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Géographie Économie Société: Article pp.261-269 of Vol.17 n°2 (2015)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 261-269

Comptes Rendus

Guy Baudelle et Jacques Fache (dir.), 2015, Les mutations des systèmes productifs en France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 374 p.

Bien en évidence, en 1re de couverture, on précise que cet ouvrage se destine aux jeunes préparant l’agrégation en géographie ou le CAPES d’histoire-géographie. Nous voilà bien prévenus. Le lecteur d’un « certain âge » bien au fait de la littérature sur le sujet n’apprendra donc que des détails liés aux nombreux cas (parfois fort intéressants) se rapportant à des régions ou à des villes offertes à titre d’illustrations. Le tout, comprenant cinq parties, est placé sous la responsabilité de deux agrégés de géographie, professeurs en aménagement de l’espace et urbanisme à l’Université de Rennes 2 pour G. Baudeville, alors que pour J. Fache aucun lieu d’assignation n’est précisé. Ces deux co-directeurs ont fait appel à sept collaborateurs rattachés à différentes universités françaises. De toute évidence, ceux-ci n’ont pas pris connaissance des textes des uns et des autres avant de fournir leur version finale, car les répétitions ne sont pas accompagnées de formules du style : « comme le signale notre confrère XYZ dans le chap. X… ».

Qu’entend-on par « systèmes productifs » ? Baudelle et Fache signalent que, durant les années 1950, le concept ne faisait pas partie du discours même si l’on trouve partout des systèmes que l’on qualifiera plus tard de districts ou de systèmes productifs locaux (les fameux SPL). Responsable du chapitre 9, Jacques Bonnet, professeur à Lyon 3, précise que le pluriel qui caractérise le titre de l’ouvrage se justifie par une évolution ou une jux- taposition de logiques d’organisations économiques différentes. Ce qui donne un sens, il va sans dire, à la dimension historique. En effet, le lecteur se balade du début à la fin des années d’après-guerre à aujourd’hui.

Les quatre chapitres de la première partie, Dynamique des systèmes productifs, servent à bien positionner le sujet. D’entrée de jeu, le lecteur est avisé : toute production ne signi- fie pas l’existence d’un système. Alors Qu’est-ce qu’un système ? trouve-t-on comme tête d’une section précédée d’une référence à une lecture de jeunesse (Le macroscope de J. De Rosnay, récemment réédité). En se référant à Morin (1977), la complexité s’avère la caractéristique la plus marquante d’un système comme le démontrent des gra- phiques effectivement complexes, (curieusement numérotés par « Doc. » à travers tout le volume). Toute cette partie, en plus de nombreux « Doc. », offre des cartes du genre auquel la DATAR nous avait habitués. Mais, étant de plus petite dimension et dépourvues de couleurs, je doute que les étudiants, constamment sollicités par leur téléphone intelli- gent, aient la concentration requise pour en tirer toute l’information contenue. Si Solvay

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en Rhône-Alpes et Grenoble font sans surprise l’objet d’un long encadré, celui de Sainte- Sigolène en Haute-Loire m’était totalement inconnu, tout comme la sainte en question.

Avec la 2e partie vient Le temps des systèmes productifs. Les co-directeurs de l’ou- vrage, en prenant Édouard Michelin comme exemple, avec pertinence, font observer que le lieu de résidence du créateur d’entreprise est le premier facteur de localisation. Une réponse que m’ont fournie plusieurs (80 %) des dirigeants de PME en milieu rural que j’ai enquêté. Mais il vaut mieux ne pas être isolé. Comme il en sera question au cha- pitre 17, en soulignant l’importance des réseaux d’information, on parle ici de l’encastre- ment (je sais gré aux co-directeurs d’avoir évité le terme embeddedness) dans un système de réseaux sociaux faute de quoi l’échec est quasi certain. Si G. Baudelle impose à son lecteur dans le chapitre 5 une carte générale de l’industrie française presque illisible, il est mieux inspiré en faisant allusion au fameux triangle de Weber (1909) ou encore au modèle de causalité cumulative de Myrdal (1975) qu’illustre le Doc.32 de façon parfai- tement compréhensible. Le chapitre 6 du même auteur nous plonge dans le fordisme et le post-fordisme avec un Doc.36 qui présente très bien les caractéristiques des « trente glorieuses » et des années qui leur succèdent. Exemples : travail saisonnier vs automati- sation ; consommation de masse vs consommation individuelle ; grandes usines vs petites entreprises, etc. Le Doc.39 Les bassins d’industrie de base : un système peu propice à la reconversion. L’exemple du Valenciennois, avec en son cœur le charbon et la sidérurgie, illustre parfaitement le recul des systèmes productifs de type classique. C’est dans ces pages que l’auteur se réfère à mes compatriotes, familiers aux lecteurs de GES, Polèse et Shearmur qui, à partir d’exemples québécois, ont montré que les régions où la grande entreprise a toujours mis en valeur les ressources naturelles sont peu propices à l’innova- tion et à l’entrepreneuriat. Avec le chapitre suivant, le lecteur quitte le fordisme pour se retrouver dans l’ère de la flexibilité.

Oui, il est question ici de production flexible et de flux tendus et, bien sûr, d’innovation.

Cette dernière préoccupation conduit G. Baudelle à évoquer le « paradigme » (s’agit-il bien d’un paradigme ?) de la triple hélice tel que conçu par Etzowitz et Leydesdorff en 1998. On sait que les centres de recherche, le secteur privé et les gouvernements locaux (ou centraux) constituent les palmes de l’hélice. Dommage que le tout dernier chapitre (21) portant sur les pôles de compétitivité, sous la responsabilité de A. Grandclément de l’Université de La Rochelle, n’y fasse pas allusion. L’auteur évoque également les systèmes régionaux d’innovation familiarisés par l’acronyme SRI. Ici, mon compatriote D. Doloreux, souvent cité pour ses travaux sur le sujet, aurait mérité lui aussi une men- tion. Une carte et un encadré se rapportant aux années 2008-2012 nous plongent dans la dure réalité actuelle de la France avec la présentation des destructions et des créations d’emplois. Inutile de chercher ici cette courbe qui s’obstinait au moment de la rédaction à ne pas s’inverser, au grand dam du locataire de l’Élysée.

La troisième partie s’intitule Acteurs et processus des systèmes productifs. Dans sa présentation, en guise d’introduction au chapitre IX où il est question de création d’entre- prises, on a cru bon de rappeler la déclaration d’amour de Manuel Valls envers l’entre- prise. En effet, pourquoi n’aimerait-on pas l’entreprise si elle traite bien ses employés, si elle ne pollue pas, si elle ne produit pas des biens dangereux, si elle paie ses impôts et si elle respecte l’embargo envers la Russie, l’Iran et autres parias de ce monde ? Mais, aupa- ravant, avec le chapitre 8 dû à J. Fache, il faut répéter : prière de ne pas confondre inven-

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tion et innovation. Ainsi, avec l’énergie issue de la vapeur il faut savoir distinguer Papin et Watt. Une fois ceci bien compris, il est à nouveau question de Grenoble qui, à travers les ans, voire les siècles, se distingue par les cycles et les temporalités de ses systèmes productifs. Le Doc. 49 nous transporte de 1870 (papeterie) à 2010 (biotechnologies).

Puisque l’on parle d’innovation et de créativité, cette fois ce sont mes compatriotes au même patronyme (Tremblay et Tremblay, 2010)1 qui se voient cités. L’auteur fait remar- quer que l’une des difficultés que posent les systèmes productifs pour un pays comme la France réside dans le fait que l’industrie et les services sont dépendants de cycles de vie de plus en plus courts. Une réalité dont les Grenoblois sont bien conscients. C’est pourquoi, en plus des biotechnologies, ils misent sur les nanotechnologies, la microélec- tronique et autres technologies aux teintes plus ou moins verdâtres. Dans le chapitre qui suit, J. Bonnet signale un fait que mes collègues de l’INRPME de l’UQTR ne peuvent que confirmer : il existe deux types de PME, celles qui s’intègrent dans la concurrence inter- nationale et celles qui sont à l’abri d’une telle concurrence. Or, tel que signalé ici, les plus performantes à l’exportation le sont également dans les autres fonctions de l’entreprise.

Avec raison, l’auteur y voit la clé du succès.

La quatrième partie Systèmes productif en évolution, régions en mutation offre tout un chapitre (12) à Toulouse. Oui, il est question d’aéronautique. Beaucoup comme moi, apprendront que cette vocation qu’a prise la ville rose doit beaucoup au prussien Schlieffen dont le plan devait mettre la France à genoux en trois semaines en août 1914.

Une fois le traité de Versailles signé, la grande frousse qu’avait causée la présence des armées de Guillaume II à quelques dizaines de kilomètres de Paris a conduit les auto- rités politiques à développer ce secteur d’activité à l’abri du danger allemand. Difficile d’imaginer à l’époque qu’un jour l’ennemi deviendrait partenaire pour construire l’Air- bus. J. Fache voit en Toulouse un système complexe et multiscalaire dont l’originalité tient au rôle joué par l’État d’une part et par la ville et la région d’autre part. Il faut croire que Claude Nougaro n’y est pour rien. J. Bonnet, dans le chapitre suivant rend hommage au système lyonnais : une ville née avec les services et qui a prospéré par la mise en valeur de son carrefour européen. Comme Paris ne pouvait se voir ignorée, J. Fache, dès le début, comme pour ne pas décevoir, prévient le lecteur d’une difficulté : la très grande complexité de la Ville Lumière. C’est dans ce chapitre que Saclay, vu comme un rêve mégalomaniaque, mérite une attention particulière : un cas à part dans le dévelop- pement territorial. Viennent par la suite d’intéressantes considérations sur les villes dites

« moyennes » dont la désindustrialisation ne serait qu’une des clés de lecture de la situa- tion économique de ces villes.

Enfin, le tout se termine une partie intitulée Évolution des systèmes productifs, évo- lution de l’aménagement. Le chapitre 18 offre un historique de ce concept franco-fran- çais d’aménagement du territoire que les Québécois ont adopté à l’époque de la créa- tion de la DATAR. On apprend que celle-ci a été sauvée in extremis par son créateur, Olivier Guichard, en 1986. Ce dernier n’a pas pu répéter son geste salvateur étant décédé quelques années avant que le bel édifice de l’av. Charles Floquet soit vendu à des intérêts

1 Ouvrage recensé par me soins dans GES 12 (2010) 233-238.

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étrangers2. Les chapitres 19, 20 et 21 traitent respectivement des technopôles (avec une référence bien méritée au regretté G. Benko), des SPL comprenant enfin une évaluation (négative) et des pôles de compétitivité (sans évaluation) à propos desquels la documen- tation se fait discrète depuis quelques années.

Si, tel qu’indiqué, l’ouvrage se destine à des détenteurs de bac +2 ou 3, il pourrait être très utile pour tout recherchiste en mal d’information en vue d’un reportage sur une région ou une ville donnée. De même, toute plume d’un ministre, voire d’un président, devant faire un discours lors d’une commémoration, y trouvera des éléments susceptibles de bien faire paraître son patron, lui évitant surtout les gaffes que retiennent inévitable- ment les médias.

André Joyal Chercheur au Centre de recherche en développement territorial (Université du Québec)

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Fabien Desage, Christelle Morel Journel et Valérie Sala Pala (dir.), 2014, Le peuple- ment comme politiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 385 p.

Les contributions réunies dans cet ouvrage, dirigé par F. Desage, C. Morel Journel et V. Sala Pala, sont issues du colloque « Le peuplement : catégorie insaisissable des poli- tiques urbaines ? », qui s’est tenu à Lyon et Saint-Étienne en 2011.

L’ouvrage réunit des auteur-e-s aux appartenances disciplinaires variées : ce sont prin- cipalement des historiens, urbanistes ou politistes, mais on compte aussi des sociologues, un philosophe et une géographe. De nombreux doctorant-e-s ou jeunes chercheur-e-s ont contribué à l’ouvrage. La majorité des chapitres portent sur la période contemporaine, à l’exception du premier de L. Paltrinieri, qui retrace l’histoire conceptuelle du doublet population/peuplement depuis le XVIIIe siècle et qui permet de fixer le cadre théorique de l’ouvrage. Comme le précisent F. Desage, C. Morel Journel et V. Sala Pala dans l’in- troduction du livre, le peuplement n’est pas tant appréhendé comme un état, « à savoir la composition et la répartition d’une population sur un territoire donné », mais plutôt comme une « action (peupler), visant à modifier ou maintenir cette distribution, en fonc- tion de certaines caractéristiques – sociales, ethniques, religieuses, sexuelles ou autres – réelles ou supposées des populations concernées » (p. 17)3. L’objet de l’ouvrage est donc de se pencher sur « le peuplement comme politiques ». Le terme, associé au départ à la colonisation, avait quasiment disparu mais il refait surface depuis une dizaine d’années dans le champ de l’habitat et des politiques urbaines. Selon F. Desage, C. Morel Journel et V. Sala Pala, les travaux de recherche abordent le peuplement par le biais d’autres objets, tels que la gentrification, la mixité sociale, ou les mobilités résidentielles. Dans ce contexte, le colloque et l’ouvrage visaient à aborder le peuplement de manière frontale, quitte à dévoiler les enjeux de peuplement lorsqu’ils sont sous-jacents.

Le livre est organisé en quatre grandes parties thématiques, précédées par une préface

2 En fait, après avoir vu son nom modifié deux fois, la DATAR a été intégrée en 2014 au Commissariat général des territoires.

3 Nous soulignons comme les auteurs.

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ainsi qu’une introduction des auteurs dirigeant l’ouvrage. Les préfaces de M. Bricocoli et M. Dikeç soulèvent les enjeux de la traduction de la notion de peuplement, tandis que l’introduction pose les fondements théoriques et critiques d’une approche considé- rant le peuplement comme une « catégorie de l’action publique ». La courte postface d’A. Germain, sociologue canadienne, soulève des questions intéressantes et « imperti- nentes », à la demande des auteurs dirigeant l’ouvrage.

La première partie intitulée « Gouverner la population par l’espace » s’articule autour de la notion de « gouvernementalité », en référence aux travaux de M. Foucault. Dans un cours au collège de France portant sur « Sécurité, territoire et population »4, ce dernier avait souligné l’émergence de nouvelles pratiques de pouvoir au XVIIIe siècle propres à l’Etat moderne, et reposant sur un art de « gouverner la population », c’est-à-dire son

« développement quantitatif et qualitatif, la connaissance de celle-ci selon un certain nombre de critères génériques » (Desage, Morel Journel, Sala Pala, p. 20). Cette première partie de l’ouvrage rassemble une contribution théorique (L. Paltrinieri) et des études de cas portant sur les plans de reconstruction au Kurdistan turque (J. Jongerden), les politiques de « regroupement » pendant la guerre d’indépendance d’Algérie (F. Sacriste) et la construction de villages résidentiels pour judaïser la Galilée (P. Renno). Ces diffé- rents textes partagent une « approche généalogique et archéologique empruntée à Michel Foucault » mais aussi un « intérêt empirique pour les situations coloniales » (p. 37), selon S. Guyon et G. Pinson qui introduisent la première partie. Les auteurs réunis dans cette partie considèrent que « les situations coloniales constituent des “cas limites”et à ce titre emblématiques de la construction étatique » propre à l’État moderne (p. 37). Le chapitre du philosophe Luca Paltrinieri sur l’histoire des concepts est particulièrement intéressant et permet de réfléchir aux représentations – souvent inconscientes – associées au terme de peuplement. Tout en montrant le glissement de l’usage du terme de « popula- tion » vers celui de « peuplement », L. Paltrinieri souligne combien le peuplement est lié à l’expansion coloniale, ce qui explique sans doute « les réticences à mobiliser le terme de peuplement aujourd’hui » (Desage, Morel Journel & Sala Pala, p. 21).

La deuxième partie de l’ouvrage s’organise autour du concept de catégorisation, défini comme « les opérations taxinomiques, c’est-à-dire des activités cognitives et sociales qui, introduisant des divisions et des équivalences au sein d’un domaine, visent à y créer un système de classification »5. Si tous les chapitres portent sur des cas français, le dernier aborde les politiques du logement dans la capitale avec un éclairage comparatif londo- nien. Les textes abordent la question des populations « désirables » et « indésirables », en particulier dans le secteur du logement social. Les deux premiers chapitres sont cen- trés sur le logement des populations immigrées, dans un contexte de décolonisation, et illustrent la façon dont sont reprises les classifications ethniques héritées de la période coloniale. Dans le cas étudié par H. Béguin, celui des foyers de travailleurs migrants gérés par l’AFTAM (association pour la formation technique de base des travailleurs africains et malgaches), cette permanence des classifications coloniales apparaît paradoxale dans la mesure où les membres fondateurs de cette association créée en 1962 étaient des hauts

4 Foucault, M. 2004. Sécurité, territoire, population. Cours au collège de France, Paris, Gallimard/Éditions du Seuil.

5 Lascoumes, P. ; Depaigne, A., 1997. « Catégoriser l’ordre public : la réforme du code pénal français de 1992 », Genèses, n° 27, pp. 5-29.

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fonctionnaires de l’Éducation Nationale et de la Coopération, qui portaient un projet déve- loppementaliste d’accompagnement de la décolonisation. À l’inverse de la Sonacotra, cet acteur associatif est peu connu, ce qui rend l’étude de cas très intéressante. Quant au chapitre de F. Belmessous, il évoque les politiques lyonnaises du logement et l’apparition d’un « seuil de tolérance » des populations immigrées dans les années 1950. Il permet d’étayer d’autres travaux plus anciens faisant état de ce type de seuil, comme ceux d’O.

Masclet, de S. Tissot6, ou encore le chapitre de C. David à la fin de l’ouvrage. Quant au chapitre de C. Lelévrier sur la rénovation urbaine des grands ensembles, il montre que les bailleurs catégorisent les populations selon le risque qu’elles représentent en termes de gestion, renvoyant là encore à des représentations ethnicisées. Ce chapitre propose une réflexion intéressante sur l’opération de catégorisation par les groupes sociaux. Le dernier chapitre de cette partie aborde la circulation des catégories de population entre Paris et Londres, en particulier celle des « acteurs clés » (L. Launay).

La troisième partie de l’ouvrage porte sur les instruments du peuplement et leurs usages. Si ces instruments sont techniques, ils ne sont bien sûr pas neutres et sont poli- tiques puisqu’ils visent à corriger des « problèmes ». Cette partie s’intéresse à ces ins- truments et leurs effets sur le peuplement, qui ne sont pas complètement maîtrisés par le politique. Le premier chapitre de M. Gibert porte sur un instrument mis en place dans un régime autoritaire, le carnet résidentiel au Vietnam, qui fait l’objet de nombreux contour- nements par les populations, non sans conséquences sur leur accès à la ville. Le chapitre suivant, de P-E. Weill, est consacré aux contradictions de la mise en œuvre du droit au logement opposable. Le titre du chapitre, présentant le logement social comme résiduel en France, ne paraît pas tout à fait adapté, dans la mesure où d’autres analyses montrent que le modèle de peuplement du logement social reste pour l’instant généraliste7. Le texte de M. Cordier porte sur le rôle de l’intercommunalité dans les politiques de l’habitat en France ; elle y montre que malgré les incitations pour les intercommunalités à devenir

« chef de file » de ces politiques, les outils de maîtrise du peuplement restent pour l’ins- tant dans les mains des maires qui sont réticents à perdre cette prérogative.

Enfin, la dernière partie de l’ouvrage aborde le doublet politisation/dépolitisation de l’enjeu du peuplement. La politisation est envisagée comme « l’ensemble des processus par lesquels des activités sociales prennent une dimension politique »8. Trois dimensions structurent la politisation : « la transformation d’une question en enjeu électoral, la mise en débat d’une question dans l’espace public, et, enfin, la redéfinition d’une question par la mise en place de programmes d’action publique censés la traiter » (De Barros &

Healy, p. 284). Cette question est particulièrement complexe pour le chercheur, puisque les enjeux en termes de peuplement ne sont pas nécessairement explicités par le poli- tique mais sont tout de même présents. En effet, « le peuplement existe toujours comme

6 Masclet, O., 2005. « Du “bastion” au “ghetto”. Le communisme municipal en butte à l’immigration », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 159, pp. 10-25. Tissot, S., 2005, « Une discrimination “infor- melle” ? Usage de la notion de mixité sociale dans la gestion des attributions de logement social », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 159, pp. 55-69.

7 Driant, J-C., 2008. « Le droit au logement opposable, un révélateur des contradictions du logement social », Études Foncières, n°134, pp. 5-7.

8 Lagroye, J., 2003. La politisation, Paris, Belin, p. 361.

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distribution, et donc comme effet objectif de toute politique d’intervention sur le tissu urbain ou l’habitat, mais il n’est pas toujours construit comme tel » (Ibid., p. 284). Cela conduit à souligner le rôle du chercheur dans la société, dont l’analyse critique contri- bue à objectiver les effets – voulus ou non voulus – des politiques sur le peuplement.

Les deux premiers chapitres sont des contributions d’historiens, qui analysent le rapport du PCF et de ses organisations au peuplement de la banlieue rouge parisienne, en par- ticulier dans le secteur HLM (C. David et S. Jolis). Ces territoires, qui concentrent des populations ouvrières depuis le début du XXe siècle, sont marqués par une croissance des populations immigrées après la Seconde Guerre Mondiale, dans le contexte de la décolonisation. Très rapidement, cette évolution sociale devient un « problème » pour les politiques locales, qui cherchent à limiter cette croissance et gérer la répartition de ces populations à l’échelle infra-communale. Les auteurs soulignent les paradoxes des politiques locales de la banlieue rouge, traditionnellement ouvertes au prolétariat, mais qui se montrent réticentes à accueillir des concentrations d’immigrés. Ces chapitres font donc écho à d’autres textes de l’ouvrage, comme celui de F. Belmessous, et aux travaux d’O. Masclet et S. Tissot précédemment cités. Ces deux chapitres, ainsi que la contribu- tion de R. Epstein sur la rénovation urbaine, soulignent la complexité des mécanismes de politisation/dépolitisation. C. David montre qu’à Saint-Denis, « à partir de la fin des années 1970, la question du peuplement “immigré” apparaît comme un enjeu largement dépolitisé » (p. 327). Alors que dans les années 1950-1960, le logement des immigrés est devenu « un problème de peuplement » pour la municipalité et son Office Public d’Habi- tation, cette question disparaît de l’espace public derrière les problèmes de gestion de l’office HLM à la fin des années 1970. Pour autant, il nous semble que les enjeux de gestion de l’office HLM (limiter l’endettement en logeant des populations solvables, des

« bons payeurs ») se traduisent toujours par une catégorisation des populations, donc des effets sur le peuplement. La rhétorique technique et gestionnaire contribue simplement à les masquer. Le texte de R. Epstein souligne bien cela : « le fait que cette politique de peuplement [la rénovation urbaine] ne soit pas débattue dans les espaces institution- nels démocratiques ne signifie cependant pas une absence de politisation. Au contraire, cette occultation a contribué à sa politisation. » (p. 341). En se référant aux critiques marxistes des opérations de rénovation urbaine énoncées par le champ académique dans les années 1970, R. Epstein souligne que les chercheurs peuvent contribuer à la politisa- tion des enjeux de peuplement des politiques. Il termine d’ailleurs son chapitre là-dessus et attribue la dépolitisation de la politique actuelle de rénovation urbaine à l’absence de mise en débat public du côté des sciences sociales.

L’ouvrage présente donc un effort réussi de structuration des différentes parties théma- tiques. Les auteurs des différents chapitres ont pris soin de relier leur réflexion aux ques- tionnements généraux de l’ouvrage et à son fil directeur du « peuplement comme poli- tiques », mais également aux quatre thématiques de l’ouvrage dans les parties concernées (« gouvernementalités », catégorisation(s), « instrumentation », « (dé-)politisations »). Si l’on y ajoute les introductions précises précédant chaque partie, l’ouvrage est bien arti- culé. On sent qu’un travail éditorial précis a été mené après le colloque pour structurer l’ouvrage autour de fils directeurs principaux et secondaires, ce qui est rarement le cas dans les ouvrages issus de colloques. En outre, les différents chapitres et études de cas se répondent bien, de façon transversale aux quatre parties. Il s’agit d’un des premiers

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ouvrages abordant de front la question du peuplement, et il apporte de nombreuses réfé- rences et repères pour qui souhaiterait s’orienter vers ces thématiques ou préciser ses réflexions sur la question. Nous y avons nous-même trouvé des réponses à de nombreuses questions et des pistes pour développer nos propres travaux.

Nous finirons par deux questions abordées par A. Germain dans sa postface, et qui nous paraissent très pertinentes. A. Germain regrette que la question ethnique ne soit pas traitée de manière frontale. Comme elle le souligne, il aurait sans doute fallu davan- tage creuser la notion d’ethnicité, mais surtout de notre point de vue que les auteurs qui l’abordent s’interrogent sur l’essentialisation des catégories. Cette question des caté- gories ethniques traverse en effet tout l’ouvrage, ce qui est tout de même une avancée notable pour la recherche française, où cet angle d’approche reste « tabou » comme le soulignent plusieurs auteurs. Plus que les catégories ethniques, c’est surtout le « pro- blème » des immigrés qui apparaît comme un enjeu de peuplement. Alors que les tra- vaux sur la mixité sociale insistent beaucoup sur la concentration des pauvres, ce sont ici davantage les immigrés qui ressortent. Hormis l’ouvrage dirigé par A. Gotman sur les municipalités et leurs « étrangers »9, il existe encore peu de livres français dans le champ des études urbaines qui abordent autant la question de l’ethnicité. Cela a souvent été sou- ligné, ce qui fait problème dans le peuplement comme politiques n’est jamais la concen- tration des populations aisées dans certains quartiers, mais la concentration de pauvres ou immigrés notamment dans les quartiers dits « sensibles ». C’est pourquoi les contribu- tions abordent surtout cette dernière question, formulée comme un problème auquel les politiques publiques doivent apporter des solutions. Toutefois, il serait intéressant de se pencher également sur les politiques de peuplement dans les quartiers aisés, même si elles ne sont pas mises en scène dans l’espace public10. Nous avons souligné que cela n’indique pas forcément leur absence de politisation.

Enfin, A. Germain se dit frappée par l’absence des habitants dans l’ouvrage. Certaines contributions les évoquent rapidement, comme le texte de P. Renno sur la judaïsation de la Galilée et les représentations des classes moyennes habitant les villages, ou celui de M.

Gibert sur les stratégies de contournement du dispositif du carnet résidentiel au Vietnam par les populations. Au-delà, il est certain que l’ouvrage est centré sur les politiques de peuplement et n’intègre pratiquement pas les stratégies résidentielles des habitants ou encore leurs mobilisations collectives. Pourtant, l’introduction énonce que l’ouvrage sou- haite éclairer « la question des mobilisations autour des enjeux de peuplement, et donc des représentations ordinaires de celui-ci, encore peu présentes dans les recherches sur les politiques urbaines » (pp. 33-34). La rareté des références aux habitants dans l’ou- vrage est sans doute liée à l’absence de réponses portant sur la question, et sans doute au contenu de l’appel à communications. En introduction, les auteurs précisaient s’intéres- ser à « l’action de peupler » comme mode de gouvernement. Toutefois, les dynamiques de peuplement se situent à l’interaction entre marché, politiques publiques et stratégies

9 Gotman, A., 2004. Villes et hospitalité, les municipalités et leurs « étrangers », Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 492 p.

10 On peut tout de même citer la thèse de L. Launay (2011) qui s’est penchée sur la question, Les politiques de mixité par l’habitat à l’épreuve des rapports résidentiels : Quartiers populaires et beaux quartiers à Paris et à Londres,

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résidentielles des habitants. De manière générale, il est vrai que les recherches sur le peu- plement abordent surtout la dimension politique et que les recherches sur les stratégies résidentielles des ménages ou les mobilisations collectives font peu référence au peu- plement. Les travaux qui se penchent sur le lien entre peuplement et politiques urbaines s’intéressent surtout au rôle de l’action publique dans la répartition spatiale des catégo- ries sociales, sans analyser les trajectoires résidentielles des ménages. Une piste pour poursuivre ce travail collectif qualifié de « pionnier » par A. Germain serait sans doute de s’intéresser aux interactions entre politiques publiques et stratégies résidentielles des habitants, dans la lignée des travaux d’H. Coing, ou plus récemment de C. Lelévrier11.

Lina Raad Docteure en Géographie et Aménagement CRIA – Géographie – Cités

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

11 Coing, H., 1966. Rénovation urbaine et changement social : l’îlot n° 4 (Paris 13e), Paris, les Éditions Ouvrières, 295 p. Lelévrier, C., 2010. Action publique et trajectoires résidentielles, un autre regard sur la poli- tique de la ville, Thèse d’Habilitation à diriger des recherches, UPEC.

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Références

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