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Géographie Économie Société: Article pp.225-249 of Vol.17 n°2 (2015)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 225-249

L’épargne réglementée, une géographie méconnue de la circulation de richesse en France

1

Pierre Bouché, Élisabeth Decoster et Ludovic Halbert*

Université Paris-Est, LATTS-ENPC (UMR CNRS 8134) 6-8 Av. Blaise Pascal, Cité Descartes, 77455 Marne-la-Vallée Cedex 2

Résumé

L’article analyse la circulation spatiale des richesses à partir du circuit de l’épargne réglementée sur livrets (livret A, livret développement durable, livret d’épargne populaire). En transformant les dépôts à vue des ménages en prêts de long terme mobilisés en majorité pour le financement du logement social, l’intermédiation bancaire assurée par la Caisse des Dépôts entraîne des trans- ferts monétaires méconnus.

L’article qualifie la direction, l’intensité et les évolutions de cette circulation financière. Si la répartition spatiale des encours d’épargne est homogène et stable dans le temps, la localisation des prêts se concentre depuis la fin des années 2000. Deux facteurs interdépendants l’expliquent.

Le rôle de l’intermédiation bancaire tout d’abord, la Caisse des Dépôts faisant évoluer ses pra- tiques pour soutenir la production de logement social dans les marchés immobiliers dits « ten- dus » ; les mutations des systèmes locaux de production du logement social ensuite, l’État, des bailleurs et des collectivités mobilisant des prêts à destination de certaines grandes aggloméra- tions ou de territoires ayant un parc de logement social important.

Mots clés : Caisse des Dépôts, circulation spatiale, épargne, France, géographie de la finance, logement social. © 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés

1 Ce travail a été réalisé dans le cadre du programme de recherche Financement Durable Et Livrets d’Épargne (FIDELE) associant la Direction du Fonds d’Épargne de la Caisse des Dépôts, l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts et l’Université Paris-Est, LATTS.

doi :10.3166/ges.17.225-249 © 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant : Ludovic.halbert@enpc.fr

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Summary

Examining the spatial circulation of wealth: the case of saving accounts in France. The paper analyses the spatial circulation of wealth associated to regulated saving accounts in France (known as Livrets A). Transforming household’s savings into long-term loans mainly for the financing of social housing, the para-public Caisse des Dépôts achieves a banking intermediation that entails poorly known monetary transfers.

The paper describes the direction, intensity and evolutions of this financial circulation of wealth. If the location of savings is both stable through time and spatially homogenous, the geography of loans has evolved towards more spatial concentration at the end of the 2000s.

Two interrelated explanations are discussed. Firstly, banking intermediation has evolved, with the Caisse des Dépôts adapting its practices to support social housing operations in real estate markets with strong perceived needs. Secondly, actors involved in the local systems of social housing provision (central State, local governments and social housing operators) are shifting their investment strategies towards larger-scale urban areas and some markets with a tradition of social housing.

Keywords: Caisse des Dépôts, France, savings, spatial circulation, social housing, financial

geography. © 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés

Introduction

Si l’ouvrage de Laurent Davezies (2008) a ravivé l’engouement pour la « circulation invisible des richesses », c’est un objet d’analyse en réalité ancien de l’économie poli- tique. Au-delà des débats académiques, les mécanismes et les effets de la circulation des richesses constituent par ailleurs un enjeu général pour les politiques publiques : déve- loppement économique, solidarité à travers les transferts publics et sociaux ou encore redistribution spatiale, notamment par l’aménagement du territoire. Or, en dépit d’un poids par hypothèse croissant à mesure du renforcement d’un capitalisme patrimonial (Aglietta, 1976, Piketty, 2013), la circulation financière des richesses, c’est-à-dire celle liée à l’épargne, reste méconnue. Pourtant, en différant la consommation de leurs reve- nus dans le temps, les agents économiques contribuent à des transferts de richesse dans l’espace, depuis les lieux de l’épargne vers ceux de l’investissement adossé à celle-ci.

Deux facteurs expliquent cette invisibilité. L’opacité des circuits d’intermédiation ban- caire ou financière masque les flux associant épargne et financements. D’autre part, outre le manque de données, l’appareillage conceptuel à disposition est limité. Ainsi, partant de l’étude des disparités territoriales, les travaux s’intéressant à la circulation des richesses reposent sur un modèle monétaire qui, à l’image de la théorie de la base, prend pour point de départ la répartition et les transferts de revenus. Dans une conception keynésienne, l’accent mis sur les mécanismes d’entraînement engendrés par les flux de dépenses asso- ciés aux revenus invisibilise les transferts spatiaux résultants de la consommation différée dans le temps des revenus, c’est-à-dire, stricto sensu, de l’épargne.

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Le présent article cherche à éclairer cette invisibilité en analysant les transferts de richesse liés au circuit de l’épargne réglementée sur livrets2. Ce circuit est ancien, ses fondements remontant à 1818 (Constantin, 1999), et drainerait environ 10 % de l’épargne financière des ménages français en 2013. Placée sous la surveillance du Parlement, la Caisse des Dépôts centralise environ la moitié des encours en question. C’est sa Direction du Fonds d’Épargne qui transforme les dépôts à vue des ménages en prêts, notamment pour le logement social, selon des modalités définies par l’exécutif national. Ce circuit est dit « réglementé » car, outre l’apport de sa garantie au dispositif, l’État accorde une défiscalisation pour les épargnants, tout en pesant sur la définition des priorités d’emploi des prêts distribués par la Caisse des Dépôts.

Deux questions interdépendantes sont posées par la recherche. Premièrement, y a-t-il une circulation de la richesse au sein du territoire national liée à l’épargne réglementée sur livrets, et si oui, quelles en sont l’intensité et la direction ? Deuxièmement, quels sont les facteurs expliquant la géographie de cette circulation, en distinguant ce qui revient à la localisation respectivement des encours épargnés et des prêts distribués.

Au-delà de ces considérations empiriques, l’analyse invite à prêter attention à l’en- châssement institutionnel du circuit de financement considéré et à observer le rôle relatif respectivement des acteurs de l’intermédiation bancaire (ici de la Caisse des Dépôts) et des investisseurs sollicitant des prêts (bailleurs, collectivités…). Plus largement, la réflexion contribue à penser la relation entre, d’un côté, les « systèmes de provision » de l’environnement bâti (Ball, 1986) (infrastructures, équipements, immobilier, dont, plus particulièrement ici, le logement social) et, de l’autre, l’infrastructure financière, cette dernière pesant, par hypothèse, sur la fabrique des espaces.

Après avoir constaté l’invisibilité de la circulation spatiale de l’épargne financière, l’article convoque la « géographie de la finance » pour analyser le circuit de l’épargne réglementée. Ce circuit est introduit en section 1 et le protocole de recherche détaillé en section 2. Le reste de l’article est consacré à la présentation des résultats. La section 3 fournit la première cartographie de la circulation de l’épargne réglementée sur livrets en France ; les sections 4 et 5 en éclairent les facteurs, à partir de la localisation respective- ment des encours épargnés et des prêts. Après avoir rappelé les principaux résultats de l’analyse du circuit de l’épargne réglementée, la dernière section ouvre un ensemble de réflexions sur les enjeux théoriques découlant de notre travail.

1. La circulation de l’épargne : de la théorie de la base à la « géographie de la finance » L’analyse du circuit de l’épargne réglementée interroge un aspect méconnu de la cir- culation spatiale des richesses au sein du territoire français. Si le débat sur la nature, la mesure et la dynamique des inégalités territoriales est toujours vif (Combes et al., 2011 ; Bouba-Olga et Grossetti, 2014), des travaux plus anciens d’économie régionale (Aydalot,

2 Afin de faciliter la lecture, nous recourons au terme d’épargne réglementée pour qualifier les seuls pro- duits d’épargne réglementée sur livrets (livrets A et assimilés, livret développement durable – LDD, et livret d’épargne populaire - LEP). Pour mémoire, il existe d’autres produits financiers d’épargne réglementée hors livrets : compte épargne logement (CEL) et plan épargne logement (PEL).

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1984, 1985 ; Davezies, 1993 ; Gouguet, 1981 ; Laurent, 1995 ; Le Gléau, 1995 ; Vincenau et al., 1993) ont notamment observé comment :

« (…) certaines régions, en raison de leurs caractéristiques économiques et sociales

« reçoivent » plus qu’elles ne « donnent », et réciproquement ». (Vincenau et al., 1993, p. 4)

Or, ces transferts sont devenus d’autant plus importants dans les dynamiques locales que, premièrement, les ménages (touristes, navetteurs, retraités) sont plus mobiles, emmenant dans leurs déplacements des revenus qu’ils redistribuent entre territoires à travers leurs pra- tiques de consommation, et que, par ailleurs, la redistribution collective de la richesse s’est intensifiée, notamment par le biais des transferts publics et sociaux (Davezies, 2008). En faisant l’hypothèse que le développement local est de plus en plus sensible à ces transferts, L. Davezies s’inscrit dans une tradition qui en appelle à la théorie de la base pour analyser la circulation des richesses. Il s’agit alors tout d’abord de comprendre dans quelle mesure cette théorie fournit un cadre d’analyse propice à l’étude de la circulation spatiale de l’épargne.

1.1. La théorie de la base et la circulation financière

La théorie de la base (cf. Andrews, 1953a, 1953b ; Krumme, 1968 ; Tiebout, 1956 ; ou encore, pour une synthèse, Isserman, 2000 et Krikelas, 1992) lie le développement local à la captation de revenus d’origine extérieure (revenus « basiques »), ces derniers étant censés entraîner la croissance locale en vertu d’effets multiplicateurs (Aydalot, 1984).

L’intuition majeure de cette théorie est la reconnaissance de l’incomplétude des écono- mies locales (Aydalot, 1985) : leur taille restreinte pousse à leur intégration dans des systèmes économiques plus vastes (Pfouts, 1958) ; l’analyse des facteurs internes ne peut donc seule suffire à éclairer les dynamiques territoriales. Cette conception d’inspiration keynésienne d’un développement basé sur la demande appelle en conséquence la prise en compte des flux monétaires provenant d’autres territoires. Si cette théorie n’a donc pas pour objet d’éclairer la circulation des richesses pour elle-même, elle est néanmoins sous- tendue par des mécanismes de transferts spatiaux.

Les travaux fondateurs (Aurousseau, Olmsted ou Sombart cités par Krikelas 1992, p. 16), recensent la multiplicité des mécanismes de redistribution à l’œuvre : i) rémunéra- tion des facteurs de production (salaires et excédents bruts des entreprises exportatrices) ii) transferts publics (fiscalité et dépenses publiques dont les traitements des fonction- naires) iii) prélèvements et prestations obligatoires (minima sociaux, santé, vieillesse) iv) mobilité des consommateurs (navetteurs, touristes, retraités) et v) dons privés (remises diasporiques, dons intrafamiliaux ou intracommunautaires) (Krikelas, 1992).

Indépendamment des limitations formulées à son encontre (Aydalot, 1985 ; Schaffer, 2010), la théorie de la base peine, pour ce qui intéresse la présente recherche, à rendre compte de la circulation financière entre territoires. En portant l’attention sur les revenus d’origine extérieure, elle invisibilise les flux entrants associés à l’épargne3. À l’excep- tion de rares travaux (Hartman et Seckler, 1967 ; Sirkin, 1959 ; Vining, 1946, 1949), les

3 En plaçant l’accent sur la stimulation de la consommation locale par les revenus « extérieurs », la théorie de la base ne considère pas l’épargne comme un facteur du développement local, mais plutôt comme une dépense non réalisée, voire une fuite de revenus.

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flux financiers ne sont donc intégrés dans les modélisations que de manière indirecte. En d’autres termes bien que les investissements constituent potentiellement des flux entrants d’un territoire, la mobilisation des capitaux financiers extérieurs n’est alors jamais consi- dérée qu’à travers ses effets sur les revenus. Ainsi, l’investissement dans l’outil de pro- duction d’une entreprise exportatrice n’est appréhendé que par les bénéfices et salaires qui en résulteront. De même, les financements réunis pour un nouvel équipement (un musée à portée extra-locale par exemple) ne sont comptabilisés qu’à travers les dépenses supplémentaires (touristiques en ce cas) engendrées localement par cet équipement.

Dans un souci de réalisme proclamé, quelques auteurs introduisent un coefficient multiplicateur pour l’épargne et les investissements d’origine extérieure (Sirkin, 1959 ; Thirlwall, 1979 ; Schaffer 2010, chap. 3, p. 7). Ceci revient cependant à infléchir la théo- rie de la base vers un modèle d’équilibre général des flux monétaires d’un territoire. En mettant sur un pied d’égalité théorique les effets associés à la création de richesse (à travers les investissements) et à sa consommation (à travers les revenus), ce qui est gagné en exhaustivité descriptive est perdu en pouvoir explicatif, car on ne discerne plus les facteurs à l’origine du développement local (Aydalot, 1985, au sujet de Sirkin, 1959).

Même en tenant compte des investissements, la formalisation des flux monétaires n’aide guère à expliquer les facteurs pesant sur les circulations spatiales en général, et la circula- tion financière en particulier, tant d’ailleurs pour ce qui concerne son origine (encours de l’épargne) que sa destination (financements). Pour dépasser ces écueils, nous mobilisons le corpus de la « géographie de la finance » qui examine justement la circulation des capitaux.

1.2. Les apports de la « géographie de la finance »

Bien qu’ils empruntent à des cadres théoriques fort différents, nombre d’auteurs constatent que l’épargne, qui correspond au report dans le temps de la consommation d’un revenu par un agent économique, rend possible un déplacement dans l’espace des capitaux non-immédiatement consommés (Merton, 1995 ; Harvey, 2006 ; Leyshon et Thrift, 1997). Sans qu’elle soit réductible à ce seul domaine, les travaux relevant de la

« géographie de la finance » analysent ce déplacement des capitaux dans l’espace, et ce à de multiples échelles4. Outre leur ambition descriptive, les recherches examinent prin- cipalement la localisation des financements en s’intéressant aux logiques d’action des intermédiaires qui réalisent l’allocation des capitaux (Mason, 2010 ; Mason et al., 2012).

Dans une perspective d’économie néo-institutionnelle, Mason explique ainsi l’asymé- trie défavorable des financements à l’encontre des territoires les plus périphériques d’un système national par i) le degré de centralisation géographique et organisationnel des trois principaux systèmes financiers étudiés par la littérature (réseaux bancaires, capital- risque, marchés boursiers) et ii) la sensibilité de la décision d’investissement à la distance géographique, les coûts de transaction pesant fortement sur la circulation des informa-

4 Ces travaux sont justifiés par leurs auteurs en raison des effets des financements sur les dynamiques territo- riales. Par distinction avec la théorie de la base, il est postulé que les différenciations spatiales dans l’accès aux capitaux par les agents économiques influent sur ces dynamiques (Martin et Minns, 1995). En témoignent des recherches aussi variées que celles portant sur la géographie du financement des entreprises (pour une synthèse, voir Mason et al., 2012, pp. 3-12) ou sur le financement de l’immobilier et des infrastructures (Halbert et al., 2014).

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tions non-codifiables (Mason et al., 2012). D’autres auteurs interprètent la concentration spatiale des financements comme l’effet conjugué de mécanismes de familiarité naïve affectant les gestionnaires des fonds (Henneberry et Mouzakis, 2014) et de techniques calculatoires poussant au mimétisme (Henneberry et Roberts, 2008). Ceci conduirait les gestionnaires à allouer les capitaux préférentiellement à destination des lieux à partir desquels ils exercent leur activité (Lizieri, 2009 ; Halbert et al., 2014).

Cependant, focalisés sur la seule localisation des financements, bien des travaux rele- vant de la « géographie de la finance » négligent d’entreprendre une analyse spatiale de la totalité d’un circuit de financement, c’est-à-dire en partant des lieux de collecte de l’épargne. L’opacité des circuits ne facilite évidemment pas la tâche (Martin et Minns, 1995) : la circulation financière ne fait pas l’objet d’une diffusion d’information équiva- lente, par exemple, aux transferts publics ou sociaux. Cependant, des auteurs travaillant sur les fonds de pension ont néanmoins réussi à éclairer le transfert spatial de l’épargne, soit en considérant la localisation de la collecte comme une fonction de la distribution spatiale de l’emploi (Corpataux et al., 2009), soit par l’accès à des bases de données trans- mises par les gestionnaires des fonds eux-mêmes (Martin et Minns, 1995). Apparaissent en creux les transferts entre, d’un côté, les territoires ordinaires de l’activité économique et des emplois où la collecte de l’épargne est réalisée et, de l’autre, des métropoles qui concentrent les financements.

Deux principaux éléments ressortent des travaux relevant de la « géographie de la finance ».

Premièrement, il apparaît que les recherches couvrant l’ensemble d’un circuit de financement sont très rares : il est donc urgent de produire des analyses empiriques qui dépassent l’écueil de l’accès aux données. Deuxièmement, les facteurs pouvant expliquer la circulation spatiale des capitaux associés à l’épargne sont de trois ordres : i) les facteurs pesant sur la géographie de l’épargne elle-même ; ii) le rôle des intermédiaires financiers dans l’allocation des finance- ments ; iii) les facteurs pesant sur la demande émanant des investisseurs sollicitant des finan- cements. Au-delà de l’apport empirique qu’il ambitionne, c’est en référence à ces trois types de facteurs que le présent article vise à enrichir la compréhension de la circulation financière en France métropolitaine à partir de l’épargne réglementée.

2. Analyser la géographie du circuit de l’épargne réglementée sur livrets

Le circuit repose sur la mobilisation d’une épargne privée provenant principalement des ménages (Fig. 1). Cette épargne est collectée par les réseaux bancaires à travers les livrets défiscalisés (livret A et assimilés, LDD et LEP). Elle est ensuite partiellement centralisée à la Caisse des Dépôts où la Direction du Fonds d’Épargne réalise l’intermédiation bancaire : cette dernière transforme les dépôts à vue des ménages en prêts de long terme, tout en rému- nérant les épargnants et les établissements bancaires collecteurs. Bien que reposant sur une épargne privée, ce circuit d’intermédiation bancaire est réglementé par l’État (d’où le terme éponyme), ce dernier intervenant aux principales étapes (voir Fig. 1).

2.1. Collecte, centralisation, distribution

Les encours croissent de manière continue depuis une vingtaine d’années.

Représentant moins de 200 Mds€ en 1993, ils dépassent 440 Mds€ en 2013, soit 10 %

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des encours financiers des ménages français (OER, 2013). La collecte s’est accélérée à partir de 2008, bénéficiant de la confiance des ménages envers le livret A face aux turbulences des marchés financiers, puis du relèvement du plafond du livret A en 2012 et 2013, au point de compter pour un tiers de la collecte annuelle d’épargne financière des ménages. La baisse progressive du taux du livret A, rémunéré à 1 % au 1er août 2014, a rendu l’épargne réglementée moins attractive, alimentant un mouvement de légère décollecte.

Le dynamisme de la collecte s’est traduit par une hausse régulière des encours cen- tralisés. En dépit des atermoiements du législateur sur le taux de centralisation (Halbert, et al., 2013), la Direction du Fonds d’Épargne gère 250 Mds€ en 2013, dont environ 55 % sont distribués sous forme de prêts, le reste faisant l’objet de placements financiers, notamment dans des titres de dette (ibid.).

À l’exception d’enveloppes de refinancement attribuées à des établissements ban- caires de marché (dont une partie des prêts au logement social de type prêt locatif social - PLS), la distribution des prêts à partir de la ressource centralisée est réalisée par la Caisse des Dépôts à travers son réseau territorial. Les caractéristiques des prêts sont cependant définies par l’exécutif national (ministère de l’Économie et des Finances) à qui revient la responsabilité de déterminer les emplois et les conditions de distribution des prêts. Si entre 2004 et 2013, la majorité des financements est à destination du logement social et de la politique de la ville, un processus de diversi- fication est à l’œuvre depuis 2008 à travers des prêts fournis pour des équipements et infrastructures, ainsi que des enveloppes de financement pour les collectivités locales (Halbert, et al., 2013). C’est à cette même période que les prêts ont connu une très forte inflexion quantitative. À un régime de croisière avoisinant 5 Mds€ prêtés par an en moyenne durant les années 1990 et les deux premiers tiers des années 2000, succèdent des montants annuels dépassant 20 Mds€ depuis 2010. Ceci tient à la mobilisation de l’épargne réglementée centralisée à la Caisse des Dépôts pour la construction du logement social, ainsi que le financement des budgets des collecti- vités locales suite à la débâcle de Dexia, ou d’équipements publics dit « durables » (transports en commun, hôpitaux, assainissement…).

Figure 1 : Le circuit de l’épargne réglementée sur livrets centralisée par la Caisse des Dépôts

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2.2. Données mobilisées

Pour analyser la circulation dans l’espace de l’épargne réglementée, il est nécessaire de comparer la localisation des encours et des prêts distribués à partir de cette ressource.

Les encours de l’épargne sur livrets sont connus par les remontées des établissements bancaires collecteurs auprès de la Banque de France. Cette dernière rend accessibles les montants totaux d’encours à l’échelle départementale pour la période 2007 à 2013 à tra- vers son portail en ligne. Cependant, les données proposées ne distinguent pas les encours du livret A de ceux des livrets non-réglementés des établissements bancaires commer- ciaux, ces derniers pesant de 25 à 30 % sur la période 2007 à 2013 (Fig. 2).

Figure 2 : Évolution de l’épargne sur livrets des ménages (1993-2013)

(Source : Banque de France. Calculs des auteurs)

Constatant que les rapports annuels de l’Observatoire de l’Épargne Réglementée créé en 2008 parvenaient à différencier les encours des différents livrets d’épargne réglemen- tée (respectivement livret A et assimilés, LDD et LEP), nous nous sommes approchés de ce dernier, puis de la Banque de France dont il dépend. Le Service de l’Épargne Financière et de la Titrisation de la Banque de France nous a alors fourni des données agrégées au niveau départemental portant sur les encours du livret A et assimilés pour la période 2011 à 2013, les autres supports (LDD et LEP) étant quant à eux d’ores et déjà accessibles en ligne pour 2007 à 2013. Au total, ces données permettent l’analyse des encours de l’ensemble de l’épargne sur livrets depuis 2007 (livrets réglementés et livrets bancaires non-défiscalisés), ainsi que, depuis 2011, des encours de l’épargne réglementée sur livrets (Livret A, LDD, LEP), et, par différence, de l’épargne non-réglementée. Avec environ trois quarts de l’épargne sur livrets relevant de la seule épargne réglementée (Fig. 2), et en l’absence de données sur les encours du livret A par département avant 2011, nous estimons que l’épargne totale sur livrets constitue un proxy satisfaisant pour mener une analyse dynamique de la localisation des encours pour la période 2007 à 2013. Ce qui ne

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nous empêche pas d’ausculter plus particulièrement la période 2011 à 2013 pour laquelle les encours de l’épargne réglementée sur livrets nous sont fournis au département.

En aval du circuit, l’analyse des financements nécessite l’accès à des données prove- nant des établissements de crédit qui distribuent des prêts réalisés à partir des encours de l’épargne réglementée sur livrets. Il s’agit respectivement des établissements ban- caires collecteurs pour environ 40 % de l’ensemble de l’épargne réglementée sur livrets, et la Direction du Fonds d’Épargne pour les 60 % d’encours centralisés à la Caisse des Dépôts5. Si les financements proposés par les établissements bancaires collecteurs n’étaient pas accessibles pour cette recherche, un partenariat avec la Caisse des Dépôts a garanti l’accès à un ensemble d’informations sur les prêts distribués par cette dernière pour la période 2004 à 2013. Ces informations renseignent notamment le type de prêt (permettant d’en qualifier son emploi : logement social, politique de la ville, infrastruc- tures, financement des collectivités), son montant en euros, la date de signature, ainsi que la localisation du projet financé (commune, département ou région, selon les cas). Les montants cumulés entre 2004 et 2013 représentent environ 137 Mds€, à rapprocher des 157 Mds€ en cours de remboursement auprès de la Caisse des Dépôts en 2013. Bien que les encours centralisés à la Caisse des Dépôts alimentent des prêts souscrits avant cette période, nous estimons donc pertinent de comparer la répartition spatiale des encours de l’épargne réglementée avec celle des prêts distribués ces dix dernières années, tant ces derniers sont importants dans le total des encours centralisés prêtés. Notons qu’afin de travailler à l’échelle départementale, c’est-à-dire à l’unité d’observation la plus fine four- nie par la Banque de France pour les encours de l’épargne réglementée, ce sont 82 % des volumes prêtés depuis 2004 en France métropolitaine que nous analysons6.

2.3. Traitements réalisés

Le protocole de recherche vise à qualifier l’intensité, la localisation et les évolutions dans le temps de la circulation de l’épargne réglementée sur livrets entre les départements de France métropolitaine, ainsi qu’à comprendre la contribution respective de la géogra- phie des encours et des prêts pour expliquer la circulation à l’œuvre.

Le fonctionnement du circuit ne permet pas de traiter les informations sous forme d’une matrice de flux associant un département d’origine (lieu de la collecte) à un dépar- tement de destination (lieu du financement) pour chacune des années : la circulation n’est

5 En juillet 2013, dans l’objectif de soutenir le financement des entreprises, le gouvernement a décidé le transfert de 30 Mds€ depuis le Fonds d’Épargne de la Caisse des Dépôts vers les autres établissements de crédit, ramenant le taux de centralisation à environ 50 %.

6 Si les financements hors de France métropolitaine n’ont pu être conservés en raison de l’absence de don- nées équivalentes sur les encours collectés (soit 5 % des prêts distribués pour la période 2004 à 2013), d’autres financements ont dû être exclus :

- les prêts distribués par des établissements de crédit commerciaux à partir de la ressource centralisée (par exemple certains PLS), la localisation des projets financés n’étant pas documentée (11 % des prêts 2004-13) ; -les financements à destination des PME réalisés par Oseo (4,6 % des prêts 2004-11) ;

-quelques prêts n’ayant pu être localisés à l’échelle départementale (infrastructure de transport multiré- gionale par exemple) (4,5 % des prêts 2004-13).

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pas immédiate mais différée dans le temps, notamment en raison de la centralisation des encours à la Caisse des Dépôts et du travail de transformation en prêts (Fig. 1).

En conséquence, la méthode de traitement statistique retenue compare la répartition dépar- tementale respectivement des encours d’épargne et des financements distribués, ainsi que leur évolution dans le temps pour la période 2007 à 2013. Les données mobilisées sont mesu- rées en euros par ménage afin de neutraliser les effets liés à l’hétérogénéité du peuplement à l’échelle départementale (rapport de 1 à 33 entre les départements le plus et le moins peu- plés). Deux analyses sont combinées. Premièrement, nous avons procédé à la comparaison de la répartition spatiale des encours et des financements afin de révéler les départements qui épargnent et/ou sont financés proportionnellement plus par rapport à la moyenne nationale.

Le solde des indices de spécialisation des encours et des prêts a ainsi permis d’observer la circulation de l’épargne à travers les transferts estimés entre départements. Deuxièmement, une mesure de leur coefficient de variation respectif a permis une comparaison standardisée de l’hétérogénéité de la répartition départementale des encours et des prêts.

L’analyse statistique est complétée, pour ce qui concerne la localisation de l’épargne, par une régression multiple visant à expliquer la différenciation des montants des encours de l’épargne réglementée entre les départements. Cette régression a porté sur les encours moyens par ménage entre 2011 et 2013 et s’est appuyée sur les variables reflétant les com- portements des ménages français d’après la littérature (cf. infra). Pour ce qui concerne la localisation des financements, nous avons analysé l’évolution de la répartition départe- mentale pour chacun des principaux types de prêts pour la période 2004 à 2013. Il s’agit de comprendre dans quelle mesure la diversification des financements distribués par la Caisse des Dépôts (équipements et infrastructures, financement des collectivités) pouvait expliquer la transformation observée de la localisation des prêts durant ces dix années.

L’analyse statistique a été finalisée par un traitement cartographique. Ce dernier a consisté à représenter la répartition départementale des encours de l’épargne réglementée sur livrets et celle de la distribution des prêts, ainsi qu’à cartographier les écarts entre ces deux distributions afin de rendre apparente la circulation à l’œuvre (Fig. 4, 5 et 7).

3. La circulation de l’épargne réglementée sur livrets centralisée par la Caisse des Dépôts Existe-t-il un transfert de capitaux entre les départements de France métropolitaine qui proviendrait du fonctionnement du circuit de l’épargne réglementée sur livrets ? Le cas échéant, quelle en est l’ampleur et comment évolue-t-il dans le temps ?

L’analyse de l’indice de dissimilarité7 apporte une réponse positive à la première ques- tion. Avec une valeur de 15,88 % en moyenne, ce dernier indique qu’il faudrait déplacer presque 16 % des prêts distribués afin de refléter la répartition spatiale des encours de l’épargne réglementée. En 2013, année où les prêts ont avoisiné 20 Mds€, cela corres- pondrait à un solde net de transferts de plus de 3 Mds€. Par ailleurs, si l’ampleur de la

7

𝐼𝐼𝐼𝐼 =1 2

𝑥𝑥!

𝑋𝑋𝑦𝑦!

𝑌𝑌

!

!!!

 , avec x

i et yi les quantités des variables X et Y dans l’unité spatiale i. Cet indice varie de 0 à 1 - correspondant respectivement à la similitude parfaite et à la dissemblance la plus grande.

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circulation varie selon les années, les transferts tendent à s’accroître dans le temps, la moyenne de l’indice de dissimilarité s’élevant progressivement.

Quels sont les départements les plus concernés par cette circulation de l’épargne réglementée sur livrets ? Les indices de spécialisation portant sur la répartition spatiale de l’épargne réglementée (ISER) et des prêts distribués par la Caisse des Dépôts (ISPR)8 apportent une première réponse. Le diagramme comparant ces indices de spécialisation affiche une corrélation négative (Fig. 3). En d’autres termes, ce sont les départements où les encours moyens d’épargne réglementée sont relativement plus importants par rapport à la moyenne nationale qui alimentent des prêts relativement supérieurs au regard de la moyenne nationale dans d’autres départements.

8 Soit : • ISPR = PPR / PMEN, l’indice de spécialisation d’un département dans le total des prêts,

• ISER= PER / PMEN l’indice de spécialisation d’un département dans le total des encours d’épargne réglemen- tée sur livrets. Avec :

- PPR : la part des prêts d’un département dans le total des prêts de la CDC ; - PER : la part du département dans les encours d’épargne réglementée ;

Figure 3 : Indices de spécialisation d’épargne réglementée sur livrets et de prêts, par département (2009-2013)

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Figure 4 : Cartographie de la circulation de l’épargne réglementée sur livrets en France (2009-2013)

L’analyse cartographique permet de qualifier la direction des transferts, à partir d’une dis- crétisation de l’écart entre ces deux indices (Fig. 4). Au nombre de 65, les départements ayant un solde négatif sont situés dans le Nord-Est et dans les deux-tiers occidentaux et méridionaux de la France métropolitaine. Un Massif central élargi affiche les soldes les plus négatifs, avec par ordre croissant : le Cantal (-72 %), l’Aveyron, la Haute-Loire, la Nièvre, la Lozère, ou encore la Manche (-56 %). Une petite vingtaine de départements affiche des indices de prêts et d’épargne par ménage similaires. Leur liste est hétéro- gène puisque l’on trouve aussi bien Paris que les Alpes-de-Haute-Provence, le Doubs, la Savoie, le Calvados ou la Haute-Marne.

Les départements au solde positif, c’est-à-dire ceux où les montants des prêts distribués sont plus élevés que ce que les encours observés ne laisseraient supposer, sont au nombre d’une vingtaine. Il s’agit de départements accueillant une agglomération de grande taille comme le Nord (Lille), la Haute-Garonne (Toulouse), la Gironde (Bordeaux), le Rhône (Lyon), l’Hérault (Montpellier), ou les départements franciliens, aux exceptions de Paris et, surtout, des Yvelines. La Seine-Saint-Denis affiche ainsi le solde positif le plus élevé de France avec +180 %. On trouve aussi des départements ayant une tradition de loge- ment social (Territoire de Belfort, Pas-de-Calais ou certains départements du Bassin parisien comme la Seine-Maritime, la Marne, ou l’Eure). Enfin, se distinguent les deux départements de la Corse.

Au total, l’analyse révèle une circulation bien réelle qui s’opère depuis des départe- ments ayant des encours par ménage relativement plus importants que les départements où se concentrent les prêts ces dix dernières années. Dans quelle mesure cette circulation de l’épargne reflète-t-elle la géographie des encours ?

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4. La géographie des encours de l’épargne réglementée sur livrets

Un premier aperçu de la répartition spatiale des encours d’épargne sur livrets entre les départements de France métropolitaine est fourni par le coefficient de Gini qui offre une mesure simple de leur concentration pour la période 2007 à 20139.

Le coefficient variant de 0,41 à 0,45 entre 2007 et 2013, la répartition entre les départe- ments est relativement peu concentrée. Les données 2011 à 2013 à notre disposition - qui ont l’avantage de distinguer l’épargne réglementée sur livrets des livrets bancaires non défiscalisés - révèlent que le coefficient de Gini mesuré ici est en réalité tiré vers le haut par les encours des livrets non-réglementés, ces derniers étant plus concentrés spatiale- ment que ceux de l’épargne réglementée. Par ailleurs, la légère hausse du coefficient de Gini observée entre 2007 et 2013 reflète surtout le renforcement du département de Paris dans la distribution d’ensemble des encours d’épargne sur livrets. Ce dernier passe de 6 % des encours à 9 % entre 2007 et 2013. Sans le département parisien, le coefficient de Gini est plus bas, avoisinant 0,39 en moyenne.

En outre, prédomine une très forte stabilité du niveau d’épargne sur livrets des dépar- tements (relativement à la moyenne annuelle) entre 2007 et 2013. La corrélation inter- annuelle des encours départementaux d’épargne sur livrets par ménage dépasse ainsi toujours 85 % (Tableau 1). Cette stabilité provient en partie de l’inertie associée au stock des encours, et qui est accentuée par la capitalisation des intérêts.

Tableau 1 : Corrélation interannuelle des montants des encours d’épargne sur livrets par ménage et département entre 2007 et 2012 (Source : Banque de France. Calculs des auteurs)

Taux de

Corrélation 2007 2008 2009 2010 2011 2012

2008 99 %

2009 97 % 98 %

2010 94 % 96 % 98 %

2011 91 % 93 % 98 % 99 %

2012 88 % 91 % 96 % 98 % 98 %

2013 84 % 89 % 93 % 95 % 94 % 96 %

L’analyse de la distribution départementale montre que les encours d’épargne sur livrets sont répartis de manière relativement homogène entre les départements de France métropo- litaine. Les données à disposition portant uniquement sur l’épargne réglementée sur livrets (disponibles pour 2011, 2012 et 2013), indiquent ainsi un écart-type qui est faible (1 700 €/

ménage pour une moyenne d’encours de 14 000 €/ménage). Le coefficient de variation

9 Pour mémoire, les données analysées portent sur l’ensemble de l’épargne sur livrets, dont trois quarts sont constitués par l’épargne réglementée sur livrets en moyenne (cf. section III).

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de la répartition entre les départements pour ces dates n’est donc que de 12 % amenant au constat d’une homogénéité spatiale des encours de l’épargne réglementée sur livrets.

Ceci n’empêche pas l’observation de quelques écarts entre départements comme en témoigne la cartographie (Fig. 5). Ainsi les encours d’épargne réglementée sont relative- ment plus élevés dans le Massif central10, les Alpes et une partie occidentale de la France.

A contrario, c’est la Corse et une partie orientale du littoral méditerranéen, la Franche- Comté et le Nord de la France, depuis l’Ile-de-France jusqu’au Nord qui affichent les encours par ménage les plus bas.

Figure 5 : Cartographie des encours d’épargne réglementée sur livrets en France (2011-13)

Comment expliquer la différenciation, même limitée, des montants des encours entre les départements ? Même s’il n’existe pas de recherches sur l’épargne réglementée sur livrets, ou, plus étonnamment, sur les différenciations interdépartementales des encours de l’épargne en France, les travaux disponibles privilégient l’analyse, d’un côté, du com- portement d’épargne (en termes de taux et de composition du portefeuille d’actifs) des ménages (Allard, 1991 ; Antonin, 2009 ; Berger et Daubaire, 2003 ; Sturm, 1983), et, de l’autre, du patrimoine financier (stock d’épargne en valeur) (Arrondel, 1996 ; Girardot et Marionnet, 2007 ; Chaput et al., 2011 ; Arrondel et al., 2014). Il ressort de ce second type de travaux que le stock d’épargne financière d’un ménage est principalement dépendant de l’âge des individus (cycle de vie et effets de transmission), des caractéristiques du ménage (taille, présence d’enfants), du statut d’activité (salarié, indépendant, chômage),

10 La Lozère, la Haute-Loire et l’Aveyron ont les encours les plus élevés de France métropolitaine avec près de 19 000 €/ménage.

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du niveau de diplôme, de la catégorie socioprofessionnelle, et du statut d’occupation du logement (propriétaire, accédant ou locataire).

Une régression linéaire multiple permet de tester la relation entre ces différentes variables et la répartition interdépartementale des encours de l’épargne réglementée : quatre d’entre elles expliquent près de 60 % de la variance (Tableau 2). Il existe tout d’abord une corrélation positive forte des encours moyens par ménage avec la part de la population de plus de 45 ans (effet tranches d’âge traduisant des stratégies d’accumula- tion). Inversement, la relation est négative avec la part des familles monoparentales (effet de taille du ménage), le taux de chômage (effet du statut d’activité) et la part des actifs ouvriers et employés (effet de composition socio-professionnelle).

Tableau 2 : Facteurs explicatifs du niveau moyen d’épargne réglementée des ménages par département pour la période 2011 à 2013 (Source : Banque de France. Calculs des auteurs)

Variable Coefficient

standardisé Erreur-type p-valeur

Part > 45 ans 0,15 0,08 0,0519

Taux de chômage -0,26 0,09 0,0058

Taux de familles monoparentales -0,46 0,10 <,0001

Part des employés et ouvriers -0,26 0,08 0,0008

Ajustement par moindres carrés ordinaires (MCO), R2 ajusté : 0,585

Au total, les caractéristiques individuelles des ménages de chacun des départements expliquent bien la variation – au demeurant limitée – de la répartition spatiale des encours de l’épargne réglementée en France métropolitaine. Retenons surtout que la circulation financière analysée se fait sur la base d’une ressource répartie de manière stable dans le temps et relativement uniforme dans l’espace. La compréhension des transferts observés nécessite donc d’examiner la géographie des financements distribués.

5. Une évolution de la localisation des prêts 5.1. La concentration spatiale des prêts

L’analyse interannuelle de la répartition spatiale des prêts accordés par la Caisse des Dépôts pour la période 2004 à 201311 distingue deux sous-ensembles temporels (Fig. 6).

La période allant jusqu’en 2008 montre une variation interannuelle plus forte par com- paraison avec la seconde période commençant à partir de 2009, comme en témoigne la

11 Le traitement repose sur l’algorithme VarClus® (SAS) : chaque étape de récursion est composée d’une analyse en composantes principales réalisée à partir des prêts exprimés en euros par ménage. Afin d’atténuer des déformations ponctuelles (liées par exemple au financement d’une grande infrastructure ou de l’enveloppe exceptionnelle aux collectivités), ces données ont fait l’objet d’un lissage (moyenne mobile sur 3 ans).

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position des nœuds sur l’arbre de classification (Fig. 6). Avec des valeurs respectivement de 0,47 et 0,51, les coefficients de Gini pour chacune de ces deux périodes indiquent par ailleurs une tendance à la concentration spatiale des investissements à compter de 2009.

Figure 6 : Arbre de classification des flux de prêts annuels (2004-2013) (Source : Caisse des Dépôts. Calculs des auteurs)

La cartographie des prêts, ainsi que le graphique rapportant les montants de prêts par ménage et par département entre les deux périodes, aident à qualifier la concentration spatiale en direction d’un nombre limité de départements (Fig. 7). Il s’agit de terri- toires accueillant une agglomération importante : l’Ile-de-France, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lille ou Strasbourg. S’y ajoute le littoral du Languedoc-Roussillon qui connaît une forte croissance démographique. Ceci retrouve donc pour partie la carte des marchés immobiliers dits « tendus » (ANAH – G. Taïeb, 2012). À côté de ces derniers, apparaissent d’autres départements, comme ceux constituant la Corse, ou encore des territoires à forte tradition de logement social, à l’exemple du nord de la France ou du Bassin parisien.

L’analyse souligne l’hétérogénéité spatiale de la distribution des prêts : avec une valeur de 35 % sur la période 2004 à 2013, le coefficient de variation tranche avec l’homogénéité relative de l’encours de l’épargne réglementée dont le coefficient de variation, nous l’avons évoqué, était trois fois moindre. Nous concluons que la cir- culation associée au circuit financier étudié reflète plus la distribution des finance- ments, et ses transformations depuis 2009, que la répartition spatiale des encours de l’épargne réglementée.

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Figure 7 : Cartographie des prêts de la Caisse des Dépôts (2004-2013)

Comment expliquer cette évolution, dont l’ampleur n’est probablement pas indiffé- rente au fait que les montants de prêts ont fortement cru à partir de 2007 – 200812 ? Le coefficient de Gini par différents types d’emplois indique que seuls les prêts au logement

12 Pour mémoire, les prêts sont passés d’un régime de croisière de 5 Mds€ à plus de 20 Mds€ entre 2006 et 2010.

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social ont tendance à se concentrer, tous les autres (prêts aux collectivités, infrastructures ou à la politique de la ville) suivent une diffusion spatiale, vraisemblablement à mesure de leur montée en régime.

5.2. Les facteurs de la concentration spatiale des prêts

La littérature aide à formuler deux pistes pour expliquer cette concentration spatiale associée aux financements du logement social. Dans la poursuite d’une réflexion inspirée par la « géographie de la finance », le processus pourrait refléter des changements dans l’intermédiation bancaire. Tout comme les recherches sur l’allocation spatiale de l’épargne- retraite des ménages pointent le rôle des gérants des fonds de pension (Martin et Minns, 1995), l’évolution de la géographie des prêts adossés à la ressource réglementée centralisée tiendrait à une transformation des pratiques de l’établissement de crédit concerné.

Ceci invite à interroger l’évolution des pratiques de la Caisse des Dépôts, et plus par- ticulièrement, comment elle continue à fournir des prêts vers des départements dont les marchés immobiliers sont « tendus », c’est-à-dire où l’équilibre du plan de financement des opérations n’est plus assuré en raison de la hausse des prix fonciers et immobiliers (Hoorens, 2014). L’observation des équipes de la Caisse des Dépôts en Ile-de-France13 révèle des évolutions visant à faciliter des opérations financièrement déséquilibrées. Ceci passe notamment par la fourniture de prêts fonciers de très longue durée (création des prêts Gaïa Grand Paris en 2011), ou par une analyse des prêts non plus à l’opération mais à l’opérateur, grâce à la signature de conventions pluriannuelles autorisant le financement d’opérations non équilibrées sous condition de santé financière d’ensemble du bailleur social concerné. L’expérimentation en cours de prêts couvrant les fonds propres des bail- leurs (Prêt « Relance » en 2014) participe de ce souhait de soutenir l’investissement dans la production du logement social en dépit des difficultés d’équilibre des plans de finance- ment rencontrées sur certains marchés immobiliers.

Partant du constat que les circuits de financement sont insérés dans des systèmes de provision immobilière (« systems of building provision ») qui les mobilisent mais aussi les débordent, notamment en raison du rôle-clé des pouvoirs publics (Ball, 1986), la concen- tration spatiale accrue des prêts au logement social pourrait également s’expliquer par une évolution plus large des systèmes locaux de production du logement social en France. Nos travaux soulignent que plusieurs éléments sont à considérer14. La réorientation de la pro- duction vers les zones « tendues » affichée notamment par l’État à la fin des années 2000 en constitue un premier aspect. La politique de délivrance des agréments, la révision du zonage géographique des aides à la pierre, l’attribution de primes pour surcharge foncière ou la prime spécifique à l’Ile-de-France attestent de cette réorientation de la politique de

13 Entretiens et observation participante réalisés entre 2011 et 2015 dans le cadre du programme de recherche FIDELE (Halbert et al., 2013 notamment).

14 Voir programme de recherche FIDELE dont Halbert et al., 2013.

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l’État, même si des contradictions sont pointées15. Par ailleurs, on assiste à une redéfinition des stratégies des bailleurs sociaux, ici aussi depuis la fin des années 2000. Les entreprises sociales pour l’habitat, sous influence d’Action Logement et de l’État, recherchent des péré- quations spatiales entre, d’un côté, les territoires à croissance démographique modérée, dont le parc de logement social est amorti et donc potentiellement source de fonds propres, et d’autres régions aux marchés immobiliers « tendus » et gourmands d’argent frais. À ceci, il convient d’ajouter les transferts imposés par l’État à travers par exemple la taxe sur le potentiel financier des bailleurs sociaux (et, à l’avenir, par le fonds de mutualisation). Enfin, la prise en charge croissante de la politique du logement social par les collectivités locales (conditionnement des aides de l’État à la participation financière des collectivités, déléga- tion des aides à la pierre, programme local de l’habitat) peut se traduire par un engagement plus fort de ces dernières, tant que l’équilibre de leur budget le permet. Ce qui, associé à la mobilisation des bailleurs sociaux, peut expliquer un recours plus important aux prêts de la Caisse des Dépôts dans certains territoires, alors que d’autres restent en retrait, comme dans la partie occidentale du littoral méditerranéen (Fig. 7).

Ces deux pistes d’explication ne sont pas contradictoires (Halbert et al., 2013)16. Les marges de manœuvre des bailleurs et des collectivités locales sont conditionnées par les contraintes posées par l’établissement de crédit, et donc la capacité de ce dernier à faire évoluer son offre sous contrainte de pérennité du circuit vis-à-vis des ménages épargnants.

En retour, la place-clé de l’État dans le circuit de l’épargne réglementée, et en particulier dans la définition des emplois et des règles de distribution des prêts, encourage fortement la Caisse des Dépôts à soutenir les objectifs de politiques publiques, et, pour la période récente, la priorité affichée de financer le logement social dans les zones « tendues ».

Conclusion

Le présent article apporte une contribution à l’analyse de la circulation des richesses à partir de l’étude du circuit de l’épargne réglementée sur livrets. En transformant les dépôts à vue des ménages en prêts notamment pour le financement du logement social, l’intermédiation bancaire assurée par la Caisse des Dépôts, et réalisée sous le contrôle du gouvernement et la surveillance du Parlement, entraîne des transferts de capitaux entre les départements de France métropolitaine jusqu’à présent méconnus.

15 La Cour des Comptes (2012, 487-495) s’alarme de l’effet négatif, en particulier dans les zones « ten- dues », du découplage des périmètres d’action publique (entre le zonage dit « locatif social », établi en vue du calcul des droits à l’aide personnalisée au logement, et le zonage ABC fondé principalement sur des critères de marché locatif privé et servant pour la programmation des aides à la pierre). Ces zonages influent sur les équilibres financiers des opérations de logement social et peuvent, selon la Cour des Comptes, jouer de façon contraire, rendant plus difficile la construction des logements les plus sociaux dans certaines zones « tendues » comme en Rhône-Alpes et sur le littoral de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

16 Les interdépendances sont fortes entre le circuit de financement observé et la production du logement social : les prêts de la Caisse des Dépôts constituent la principale source de financement des bailleurs et, réci- proquement, le financement du logement social est le principal emploi des prêts distribués par la Caisse des Dépôts (Hoorens, 2014).

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Principaux résultats

Les résultats empiriques obtenus à partir de données fournies par la Banque de France et la Caisse des Dépôts révèlent l’existence d’une circulation entre des départements dont les ménages épargnent relativement plus et d’autres où les prêts sont, en proportion, plus mobilisés. Cette circulation va en s’accroissant depuis la fin des années 2000, période à compter de laquelle les prêts distribués par la Caisse des Dépôts connaissent une forte hausse. Il existe en fait un lien entre la direction des transferts observés et la géogra- phie des prêts distribués. En effet, si la répartition spatiale des encours est relativement homogène dans l’espace et stable depuis une dizaine d’années, la localisation des prêts se concentre, notamment à destination de départements qui sont reconnus pour la forte tension de leurs marchés immobiliers.

Trois facteurs d’explication sont analysés pour comprendre cette circulation spatiale.

Tout d’abord, la recherche montre le rôle réduit de la localisation des encours d’épargne dont la faible hétérogénéité renvoie aux comportements d’épargne des ménages qui ne différencient qu’à la marge les territoires à l’échelon départemental. Le second facteur prend acte d’une évolution des pratiques à l’œuvre dans la distribution des prêts. Sous influence de l’État et/ou à la demande du mouvement HLM, la Caisse des Dépôts adopte des mesures financières et commerciales visant à soutenir la production de logement social dans les zones dites « tendues ». Le troisième type d’explication interroge les dyna- miques des systèmes de production immobilière, au-delà du seul rôle de l’établissement de crédit. L’État, des bailleurs ou certaines collectivités mobilisent plus fortement des financements dans certaines grandes agglomérations ou certains territoires ayant une tra- dition de financement du logement social.

Rappelant les limites de l’approche par la seule demande et les revenus – qui en vient à négliger le rôle de la circulation liée à l’épargne sur le développement des territoires –, la recherche confirme ainsi l’intérêt d’analyser les circulations de richesses à la lueur de cette dimension financière. Si l’épargne réglementée sur livrets constitue l’un des piliers de cette forme de circulation, bien d’autres circuits pourraient faire l’objet de travaux similaires. L’épargne non-financière des ménages et sa mobilisation sous forme d’inves- tissement immobilier bénéficiant des dispositifs de défiscalisation de l’État constituent une piste prometteuse explorée par P. Vergriete (2013). De la même manière, les inter- médiaires financiers qui gèrent l’épargne des ménages et des investisseurs institutionnels (fonds de pension, fonds souverains, compagnies d’assurance…) contribuent de manière de plus en plus connue, notamment en France, à des circulations de capitaux entre ter- ritoires, notamment pour ce qui concerne le financement des infrastructures, de l’immo- bilier, du foncier ou de certains équipements (pour des exemples : Desfontaines, 2013 ; Halbert et al., 2014 ; Lorrain 2007). D’une manière générale, il est urgent d’étudier plus systématiquement la géographie de ces différents circuits (Halbert, 2013). Qu’il s’agisse d’alimenter des réflexions sur la production de l’environnement bâti comme avec ces exemples, ou d’interroger plus généralement les dynamiques du développement local, l’analyse de la circulation financière à laquelle cette recherche contribue ouvre ainsi des questions sur la relation entre les dynamiques territoriales et la variété des circuits de financement (intermédiation bancaire réglementée comme ici, ou non réglementée, inter- médiation financière, financement direct, financement participatif…). Dans le cas qui

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nous a intéressés, l’on aurait tort de négliger les transferts de richesses opérés : le circuit de l’épargne réglementée crée, de fait, des solidarités interterritoriales tout en contribuant, par hypothèse, aux dynamiques locales, par exemple en raison des effets d’entraînement du logement social (USH, 2012)17.

Discussion

Cependant, au-delà de ces enseignements empiriques et de ces considérations relatives à la portée du travail réalisé, l’article pose les bases d’approfondissements méthodolo- giques et théoriques sur lesquels nous souhaitons achever cette discussion dans l’espoir d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche.

Tout d’abord, notre travail contribue à mettre en exergue l’importance des interactions entre : i) les capitaux mobilisés et les attentes plus ou moins formalisées de leurs détenteurs, ii) les acteurs financiers qui les allouent, et contribuent ainsi à façonner la « texture » de ces capitaux à l’aide des outils et des modèles en usage dans les communautés profession- nelles concernées, et iii) la mobilisation de ces financements par des investisseurs et leurs garants qui poursuivent leurs propres objectifs. Loin d’une lecture où les capitaux financiers auraient un effet quasi-mécanique sur les projets financés, mais aussi du paradigme ortho- doxe qui ferait des acteurs financiers des individus purement rationnels et maximisateurs, nous avons esquissé comment ces interactions sont enchâssées dans des institutions for- melles et informelles, bien souvent territorialisées, et qui contribuent à la régulation de ces circuits. La reconnaissance de cet enchâssement invite à adopter une lecture qui, sans négli- ger les apports des approches interactionnistes, prête attention à des « acteurs institués » et géographiquement situés (Crevoisier, 2010, p. 12) et à leurs ressources, afin d’éclairer les effets des circuits de financement sur les sociétés urbaines et leurs espaces.

Deuxièmement, la présente recherche encourage à réinterroger la fabrique urbaine (entendue comme des « systems of building provision » à la manière de Ball, 1986) au regard de l’infrastructure financière qui en assure le financement. Il convient à la fois de reconnaître la pluralité des circuits de financement effectivement mobilisés, et le jeu de concurrence et de complémentarité entre ces derniers (pour l’accès au foncier, aux ressources politiques). Au-delà de la diversité des circuits, ce sont les effets de leur com- binaison sur la production urbaine qui restent à investiguer de manière plus systématique.

Troisièmement, la prise en compte des circuits de financement nous amène à recon- sidérer deux lectures dominantes des dynamiques de production urbaine. Notre travail invite tout d’abord à dépasser le postulat fonctionnaliste des travaux d’économie poli- tique urbaine. Influencés par la tradition néo-marxiste, lorsque ces derniers discutent les circuits de financement, et en particulier, les marchés financiers, c’est bien souvent en référence à un processus de financiarisation entendu comme l’adoption, par tous les agents économiques et en tout lieu, d’un principe de valorisation de l’environnement urbain pour la seule maximisation du rendement financier (sur ce point, voir Harvey, 2006

17 Un nombre croissant de travaux analyse les effets locaux du logement, et en particulier du logement social : régulation du marché immobilier, cohésion sociale, attractivité et compétitivité du territoire (Askénazy, 2013, Babès et al. 2012), « création de valeur » et d’emploi (Limousin, 2013), contribution à l’innovation de la part des bailleurs sociaux (Deplace, 2011).

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[1982], chap. 10 ; et, pour une mise en perspective, Guironnet et al., 2015 et Guironnet, Halbert, 2014). En reconnaissant non seulement la pluralité des circuits de financement, mais aussi en prêtant attention aux outils, modèles et institutions qui équipent les diffé- rents acteurs de la production urbaine, une approche pragmatique incite à dépasser ce postulat principiel qui réduit les acteurs de la production urbaine à des agents d’une maxi- misation du rendement financier considérée comme immanente. Ce n’est qu’en redonnant une épaisseur aux acteurs, c’est-à-dire en observant la multiplicité des logiques d’action qu’ils mettent en œuvre et leur enchâssement, notamment dans des territoires qui leur donnent sens et contenu (Aydalot, 1985), que l’on peut documenter, par exemple, un pro- cessus de financiarisation reflétant la montée de rationalités et d’instruments financiers dans leurs stratégies et usages18. D’un autre côté, l’approche retenue peut enrichir les analyses néo-wéberiennes de l’action publique urbaine (Le Galés, 1995). Si la pluralisa- tion des acteurs et l’horizontalisation à l’œuvre dans la gouvernance urbaine est reconnue (ibid. ; Pinson, 2009), il est tout aussi fondamental, nous semble-t-il, de porter l’attention sur les stratégies, instruments et modèles économiques de l’ensemble des agents de la production urbaine, y compris donc des acteurs publics qui contribuent à la production de biens et de services (foncier et aménagement, services urbains…). La croissance éco- nomique durablement faible des sociétés contemporaines et les politiques d’austérité qui y répondent accentuent, par hypothèse, la sensibilité de l’action publique, notamment en matière de production urbaine, aux facteurs du financement. Sans nier l’autonomie du politique, il est alors important d’introduire des variables explicatives comme la rému- nération du capital, l’équilibre des bilans d’opération, les attentes des investisseurs et prêteurs, ou encore la diffusion de calculs et outils financiers dans les administrations et les collectivités, afin d’éclairer les évolutions de l’action publique urbaine. Alors que la recherche francophone multiplie les références au paradigme de la ville entrepreneuriale décrite par D. Harvey (1989), bien des évolutions laissent à penser que l’on a déjà glissé dans celui d’une ville plus financiarisée.

Remerciements

Les auteurs remercient les membres de la Caisse des Dépôts qui ont apporté leur sou- tien à cette recherche, et plus particulièrement, pour la richesse des échanges, Isabelle Laudier de l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts, ainsi que Laure Maillard, Pierre Laurent, Bérénice Bouculat, et Julien Garnier de la Direction du Fonds d’Épargne.

Nous remercions également Tatiana Mosquera Yon du service de l’Épargne Financière et de la Titrisation de la direction générale des statistiques de la Banque de France. Nos remerciements vont enfin à l’ensemble des collègues ayant participé au programme de recherche FIDELE, et notamment à Antoine Guironnet pour sa relecture avisée.

18 Pour un exemple, voir Adisson, 2015 sur les opérateurs ferroviaires et le traitement du foncier public.

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