyenne pour en faire les études de cas. Après avoir présenté ces deux cas dans le menu détail, sous toutes leurs coutures, Cavé procède à leur analyse en se rapportant à la théorie économique entourant les biens privés et publics avec une référence au problème classique du passager clandestin. Ici, un autre de mes maîtres à penser, ex-conseiller du président Kennedy, Paul Samuelson, est mis à profit pour justifier, on l’aura deviné, l’intervention de l’État. Quant à ce qui a trait au passager clandestin, il se présente ici sous la forme d’un filou qui, sans ouvrir les goussets de sa bourse, s’approprie des déchets en violation des droits exclusifs accordés par les autorités municipales à un opérateur privé (wastepickers à Coimbatore et catadores à Victoria).

Poursuivons avec Marx en se rapportant à des écrits qui ont échappé à mon attention à l’époque où j’en fus un fervent lecteur : le cas des « voleurs » de bois. Oui, près de trente ans avant Das Kapital, Marx s’en prend à une loi interdisant aux pauvres de s’approprier le bois mort en forêt. On voit le lien avec les déchets disponibles à la cueillette qui ne laissent pas indifférents les non moins pauvres d’aujourd’hui. Cavé se réfère également à Proudhon (la propriété c’est le vol) auquel Marx en viendra à s’opposer férocement. De fil en aiguille, l’auteur en arrive à faire un lien fort pertinent à mes yeux avec le phéno- mène anglais des enclosures survenu en Angleterre au début de la révolution industrielle.

Les paysans, dépossédés par le mouton (ou par les clôtures qui s’imposaient), n’avaient d’autre choix que d’offrir leurs bras aux manufactures en retour d’un salaire de sub- sistance. Dans une note de bas de page, qui aurait mérité plus d’espace, l’auteur fait le rapprochement avec la réalité brésilienne associée à la culture de l’eucalyptus. J’ai été personnellement témoin, dans le nord-est du Minas Gerais de la triste réalité de paysans incités à vendre leur lopin de terre à des grandes firmes qui font pousser l’eucalyptus afin d’approvisionner les sidérurgies en charbon végétal. Ces paysans n’ont d’autre avenue que de s’installer dans une favela et éventuellement se faire catadores (tireurs de charriot contenant des déchets dotés d’une valeur).

4 Insolents et surtout inconscients, nous courrions derrière sa charrette tirée par un cheval fatigué en criant :

« Guenillou plein d’poux, les oreilles pleines d’poil ».

5 On attribuerait à tort cette épithète à Disraeli.

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Enfin, se voulant plus pragmatique, Cavé s’interroge sur la pertinence de recourir à la collecte des déchets comme moyen d’inclusion sociale. Une interrogation qui rappelle tout le débat de la fin des années 1980 sur les « petits boulots ». Au Québec comme en France, on mettait de l’avant ce que l’OCDE qualifiait d’initiatives locales de création d’emploi (le programme ILE) ou encore les travaux d’utilité collective (TUC). En pleine crise, les gouvernements se cassaient la tête pour offrir de l’emploi aux chômeurs. Les ONG oeuvrant dans la récupération/recyclage ont pu bénéficier de généreuses subven- tions surtout quand la gauche en France était au pouvoir.

Au lecteur pressé, je suggère de débuter l’ouvrage par son intéressante conclusion.

À ceux qui pourraient se demander si, en comparant une ville indienne et une ville bré- silienne, on ne compare pas des pommes et des oranges, Cavé a sa réponse et je lui donne raison. Il s’agit, ex-post, de comprendre Vitoria la faveur des observations effec- tuées à Coimbatore et vice versa. On retrouve les auteurs ayant servi de cadre théorique à la recherche, avec une insistance particulière à l’Américaine Elinor Ostrom, première femme à recevoir le « prix Nobel » d’économie en 20096. Avant de terminer par une réfé- rence à l’anti-consumérisme de Georges Bataille, Cavé soulève une dernière question : puisque la « production » est en fait déjà une consommation, in fine, qu’est-ce que nous produisons : des objets ou des déchets ?

Ce livre, comme tous ceux provenant des PUR, est d’une très belle présentation. Le lecteur appréciera les 32 pages de photos couleurs sur papier glacé dont plusieurs sont l’œuvre de l’auteur, mais je doute qu’il s’attarde à toutes les données, à tous les tableaux et schémas complexes dont recèle l’ouvrage. Cependant, ils se veulent la preuve de la compétence et du sérieux de l’auteur. Si j’étais un haut fonctionnaire municipal, je n’hési- terais pas à faire appel à ses services comme consultant, car comme le disait au Québec un slogan publicitaire qui dans les années 70 a fait florès : Lui, y connaît ça !

André Joyal Centre de recherche en développement territorial Université du Québec

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Jean-Pierre Orfeuil et Fabrice Ripoll, 2015, Accès et mobilités, les nouvelles inégali- tés, Gollion (Suisse), Infolio, 211 pages.

L’ouvrage Accès et mobilités, les nouvelles inégalités réunit deux contributions offrant le point de vue de deux chercheurs de disciplines distinctes sur une question urbaine contemporaine, celle du lien entre mobilité et inégalités. Le premier auteur, Jean-Pierre Orfeuil, est ingénieur et docteur en statistiques, professeur émérite à l’IAU de Paris-Est Créteil. Ses ouvrages, marqués par un questionnement sur la mobilité comme « question

6 En fait, Joan Robinson l’aurait certainement reçu si elle n’était pas morte avant que les peu inspirés dirigeants de la Banque de Suède eurent l’idée d’octroyer à partir de 1967 un « Prix d’économie en l’honneur d’Alfred Nobel » que les médias qualifieront par confusion de prix Nobel. Sans enlever à E. Ostrom rien de son mérite, je partage l’opinion dégagée par le regretté « Oncle Bernard » : « on pourrait imaginer un prix Nobel de coiffure… Et pourquoi pas de psychologie ? ! » Cf. Bernard Maris, Houellebecq économiste, Flammarion, 2015, p. 11.

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sociale », interrogent surtout la mobilité quotidienne et les différents modes de trans- ports qui la rendent possible, en s’appuyant généralement sur des exemples français. Ses réflexions sont nourries par sa participation active à l’Institut pour la ville en mouvement,

« think tank » sur les déplacements urbains développés par PSA Peugeot Citroën. Fabrice Ripoll est lui maître de conférences en géographie à l’Université de Paris-Est Créteil et membre du Lab’Urba. Ses recherches portent notamment sur les mobilisations collec- tives. Parallèlement, il travaille sur l’épistémologie des sciences sociales et propose une approche de l’espace comme dimension du social. En cherchant à intégrer des concepts de sociologie bourdieusienne en géographie sociale, il a pris part à la déconstruction de propositions comme celle du « capital spatial » l’amenant à réfléchir à la catégorie de

« mobilité ». Le choix éditorial de mise en discussion des thèses de deux auteurs, dans le cadre de la valorisation des travaux du Labex « Futurs Urbains », justifie une structure ici très binaire qui constitue aussi un des intérêts de l’ouvrage. La première partie écrite par J.-P. Orfeuil souligne sur sept courts chapitres que la mobilité est une condition nécessaire à l’intégration sociale et à l’accès au travail, et plus globalement à la construction par les individus, de leur existence. Dans la seconde partie, F. Ripoll met en lumière les pièges que soulèvent les approches générales sur « la mobilité ». Il choisit ensuite d’évoquer les déplacements forcés et les résistances au déplacement, prenant le contre-pied de l’asso- ciation mobilité/liberté qu’il identifie comme sous-jacente dans les discours dominants.

La première partie de l’ouvrage, proposée par J.-P. Orfeuil a pour objectif explicite de mettre en évidence, à travers l’étude de la mobilité, des mécanismes inégalitaires et de proposer des moyens de lutter contre ceux-ci. La mobilité est définie de façon très large comme « capacité qu’ont les individus de construire la vie qu’ils souhaitent vivre » (p. 11), comprenant donc les mobilités sociale, résidentielle, quotidienne, mais aussi la participation au marché du travail. L’entrée spécifiquement mise en avant est celle des « pratiques, capacités et obligations de déplacement dans l’espace de vie habituel » (p. 12). La « (très) brève histoire » (p. 17) retracée dans le 1er chapitre évoque l’avènement d’un « ordre nouveau, accueillant au mouvement, où les destins géographiques et sociaux ne sont pas inscrits dès la naissance » (p. 18). La mobilité est pour l’auteur associée à un droit et à une dynamique libératrice. Elle peut selon lui dans le même temps deve- nir une obligation, puisqu’elle est rendue plus facile (p. 22). En évoquant « l’égalité des places » et « l’équité territoriale », l’auteur soutient dans le chapitre 2 qu’une actualisa- tion constante des approches de l’inégalité est nécessaire face à un objectif politique de réduction de celles-ci de plus en plus compliqué à atteindre. Les chapitres se concentrent davantage sur la mobilité spatiale, notamment quotidienne, en évoquant une « norme de mobilité » (p. 36) gagnant en importance et des capacités contrastées des acteurs qui y sont confrontés. J.-P. Orfeuil souligne dans un schéma synthétique le rôle de la mobilité dans la reproduction ou l’aggravation des inégalités. La recherche d’entre soi permise par les mobilités résidentielles enclenche par exemple une « spécialisation sociale de l’espace » et un « accès plus difficile aux ressources pour les moins bien dotés » (p. 47).

Quatre facteurs principaux de « disparités de mobilité » sont présentés dans le chapitre 5 : la position dans le cycle de vie, la localisation résidentielle, la position des ménages dans l’espace socio-culturel et l’accès aux modes de déplacement individuel ou collectif. Deux tableaux extraits de l’enquête nationale transport et déplacement de 2008 alimentent le propos avec précision. Les difficultés liées à la mobilité sont décrites dans les chapitres

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6 et 7, d’abord à l’échelle de trois types de territoires : les espaces de faibles densités, les quartiers d’habitat social et l’Ile-de-France. Elles sont ensuite abordées à l’échelle indivi- duelle en pointant des situations spécifiques : handicaps, déficits de compétentes, manque de temps ou d’argent. L’approche territoriale fait surtout émerger la question de l’accès à l’emploi, imbriquant fortement mobilités sociale et spatiale. L’approche individuelle livre quant à elle quelques chiffres visant à relativiser la « norme » comme le fait que 10 % des personnes (hors personnes en institution) se considèrent affectées par un handi- cap. La contribution de l’auteur s’achève sur des perspectives sous le signe d’une mobi- lité qui ne serait « plus seulement un choix » mais « devenue une impérieuse nécessité » (p. 95) impliquant donc un engagement politique. Il préconise la réduction des diffé- rences d’aides entre ruraux et urbains, la personnalisation des aides, et plus globalement, il appelle à prendre conscience du fait qu’aider la mobilité participe à aider la société en général (p. 98). Cette contribution contient globalement des exemples intéressants et marque avec vigueur une position, celle de la défense d’un droit à la mobilité. Le style assez proche de l’essai laisse le lecteur parfois sur sa faim quant aux sources et références bibliographiques qui gagneraient à être explicitées. Le décalage entre titre et contenu est parfois surprenant : des indicateurs annoncés mais impossibles (chapitre 3), des mots-clés de l’analyse sans définition explicite comme l’ (in)égalité et l’équité (chapitre 2). Plus globalement, les articulations entre les notions ou phénomènes évoqués ne sont pas mises en avant, ce qui peut frustrer voire perdre le lecteur. Le passage des « inégalités » aux

« disparités » ou de la « mobilité sociale » à la « mobilité spatiale » se fait sans transition et les différents types de mobilités (quotidienne, résidentielle, touristique, etc.), outre le fait que certains sont abordés de façon très rapide, ne sont que très rarement pensés en interaction. Le positionnement, bien que parfois nuancé, est quant à lui bien ancré dans une vision partielle, celle de la mobilité comme ressource. Le lecteur cherchant un point de vue complémentaire, voire opposé, tentera sa chance dans la partie suivante.

Écrite par F. Ripoll, celle-ci se compose de quatre chapitres dont les principales propo- sitions peuvent se déceler dans les détails stylistiques de son titre « Résister à “la mobi- lité”. (Dé)placements, inégalités et dominations ». La mise entre guillemets systématique du terme « mobilité » indique une forme de scepticisme face à la possibilité de délimi- ter un ensemble de pratiques appelées « mobilité(s) » ou un ensemble d’individus dits

« mobiles ». Pour l’auteur, le déplacement est partout, prend des formes trop diversifiées et sa perception comme « mobilité » est avant tout une construction sociale à analyser comme telle. Dans la continuité du positionnement bourdieusien, un jeu de mots établi entre « placement » et « déplacement » vise à montrer que le déplacement d’un individu s’explique par le sens du placement dans le champ social, qui dépend des capitaux dont chaque individu est doté. Le premier chapitre, intitulé « Pourquoi il faut se méfier de

‘la mobilité’ ? », apporte des arguments à la mise en garde de l’auteur. D’une part, la tendance à la valorisation de la mobilité peut pour lui s’immiscer partout. Associée au changement et à la liberté, la mobilité est avant tout présentée comme une ressource et un objectif. Le chercheur en sciences sociales, lui-même souvent mobile et engagé dans une forme de valorisation de sa mobilité, doit ainsi mettre à distance sa propre expérience.

C’est également de la confusion des phénomènes que « la mobilité » tente de synthétiser que l’auteur invite à se méfier. Les confusions entre des « déplacements », « capacités à se mouvoir » et « repositionnements relatifs » (comme la mobilité résidentielle) sont pour F.

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Ripoll sources d’amalgame et les typologies simplificatrices sources d’oublis. À la suite de ce premier chapitre, le lecteur est tenté de se dire que la mobilité, mieux vaut ne pas s’y frotter tant ce champ de recherche présenté comme improbable semble impossible à défri- cher. Heureusement, comme le second chapitre propose « quelques leçons à en tirer pour l’analyse », cette dernière étant donc possible selon l’auteur. Dans ce deuxième chapitre, F. Ripoll met d’abord en valeur les enjeux idéologiques à prendre en compte dans l’ana- lyse de la mobilité, qui expliquent qu’un déplacement peut être considéré positivement ou stigmatisé. L’auteur défend ensuite que la mobilité n’est pas un capital ou un facteur d’inégalité en soi. Les dispositions aux déplacements sont à associer selon l’auteur à des

« capacités de déplacements » (p. 128) qui peuvent correspondre à trois grands types de

« cristallisations » des rapports sociaux : leurs matérialisations (topographie, logistique, propriétés corporelles), leur institutionnalisation (conditions juridiques et symboliques) et leur intériorisation (connaissance des espaces, des itinéraires, des moyens de les par- courir, des langues, des capacités affectives à quitter les lieux et les personnes) (p. 129).

Il s’appuie sur ses précédents travaux sur la question (Ripoll et Veschambre, 2005) et sur ceux de T. Ramadier (2009), pour relier ces capacités aux différents capitaux (écono- mique, culturel, symbolique, social) inégalement distribués (p. 130). L’auteur souligne alors qu’en évitant un point de vue « mobilo-centriste » (mais aussi mobiliphobe), on peut s’apercevoir que la liberté peut résider, non pas dans le déplacement mais dans le fait de

« ne pas avoir à se déplacer » (p. 131, souligné par l’auteur). Le chapitre 3 aborde, des réfugiés climatiques internationaux aux personnes expulsées de leur logement en France, de nombreux mécanismes de déplacement contraint, fonctionnant à plusieurs échelles spatiales et temporelles : les conflits armés, catastrophes naturelles ou anthropiques, l’ac- tion de l’État et des forces de l’ordre, les organisations mafieuses, les contraintes écono- mico-juridiques, mais également l’intériorisation de normes sociales contraignantes et différenciées socialement. L’une des spécificité de la démarche est la relativisation de la dimension « choisie » de déplacements tels que les « mobilités résidentielles » ou les déplacements de loisirs et de consommation qui sont toujours marquées par des « condi- tions objectives et subjectives (...) socialement construites » (p. 158). C’est l’occasion pour l’auteur, dans un encadré piquant sur la « stratégie résidentielle » (p. 155), de mettre en garde contre une « prise au sérieux », trop peu distanciée de la part des chercheurs, des discours de rationalisation des acteurs, souvent produits par l’enquête même, valorisant le caractère « choisi » de leurs décisions notamment résidentielles. Dans son chapitre IV, F. Ripoll souligne pourquoi se déplacer peut ne présenter que peu d’intérêt, s’avérer sim- plement une tactique de préservation de sa sédentarité comme le montre une enquête de V.

Kaufmann (2010), et pourquoi la réduction des déplacements peut représenter un enjeu de lutte collective. Dans ce cadre, cet intérêt à la mobilité dépend de la « dimension spatiale du capital social » (p. 169) : certains ont intérêt à être sédentaires car ils trouvent leurs uniques ressources sociales dans la proximité, rappelle l’auteur en évoquant le « capital d’autochtonie » à la suite de J.-N. Retière (2003), d’autres ont intérêt à partir loin pour passer d’une stigmatisation à une valorisation relative, comme ces « jeunes des cités » qui partent en Thaïlande (p. 167). L’ensemble de la proposition, écrite dans un style assez libre, propose aussi au lecteur quelques remarques ou notes au passage sur la science en train de se faire, par exemple le regret d’une production scientifique trop importante pour tout lire. Le texte est nourri de nombreuses références très utiles (dont certaines

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réinjectées ici), montrant au passage que les approches critiques de la mobilité existent dans divers disciplines et contextes nationaux, comme l’ont également souligné les deux numéros spéciaux de la revue Regards sociologiques « Approches critiques de la mobi- lité » (Borja et al., 2013).

L’épilogue divisé en deux parties, une par auteur à nouveau, offre au lecteur, dans le cas de F. Ripoll, une montée en généralité rappelant que c’est « un droit à la maîtrise de ses (dé)placements » qu’il faut défendre, et que celui-ci repose sur les capacités d’ap- propriation de l’espace et de production de celui-ci, inscrites dans des luttes sociales.

Dans le cas de J.-P. Orfeuil, l’auteur présente son parcours de vie personnel, en invitant les lecteurs à prendre conscience de la place de la mobilité dans leurs propres expé- riences. Comme le souligne C. Hancock en préface, l’ouvrage propose des approches de la mobilité qui convergent dans les questionnements et divergent sur les positionnements intellectuels. Le seul embryon de discussion, l’amorce de l’épilogue de J.-P. Orfeuil, sert à mettre justement cette discussion de côté, la plaçant dans le champ politique et non scientifique. Cependant, sans prendre jamais en charge explicitement le croisement entre leurs approches, les deux auteurs « discutent » beaucoup ! La lecture de la seconde partie sonne en effet d’un écho intéressant avec la première dans la mise à distance qu’elle pro- pose par rapport à la valorisation tendancielle de la mobilité dans les discours dominants et en particulier dans ceux des chercheurs. L’association, mise en valeur par l’auteur de la seconde partie, entre la mobilité et le changement et la liberté se retrouve en effet lar- gement présente dans la première partie, par exemple dans le premier chapitre historique qui évoque des « sociétés stationnaires » conservatrices et l’arrivée de la mobilité comme une forme de libération. Aussi, la prudence préconisée dans la seconde partie, en réfé- rence aux travaux de S. Fol et M.-H. Bacqué (2007), quant à l’analyse des inégalités de

« dispositions », déconstruit aussi certaines propositions de l’auteur de la première partie.

L’enjeu des « aides » à la mobilité peut en effet glisser vers celui de l’« adaptabilité » (p. 125) de chacun à la norme sociale de mobilité, avec sa dimension individualisante et responsabilisante. Les deux auteurs semblent néanmoins converger dans une mise en garde, conclusive pour J.-P. Orfeuil et liminaire pour F. Ripoll, celle d’une montée en puissance de la « norme » de mobilité la transformant en injonction à laquelle certains ne pourront pas répondre, et à laquelle il faudrait donc résister pour les inégalités qu’elle suscite. Contrairement à ce que le titre de l’ouvrage pourrait laisser penser, les inégalités présentées ne sont pas si nouvelles, ou du moins, elles sont pointées du doigt par les cher- cheurs en sciences sociales depuis déjà une quinzaine d’années. Par contre, ce condensé d’approches si différentes présentes une originalité bienvenue et stimulante.

Brenda Le Bigot, Doctorante UFR de Géographie, U. Paris 1 Panthéon-Sorbonne UMR Géographie-Cités, Équipe PARIS

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Références bibliographiques :

Bacqué M.-H. et Fol S., 2007. L’inégalité face à la mobilité : du constat à l’injonction. Revue Suisse de Sociologie 33 (1), 89-104.

Borja S., Coutry G. et Ramadier T. (dir.), 2013. De la valorisation de la mobilité à la domination par la mobilité ou comment la mobilité dit, fait et dispose l’individu. Regards sociologiques (45-46), 101-111.

Kaufmann V., 2010. Pendulaires ou bi-résidentiels en Suisse : un choix de vie ? In Authier J.-Y., Bonvalet C., Lévy J.-P. (dir.), Élire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Presses universitaires de Lyon, 169-184.

Ramadier T., 2009. Capital culturel, lisibilité sociale de l’espace urbain et mobilité quotidienne In Dureau F., Hily M.-A. (dir.), Les mondes de la mobilité, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 137-160.

Retière J.-N., 2003, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, vol. 16, n° 63, pp.121–143.

Ripoll F. et Veschambre V., 2005, « Sur la dimension spatiale des inégalités : contribution aux débats sur le

“mobilité et le capital spatial.” », in Arland S., Jean Y., Royoux D., Rural-urbain, Nouveaux liens, nouvelles frontières, Presses universitaires de Rennes, Rennes, pp. 467–483.

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