• Aucun résultat trouvé

Géographie Économie Société : Article pp.25-50 du Vol.17 n°1 (2015)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Géographie Économie Société : Article pp.25-50 du Vol.17 n°1 (2015)"

Copied!
26
0
0

Texte intégral

(1)

géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 25-50

La théorie des conventions en géographie

économique : un éclairage apporté par l’application à l’industrie espagnole du vin

1

Eugenio Climent-López

a*

et José Luis Sánchez-Hernández

b

a Université de Saragosse Département de Géographie et Aménagement du Territoire.

C/ Pedro Cerbuna 12 50009 – Saragosse, Espagne

b Université de Salamanque (Espagne)

Résumé

Le cadre théorique des conventions et des mondes de production permet de comprendre les ten- dances actuelles dans le système agroalimentaire. La conceptualisation de la qualité des aliments, l’émergence de réseaux alimentaires alternatifs et les processus d’innovation dans le système agroa- limentaire ont tous été étudiés à partir de la typologie des conventions et des mondes de production.

Cette littérature est essentiellement qualitative et repose sur des études de cas. Cet article présente une approche quantitative permettant de mesurer les conventions et de situer les producteurs de denrées alimentaires dans les différents mondes de production. La base empirique est un échantillon de douze AOC viticoles espagnoles. En utilisant des sources de données officielles ou ouvertes, vingt-huit indi- cateurs ont été définis pour mesurer les six types de conventions dans chaque AOC, et dix-huit ont été choisis pour identifier les mondes de production. Cette méthode montre la contribution de l’analyse quantitative, face au discours qualitatif dominant et suggère que d’autres études comparatives peuvent servir aux entreprises agroalimentaires pour soutenir leurs décisions stratégiques.

Mots clés : convention, monde de production, méthodologie quantitative, Appellation d’Origine Contrôlée, vin, Espagne. © 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

1 Cet article fait partie des projets de recherche CSO2008-05793-C03/GEOG (Gobernanza, innovación y conven- ciones en las áreas vinícolas españolas) et CSO2011-29168-C03 (Mundos de producción y modelos de localización en la industria agroalimentaria). Ils ont tous deux été financés par le gouvernement espagnol et le Fonds Européen de Développement Régional.

doi :10.3166/ges.17.25-50 © 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant : ecliment@unizar.es

(2)

Summary

Convention theory in economic geography: a perspective provided by the application to the Spanish wine industry. The theoretical framework of conventions and worlds of production pro- vides useful support to understand the current trends in the agro-food system. The conceptuali- zation of food quality, the emergence of alternative food networks and the innovation processes in the food system have all been addressed by using the typologies of conventions and worlds of production. This body of academic literature is mostly qualitative and based on case studies. This article discusses a quantitative approach to the measurement of conventions and the allocation of food producers to different worlds of production. The empirical support comes from a sample of twelve Spanish PDO wine districts. By using official or open-data sources, twenty-eight indicators have been designed to measure the six kinds of conventions in each wine district, and eighteen ones have been chosen to identify worlds of production. This methodology shows the contribution of quantitative analysis to the prevailing qualitative discourse and suggests that further comparative studies may be useful for food cluster partners to support strategic decisions.

Keywords: convention, world of production, quantitative methodology, Protected Designation of Origin, wine, Spain.

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Introduction

Dans le cadre de la géographie économique, l’économie néoclassique a eu essentielle- ment des effets dans les théories de la localisation, qui s’appuyaient sur les hypothèses de l’homo economicus et de l’espace isotrope. Dans cette lignée, ladite Nouvelle géographie économique poursuit l’idée de porter l’analyse géographique directement dans le courant principal de l’économie (Krugman, 1998 ; Fujita et Krugman, 2005). Mais les géographes se sont révélés habituellement très sensibles aux pratiques spécifiques et diverses des agents économiques et à leurs effets concrets sur l’inégalité de développement des territoires. Ils considèrent donc les hypothèses néoclassiques excessivement restrictives (Garretsen et Martin, 2010). Par conséquent, les géographes se sont intéressés aux approches hétéro- doxes de l’économie, qui considèrent le fonctionnement des marchés comme une réalité sociale complexe, mais aussi aux apports d’autres sciences sociales. Une Nouvelle géogra- phie socio-économique s’est construite avec ces influences (Benko et Lipietz, 2000), avec un caractère structurel mais également contextuel, qui forme le noyau actuel de la discipline (Scott, 2000 ; Bathelt et Gückler, 2003 ; Sánchez-Hernández, 2003).

La théorie des conventions, dénommée également économie des conventions, fait partie de ces approches hétérodoxes dans la science économique. Son origine est multidiscipli- naire et reste le fruit de la convergence de certains courants de la sociologie et de l’écono- mie. Cette théorie révèle que les agents économiques qui opèrent dans le territoire ne sont pas uniquement guidés par les lois du marché comme le formule l’économie néoclassique, ils adoptent dans leurs opérations certaines pratiques et certains accords pour répondre à leurs attentes mutuelles. La notion des mondes de production découle de cette théorie. Ce sont des associations de technologies et de ressources des producteurs en vue de fabriquer des produits qui répondent aux attentes des différents marchés de consommateurs.

(3)

Depuis la fin des années 1990, la théorie des conventions et la notion des mondes de pro- duction ont trouvé un champ d’application très propice aux études de l’élaboration, de la dis- tribution et de la consommation des aliments. Il s’agit d’un thème multidisciplinaire et multi- facettes qui résiste au réductionnisme néoclassique, car les facteurs naturels et culturels jouent un rôle essentiel dans l’organisation des chaînes de valeur agroalimentaires (Pitte, 2001).

Cet article s’inscrit dans ce cadre théorique et vise principalement à proposer et à valider une approche méthodologique novatrice. Comme le met en relief la littérature, la recherche fondée sur la théorie des conventions concerne presque exclusivement des études de cas, réalisées en utilisant des méthodologies qualitatives. Ce que nous propo- sons ici est une méthodologie quantitative, reposant sur des indicateurs mathématiques, élaborés à partir de sources statistiques, qui permettent l’étude et la comparaison de grands groupes d’entreprises.

La grande diversité et la complexité du système agroalimentaire compliquent l’élabo- ration et la validation d’indicateurs qui conviennent à l’ensemble. C’est la raison pour laquelle, nous avons choisi de délimiter l’objet de l’étude à une partie de celui-ci : le sec- teur vitivinicole. Son poids est considérable dans le système agroalimentaire, du moins dans les pays de l’Europe méditerranéenne et il présente une grande diversité en termes d’utilisation des ressources productives et de marchés de consommation.

L’objectif de cet article est donc de déterminer un ensemble d’indicateurs mathéma- tiques, reposant sur des sources statistiques, qui permettent de déterminer quels types de conventions sont en vigueur dans les territoires vitivinicoles et dans quels mondes de production se trouvent ces territoires. Les indicateurs, qui offrent une vision plus générale que les études de cas, peuvent s’avérer être un outil très utile pour les entreprises, pour les procédures de label de qualité et pour l’administration publique.

L’article se structure de la manière suivante : la première partie présente la théorie des conventions et la notion des mondes de production, et leurs apports les plus significatifs à l’étude du système agroalimentaire. La deuxième partie explique le schéma méthodo- logique utilisé et définit les indicateurs statistiques utilisés. La troisième partie présente les résultats de l’étude réalisée sur un échantillon d’appellations d’origine vinicoles en Espagne. La dernière partie énonce les principales conclusions.

1. La notion des mondes de production, une évolution de la théorie des conventions Robert Salais et Michael Storper ont développé leur notion des mondes de production dans les années 1990 et s’en servent d’outil conceptuel pour expliquer la grande diversité et hétéro- généité des méthodes de production de l’industrie moderne, un phénomène que la théorie éco- nomique orthodoxe n’avait pas réussi à bien justifier. Ces auteurs définissent les mondes de production comme « des associations cohérentes de technologies et de marchés, de qualité des produits et de pratiques quantitatives d’utilisation des ressources » (Salais et Storper, 1992 : 171). Dans un travail ultérieur, ils ont approfondi le concept par des études de cas (Storper et Salais, 1997) et se servent des mondes de production pour expliquer la diversité des formes d’organisation de l’industrie, en analysant des exemples aussi divers que la construction auto- mobile, la fabrication de machines, les équipements de haute technologie ou la haute couture.

Storper et Salais déduisent de leur vaste recherche empirique, que la grande segmenta- tion des marchés des biens n’est pas une création de producteurs qui prennent leurs déci-

(4)

sions de fabrication en étant uniquement guidés par le critère de maximisation du profit et de minimisation des coûts. Elle ne s’explique pas non plus par des consommateurs qui prennent leurs décisions d’achat en s’appuyant uniquement sur un critère de maximisa- tion de l’utilité ou de minimisation des prix. Pour bien comprendre cet aspect de l’activité industrielle, il faut intégrer à l’analyse des critères plus complexes, non seulement écono- miques, mais aussi sociaux et institutionnels.

À ce niveau de leur proposition, Storper et Salais ont recours à la théorie des conven- tions, qui reconnaît précisément et explicitement l’influence de facteurs sociaux et institutionnels dans le fonctionnement de l’activité économique et dans leur différen- ciation territoriale. La théorie des conventions est apparue en France dans les années 1980 à la suite d’une réflexion commune de sociologues et d’économistes (Boltanski et Thévenot, 1987). Cette théorie a été très fructueuse dans la Géographie économique car son caractère interdisciplinaire est proche du paradigme ou du projet structurel et contextuel qui domine la discipline depuis le début des années 1970, au point que certains auteurs sont venus à la considérer comme un éventuel nouveau paradigme (Wilkinson, 1997). La plupart des recherches empiriques qui reposent sur ce cadre théo- rique se concentrent sur l’étude des différentes branches de l’industrie, mais d’autres secteurs de l’économie tels que l’agriculture (Clarisse, 2012 ; Rosin et Campbell, 2009) ou la consommation (Evans, 2011) et d’autres domaines de la recherche sociale, tels que les politiques urbaines (Fuller, 2013) ou l’organisation de l’entreprise (Salais et Thévenot, 1986 ; Thévenot, 2001) sont également apparus.

Dans une formulation largement acceptée, Salais et Storper définissent les conventions comme « des pratiques, des routines, des accords et les règles de conduite associées, informelles ou institutionnalisées, qui coordonnent les actions des personnes en réponse à leurs attentes mutuelles » (Salais et Storper, 1992, p. 171). Les conventions sont donc collectivement générées à partir de l’action elle-même et visent à coordonner les actions des individus et à fournir des critères servant à juger, justifier ou rejeter les actions des individus (Ponte, 2009, p. 239).

Dans le domaine spécifique de la production industrielle, analysée depuis la notion des mondes de production, deux types de conventions sont particulièrement importants : celles qui expriment les critères valables pour définir la qualité des produits et celles qui régissent les types de ressources utilisées dans la production.

1.1. Les conventions sur la qualité des produits

La qualité est un sujet inconfortable pour la théorie néoclassique car elle ne peut pas être réduite à des critères de maximisation du profit et de l’utilité. Cependant, elle est fondamentale dans le développement de l’activité économique : comme l’affirment Favereau et al. (2002), les marchés reposent sur les conventions de qualité. L’évaluation de la qualité est un jugement de valeur susceptible de servir de plusieurs critères, qui peuvent être très différents d’un individu ou d’un groupe à l’autre, et se situer à plusieurs niveaux : « la qualité est une notion complexe dont la signification peut varier pour des produits spécifiques et suivant les individus, les régions et les pays » (Ilbery et Kneafsey, 2000: 217). L’un de ces critères est sans doute le prix : en présence de certitude et de garantie de la qualité, le prix est le signal principal du marché. Un prix plus élevé corres-

(5)

pond à une qualité supérieure (Eymard-Duvernay, 1989). Mais s’il n’est pas absolument certain que le prix représente la qualité, les acteurs économiques ont besoin d’utiliser d’autres critères, d’autres ordres de justification.

Dans leur formulation de la théorie des conventions, Boltanski et Thévenot (1987, 1991) ont consacré une grande partie de leur travail à systématiser les multiples critères qui nourrissent les jugements sur les actions humaines et leurs résultats, c’est-à-dire les critères qui servent de base à leur justification ou à leur rejet ; d’où le titre de leur ouvrage : De la justification. Évoquant les courants dominants de l’histoire de la philosophie poli- tique, ces auteurs identifient six ordres ou formes de justification : l’ordre de l’inspiration, l’ordre industriel, l’ordre marchand, l’ordre domestique, l’ordre de l’opinion et l’ordre civique. Chacune conduit à une catégorie de conventions différente :

– L’inspiration est fondamentale dans le monde de l’art, où la qualification des personnes et de leurs œuvres repose principalement sur le critère de la créativité ; elle l’est aussi dans le monde économique.

– Dans le cadre des activités économiques, la forme de justification industrielle joue un rôle prépondérant. La qualité des produits s’établit sur le fondement de leur efficience et de leur fiabilité. Pour cela, on établit des paramètres objectifs et mesurables du point de vue technique. La productivité est le critère clé pour qualifier les entreprises.

– Dans la forme de justification marchande ou commerciale, la qualité des produits est éva- luée selon les principes qui régissent les marchés et dont les critères de base sont le prix et l’utilité, d’où son importance aussi dans les activités économiques. Le critère clé pour les entreprises est la compétitivité.

– Dans la forme de justification domestique, la valeur des produits provient du lien qu’ils ont avec un lieu déterminé, du respect de la tradition. La confiance constitue le critère clé pour la qualification des entreprises.

– Dans la forme de justification de l’opinion ou publique, la réputation est le concept clé pour les entreprises, dont les marques, les logotypes et les étiquettes, facilement reconnus par les consommateurs, donnent à ces derniers une garantie de qualité de leurs produits.

– Dans la forme de justification civique, les produits sont évalués selon les bénéfices sociaux qu’ils procurent, la responsabilité étant le critère clé pour qualifier les entreprises.

Dans la catégorie des conventions civiques, Boltanski et Thévenot (1991) englobent toutes celles qui faisaient référence à la conservation et au respect de l’environnement, mais plus tard l’opportunité de séparer ces dernières a été soulevée pour former un nou- veau groupe (Thévenot et al., 2000). Presque simultanément, sous cette même logique, Murdoch et al. (2000) ont proposé une nouvelle forme de justification, qu’ils ont appelée écologique. Les entreprises et les produits y sont classés selon des critères de durabilité et de respect de l’environnement et des processus naturels.

Pour résumer, ces sept catégories de conventions constituent la systématisation la plus complète et acceptée des critères de justification des actions humaines.2 Par conséquent, dans une analyse approfondie des jugements de valeur dans la géographie humaine, Barnett (2014) spécifie que la théorie des conventions est l’une de celles

2 Il y a eu des tentatives d’introduction d’autres catégories de conventions, comme celle du cadeau ou regard convention (Lee, 2000; Kirwan, 2006), mais elle n’a généralement pas été acceptée.

(6)

qui a le plus éclairé cet aspect complexe de la réalité, très important mais qui échappe souvent à l’analyse. Bien que le schéma de Boltanski et Thévenot (1991) ne se limite pas à la question concrète de la qualité, son application à celle-ci s’est avérée extrême- ment utile, surtout en ce qui concerne la qualité des aliments, qui est devenue, au cours des dernières décennies, une préoccupation majeure des sociétés développées. Les épi- sodes de crises alimentaires ont suscité la méfiance des consommateurs qui sont de plus en plus exigeants en matière de qualité de ce qu’ils consomment. Certains auteurs le dénomment quality turn (Straete, 2004: 228).

Dans une première approche de base, la qualité des aliments s’identifie par certaines caractéristiques physico-chimiques des produits, faciles à mesurer, comme la teneur en matière grasse du lait ou d’alcool dans le vin. Mais au-delà de ce niveau élémentaire, elle s’identifie également par ses propriétés organoleptiques, qui sont plus difficiles à objecti- ver : « Comme les aliments sont corporels, leurs caractéristiques sont facilement transfé- rables aux sensations visuelles, auditives, au toucher et au goût, mais leur appréciation et détection sont médiatisées culturellement » (Watts et al., 2005: 29). Par conséquent, il ne s’agit pas seulement des propriétés intrinsèques, « la qualité semble se définir tant par les caractéristiques du produit et par les relations socio-spatiales changeantes » (Mansfield, 2003: 10), parce que la culture est une construction sociale et toute société se situe dans l’espace. Le ‹ quality turn › n’est pas singulier ou monolithique, avec un ensemble unique d’éléments constitutifs, de significations et de politiques » (Goodman, 2003: 3).

Identifier la qualité des aliments par leurs propriétés intrinsèques est donc une approche réductionniste. Associer la qualité aux relations socio-spatiales qui la définissent néces- site un cadre théorique à même d’identifier les critères permettant de juger la qualité des produits et de comprendre comment ces critères sont socialement construits. La recherche sur la qualité nécessite donc une approche multidimensionnelle, comme celle proposée par la théorie des conventions.

1.2. Les conventions sur les ressources utilisées dans la production

Les mécanismes néoclassiques de fonctionnement du marché poussent les entreprises à adopter des processus de production qui leur permettent de minimiser les coûts, afin de maximiser les profits. Ces mécanismes expliquent sans doute une bonne partie des processus économiques qui opèrent à l’heure actuelle, comme l’obtention d’économies d’échelle par de grandes entreprises ou la délocalisation de la production pour réduire les coûts des facteurs de production, notamment de main-d’œuvre. Mais comme Piore et Sabel (1984) l’ont signalé, ces mécanismes n’expliquent pas tout, comme la capacité concurrentielle et d’adaptation des espaces industriels dominés par les PME, tels que les districts industriels, les systèmes productifs locaux ou les espaces de haute technologie (Moulaert et Sekia, 2003). Ces derniers fondent leur dynamisme sur des conventions qui leur permettent de mobiliser efficacement des ressources spécifiques, aussi bien tech- niques qu’humaines, voire naturelles ; ces conventions sont différentes de celles qui pré- valent dans les grandes entreprises.

La grande segmentation des marchés dont il est question ci-dessus implique la coexis- tence de différentes méthodes de production et d’utilisation des ressources, auxquelles il est possible d’appliquer l’approche des ordres de justification systématisée par Boltanski

(7)

et Thévenot (1991), puis développée par Thévenot et al. (2000), et Murdoch et al. (2000) de façon indépendante.

Ainsi, le marché de l’art et des activités créatives repose principalement sur le tra- vail personnel de l’artiste, guidé par sa créativité. Cette sphère économique est régie par l’ordre de la justification de l’inspiration.

L’ordre industriel est le fondement des systèmes de production générés par l’appli- cation de la connaissance scientifique, par l’utilisation de machines de précision ; ces systèmes sont implémentés par des techniciens hautement qualifiés, secondés par des techniciens intermédiaires et des ouvriers spécialisés, organisés hiérarchiquement.

L’ordre commercial explique les procédures visant à répondre aux besoins et aux attentes des consommateurs, en quête d’une maximisation des économies. Dans une première approche, nous pourrons faire valoir que le fonctionnement de l’entreprise moderne est le résultat d’un compromis entre les ordres industriels et commerciaux, des conventions propres coexistant dans les deux catégories.

Les conventions domestiques sont le fondement de ces domaines économiques, où l’ori- gine géographique des matières premières et des ressources humaines est importante, parce qu’elle donne confiance aux consommateurs. De même, les conventions publiques fonc- tionnent dans tous les domaines où les entreprises ont acquis une réputation particulière, qui découle de l’utilisation de ressources naturelles spécifiques ou de processus de production fondés sur un savoir-faire particulier. La marque, ses logos et ses autres éléments, est facile- ment reconnaissable par les consommateurs qui les associent à ces spécificités.

Les conventions civiques jouent un rôle clé dans tous les domaines où des valeurs telles que la justice sociale et le bien commun sont particulièrement appréciés. Cet ordre de jus- tification régit, notamment, les réseaux de commerce équitable, qui impliquent le respect de codes éthiques, tels que l’interdiction du travail des enfants et l’utilisation de systèmes organisationnels qui assurent un partage équitable des bénéfices, comme l’organisation en coopérative. Enfin, les conventions écologiques sont le fondement des systèmes de produc- tion respectueux de l’environnement, impliquant une sélection rigoureuse des ressources utilisées. Les consommateurs des sociétés développées sont de plus en plus sensibles aux conventions civiques et écologiques dans leurs décisions d’achat, ce qui a conduit à l’adop- tion de pratiques de responsabilité sociale d’entreprise par les grandes entreprises afin de démontrer leur engagement actif dans ces deux ordres de justification.

Comme ces ordres sont placés à différents niveaux, les produits et les entreprises peuvent être évalués par plusieurs d’entre eux simultanément. Nous avons déjà fait réfé- rence à un compromis entre ordres industriel et commercial comme fondement de l’entre- prise moderne, mais de nombreuses entreprises sont également régies par des conven- tions publiques quand elles créent et font la promotion de marques distinctives. Elles peuvent également soigner la conception de leurs produits en ayant recours aux services d’un créateur de renom (inspiration) ou adopter certains codes éthiques ou de durabilité dans leur politique d’achats (civiques et écologiques). La théorie des conventions propose une approche multidimensionnelle dans la recherche sur les processus de production et l’utilisation des ressources.

Comme nous l’avons déjà indiqué, la théorie des conventions a eu un champ d’appli- cation privilégié dans la recherche sur le système agroalimentaire. Au cours des dernières décennies du XXe siècle, on a constaté la généralisation d’un modèle alimentaire mondial,

(8)

dirigé par les grandes multinationales du secteur, basé sur un régime normalisé et non sai- sonnier, rendu possible par l’offre abondante, permanente et omniprésente d’aliments éco- nomiques hautement industrialisés avec de fortes teneurs en sucres, en graisses animales et en composantes chimiques. Cependant, la fin des années 1990 a vu se consolider des formes de production, d’approvisionnement et de consommation alimentaire qualifiées d’alterna- tives, parce qu’elles remettent en question ce modèle sous des angles différents.

Ces réseaux alimentaires alternatifs (Maye et al., 2007) ont été définis par Whatmore et Thorne (1997) comme des mécanismes, des systèmes, des circuits ou des chaînes de production, de distribution et de consommation d’aliments qui reposent sur la recon- nexion ou la communication directe entre le produit, le producteur et le consomma- teur. Ils stimulent une répartition de la valeur ajoutée plus favorable aux producteurs autochtones. Un examen approfondi de la littérature spécialisée a permis d’identifier treize types de réseaux alimentaires alternatifs dans les sociétés occidentales (Sánchez - Hernández, 2009) : les labels de qualité liés à l’origine géographique des aliments, les certificats de qualité délivrés par des organismes privés, l’agriculture biologique, l’agri- culture communautaire, la distribution locale réalisée par des agriculteurs, les marchés ambulants, la vente directe à la ferme, l’approvisionnement d’institutions avec des pro- duits locaux, les campagnes encourageant l’achat d’aliments d’origine locale, les pro- grammes d’alimentation communautaire, les potagers urbains, le commerce équitable et les régimes liés au mode de vie.

Cette littérature utilise fréquemment la théorie des conventions pour expliquer le développement croissant des réseaux alimentaires alternatifs. Les conventions domes- tiques justifient les marchés ambulants, l’approvisionnement et la distribution locale, la vente directe ou la prolifération de mentions géographiques de qualité des aliments. Les conventions civiques expliquent le penchant pour les aliments socialement responsables, le cas du commerce équitable, de l’agriculture et de l’alimentaire communautaire. Les conventions écologiques seraient favorables à l’épanouissement de l’agriculture biolo- gique et à certaines habitudes comme le végétarisme et ses diverses formes.

1.3. Les mondes de production

Comme nous l’avons indiqué précédemment, les mondes de production se définissent comme des « associations cohérentes de technologies et de marchés, de qualité du produit et de pratiques quantitatives d’utilisation des ressources » (Salais et Storper, 1992 : 171).

Pour la détermination de ces mondes, les auteurs définissent deux axes : celui de la tech- nologie et celui du marché, dans chacun desquels une dichotomie est établie.

L’axe technologique est lié aux ressources utilisées dans les procédés de production. La dichotomie est établie entre les économies d’échelle et les économies de gamme - variété.

Les résultats des uns et des autres sont différents : l’utilisation des économies d’échelle conduit à des produits standardisés, tandis que les économies de gamme conduisent à des produits spécialisés. L’utilisation des ressources dans les deux est différente : la standar- disation implique une haute composante en capital, tandis que la spécialisation implique une haute composante en main-d’œuvre.

La dichotomie dans l’axe de marché, liée à la qualité des produits, est établie entre les marchés prévisibles et les marchés incertains. Des produits génériques sont commerciali-

(9)

sés dans les premiers, c’est-à-dire destinés à un consommateur indifférencié ou autrement dit, à la consommation de masse. Les produits dédiés, c’est-à-dire destinés à des niches de marchés ou des groupes de consommateurs différenciés, sont commercialisés dans les seconds. Les produits génériques ont une qualité de base ou standard et la concur- rence s’établit au niveau du prix ; les produits dédiés ont une qualité différenciée et la concurrence passe principalement par l’identification et la satisfaction des préférences des consommateurs.

Il découle quatre mondes de production de l’association des deux axes dichotomiques : industriel, marchand, interpersonnel et immatériel ou de l’innovation :

– Le monde de production industriel se caractérise par l’utilisation de technologies standar- disées pour répondre aux demandes de marchés génériques. On y élabore des produits aux caractéristiques bien connues. La concurrence entre les entreprises se fait en termes de prix du produit et les entreprises réalisent des investissements importants en équipements, aspirant à des économies d’échelle.

– Dans le monde de production marchand, on emploie des technologies standardisées pour répondre à la demande de niches de marché. On y élabore de courtes séries de produits qui répondent à des goûts et des attentes distincts.

– Dans le monde de production interpersonnel, on utilise des technologies spécialisées pour répondre à une demande fragmentée de niches de marchés et de clients particuliers.

La demande est très incertaine, ce qui oblige les entreprises à garder un rapport étroit avec leurs clients et à chercher continuellement de nouveaux marchés. Ici, les économies d’échelle ne sont pas de mise, on emploie celles de gamme et les entreprises doivent se munir de moyens de production flexibles.

– Enfin, dans le monde de production immatériel ou de l’innovation, on emploie des techno- logies spécialisées pour répondre à la demande de marchés génériques. Les entreprises qui y travaillent élaborent des produits destinés à la masse des consommateurs, mais contrai- rement au monde industriel, il s’agit de produits nouveaux. La qualité de ces produits se base sur les critères scientifiques, techniques et professionnels des entreprises et la concur- rence s’établit au niveau des connaissances et de la capacité d’apprentissage, sur lesquelles l’entreprise base ses certitudes quant à la demande future.

En transposant ce modèle au système agroalimentaire (Morgan et al., 2006), il semble évident que les grandes entreprises qui soutiennent le modèle alimentaire standard opèrent dans le monde industriel. En revanche, les aliments alternatifs qui sont habi- tuellement élaborés en quantités limitées avec des ressources très localisées, relèvent du monde de production interpersonnel. Cependant, des voix autorisées (Guthman, 2004) ont critiqué l’intégration croissante de l’agriculture biologique, du commerce équitable ou des modèles géographiques de qualité dans les circuits dominés par les grandes entre- prises, tout en soulignant la grande adaptabilité de ces entreprises à lancer de nouveaux produits adaptés aux valeurs écologiques, civiques ou identitaires pour certains consom- mateurs. En d’autres termes, la double pression de l’industrie et du marché sont en train de déplacer un segment des réseaux alimentaires alternatifs vers le monde de produc- tion marchand, qui s’appuie sur les ressources standardisées pour répondre à la demande des niches de marché en croissance constante. Enfin, dans le monde de l’innovation, il convient de placer la production d’aliments fonctionnels ou alicaments, ainsi que ceux issus de cultures génétiquement modifiées.

(10)

La formulation originale de Storper et Salais (1997) examinait déjà les possibilités de migration des entreprises de mondes de production vers d’autres, en indiquant que les plus viables consistaient à passer du monde de l’innovation au monde industriel et du monde interpersonnel au monde marchand. Cependant, les deux auteurs reconnaissent que d’autres voies sont possibles. Murdoch et Miele (1999), tout comme Straete (2004) ou Sánchez-Hernández et al (2010) ont fourni des preuves empiriques d’innovations - de produits, de processus, de marché et de gestion - qui impliquent le déplacement volontaire de secteurs, d’entreprises et de produits du monde de production industriel vers le mar- chand et l’interpersonnel. Le passage d’un monde de production à l’autre, dans la mesure où il exige une transformation complète des bases techniques, de l’organisation interne et du marché auquel s’adressent les produits des entreprises, implique nécessairement l’adoption de nouvelles conventions.

2. Proposition méthodologique pour la recherche sur les conventions et les mondes de production dans le secteur vitivinicole

Comme nous l’avons déjà dit, la théorie des conventions et la notion de mondes de pro- duction ont servi de cadre théorique à de multiples études sur le système agroalimentaire.

Comme nous le verrons ci-dessous, presque toutes ces études utilisent des méthodologies qualitatives. Notre objectif est de proposer une méthodologie quantitative complémen- taire, qui sera abordée dans la deuxième partie de cette section.

2.1. La théorie des conventions et les méthodologies qualitatives

Une revue de la littérature montre l’utilité et la polyvalence de la théorie des conventions et de la notion de mondes de production pour la connaissance du système agroalimentaire, dont l’étude a été abordée sous différents angles et thématiques dans ce cadre théorique.

Bon nombre d’études se consacrent aux conventions liées à la production et à l’élabo- ration d’aliments, comme celui de Rosin et Campbell (2009) sur l’agriculture biologique, celui de Mansfield (2003) sur la nature de la qualité des produits issus de la pêche, ou celui de Coq et al. (2012) traitant des changements apparus au niveau de la qualité dans le secteur de l’huile d’olive dans le Sud de l’Espagne. Les ouvrages sur les innovations dans le secteur du vin dans différents pays (Guthey, 2008 ; Ponte, 2009 ; Sanchez et al, 2010) sur la production laitière en Norvège (Straete, 2004) ou sur la production de fromage dans le sud de l’Italie (Trabalzi, 2007) sont également intéressants.

Toutefois, les marchés de la consommation sont le principal champ d’application de la théorie des conventions. Certains ouvrages se concentrent sur les conventions qui existent dans la consommation d’aliments, tels que celui d’Amilien et al. (2007), qui étudie la perception des consommateurs en France et en Norvège par rapport aux produits locaux, ou celui d’Evans (2011) qui explore la mentalité des consommateurs « responsables » du point de vue environnemental. Au sujet de la commercialisation des produits biolo- giques, citons celui de Clarisse (2012) qui se concentre sur le marché français, ou celui de Truninger (2008) sur le marché portugais, tandis que Bernzen et Braun (2014) étudient les importations en Allemagne. D’autres types de marchés alternatifs ont également fait l’objet d’une étude, tels que les réseaux de commerce équitable (Renard, 2003), les far-

(11)

mer-market (Kirwan, 2006) ou le rôle joué par les appellations d’origine dans la segmen- tation du marché du vin (Adinolfi et al., 2011).

Les changements au niveau des goûts des consommateurs et leur effet sur les marchés ont également été abordés dans la théorie des conventions : à cet égard, il est intéressant de noter comment les nouveaux goûts des consommateurs espagnols de morue séchée n’ont pas été bien considérés par les producteurs norvégiens qui ont perdu de nombreuses parts de marché (Larsen, 2014), contrairement aux producteurs islandais qui ont considé- rablement augmenté leurs exportations en Espagne (Trondsen, 2012).

On a également avancé sur ce que l’on pourrait appeler une géographie des conven- tions (Storper, 1995), comprise dans le sens où les conventions varient d’une région à l’autre. À cet égard, le travail de Parrott et al. (2002) est considérable. Dans le marché alimentaire européen, ils distinguent grossièrement l’Europe du Nord tournée vers les conventions industrielles et de marché et l’Europe du Sud davantage liée à des conven- tions domestiques. À une échelle différente, Espinosa et Sanchez (2013) soulignent que l’évaluation de la qualité d’un aliment traditionnel, à savoir la morue séchée, est régie par des conventions différentes dans différentes régions espagnoles.

Cette revue bibliographique peut être complétée en indiquant l’existence de certaines études comparant les systèmes de conventions en vigueur dans différents secteurs ali- mentaires, tels que Lindkvist et Sanchez (2008) et Sanchez (2011), à propos de la fabri- cation du vin dans certaines régions espagnoles et l’élaboration de la morue séchée dans certaines régions de Norvège. Certaines comparent également les conventions en vigueur dans deux secteurs industriels différents dans une même région, en soulignant leur effet inégal sur le développement territorial (Escalona et al., 2011).

Les ouvrages que nous avons cités consistent en des études de cas, qui sont traitées par le biais d’entretiens semi-structurés, complétés par d’autres méthodes qualitatives : des groupes de discussion, des observations participatives, des entretiens ethnographiques ou des enquêtes. Dans les études se servant de la théorie des conventions, y compris celles qui tentent d’identifier les mondes de production, les méthodes quantitatives sont prati- quement absentes et n’utilisent que peu les informations tirées de sources statistiques.

Cependant, les deux méthodologies, qualitative et quantitative, peuvent être complémen- taires, il semble donc raisonnable de proposer une utilisation conjointe des deux dans la recherche empirique.

2.2. Une méthodologie quantitative pour l’étude des conventions et des mondes de production

Une approche quantitative présente trois avantages : tout d’abord, nous pouvons dispo- ser de données relatives aux grands groupes d’entreprises. Cela permet d’aller au-delà des études de cas, ce qui évite les problèmes de représentativité qui se posent au moment de choisir l’individu ou les individus concrets qui seront au cœur de l’étude. Deuxièmement, les données provenant de sources statistiques sont généralement normalisées. Enfin, les informations statistiques peuvent être traitées par des procédés mathématiques, qui per- mettent une mesure précise, et facilitent la comparaison et la classification.

Sur cette base, nous avons travaillé sur la conception d’une méthodologie qui consiste à élaborer un ensemble d’indicateurs mathématiques obtenus à partir de sources d’infor-

(12)

mations statistiques. Notre idée initiale était de couvrir l’ensemble du système agroali- mentaire, mais la difficulté même de définir des indicateurs appropriés pour identifier les conventions et les mondes de production liés à la spécificité de nombreuses sources, nous a conduits à nous concentrer sur un segment sectoriel particulier : le vin. Nous l’avons choisi pour trois raisons : tout d’abord, parce que ce secteur a un poids notable dans le système agroalimentaire, du moins dans les pays de l’Europe méditerranéenne ; puis parce que ses produits présentent une diversité interne considérable, ce qui permet d’émettre l’hypothèse que différents groupes d’acteurs différents y opèrent en suivant des systèmes de convention différents. Enfin, parce qu’il s’agit d’un secteur ayant de solides racines territoriales, largement contrôlé par des labels de qualité reposant sur l’origine géographique, ce qui permet de supposer que les différents territoires adoptent différents systèmes de conventions.

L’Annexe 1 énumère les indicateurs choisis pour identifier les conventions de qualité, en suivant les ordres de justification de Boltanski et Thévenot (1991), ainsi que l’ordre écologique, intégré plus tard. L’ordre de l’inspiration n’a pas été pris en compte dans ce travail, parce qu’il se situe par définition, en dehors de toute mesure (Boltanski et Thévenot, 1991: 200). La créativité produit des œuvres uniques, non reproductibles et incomparables, qui échappent à l’application de méthodes quantitatives.

Le choix a été limité par la disponibilité de sources statistiques et a été orienté par le fait que les indicateurs gardent une correspondance réelle avec chaque catégorie de conventions, en s’appuyant pour cela sur le concept clé constitutif de chacune.

Dans le cas des conventions industrielles, des indicateurs liés à la productivité ont été choisis : celle-ci sera d’autant plus grande que ne l’est la surface cultivée avec des cépages à rendement élevé et en espalier ou que ne l’est la production moyenne des entreprises.

La proportion de vin primeur, par rapport à des vins d’élevage, révèle également le désir d’obtenir une productivité élevée des installations, par une simplification des procédures.

Les conventions commerciales sont identifiées par des indicateurs de compétitivité, comme la pénétration dans les différents segments de marché ou la capacité d’expor- tation, aussi bien en termes de volume que de diversité de pays. Nous avons également inclus l’installation de sociétés en provenance d’autres régions, le nombre de marques ou le renouvellement du vignoble avec des cépages réputés à l’international.

Les conventions domestiques s’identifient par la culture de cépages autochtones, par la prédominance d’entreprises autochtones et l’utilisation de marques qui font référence à des éléments d’identité régionale : les lieux, les personnages historiques, les traditions. La vente dans les locaux mêmes est aussi un indicateur de la confiance et de l’enracinement implicites dans l’ordre de justification domestique.

L’importance des conventions publiques peut être évaluée au moyen d’indicateurs comme les distinctions octroyées par les guides de vins prestigieux ou les prix décer- nés dans des concours internationaux. En outre, nous avons également évalué le nombre d’articles parus dans des revues spécialisées et le nombre de résultats ou de références obtenus dans des moteurs de recherche sur Internet.

Pour identifier les conventions écologiques, nous avons eu recours à l’existence de labels écologiques, aussi bien en termes de surface cultivée, que de volume de vin et de nombre de sociétés. Un autre indicateur a été utilisé, à savoir le désir de récupérer des cépages autoch- tones en voie de disparition, mesuré en termes de surface occupée par ces variétés.

(13)

Les conventions civiques, une fois détachées des conventions écologiques, sont les plus difficiles à associer à des indicateurs statistiques, notamment dans le cas du vin, parce qu’il s’agit d’une boisson alcoolisée qui est rejetée en tant que telle, par de nom- breux segments de la population mondiale, pour des raisons sanitaires ou religieuses.

Le vin n’a été que très récemment incorporé à des réseaux de commerce équitable, qui sont le principal domaine dans lequel opèrent les conventions civiques. Cependant, il s’agit logiquement de vins provenant de l’hémisphère Sud comme l’Afrique du Sud, le Chili ou l’Argentine, et non pas de l’Europe méditerranéenne. L’une des caracté- ristiques du commerce équitable est que les producteurs doivent être rattachés à des coopératives. En rapportant ce critère à notre étude, nous avons choisi pour indicateur, la part de vignobles contrôlés par des coopératives, dans la mesure où ces dernières constituent une forme d’organisation sociale de l’économie qui assure une participation plus équitable des producteurs au bénéfice global du secteur. De même, l’existence d’une appellation d’origine est le résultat d’un processus complexe d’accords et de consensus visant à améliorer le revenu des producteurs dans une région, avec des effets positifs indirects sur l’ensemble de la population (par exemple, grâce au développe- ment du tourisme). C’est la raison pour laquelle, nous avons considéré des indicateurs comme la part d’entreprises vinicoles locales concernées par l’appellation d’origine (qui varie selon le nombre d’accords passés) et le temps écoulé depuis l’obtention du label (plus il est important, plus les accords sont solides). En outre, nous avons égale- ment considéré l’existence d’autres associations liées au vin.

Certains de ces indicateurs ont également été utilisés pour identifier les mondes de production, comme l’indique l’annexe 1. Chaque indicateur se réfère à l’un des axes qui définissent ces mondes, celui de la technologie ou celui de marché.

En ce qui concerne l’axe de la technologie, les valeurs élevées de certains indicateurs sélectionnés montrent des technologies standardisées : la surface du vignoble cultivée avec des variétés à haut rendement, en espalier et la production moyenne par entreprise.

Les valeurs élevées de sociétés étrangères et de surface cultivées avec des cépages inter- nationaux vont également dans le même sens, parce qu’il est fort probable que dans les deux cas, les méthodes de production aient tendance à être homogénéisées avec celles d’autres zones dans lesquelles ces entreprises opèrent et où ces cépages sont cultivés.

Dans la même lignée, les valeurs élevées d’autres indicateurs révèlent l’utilisation de technologies spécialisées, telles que la surface cultivée ou le nombre d’entreprises qui disposent d’un label de production biologique. Cela vaut de même pour les surfaces culti- vées avec des cépages autochtones et la part d’entreprises originaires de la région.

En ce qui concerne l’axe de marché, les valeurs élevées de la part de vin primeur par rapport à la production totale indiqueraient une orientation vers les marchés génériques.

Dans les autres cas, des valeurs plus élevées indiqueraient des marchés dédiés. Ainsi, le prix moyen de la bouteille de vin indique une orientation vers des niches de marché ayant un pouvoir d’achat élevé. Les entreprises qui sont médaillées lors de concours prestigieux et qui sont reconnues par les guides les plus réputés ciblent ainsi un type spécifique de consommateurs. Cela peut en partie coïncider avec ce qui précède, dans la mesure où il faut avoir une certaine aisance économique pour consommer des vins médaillés, mais aussi présenter certaines spécificités, à savoir une attitude ouverte à de nouveaux goûts et une grande curiosité d’apprentissage.

(14)

Les chiffres élevés de production de vin faisant l’objet d’un label de produit écolo- gique indiquent une orientation vers une niche de consommateurs concernés par la dura- bilité et le respect de l’environnement. De même, les entreprises qui organisent des visites guidées et qui vendent dans les caves cherchent un type de consommateur qui apprécie la proximité et le contact direct. Également, l’utilisation de marques se rapportant à des éléments locaux s’adresse à des consommateurs qui aiment les produits du terroir.

Les indicateurs retenus sont exprimés en termes de parts, de moyennes ou d’indices3, cela permettant de réaliser des comparaisons entre des régions et des groupes de sociétés de différentes tailles. L’annexe 1, sous forme de notes en bas de page, explique comment les indicateurs les plus complexes ont été calculés.

Les sources d’information dont il est possible d’obtenir des données permettant de construire les variables sont facilement accessibles : citons, tout d’abord, les bases de données de l’administration nationale et des institutions publiques - privées, telles que les organismes de réglementation des Appellations d’Origine Contrôlée (AOC), les Comités de l’agriculture biologique ou les Chambres de commerce et d’industrie. Nous disposons également des moteurs de recherche et des sites web des AOC, des caves particulières et des organisateurs de concours ou de prix.

Enfin, il convient de noter qu’un indicateur considéré de façon isolée peut ne pas être suffisant pour identifier les conventions de qualité ou les technologies et les marchés. C’est l’examen conjoint des indicateurs proposés pour chaque catégorie de conventions et pour chacun des axes des mondes de production qui permet de tirer des conclusions acceptables.

Étant donné la nature différente des indicateurs (part, moyenne, indices) et le besoin de les considérer conjointement, leur standardisation ou normalisation est nécessaire, ce qui peut être facilement réalisé en transformant les valeurs des indicateurs en score Z4. Au terme de cette transformation, nous calculons les moyennes des scores Z correspondant à chaque catégorie de convention de qualité et l’on obtient une valeur de synthèse qui est équivalente à la mesure de l’importance de chaque catégorie.

En ce qui concerne les mondes de production, nous procédons de la même manière : nous effectuons un calcul des moyennes des scores Z de la technologie et des scores Z de marché, ce qui permet d’obtenir deux valeurs de synthèse, une pour chaque dimension5. Il faut savoir que pour calculer ces moyennes, par convention, un signe négatif a été attribué aux indicateurs dont les valeurs élevées indiquent des marchés génériques ou des tech- nologies spécialisées. Les deux valeurs de synthèse obtenues indiquent, selon le signe, à quel type de marché s’adressent les produits et avec quel type de technologie ils sont élaborés. L’association des deux indique le monde de production correspondant.

3 La seule exception est l’indicateur « années écoulées depuis l’obtention du label de l’AOC », qui est exprimé en valeurs absolues.

4 Le score Z indique à combien de déviations standard de la moyenne se situe la valeur d’une variable. C’est un quotient dont le numérateur est la différence entre la valeur à normaliser et la moyenne arithmétique des valeurs de la variable, dont le dénominateur est la déviation standard. Les scores Z ont pour propriété le fait que leur moyenne arithmétique est égale à 0 et leur déviation standard, ou écart type, est égale à 1.

5 Pour obtenir les valeurs de synthèse de chaque catégorie de conventions de qualité et des deux dimensions des mondes de production, la même pondération a été appliquée pour tous les indicateurs. Nous n’avons pas de critères ou d’éléments de jugement permettant d’attribuer une plus grande valeur à certains plutôt qu’à d’autres.

(15)

3. Résultats : conventions et mondes de production dans le secteur vitivinicole espagnol Pour appliquer la méthodologie préalablement décrite au secteur du vin, nous avons pensé qu’il valait mieux centrer le travail sur les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC), car chacune d’elle est composée d’un ensemble d’entreprises vinicoles et de viticulteurs indépendants qui, en étant soumis à un dispositif de label commun, réunissent les critères indispensables à la réalisation de ce travail : tout d’abord, leurs produits sont reconnus comme ayant une qualité supérieure à celle du vin de table ; ensuite, en ce qui concerne la qualité du vin et les ressources à utiliser dans leur production, elles partagent au moins les conventions établies dans les cahiers des charges correspondants.

3.1. Présentation des Appellations d’Origine Contrôlée de Castille-et-León et d’Aragon Nous avons sélectionné 12 AOC situées dans deux régions intérieures de la moitié nord de l’Espagne : la communauté autonome de Castille-et-León, qui occupe la quasi- totalité du plateau du nord et de la communauté autonome d’Aragon, qui s’étend sur les régions centrales de l’Èbre6. Les AOC partagent des milieux géo-écologiques similaires : des plaines alluviales et un climat méditerranéen sec avec des hivers froids et des ampli- tudes thermiques accusées, même s’il y a des nuances différenciatrices importantes.

Le tableau de l’annexe 2 reprend les données statistiques de ces AOC. Ensemble, elles représentent 13 % de la surface, 15 % des viticulteurs, 16 % des producteurs et 19 % de la production de vin des AOC vinicoles espagnoles. L’ensemble a donc un poids significatif dans le secteur espagnol du vin.

Ce tableau montre des différences notables entre les AOC sélectionnées. Tout d’abord, en termes de taille : Ribera del Duero se distingue clairement du reste, avec plus de 20 000 hectares et 8 000 agriculteurs. Près de 300 entreprises sont rattachées à cette AOC qui a produit près de 60 millions de litres de vin lors de la dernière saison. À l’autre extrémité, deux appellations, Arlanza et Arribes ne représentent même pas 500 hectares de surface.

Elles se différencient également de par leur ancienneté : celles de Cariñena et de Toro appartiennent à la première génération de l’AOC, reconnues au début des années 1930.

En revanche, celles d’Arribes, d’Arlanza et de Tierra de León, ont obtenu leur label dans la première décennie du XXIe siècle.

On constate également une orientation différente en termes de marchés : les AOC ara- gonaises de Calatayud, Campo de Borja et Cariñena destinent la plupart de leur pro- duction à l’exportation, tandis que les autres se tournent de préférence vers le marché national espagnol. Pour certaines d’entre elles, comme Tierra de León, les exportations sont presque inexistantes. Il existe également des différences significatives en termes de concentration des entreprises : le volume moyen de vin commercialisé par entreprise se distingue clairement pour l’AOC Cariñena, à savoir plus de 1,6 million de litres, tandis qu’à l’extrémité opposée, Arlanza n’atteint pas 25 000 litres.

6 La sélection comprend toutes les AOC des deux régions, à l’exception de Tierra del Vino de Zamora, dont nous n’avons pas pu obtenir les données nécessaires. Comme cette AOC est la plus petite de Castille-et-León en nombre d’entreprises, de viticulteurs et de vin qualifié, l’omettre ne porte donc pas atteinte à l’ensemble des résultats de cette étude.

(16)

Les cahiers des charges des AOC permettent d’apprécier des différences importantes de cépages utilisés dans la production de vin : certaines sont très restrictives et n’admettent que, ou presque exclusivement des vignes autochtones, comme c’est le cas de Ribera de Duero et de Toro avec la variété Tempranillo.7 D’autres sont beaucoup plus souples et admettent des variétés étrangères avec les variétés autochtones, comme Somontano ou Rueda.

Cette brève introduction indique que les AOC sélectionnées constituent une partie importante des AOC espagnoles. Elles forment un groupe remarquablement diversifié, ce qui suggère que tant les critères de qualité que les orientations de marché et la combinai- son des ressources vont être différentes les unes des autres. Par conséquent, l’ensemble semble très approprié pour y tester une nouvelle méthodologie quantitative.

3.2. Catégories de conventions en vigueur dans les Appellations d’Origine Contrôlée de Castille-et-Léon et d’Aragon

Après avoir calculé, pour chaque AOC, les 28 indicateurs correspondant aux 6 caté- gories de conventions (cf. section 2.2), leurs valeurs ont été normalisées sous la forme de scores Z, puis des moyennes ont été calculées pour chaque catégorie. Ces moyennes, qui figurent sur le tableau 1, sont les valeurs de synthèse de l’importance de chaque catégorie de conventions pour chaque AOC.

Tableau 1 : Orientations de qualité des AOC

AOC Industrielle Marchande Domestique Publique Civique Écologique

Arlanza -0,58 -0,43 0,60 -0,54 -0,21 0,78

Arribes -0,67 0,19 -0,23 -0,80 -0,29 -0,66

Bierzo 0,22 -0,28 0,12 -0,02 0,39 -0,10

Calatayud 0,00 -0,44 0,10 -0,51 -0,44 0,58

Campo de Borja 0,82 1,01 -0,54 0,90 0,41 0,30

Cariñena 0,56 0,11 -1,18 -0,76 0,23 -0,58

Cigales -0,30 -0,24 0,67 -0,11 -0,33 -0,66

Ribera del Duero -0,73 -0,29 0,13 0,47 0,24 -0,39

Rueda 0,56 -0,09 0,13 0,83 0,59 -0,19

Somontano 0,09 0,75 -0,10 0,36 -0,59 1,25

Tierra de León 0,54 -0,60 0,24 -0,83 -0,41 -0,66

Toro -0,52 0,32 0,06 0,99 0,42 0,32

Source : Élaboration propre

Le tableau permet d’identifier les catégories de conventions dominantes pour chaque AOC et d’évaluer leur importance relative. Les valeurs positives indiquent une orienta- tion supérieure à celle de l’ensemble pour la convention correspondante. Plus la valeur

7 Dans l’AOC Toro, la variété Tempranillo est connue sous le nom de « Tinta de Toro »

(17)

est grande, plus l’orientation est importante. Ainsi, on peut constater que l’AOC Campo de Borja excelle clairement dans les conventions commerciales, et Somontano dans les conventions écologiques, pour ne citer que les cas qui se situent au-dessus de 1.

Dans l’ensemble, nous constatons que l’AOC est un modèle de qualité qui repose sur des conventions domestiques : huit des douze zones sélectionnées présentent des scores Z positifs pour cet indicateur. Cependant, l’origine géographique doit être accom- pagnée d’une élaboration technique appropriée des vins et de la capacité à répondre à une demande importante, comme en témoigne le fait que sept AOC présentent également des valeurs positives dans les conventions industrielles. Ces deux ensembles de conventions semblent guider les orientations de base des AOC analysées : à partir de là, une multitude d’options sont possibles qui associent notamment, dans chaque cas, les conventions mar- chandes, publiques et civiques. Les conventions écologiques semblent cependant moins étendues (seules cinq AOC présentent des valeurs supérieures à zéro).

Sur la base de ces lignes générales, le tableau 1 montre également que chaque AOC possède son propre profil. Les AOC Campo de Borja, Toro ou Somontano se distinguent dans quatre ou cinq catégories de conventions, ce qui signifie qu’elles développent une stratégie complexe pour attirer les consommateurs grâce à une pléiade d’arguments et de ressources. Dans d’autres cas cependant, un ensemble limité d’ordres de justification sont valables, comme c’est le cas pour les AOC Arribes, Cigales, Arlanza ou Calatayud, qui ne présentent des indices positifs que pour un ou deux ordres de justification.

Au-delà de cette évaluation globale, il est possible d’identifier des groupes d’AOC qui partagent des préférences pour une catégorie ou une autre, ou une association de catégo- ries. Ainsi, nous identifions un groupe de trois AOC dont la valeur de synthèse pour les conventions écologiques est beaucoup plus élevée que le reste : il s’agit de Somontano, Arlanza et Calatayud. Les deux dernières présentent également des valeurs de synthèse au-dessus de la moyenne dans la catégorie des conventions domestiques, d’où l’on peut avoir un aperçu intéressant de la qualité du vin, qui associe les valeurs de l’enracinement et de la durabilité, de l’attachement aux traditions locales et au respect de l’environ- nement. En revanche, Somontano attache une grande importance aux conventions mar- chandes et dans une moindre mesure, aux conventions publiques et industrielles, ce qui révèle une conception différente de la qualité.

Un autre groupe important est composé des AOC qui obtiennent des valeurs de syn- thèse élevées dans les conventions industrielles : Campo de Borja, Cariñena, Rueda et Tierra de León. Cette dernière obtient aussi des notes dépassant la moyenne pour les domestiques, d’où il ressort une association en partie commune, mais en partie différente de celle observée pour Arlanza et Calatayud. Les trois autres AOC de ce groupe associent conventions industrielles, civiques et publiques ou marchandes, selon le cas. Il s’agit d’AOC étendues, qui produisent une grande quantité de vin et dont les entreprises pré- sentent les tailles moyennes les plus importantes8 (annexe). Leur conception de la qualité semble être en conformité avec les conventions existant dans les grandes entreprises.

Les AOC restantes sont plus difficiles à regrouper. Celle de Cigales est la seule qui ne présente des valeurs de synthèse positives que dans les conventions domestiques, et qui ne se distingue dans aucune autre catégorie. Arribes, l’une des plus jeunes, présente des

8 Mesurée en volume de vin commercialisé.

(18)

valeurs négatives dans toutes les catégories de conventions, à l’exception des marchandes, où elle ne se distingue pas particulièrement. Celle de Toro ressemble au deuxième groupe, car elle se distingue dans les conventions publiques, civiques et marchandes, mais en diffère car elle obtient une valeur négative dans les conventions industrielles. Ribera del Duero présente des valeurs de synthèse positives, mais peu remarquables dans les conventions civiques, publiques et domestiques. C’est également le cas de Bierzo, si on remplace les conventions publiques par les conventions industrielles.

Pour résumer les résultats obtenus, chaque AOC a son propre profil, ce qui indique que des conventions spécifiques y opèrent, mais elles gardent aussi des similitudes qui permettent d’identifier deux groupes : celui des AOC orientées vers les conventions éco- logiques et domestiques, et celui des AOC orientées vers les conventions industrielles, marchandes et publiques. Ce sont deux modèles différents, qui n’englobent cependant pas tous les cas existants, comme cela se passe pour tous les modèles.

3.3. Les mondes de production des Appellations d’Origine Contrôlées de Castille- et-León et d’Aragon

Conformément à la procédure décrite dans le paragraphe 3.2, nous avons calculé les moyennes des scores Z des indicateurs de l’axe de technologie et de l’axe de marché, et nous avons attribué par convention un signe positif aux indicateurs dont les valeurs élevées indiquent des marchés dédiés ou des technologies standardisées, le cas échéant, et un signe négatif pour ceux dont les valeurs élevées indiquent des marchés génériques ou des techno- logies spécialisées. Ces moyennes sont les valeurs de synthèse qui expriment de quel côté de chaque axe se situe chaque AOC et l’association des deux valeurs indique le monde de production dans lequel elle se trouve, comme le représente graphiquement la figure 1.

On y constate clairement que les AOC Cariñena, Tierra de León et Arribes se placent dans le monde de production industriel (quadrant inférieur droit), ce qui signifie qu’elles développent des produits génériques, à savoir des vins destinés au grand public, en utili- sant des technologies standardisées pour réaliser des économies d’échelle. À la frontière de ce monde se trouvent celles de Bierzo et de Rueda.

Dans le monde de production interpersonnel (quadrant supérieur gauche) se trouvent les AOC Calatayud, Arlanza, Toro et Cigales. Cela signifie qu’elles élaborent des pro- duits dédiés, à savoir des vins destinés à des niches de marché, en utilisant pour cela des ressources et des technologies spécialisées qui permettent de réaliser des économies de gamme - variété. Ribera del Duero se trouve à la frontière de ce monde.

Les AOC aragonaises de Somontano et de Campo de Borja se situent dans le quadrant supérieur droit, dans le monde de production marchand. Ce monde utilise des technolo- gies standardisées pour élaborer des produits destinés à des marchés spécifiques. L’AOC Rueda se trouve à la frontière entre ce monde et le monde industriel.

Le graphique montre clairement l’absence d’AOC dans le monde de l’innovation. Ceci est pleinement cohérent avec le modèle général des mondes de production, puisque le vin est un produit traditionnel, non innovant, dont la production est le résultat final d’un processus naturel de fermentation, bien connu depuis des millénaires. Comme nous l’avons déjà indiqué, ce monde accueille les dénommés alicaments et certains types d’additifs. La cohérence avec le modèle peut être interprétée comme une preuve de la pertinence des indicateurs retenus.

(19)

Figure 1 : Mondes de production des Appellations d’Origine ContrôléeFigure 1 : Mondes de production des Appellations d’Origine Contrôlée

Monde de production INDUSTRIEL Monde de production

de l’INNOVATION

Monde de production MARCHAND Monde de production

INTERPERSONNEL

Il est également cohérent que dans le monde interpersonnel se trouve l’AOC orientée exclusivement vers les conventions domestiques (Cigales), ainsi que celles visant simul- tanément les conventions domestiques et écologiques (Arlanza et Calatayud). Cette orien- tation révèle la recherche de niches de marché spécifiques et l’utilisation de ressources spécialisées, ce qui correspond clairement au monde de production interpersonnel. À côté d’elles, l’AOC Toro accorde une place importante aux conventions publiques et écolo- giques (tableau 1).

Dans le monde de production industriel se trouvent les AOC pour lesquelles les conventions industrielles sont les plus importantes (Cariñena et Tierra de León), ainsi que celle d’Arribes, qui ne se distingue que dans les conventions marchandes. La littérature sur Cariñena confirme sa classification dans ce monde de production : c’est une AOC contrôlée par de grandes coopératives qui cherchent à réaliser des économies d’échelle grâce à de grandes installations et qui commercialisent leurs vins de préférence dans les grandes surfaces de vente au détail, où la concurrence s’établit au niveau du prix, à partir d’une qualité standard (Loscertales, 2009).

Somontano et Campo de Borja se placent dans le monde de production marchand, où l’on élabore des produits pour créneaux de marché avec des ressources standardisées. Les deux AOC présentent un profil de conventions complexe, où les conventions marchandes sont très importantes (et industrielles à Campo de Borja), tout comme les conventions écologiques et publiques. Ce profil complexe s’inscrit bien dans ce monde à mi-chemin entre les deux autres.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

Références

Documents relatifs

L’originalité de ce travail repose sur une focalisation, parmi les équidés de proprié- taires amateurs, sur ceux appartenant à des particuliers indépendants. Son objectif est

L’intérêt ensuite de comparer les départements d’Ille-et-Vilaine et du Rhône est de trois ordres : 1 ils partagent avec la grande majorité des départements métropolitains

Des politiques de densification douce articulées à des stratégies de centralité locale Les observations menées à Magny-les-Hameaux et à Guelph, deux municipalités, différentes

‘la mobilité’ ? », apporte des arguments à la mise en garde de l’auteur. D’une part, la tendance à la valorisation de la mobilité peut pour lui s’immiscer partout.

29 Une prochaine étape devrait se focaliser sur la construction d’un indicateur synthétique de résilience (Briguglio et al., 2008) pour lever définitivement le doute sur la

L’ensemble de ces résultats montre que plus de 21 % des clients des deux hypermarchés proviennent de leur lieu travail ou d’autres lieux remettant en cause la définition des zones

Le protocole de recherche vise à qualifier l’intensité, la localisation et les évolutions dans le temps de la circulation de l’épargne réglementée sur livrets entre

Il y a de la géographie politique dans les tribus africaines, mais il faut d’autres outils pour les traiter ; dans Espace et Pouvoir, j’ai donc essayé de trouver des cadres