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Géographie Économie Société: Article pp.485-496 of Vol.17 n°4 (2015)

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Regards

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 485-496

géographie économie société géographie économie société

sur…

GES participe de manière classique à la vie scientifi que par la diff usion des travaux des chercheurs, les comptes rendus de livres et de colloques etc. Nous proposons à travers cette rubrique « Regards sur les questions d’actualité » d’ouvrir la revue aux débats contemporains autour de questions d’actualités qui relèvent de la sociologie, de la géographie, de l’aménagement et de l’économie… L’objectif est de retracer, à partir d’interviews, le parcours de chercheurs et de penseurs provenant d’horizons disciplinaires divers et de recueillir leurs regards sur les grands enjeux spatiaux et sociétaux.

Lise Bourdeau-Lepage* et Leïla Kebir**

Une interview de Marc Dufumier

Par Leïla Kebir*

Marc Dufumier, agronome, parcourt avec curiosité et passion les mondes du Sud depuis plus de quarante-cinq ans. Engagé pour une agriculture paysanne et « écologiquement intensive », seule à même de nourrir correctement et durablement l’humanité toute entière en respectant notre planète, il nous livre ici son expérience et son regard à la fois tendre et critique sur les diverses agricultures qu’il a observées, notamment en Amérique latine.

* École des ingénieurs de la ville de Paris, Lab’Urba, Université Paris Est, leila.kebir@eivp-paris.fr Cette interview a été réalisée le 25 novembre 2015 à Paris.

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Fonction actuelle : Profeseur émérite à l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement (AgroParisTech).

Discipline : Agronomie, agriculture comparée et développement agricole

Fonctions passées : Professeur et expert.

Marc Dufumier

 Marc Dufumier est né en 1946, à Pacy-sur-Eure (Eure). Très tôt intéressé par la nature et tenté par le métier d’ingénieur, il choisit la biologie en classe préparatoire plutôt que les mathématiques, la physique ou la mécanique. En 1966, il quitte Rouen et rejoint l’Ins- titut national agronomique de Paris (aujourd’hui AgroParisTech). Il a 20 ans, vit un peu mai 1968 et découvre les cultures « étranges » et « étrangères » à la Cité universitaire internationale de Paris où il trouve une grande ouverture d’esprit. En juillet 1968 il inter- rompt ses études et part à Madagascar en tant que volontaire du service national actif (VSNA) pour y enseigner les techniques rizicoles « améliorées ». Il revient 14 mois plus tard et obtient son diplôme d’ingénieur agronome. Dans la foulée, il part de 1970 à 1976 au Venezuela puis au Laos en tant qu’expert de la coopération technique pour l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (IRAM). Passionné par son métier, il accompagne les paysans vénézuéliens bénéficiaires de la réforme agraire.

Devant son enthousiasme, son patron Yves Goussault, sociologue, professeur à l’Institut d’études du développement économique et social (IEDES - Paris I), lui suggère de prendre du recul et de faire une thèse. Il s’inscrit en doctorat de géographie avec pour directeur René Dumont qui effectuait à l’époque sa conversion à l’écologie. Tout en poursuivant sa mission au Venezuela, il rédige sa thèse sur la réforme agraire qu’il termine en France et soutient en 1974. En 1977 il rejoint la chaire d’Agriculture comparée et développement agricole à l’Institut national agronomique de Paris (devenu INA-PG puis AgroParisTech), d’abord en tant qu’assistant puis en tant que maître de conférences puis professeur. Avec Marcel Mazoyer, il y développe des travaux en agriculture comparée et développement agricole. Parallèlement, il poursuit ses missions d’expertise avec l’IRAM et d’autres organismes qui l’amènent dans de nombreux pays en voie de développement d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Marc Dufumier multiplie ses recherches et ses coopérations sur le terrain. Il participe ainsi à de nombreux projets de développement agricole et rural et, à partir du milieu des années 80, à la définition de politiques et de programmes de développement agricole. Dans cette même période, il s’investit dans divers projets de formation d’ingénieurs, de professeurs et de praticiens. Très concerné par la paysannerie et ses pratiques, il développe ses recherches sur les formes d’agricultures intensément écologiques qu’il défend au sein du monde scientifique mais également dans ses engage- ments professionnels dans les pays du Sud et en France. Marc Dufumier est membre du Comité scientifique de la Fondation Nicolas Hulot depuis 2005. Il préside la plateforme

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pour le commerce équitable (PFCE) et la nouvelle association pour la Fondation René Dumont. Auteur prolifique, il a publié de nombreux ouvrages et articles scientifiques ainsi que des ouvrages d’enseignement. Marc Dufumier est aujourd’hui professeur émérite et poursuit ses activités et ses engagements. Il vient de publier, à l’occasion de la COP 21, Coup de chaud sur nos campagnes dans la revue Presidency Key Brief1.

D’où vous est venu cet attrait pour les agricultures du monde et votre sensibilité pour les questions de développement ?

Vers 15-16 ans j’ai vu le film « L’île nue » de Kaneto Shindô qui se passe au Japon au début des années 60. Le film est totalement muet et montre une famille faisant la corvée de l’eau à la palanche. Ce film m’a profondément marqué et ce fut sans doute ma première sensibilisation à la vie très dure des paysanneries qui ne disposent que d’outils manuels. Si on ajoute à cela une soif « d’exotisme » on trouve je crois la source de cet attrait pour les agricultures étrangères.

Vos premières expériences dans les pays du Sud vous ont notamment amené à Madagascar, puis au Venezuela et au Laos. Qu’est-ce que ces premières expériences vous ont appris sur la posture du coopérant puis sur celle du chercheur ?

En juillet 1968, alors que j’avais fait mes deux premières années d’étude à l’Institut national agronomique (INA), j’interromps mes études pour faire mon service militaire en tant que Volontaire du service national actif (VSNA). Je me retrouve donc à Madagascar pendant 14 mois, sur la côte est, à Vohipeno, un lieu où il y avait ni électricité ni eau cou- rante. J’avais 22 ans. Je devais enseigner les techniques rizicoles « améliorées ». J’ai alors travaillé avec des femmes malgaches qui, bien qu’analphabètes, m’ont appris ce qu’est un coût d’opportunité, au sens du coût des occasions et des opportunités perdues. Je leur ensei- gnais à repiquer le riz en lignes bien droites ce qui, pour elles, était une perte de temps car il fallait mettre un cordon au travers de la rizière, prendre soin de repiquer le long du cordon, bien tendu, bien droit. Mon argumentation était que beaucoup de temps pouvait être ensuite gagné au moment du désherbage en utilisant une roue dentée poussée entre les lignes, ce qui accélérait la manœuvre, permettait un désherbage précoce et donc un gain en termes de pro- ductivité et de rendement qui devait compenser largement la perte de temps initiale. Malgré mes arguments, ces femmes refusaient obstinément de repiquer en lignes. Un jour, alors que nous faisions un exercice de jeu de rôle avec les vulgarisateurs qui m’accompagnaient, l’un d’entre eux jouant le rôle des femmes, pour ennuyer son collègue, lui lance : « et mon café ! ». Je ne comprends pas et arrête le jeu. Le vulgarisateur m’explique que lorsque je demandais aux femmes de repiquer en lignes, leurs maris étaient en train de récolter le café 15 kilomètres plus loin et que, plus tardivement elles terminaient leur repiquage, plus tar- divement elles rejoignaient leurs maris pour récolter le café, et plus il y avait de grains de café tombés par terre. Le repiquage en lignes leur coûtait donc extrêmement cher car cela signifiait une moindre récolte de café. Ces femmes m’ont appris qu’elles œuvraient dans un système d’activité d’une grande complexité et que le petit jeune blanc agronome que j’étais aurait mieux fait d’être un peu plus à l’observation et à l’écoute des paysannes. Elles m’ont appris à descendre de ma tour d’ivoire.

1 Presidency Key Brief, n° 6, 2e semestre 2015.

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Au Venezuela où je me suis rendu ensuite en tant qu’expert pour l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (IRAM), j’ai été confronté, en tant qu’ingénieur agronome et chercheur, aux exigences de la science et de l’objectivité. J’y faisais ma thèse de doctorat et la question était de savoir s’il est possible de rester objectif lorsqu’on travaille soi-même au sein de l’objet de recherche ? Yves Goussault m’avait particulièrement mis en garde à ce sujet : « Attention, la réforme agraire au Venezuela est un sujet bigrement intéressant, mais il te faut rester objectif ! ». Je travaillais en effet comme animateur dans le cadre de cette réforme qui permettait à des paysans de solliciter les terres de grands domaines. En tant qu’agronome je donnais aux paysans, futurs béné- ficiaires, mon avis sur la qualité des terres en question et leur usage possible. Cette redis- tribution se faisait soit à l’amiable, de façon administrative, soit par suite d’un jugement quand les propriétaires fonciers n’étaient pas d’accord. En cas de jugement, les paysans devaient constituer un argumentaire et dénoncer le caractère non social et extensif des sys- tèmes de production en cours dans les grands domaines qu’ils visaient. Les paysans, qui n’avaient pas encore leurs terres, commençaient à entrevoir ce qu’ils pourraient en faire et je peux vous assurer qu’ils faisaient tout pour que le jugement soit en leur faveur ! J’étais amené à accompagner les paysans, futurs bénéficiaires, dans leurs « tours des propriétés » qu’ils faisaient pour établir un diagnostic agro-écologique et socioéconomique des unités de production qui allaient leur être confiées. C’était déjà de la recherche participative.

Mais je garde justement de ce travail-là quelque chose d’essentiel que j’enseigne encore aujourd’hui. L’observation participante, ou la recherche participative, n’est pas de faire participer les paysans aux recherches de l’agronome. C’est tout l’inverse. L’agronome- chercheur reste agronome et chercheur scientifique ; il reste lui-même et le diagnostic sera le sien. On ne joue pas à faire participer les personnes à notre diagnostic. Je m’insurge complètement contre cela. C’est une vision manipulatoire, que certains ont parfois prônée avec de bonnes intentions. Dire que l’on va observer le milieu et que, pour ce faire, on va se faire accompagner de paysans entraîne le risque que l’on se fasse piéger par leur point de vue. Et le jour où l’on rend compte de notre diagnostic, on ne fait que restituer ce qu’ils nous ont dit, ce qui pour eux est d’un inintérêt total. Je suis de ceux qui préconisent plutôt des rencontres fréquentes entre scientifiques et paysans, mais chacun à sa place.

Chacun prend plaisir à écouter l’autre, mais toujours dans l’interrogation suspecte. Le paysan reste suspect à l’égard de l’agronome qui en retour se donne le droit de garder du recul et d’observer ce que le paysan lui dit et ce qu’il fait. Dans ces conditions, plus on avance dans les entretiens plus ils deviennent fructueux, car contradictoires ; la dernière rencontre doit être du type : « Voilà ce que moi, “étranger” ou personnage “étrange”, pense de… ». Être « étranger », ce n’est pas seulement une question de nationalité, mais aussi de culture (scientifique par exemple).

Et ensuite au Laos ?

Je me rends compte tout d’abord au Laos que Madagascar ce n’était pas vraiment l’Afrique : c’était l’Asie ! C’est-à-dire que je redécouvre des traits culturels très proches, liés sans doute à des modes de vie et des pratiques agricoles : le riz, la pêche, les règles de protection des frayères, etc. Je découvre encore une fois des personnes respectueuses au point d’être incapables de me dire non. Je commettais d’énormes erreurs à manifes- ter de l’enthousiasme dans mon argumentation. Les personnes se demandaient alors :

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« comment lui dire qu’on n’est pas d’accord ? Il risque tant de perdre la face ! ». Le souci premier de l’interlocuteur avec lequel on se trouve est que l’on soit bien accueilli, que tout le monde soit souriant et qu’on ne perde pas la face. C’est là que j’ai compris le fond de l’expression « rire jaune ». Cela peut apparaître raciste, mais pour moi le « rire jaune » est une expression culturelle : lorsqu’on est fâché, on prend soin de sourire. Pas parce qu’on est fourbe et cruel, ou qu’on ne veut pas dire ce que l’on pense, comme le suggère maintes littératures coloniales, mais pour des raisons de politesse, par éducation. Ça m’éloigne de l’agronomie, mais dans le fond cela fait partie de la vie au quotidien. Je l’avais déjà un peu compris avant d’arriver au Laos et je dois reconnaître l’importance du plaisir que j’éprouvais à surmonter ou du moins croire pouvoir surmonter des incompréhensions culturelles. Ce sont des moments passionnants qui résultent d’un réel effort à essayer de comprendre. Mais pourquoi ? Pourquoi, ces femmes ne repiquaient pas en lignes ? Pourquoi, au Laos, les gens ne me disaient pas non alors que cela faisait déjà plusieurs mois que les personnes auraient pu m’expliquer que j’étais dans l’erreur ? Le premier respect des cultures c’est de considérer que les personnes doivent rester libres de faire à leur façon. Je pense que « l’étranger », comme le scientifique d’ailleurs, est souvent perçu comme un Martien. De quoi attiser une curiosité réciproque. Le plaisir que je crois avoir perçu parfois chez mes interlocuteurs se produisait justement lorsque j’éprouvais, moi aussi, beaucoup de plaisir à entendre les autres… Lorsqu’on commence à prendre plaisir de part et d’autre à écouter un « étrange étranger », cela devient intéressant. Je l’ai compris progressivement.

Vous avez consacré votre carrière de chercheur à l’agriculture comparée et avez étudié beaucoup de systèmes agricoles paysans. Qu’avez-vous tiré de ces observations ? Quelles sont les grandes différences et similitudes ? Le territoire, de la terre à la culture, est souvent cité comme étant le facteur différenciant, mais au risque de se perdre dans les idiosyncrasies, que peut-on compren- dre de ces différences ?

Lorsque je deviens assistant à l’Institut national d’agronomie (INA) en 1977, je rejoins la chaire Agriculture comparée et développement agricole qui s’intéresse aussi bien aux processus historiques de développement des agricultures qu’à leurs différenciations géo- graphiques (localisation, délocalisation d’activités, etc.). Évidemment, aujourd’hui, se posent toutes les questions relatives à la mondialisation des échanges et au devenir de ces diverses agricultures de plus en plus mises en concurrence sur un même marché. L’idée est de s’interroger sur leur évolution et d’entrevoir lesquelles pourraient devenir plus compétitives dans les années à venir au risque d’en voir d’autres purement et simplement éliminées, et ce dans une perspective de prospective.

Avec recul, je dirais que les processus de différenciation agricole ont beaucoup à voir avec l’économie et les conditions matérielles d’existence. Au risque de paraître dire de

« gros mots », l’économique est bien selon moi « déterminant en dernière instance ».

Je fais mienne ici cette expression de Karl Marx, quitte à paraître suspect et à ce que l’on me demande « c’est étrange pour quelqu’un qui a véhiculé un peu partout dans le monde et dit apprécier les différences culturelles. Ne seriez-vous pas en train de mino- rer, de sous-estimer, voire de renier ce qui peut présider quotidiennement aux transfor- mations de l’agriculture, à savoir le culturel, les croyances et les idiosyncrasies ? ». La question principale que l’on doit en fait se poser est : « Pourquoi les gens, aujourd’hui,

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font comme ils font ? ». Ne serait-ce pas que leurs techniques et leurs croyances se sont révélées depuis longtemps efficaces ? Ceci avant de prétendre qu’il pourrait y avoir des

« techniques améliorées » ! – J’ai d’ailleurs appris à devenir très prudent et ne plus parler de « techniques améliorées », mais seulement de techniques qui selon moi, vues de l’ex- térieur, me paraîtraient pouvoir leur être éventuellement utiles. Cela implique d’observer où se trouvent les personnes (la géographie), et comment elles en sont arrivées là (l’his- toire). L’histoire nous montre que beaucoup de sélections se produisent au fil du temps.

Il y a certes la sélection des plantes, l’effondrement des abeilles, les herbes invasives qui modifient complètement l’écosystème, etc. Mais il y a aussi une sélection relative à ce que l’on a décidé de faire, ou plutôt ce que nos ancêtres, nos grands-mères, nos parents ont décidé de faire. Ce qui est véritablement génial est que les individus et les sociétés ont inventé de nouveaux savoir-faire à chaque génération. Que la paysannerie a maintes fois été innovante ! Mais l’histoire n’a finalement retenu qu’un petit nombre de systèmes agraires. Même si ces derniers apparaissent toujours différents d’un endroit à l’autre, on peut quand même, à l’échelle mondiale, les rassembler en quelques grands types de systèmes agraires bien contrastés résultant d’histoires très différentes. On remarquera que les similarités ou contrastes entre systèmes agraires ne reposent pas exclusivement sur des fondements agro-écologiques, contrairement à ce que pourrait suggérer une hypo- thèse déterministe. Elles ne reposent pas non plus sur les seules conditions matérielles et économiques que je considère pourtant comme déterminantes en dernière instance. Au contraire, il faut selon moi reconnaître qu’en première instance on a toujours raison de dire : c’est leurs mentalités, leurs idiosyncrasies et leurs cultures qui président au choix des techniques. Mais cela est tellement vrai avec toutes les cultures qu’en définitive cela nous apprend finalement bien peu : une fois qu’on a dit cela, on n’a pas encore dit grand- chose. J’ai compris cela au Laos, pays dans lequel le carême bouddhiste, période pendant laquelle on s’interdit normalement de pêcher, tombe exactement pendant la période où il vaut mieux ne pas pêcher les jeunes poissons. Cet exemple montre que le quotidien est largement conditionné par le culturel, mais aussi que les codes sélectionnés par l’histoire se sont imposés du fait de leur efficacité…

J’ai très vite compris que la psychanalyse ne pouvait guère m’aider pour comprendre les comportements de groupes sociaux à large échelle. Par contre, les sciences sociales peuvent m’être particulièrement utiles, notamment les concepts de groupes sociaux, classes et couches sociales, catégories professionnelles, etc. pour comprendre des simili- tudes de comportement. Au Venezuela, j’y ai eu recours abondamment, même si mettre des personnes dans des catégories m’apparaissait d’une violence extrême. C’est en effet hyper-réducteur, mais il faut le reconnaître redoutablement efficace sur le plan scientifique et opérationnel. Cela s’est aussi avéré être très performant dans la manière que j’avais de m’adresser à des personnes de groupes dont les pratiques, les intérêts, les moyens dont ils disposaient et les conditions agro-écologiques dans lesquelles ils opéraient étaient à peu près similaires. Mais il faut alors bien choisir les critères qui nous permettent de dif- férencier. Ma conclusion aujourd’hui, est que les conditions matérielles d’existence, que ce soient les revenus, le capital, la précarité, l’endettement, les cyclones, l’aléatoire, les limons profonds, etc. sont centrales. Il est vrai que dans l’agriculture comparée et l’étude du développement agricole, il y a une insistance très forte sur les conditions matérielles pour comprendre les trajectoires des paysanneries. Je ne me déclare pas pour autant

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marxiste (ni d’ailleurs d’aucune obédience particulière) car Marx a par exemple commis selon moi quelques erreurs dans son tableau relatif à la péréquation du taux de profit.

Mais pour revenir sur ces mécanismes de sélection, comment les expliquez-vous ? Est-ce parce que la pratique n’est pas performante économiquement qu’elle est écartée ?

Il est vrai qu’aujourd’hui la compétitivité à l’échelle mondiale est centrale mais cela n’a pas toujours été le cas, par contre l’exclusion économique oui. Ce serait trop simple de dire que telle chose a été abandonnée parce que non rentable. Que s’est-il produit ensuite ? L’a-t-on abandonnée pour une autre option ? A-t-elle entraîné famine et chômage et c’est pourquoi elle aurait été abandonnée ? Il existe une foule de modalités concrètes d’exclusion au quotidien et y compris, parfois, celle de l’idéologie. Est-ce parce que l’on a changé d’idéologie qu’on s’en est sorti ? Sachant que l’idéologie peut être le jugement de valeur porté par l’expression « variété améliorée » ? Le vulgarisateur à qui je deman- dais de parler aux femmes malgaches était, en quelque sorte un missionnaire. Le res- pect à l’égard de ces femmes malgaches, c’est justement de ne plus leur envoyer de missionnaire, ni qui que ce soit qui va leur parler culturel. J’en ai fini avec cela. Donc l’attention que je porte aux conditions matérielles, c’est précisément une façon de respec- ter leur culture. Moi, l’étranger, moi, le Martien, moi, le scientifique, moi qui privilégie les conditions matérielles d’existence, mon métier devient alors de savoir si on pourrait éventuellement modifier les conditions matérielles d’existence pour élargir les marges de manœuvre des personnes concernées, c’est-à-dire moins de précarité, plus de souplesse, éventuellement plus de revenus, peut-être plus de terres, etc. Puis, à l’intérieur de ces marges de manœuvre élargies, libre à ces mêmes personnes de décider de poursuivre leur chemin avec les mêmes idéologies ou d’en changer, ce n’est plus mon problème. Je suis déjà reparti. Mais avec cette fois le sentiment (que je n’ai pas toujours eu dans le passé), d’avoir été très respectueux de leur culture.

Vous avez beaucoup travaillé en Amérique latine. Comment l’agriculture a-t-elle évolué depuis vos premiers travaux sur le Venezuela ? Quel avenir lui voyez-vous ? En particulier pour ce qui concerne la tension entre la paysannerie et le modèle de l’agriculteur entrepreneur ?

Le Venezuela a été ma première initiation aux problèmes de structures agraires ; j’y ai découvert au travers de mon doctorat ce qu’était un système agraire, que je différencie du terme système agricole. Le système agricole, on pourrait le voir comme un ensemble de pratiques agricoles, c’est-à-dire plutôt des techniques, des pratiques, des modes concrets d’aménagement des écosystèmes : l’agriculture, l’élevage, le travail du sol, la sélection des plantes, etc. Le système agraire, c’est un concept qui permet d’analyser l’agriculture en relation systématique avec les conditions économiques et sociales environnantes. Dont celles relatives aux structures agraires qui se révèlent souvent décisives dans beaucoup de pays d’Amérique latine où les modalités d’accès aux terres agricoles présentent des iné- galités criantes, tant en ce qui concerne leur quantité (hectares) que leur qualité. En géné- ral, les très grands propriétaires fonciers pratiquent des formes d’agriculture extensive sur les terres alluviales et les limons profonds tandis que la petite paysannerie minifundiaire travaille intensément de tout petits lopins sur des sols pentus, érodés, pierreux. Ce qui va souvent de pair. L’inégalité d’accès à la propriété foncière est une caractéristique de l’Amérique latine héritée pour une large part de l’histoire coloniale.

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Cette inégalité d’accès aux terres agricoles a de graves conséquences économiques.

Les paysans minifundiaires ou les paysans sans terre qui parviennent à avoir momentané- ment accès à un petit fond et travaillent dans des conditions précaires ne disposent géné- ralement que d’un outillage manuel (houe, hache, sabre d’abattis, machette, bâton fouis- seur). Ils auraient intérêt à intensifier leurs systèmes de production agricole pour accroître leurs revenus mais n’en ont pas les moyens. À l’opposé, les très grands propriétaires fon- ciers qui auraient les moyens de pratiquer des systèmes de production intensifs et diver- sifiés n’y ont généralement pas intérêt. Pour maximiser leur taux de profit, ils préfèrent amortir au plus vite leurs équipements agricoles en faisant pratiquer à grande échelle des systèmes de production extensifs et spécialisés (monoculture de type soja, canne à sucre, bananes, etc. ou ranchs d’élevage). Les rendements à l’hectare y sont bien inférieurs à ce qu’on peut voir en Europe. C’est une agriculture extensive qui n’hésite pas à s’étendre toujours davantage sur de grandes extensions aux dépens de la forêt amazonienne, et/ou de communautés indigènes de plus en plus refoulées dans leurs montagnes. Évidemment, au fil de mes travaux j’ai découvert que ce n’était pas toujours aussi simple et qu’il y avait de grandes différences selon les situations en Amérique latine et en particulier dans sa partie la moins latine, la plus amérindienne. On y observe encore des « communautés indigènes » avec des droits fonciers particuliers dans les régions les plus reculées (hautes montagnes andines, versants amazoniens, etc.). Mais le terme de « communauté » appa- raît bien trompeur. Les terres qualifiées de « collectives » ne sont bien souvent que des terres indivises et libres d’accès pour les animaux de quiconque. Et de fait le « Cacique », qui possède cent bêtes a cent fois plus d’accès au fourrage que le petit paysan qui n’en a qu’une seule. Ces terres dites « collectives » sont donc le lieu de la différenciation sociale la plus féroce au sein de ces dites « communautés ». En poursuivant un peu, j’ai décou- vert que le revenu national net par habitant était bien plus élevé au Costa Rica que dans les pays voisins parce que la distribution des terres y est beaucoup plus égalitaire. J’ai aussi appris que ce pays vit davantage en paix, c’est-à-dire n’a pas vécu les guerres civiles du Nicaragua, du Salvador, du Guatemala parce que l’accès au foncier et la distribution des revenus y sont plus égalitaires. J’ai découvert que le peu d’industrialisation qui a eu lieu en Amérique centrale s’était produite au Costa Rica parce qu’il y avait un marché intérieur plus homogène. J’ai découvert aussi que John Kennedy ne s’était sans doute pas trompé en proposant un « plan Marshall » à l’Amérique latine, mais que celui-ci n’aurait pu marcher que si préalablement ou conjointement aux prêts faits à l’industrie, on avait pu établir un marché intérieur homogène capable d’assurer un réel débouché aux produits de consommation produits par cette même industrie. John Kennedy avait bien compris que ce qui manquait à l’Amérique latine c’était une réforme agraire radicale, du type de celles survenues antérieurement à Taiwan ou en Corée du Sud, avec un marché intérieur homogène et donc un accès au foncier agricole le plus égalitaire possible.

Mais que signifie « égalitaire » ? S’agit-il d’hectares ? De qualité ? De structures de production ? La première vision qu’on en a est qu’il s’agit d’abord d’une question de surface et un peu moins de titre de propriété. Globalement, en Amérique latine, c’est souvent une dis- tribution des terres très inégale, très duale, qui prévaut. Au sein des très grandes proprié- tés foncières mentionnées plus haut, on observe une agriculture strictement capitaliste : le propriétaire foncier est un absentéiste qui habite et exerce une autre profession en ville

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(San Salvador, Rio Janeiro, Lima…) ; il n’investit que des capitaux dans l’agriculture. Le gérant du grand domaine est en fait un employé. Ce qui signifie que celui qui définit les rotations, l’assolement, la date des vêlages est un salarié ! Pour le propriétaire, l’agricul- ture n’est qu’une opportunité d’investissement de capitaux, c’est pourquoi je me permets de le qualifier de capitaliste. Il cherche à rentabiliser au mieux son capital au même titre que s’il investissait dans le commerce, l’industrie ou dans un casino à Miami Beach. Mais on observe quand même parfois des familles paysannes dont les fermes sont de taille moyenne et qui parviennent à épargner et à investir. Il existe aussi parfois une agriculture patronale avec un patron qui travaille lui-même sur sa ferme tout en exploitant une bonne dizaine ou vingtaine d’ouvriers, tantôt temporaires, tantôt permanents.

Que nous apprend donc l’Amérique latine qui a une agriculture tournée vers l’exportation depuis très longtemps ?

Elle nous apprend que l’agriculture latifundiaire est source de malheurs d’un point de vue agro-écologique : déforestation, déboisement, monoculture et épandage de pesti- cides, piétinement des terres pastorales, etc. Du point de vue économique et social, elle ne crée pas d’emploi, elle expulse les personnes dans les bidonvilles et elle est source de faim et de malnutrition. Quant aux excédents vendus sur les marchés, même lorsqu’ils sont alimentaires comme au Brésil (maïs soja, etc.), ils ne servent pas tant à nourrir les populations locales que des animaux étrangers (cochons néerlandais, allemands, bretons, etc.). Cette agriculture exportatrice, issue de la structure agraire duale latifundiaire/mini- fundiaire cohabitant avec un chômage croissant dans les bidonvilles, est à l’origine du fait que l’industrie destinée au marché intérieur, qui à Taiwan et en Corée a été le prélude à la conquête de marchés à l’export, n’a guère pu avoir lieu en Amérique latine ; la dette contractée à cette époque-là n’a toujours pas été entièrement remboursée et bien des pays de la région ont encore énormément de difficultés à s’en sortir. Les inégalités de revenus héritées d’une structure agraire injuste sont bien les sources du malheur de ces pays. Ceci malgré le fait qu’il y ait des personnes très riches en Amérique latine.

Dans ces conditions, la seule issue reste encore aujourd’hui la réalisation d’authen- tiques réformes agraires et la promotion d’une agriculture familiale marchande (qui ne relève pas uniquement de l’autosubsistance), de taille moyenne, capable d’accroître ses rendements à l’hectare, de nourrir les familles, d’acheter des produits de première néces- sité, d’épargner, d’investir et d’assurer un marché intérieur croissant à l’industrie. Ce sera une agriculture « écologiquement intensive » qui fera l’usage le plus intensif possible des ressources naturelles renouvelables du lieu (énergie solaire, gaz carbonique et azote de l’air, etc.). Ressources dont les latifundiaires font encore bien souvent un sous-usage éhonté jusqu’à l’abandon. De même en ce qui concerne la main-d’œuvre nationale abon- dante que l’on met au chômage. L’agriculture familiale marchande que je décris ici et qui existe déjà trouve aussi son intérêt à faire l’usage le plus économe possible des énergies fossiles et de tout ce qui coûte en argent. Les agriculteurs ont intérêt à gérer la force de tra- vail familiale en tenant compte de son coût d’opportunité sans exclure l’éventualité d’un travail extérieur et en aménageant leurs systèmes de production pour assurer une activité rentable tout au long de l’année, sans pointes de travail ni temps mort, et sans famine.

Quand cette agriculture familiale est ainsi gérée du point de vue de l’intérêt privé des paysans, c’est une des leçons que j’ai reçue d’Amérique latine, eh bien elle travaille aussi pour l’intérêt général. Dans ce contexte, pourquoi si peu de gouvernements, y compris

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Equateur), quand ils veulent mettre fin à la misère, font de l’assistanat et se refusent de faire de réelles réformes agraires ? Et donc, autre leçon d’Amérique latine : les réformes agraires peuvent être justifiées au nom de la justice sociale mais aussi au nom de l’effi- cacité économique.

Lorsque vous décrivez cette agriculture familiale d’Amérique latine, on se demande si l’agro-écol- ogie n’a pas été inventée par ses agriculteurs et si celle que l’on évoque ici, en Europe, n’est pas, en définitive, qu’une importation de ce modèle.

L’agro-écologie, pour les chercheurs et praticiens de l’agriculture comparée, est une discipline scientifique. C’est ce que l’agronomie n’aurait jamais dû cesser d’être. C’est la discipline qui rend intelligible et qui essaie d’expliquer la complexité et le fonctionne- ment des agro-écosystèmes, c’est-à-dire les écosystèmes aménagés par les agriculteurs, à diverses échelles qui peuvent être : la ferme, le bassin-versant, le finage villageois, le ter- roir, le « pays », etc. Qui a inventé les pratiques de l’agro-écologie ? Concrètement, ce sont presque toutes les paysanneries du monde. C’est le paysan asiatique qui a transformé les marais en rizières, dans lesquelles il y a du riz, des grenouilles, des escargots, des poissons, des canards qui mangent les prédateurs du riz et les mauvaises herbes, de l’eau boueuse dans laquelle vivent des microbes, les cyanobactéries, qui fixent l’azote de l’air et fertilisent ainsi le riz, etc. De telles inventions ont eu lieu dans pratiquement tous les pays de monde.

Même en Europe où des Bretons ont défriché des landes et des forêts pour aménager des bocages qui n’ont plus rien de « naturel ». Cela a permis l’émergence au fil du temps d’une nouvelle biodiversité domestique et sauvage qui n’est plus celle de la lande ou de la forêt.

Et c’est parfois bien compliqué ! En Haïti par exemple il peut y avoir plus de 15 espèces et variétés différentes dans le même champ. Aujourd’hui, ceux qui pratiquent chez nous une agriculture urbaine ou périurbaine le font sur des lopins de terre totalement exigus et se retrouvent dans la condition de paysans minifundiaires avec des outils manuels de jardi- nage. On s’aperçoit qu’ils redécouvrent des choses pratiquées autrefois par nos ancêtres ou développent des pratiques totalement nouvelles. Ils inventent par exemple en permaculture des formes d’agricultures inédites. L’inspiration vient en partie de l’agro-écologie scienti- fique à savoir : raisonner l’agriculture en termes de systèmes.

Vous défendez, pour l’Amérique latine, l’idée d’une agriculture écologiquement intensive plus locale et moins tournée vers l’exportation. Diriez-vous de même pour les agricultures Européennes comme celles de la France, confrontées elles aussi à des problématiques de compéti- tivité voire de survivance ?

En Europe, depuis la Révolution française et le partage des communaux et des biens de l’église, la France et une partie de l’Europe de l’Ouest ont eu la chance de ne pas connaître d’agricultures capitalistes telles que celles en vigueur dans les grands domaines latifundiaires brésiliens et argentins. Notre agriculture a quasiment toujours été, depuis cette époque-là, à quelques exceptions près, une agriculture familiale. Je la qualifie de familiale non pas pour des raisons de propriété ou d’accès à la terre mais parce que l’agri- culteur investit lui-même sa propre force de travail familiale et pour très peu, une main- d’œuvre salariée. L’important est qu’il travaille pour son propre compte. Lorsqu’il décide d’investir du capital, il choisit les systèmes de production destinés à rémunérer au mieux ses efforts en comparaison avec d’autres opportunités de revenus du travail, et non pas d’autres opportunités de rendement du capital. Même s’il a la capacité d’autofinancer ses

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investissements, sa logique, sa rationalité économique, reste de mieux vivre de son tra- vail. Pendant très longtemps, cette agriculture familiale a associé polyculture et élevage.

On pourrait dire qu’on y retrouvait les fondements de l’agro-écologie. L’azote de l’urine rejoignait bien le carbone de la paille, ce qui produisait du fumier qui revenait dans le sol et recréait de l’humus. C’était une agriculture tournée plutôt vers le marché intérieur, bien qu’il y ait eu parfois des exceptions. L’agriculture industrielle d’aujourd’hui, qui se pratique non plus dans les bocages mais dans de l’openfield où le fumier a été rem- placé par des engrais de synthèse, est restée dans le cadre d’une agriculture familiale.

S’imaginer que l’agriculture industrielle est nécessairement une agriculture capitaliste et que l’agriculture familiale est nécessairement une agriculture artisanale serait une grave erreur. Il existe aujourd’hui en France des formes d’agriculture familiale qui sont deve- nues industrielles. Par contre, des formes d’agriculture capitaliste artisanales, je n’en ai jamais vu... Si le citoyen que je suis « dénonce » volontiers cette agriculture familiale industrielle, je ne doute pas un seul instant que ses agriculteurs travaillent d’arrache- pied. L’éleveur breton qui fertilise les algues vertes du littoral avec du lisier et dont l’épouse s’occupait de l’atelier de volailles auquel on a mis fin parce que les abattoirs viennent de fermer, travaille le matin et le soir, 365 jours sur 365, sans vacances : je ne le traite pas de capitaliste. Je le considère comme un travailleur qui découvre bruta- lement aujourd’hui qu’il n’y a aucun avenir pour ses poulets de bas de gamme et son lait produit à grande échelle. C’est dramatique. Néanmoins, il faut reconnaître que ces agriculteurs ont pratiqué une agriculture industrielle dont les conditions socio-écono- miques n’ont pas été conformes à l’intérêt général. Cette agriculture a des externali- tés négatives monstrueuses. Les algues vertes : nous payons tous des impôts pour les retirer. De même que nous payons tous des impôts pour que l’eau devienne potable.

C’est sans compter les maladies occasionnées par les résidus pesticides sur les fruits et légumes ou les hormones dans le lait, les antibiorésistances qui résultent de la présence d’antibiotiques dans les viandes. Ce sont des éléments qui ne figurent pas dans le prix du lait, des légumes ou de la viande, mais qui nous coûtent très cher. La compétition par les prix enjoint les agriculteurs de répondre aux cahiers des charges fixés par les agro-industries. Ces mêmes agriculteurs n’ont bien souvent accès aujourd’hui qu’à un matériel génétique sélectionné en stations expérimentales, toutes choses égales par ail- leurs, sans chenille, sans araignée, sans nématode, sans mauvaise herbe. Il s’agit donc de variétés qui sont capables de donner de très hauts rendements, mais à condition qu’il n’y ait pas de prédateurs, d’agents pathogènes, ni d’herbes concurrentes, et donc que soient épandus des pesticides issus de l’industrie pétrolière.

Alors évidemment, faire renaître, dans un pays comme la France, une agriculture qui va réassocier agriculture et élevage, qui va remettre des animaux sur la paille pour fabri- quer du fumier, qui va cesser d’envoyer ses nitrates sur le littoral, d’employer des intrants de synthèse coûteux en énergie fossile, qui va essayer de nouveau de faire le meilleur usage des rayons du soleil, de l’azote de l’air, du gaz carbonique et chercher les éléments minéraux en profondeur, avec des arbres et des arbustes pour pratiquer ce qui peut res- sembler à de l’agroforesterie, implique de nous inspirer d’éléments qui ont disparu chez nous depuis longtemps et de se réinspirer de pratiques qu’on peut voir ailleurs, quitte à ne pas faire exactement pareil parce que tout est toujours différent. Les conditions ne sont jamais totalement similaires.

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Oui, aujourd’hui, le vrai défi de ce que sera l’agriculture moderne de demain est d’être intensément écologique, d’aller à rebours de la tendance de l’agriculture industrielle. Que ce soit pour des raisons de bonheur national net ou pour des raisons strictement moné- taires d’équilibre de la balance du commerce extérieur.

Bonus

Quel est le livre que vous avez lu récemment et que vous avez apprécié :

J’ai relu récemment, Voyage au Congo d’André Gide. De retour de la République cen- trafricaine où son voyage s’est principalement déroulé. Ce livre m’a plu parce que c’est un récit de voyageur très réaliste ce qui correspond un peu à l’exigence de mon métier. Je garde toujours un intérêt réel pour la découverte, pour l’étrange, l’étranger et ce genre de choses.

Quel est votre légume/fruit exotique préféré ?

Ah ! Le fruit, c’est le mangoustan. Cela fait très « énergumène ». Le mangoustan est un fruit asiatique d’une extrême douceur. Vous en avez déjà mangé ? On en trouve encore très peu sur nos marchés.

Quel lieu où agriculture vous a le plus marqué ?

Le lieu qui m’a le plus marqué, j’ose le dire, c’est Madagascar. Il y a les paysages de rizières, les caféiers le long des berges, le canal des Pangalanes, la mer poissonneuse juste à côté… J’y ai connu aussi le cyclone Dany et j’ai vu de mes propres yeux ce que pouvait être la précarité de la paysannerie lorsqu’arrive un événement dramatique de ce type. Du point de vue des agro-écosystèmes ce sont aussi les rizières malgaches aménagées en terrasses qui m’ont le plus marqué, notamment pour leur beauté…mais au-delà de cela il y a le sourire des gens et puis peut-être aussi parce qu’ils m’ont donné des leçons.

La question qu’on ne vous a pas posée et que vous auriez aimée qu’on vous pose ?

Ah, alors cette question ! La vérité est que je suis techniquement optimiste sur le fait qu’une agriculture inspirée d’agro-écologie pourrait nourrir correctement et durablement l’humanité tout entière et bien au-delà des 9 milliards 500 millions de personnes de 2050.

Alors maintenant, la question qui me fâche et que je souhaite qu’on ne me pose pas, c’est :

« Est-ce que je suis politiquement optimiste sur le fait qu’on pourra nourrir correctement et durablement la planète ? ».

Sélection d’ouvrages

2014, 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation, Allary édition, Paris.

2012, Famine au sud, malbouffe au nord : comment le bio peut nous sauver, NiL éditions, Paris.

2007, Agricultures africaines et marché mondial, Fondation Gabriel Péri, Paris.

2004, Agricultures et paysanneries des Tiers-Mondes, Éditions Karthala, Paris

1996, Les projets de développement agricole, manuel d’expertise ?, Édition Karthala, Paris.

1986, Les politiques agraires, collection Que sais-je ?, Presses universitaires de France, Paris, (réédition 1988).

Références

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