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Géographie Économie Société: Article pp.497-505 of Vol.17 n°4 (2015)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 497-505

Comptes Rendus

Pierre Campagne et Bernard Pecqueur, 2014, Le développement territorial : une réponse émergente à la mondialisation, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 268 pages.

Remettre en cause le sous-titre de ce très intéressant ouvrage, est-ce lui chercher noise ? Oui, le développement territorial (DT pour la suite), à n’en pas douter, peut s’avé- rer une réponse aux effets pervers de la mondialisation. Mais il aurait fallu aviser le lec- teur dès la page de couverture qu’on lui offre ici, en fait, une facette de ce que peut être le DT. Notre ami Bernard Pecqueur, bien familier des lecteurs de GES comme de tous ceux qui s’intéressent au DT, et Pierre Campagne, économiste rural et professeur émérite au Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Montpellier), connaissent suffi samment bien leur sujet et le Québec pour admettre qu’un territoire situé au nord de Montréal, dans les Basses-Laurentides ou au sud, en Montérégie, où foisonnent les PME manufacturières, peut se développer sans recourir à des produits agri- coles spécifi ques dits aussi « du terroir ». Or, c’est bien à partir d’expériences vécues à la campagne que le lecteur est invité à suivre la démonstration de différents concepts assortis de multiples exemples étayés de façon claire et précise tout au long du volume.

Un titre tel Le développement territorial en milieu rural aurait donné une idée plus juste du contenu de l’ouvrage.

Celui-ci émane des efforts de recherche de près d’une trentaine de chercheurs et doc- torants appartenant au Réseau agriculture familiale comparée lesquels ont initié en 2005 un projet intitulé « Processus d’émergence des territoires ruraux dans les pays méditerra- néens ». Un tableau (p. 148) décrit 10 des 16 zones faisant partie de l’étude. Elles vont de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie à la Palestine en passant, entre autres, par la France et l’Espagne. Quoi de neuf sous le ciel de ces pays ensoleillés ?

Les auteurs évoquent une nouvelle gouvernance, porteuse d’un soi-disant nouveau type de développement qu’ils associent au DT conçu, avec raison, comme étant la suite logique de l’intérêt soulevé antérieurement par développement local (p. 40). On se rap- porte à l’approche mise en évidence à plusieurs reprises où il est fait allusion au bottom-up se substituant au top-down. Nous y reviendrons avec la troisième partie.

Qu’entend-on par « territoire » que les auteurs voient comme une problématique scientifi que en construction ? Il s’agit d’une entité active qui puise son potentiel de déve- loppement dans ses ressources locales, entendues au sens large : avec ses activités, ses acteurs, ses réseaux (p. 173). Il constitue une portion d’espace habitée et construite par

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les acteurs (…) Si le terroir peut être sans projet, c’est précisément l’existence d’un projet de développement qui caractérise le territoire (p. 45). Probablement par souci de bien se faire comprendre, les auteurs répètent à plusieurs reprises que le territoire est : 1- d’abord un espace ; 2- où l’État à un rôle à jouer ; 3- mais surtout où des acteurs (associatifs et privés) assument la responsabilité de sa construction. Dans la première partie de l’ou- vrage qui traite des fondements historiques du DT, on trouve une définition de la ruralité vue à la fois par la négative (ce qui n’est pas urbain), par l’activité (culture et élevage), par la (faible) densité démographique, par la réalité sociale et le rapport aux ressources naturelles (p. 38). Cette réalité géographique, lorsqu’elle donne lieu à l’essor d’un pro- duit ou d’un service qui lui consacre sa spécificité, permet d’évoquer l’existence d’une rente territoriale engendrée par la valeur supplémentaire dégagée. Les auteurs, à quelques reprises, font un rapprochement avec la rente de Ricardo (causée par les coûts de produc- tion différenciés) alors qu’ils auraient pu tout aussi bien faire un rapprochement avec la rente de von Thunen (causée par la distance par rapport au marché). Plus loin (p. 220), on évoque la rente de qualité territoriale qui résulterait parfois d’un long et difficile proces- sus de création de valeur par les acteurs locaux.

Évoquer la spécificité oblige la référence à un modèle dominant (le contraire de la spé- cificité) caractérisé par la production de ce qui est désigné ici comme étant des produits génériques. On donne l’exemple d’un vin de consommation courante permettant aux producteurs de faire leur compte et de satisfaire ce que les auteurs identifient comme étant le niveau social de satisfaction des besoins. Un concept qui rappelle le « travail sociale- ment nécessaire » selon Marx. La ressource qui le produit, dit aussi facteur générique, est indépendant du « génie du lieu » où se situe la production.

À défaut de pouvoir s’engager à l’intérieur du modèle dominant en l’absence des res- sources requises (génériques), les acteurs d’un territoire donné mettent en valeur une res- source spécifique en créant une activité nouvelle qui leur permettra d’atteindre le niveau social de satisfaction des besoins. Le lecteur se verra ici offert à plus soif (sic) l’exemple de la figue sèche de Béni Khedache, en Tunisie. Contrairement à la ressource générique qui peut être commune à de nombreux territoires, ici une ressource particulière donne toute son originalité à un territoire donné. Inutile donc à d’autres territoires de penser imiter la « fameuse » figue sèche de Béni Khedache. Oui, on pense au poulet de Bresse ou, pour les Québécois, au canard de Lac-Brome : inimitables.

C’est dans la deuxième partie, Les composantes du DT, que le lecteur trouvera les explications sur ces derniers concepts. Le tout débutant par un rappel sur les trois zones qui caractérisent les espaces ruraux : favorables, intermédiaires et difficiles. C’est dans les deux dernières, parfois faute de choix, qu’il importe d’innover en oubliant le modèle dominant. Mais encore faut-il respecter certaines conditions mises en évidence par les auteurs, telles l’originalité (produit unique) et la rentabilité (le pouvoir d’être vendu à un prix qui rémunère le travail). On aura compris qu’une étude de marché s’impose au préa- lable plutôt que de s’engager aveuglément. L’organisation de la valorisation, qui fait suite à l’identification de la ressource (la datte exposée au soleil), précède la mise en œuvre de la commercialisation, il va sans dire. Aux yeux des auteurs tout ce qui est antérieur à la p. 174 permettrait de démontrer le caractère radicalement1 innovateur du contenu du DT.

1 C’est moi qui souligne.

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Au cas où le lecteur n’aurait pas compris, on lui sert plusieurs rappels. La voie est donc pavée pour la troisième partie, « Le DT : vers un nouveau modèle de développement ? ».

Voyons voir. Mais auparavant, il importe de souligner certains points.

Il est bien précisé (p. 216) que le DT ne constitue pas une alternative au modèle domi- nant, n’ayant pas cette prétention. On en convient, mais surgit la question soulevée par les auteurs : peut-on envisager un nouveau modèle de développement susceptible d’offrir à certains territoires (intermédiaires ou difficiles) une possibilité nouvelle de développe- ment ? Pour répondre, on juge opportun de rappeler que le DT vise : l’amélioration des revenus, une meilleure satisfaction des besoins, l’auto-entretien (self-reliance), la créa- tion d’emplois, la création d’une valeur économique conduisant à l’élargissement du sys- tème de production concerné (p. 218). Ce à quoi s’ajoutent (p. 226) huit effets présumés générés par le DT. Question : où est la nouveauté ?

Je veux bien admettre que les braves gens de Béni Khedache se voient impliqués dans un modèle qui pour eux est de toute évidence nouveau, mais nous alors ? On n’a pas attendu le XXIe siècle pour remettre en cause l’approche centralisée impliquant un processus descen- dant (top-down). Combien de fois B. Pecqueur a dû citer le classique ouvrage de Stöhr et Taylor2 publié en… 1981, ou encore Friedmann et Waver en 19793. Et que penser du maire- curé Paul Houé de Saint-Gilles-du-Mené en Bretagne dont les premiers travaux remontent au début des années 1970 ? Quid des « Rencontres d’Aurillac » au début des années 1980 sous l’instigation de René Souchon, maire et ancien ministre, et de l’ouvrage collectif publié sous sa direction ?4 D’accord, on parlait alors de développement local et non de DT, mais la démarche et les buts visés étaient alors exactement les mêmes que ceux mis en évidence dans le présent ouvrage. Mais comme cette partie ne compte que pour le dixième de l’ouvrage, il ne vaut pas la peine de trop insister, ce qui précède étant de beaucoup plus important. Et ce, à un point que j’hésite à relever d’autres irritants (que les nombreuses répétitions), mais la critique étant facile, je succombe à la tentation de m’y adonner.

Les « domaines » autogérés en Algérie (p. 60)… J’ai débuté ma carrière d’écono- miste aux services du ministère du Plan et des Finances en 1968. Déjà à cette époque ces grandes fermes étaient en voie de disparition comme forme d’autogestion. Pour être retourné cinq fois en Algérie depuis 2007, je n’en ai plus jamais entendu parler. Je ne serai pas le seul à déplorer l’absence de bibliographie à la fin de l’ouvrage. Les auteurs ont préféré placer leurs nombreuses et fort pertinentes références en bas de page. Ce qui a pour effet de donner lieu à plusieurs XYZ, op. cit. Or, pour retrouver un XYZ il m’a fallu quelques précieuses minutes. Il m’a cependant été agréable de retrouver certains auteurs ou éditeurs du temps de mes études, comme ce cher Maspero.

Je sais gré aux auteurs de fournir par cette contribution une source d’enrichissement en ce qui regarde les concepts développés, évitant de reprendre ce qui est archi-connu. Quant aux exemples, s’ils se limitent à des pays méditerranéens, le lecteur, où il se trouve, saura faire les transpositions qui lui apparaîtront pertinentes.

André Joyal Centre de recherche en développement territorial (Université du Québec)

2 Sthor, W.B et D.R.F. Taylor, (ed), 1981. Development from above or below, John Willey and Sons, New York.

3 Friedmann, J., et C. Weaver, 1979, Territory and Function, E. Arnold Pu., London.

4 Le projet rural, L’Harmattan, Paris 1988.

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Rémi Barré, Thierry Lavoux et Vincent Piveteau (org.), 2015, Un demi-siècle d’environnement entre science, politique et prospective. En l’honneur de Jacques Theys, Paris, Éditions Quæ, Collection Indisciplines, 272 pages.

Une volonté de décloisonner la réflexion et d’énoncer clairement les concepts, une vision prospective : telle est résumée dans l’introduction de cet ouvrage la posture de Jacques Theys, acteur et témoin privilégié des évolutions du développement durable au cours du dernier demi-siècle. Tel est également le fil conducteur annoncé par les édi- teurs scientifiques Rémi Barré, Thierry Lavoux et Vincent Piveteau. L’ouvrage s’ouvre en première partie sur un long entretien de ceux-ci avec Jacques Theys, lui permettant de revenir sur son parcours tant au Ministère de l’Environnement qu’au sein de l’asso- ciation GERMES (Groupe d’exploration et de recherches multidisciplinaires sur l’envi- ronnement et la société) qu’il a cofondé en février 1975 ou encore à l’Institut Français de l’Environnement dont il fut le directeur scientifique de 1993 à 2004. Jacques Theys y aborde en cinq chapitres son positionnement de « passeur entre plusieurs mondes », ses multiples appartenances professionnelles et scientifiques, ses travaux autour de l’envi- ronnement mais aussi ceux dont les pensées, diverses, ont marqué son parcours intellec- tuel : Bertrand de Jouvenel, René Passet, Claude Lévi-Strauss, Jürgen Habermas, Lewis Mumford ou encore Jean-Paul Sartre pour ne citer qu’eux.

La deuxième partie de l’ouvrage donne la parole à cinq auteurs autour du thème des politiques de l’environnement et de leur évolution. Les différentes contributions soulignent la profonde responsabilité du manque (voire de l’absence) de volonté politique dans la rela- tive inefficacité opérationnelle du développement durable. Ainsi Pierre Lascoumes qui, s’il qualifie le Grenelle Environnement de 2007 de « moment important » pour les politiques de l’environnement, en tire toutefois un bilan mitigé du fait de la faiblesse de ses résultats opé- rationnels comparativement à l’ampleur de la communication politique l’ayant entouré. De même, Jean de Montgolfier note le manque de volonté politique pourtant nécessaire selon lui afin de faciliter l’adaptation des forêts au réchauffement climatique. Olivier Godard estime pour sa part que nous avons été « chassés du paradis de la soutenabilité environnementale » et qu’il ne nous reste plus à présent qu’à « choisir entre différents types de développement non durable, entre du peu durable et de l’absolument pas durable ». Il souligne toutefois que le concept de développement durable invite à penser l’accroissement des capacités comme objectif du développement, « en lieu et place de l’obsession pour le bien-être ou l’efficacité économique de court-terme » ce qui permet une avancée majeure dans la prise en compte des générations futures. Cette deuxième partie compte également une contribution d’Edwin Zaccaï autour des propriétés conceptuelles du développement durable et une contribution de Cyria Emelianoff à propos de la ville durable.

La troisième partie de l’ouvrage intitulée « Connaître, informer, évaluer l’environne- ment et les risques : un combat démocratique » se veut davantage construite autour de l’œuvre de Jacques Theys. Les six auteurs y dressent le bilan d’un demi-siècle d’échanges entre scientifiques, politiques et citoyens, majoritairement autour des questions liées à l’évaluation et à la gestion des risques. La contribution de Jean-Claude Lefeuvre ainsi que celle de Sylvie Faucheux et Martin O’Connor sont appuyées sur les travaux de l’asso- ciation GERMES, questionnant les problématiques actuelles au prisme de ceux-ci. Ainsi Sylvie Faucheux et Martin O’Connor développent leur réflexion sur la gouvernance des déchets nucléaires en s’appuyant sur les interrogations autour de la « capacité des démo-

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craties futures à prendre en compte le long terme » du colloque « Quel environnement pour le XXIe siècle ? Maîtrise du long terme et démocratie » organisé par l’association GERMES à Fontevraud en septembre 1996. Rémi Barré quant à lui propose dans cette troisième partie un questionnement autour des limites et potentiels du système français de recherche par rapport au développement durable tandis que Bernard Barraqué consacre sa contribution à la « mesure de l’environnement ». Florence Rudolf et Maryline Di Nardo reviennent quant à elles sur le caractère précurseur de l’ouvrage « La Société vulnérable » codirigé par Jacques Theys et Jean-Louis Fabiani en 1987.

Enfin, dans une quatrième et dernière partie, la parole revient de nouveau à Jacques Theys. Celui-ci détaille les éléments d’une crise actuelle de la prospective en France, entre faiblesse des budgets alloués, crise de crédibilité et difficultés d’appropriation par les cher- cheurs d’une telle démarche. Malgré ces obstacles actuels, il appelle de ses vœux le renou- veau de cette discipline qu’il considère comme une « passerelle entre le débat démocratique, la prise de décision à moyen et long termes et les temporalités de la nature, telles que la science les décrit ». La diversité des travaux exposés dans cet ouvrage offre une rétrospec- tive passionnante sur l’œuvre de Jacques Theys et le dernier demi-siècle d’environnement ainsi qu’un large tour d’horizon des enjeux scientifiques, politiques et sociaux que le déve- loppement durable soulève à l’heure actuelle. Tout en traitant des rôles majeurs tenus par les scientifiques et les politiques dans son avènement (ou son non-avènement) opérationnel, les différentes contributions soulignent la nécessité de révision des institutions actuelles afin notamment de renforcer le rôle des citoyens dans la réponse à ces enjeux.

Marina L.A. SOUBIROU Doctorante enseignante, LabEx Innovation et Territoires de Montagne, UMR PACTE

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Sylvie Fol, Yoan Miot et Cécile Vignal (dir.), 2014, Mobilités résidentielles, territoires et politiques publiques, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.

Mobilités résidentielles, territoires et politiques publiques est un ouvrage collectif dirigé par Sylvie Fol, Yoan Miot et Cécile Vignal. Travaillant tous les trois depuis de nombreuses années sur les mobilités résidentielles, en contexte de délocalisation (Vignal, 2005), de baisse démographique (Miot, 2012) ou encore sur les inégalités face aux mobi- lités (Fol, 2007), cet ouvrage leur permet de rassembler les nombreux questionnements de recherche sur ce sujet, tout en ouvrant le débat à des praticiens. L’ambition est ici d’analyser de quelle façon les mobilités résidentielles contribuent au creusement des iné- galités territoriales et sociales et de « discuter de la place des politiques publiques dans les processus de mise en mobilité des habitants des territoires populaires » (p. 9).

Le préambule de l’ouvrage rédigé par Jean-Yves Authier revient sur le champ de la recherche des mobilités résidentielles et souligne la nécessité d’articuler trajectoires rési- dentielles, professionnelles, familiales et sociales. Il revient sur le rôle de la famille dans la structuration des trajectoires résidentielles : flux patrimoniaux, flux de socialisation et proximité des réseaux familiaux dont seulement la dernière dimension fait l’objet d’une analyse dans cet ouvrage, alors que toutes trois conditionnent les mobilités.

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La première partie rassemble trois chapitres traitant des déterminants des mobilités rési- dentielles et de leurs effets socio-spatiaux. Ces contributions s’articulent autour des déter- minants financiers qui conditionnent fortement les mobilités résidentielles, particulièrement dans les communes ayant comme stratégie d’attirer des membres des classes moyennes et moyennes supérieures et enfin autour des types de quartiers privilégiés par ces derniers.

Dans le premier chapitre, Jean-Claude Driant s’intéresse aux effets de la crise du loge- ment sur les choix résidentiels et donc sur la mobilité résidentielle. En effet, l’accroisse- ment de l’effort financier à fournir pour se loger, quel que soit le type de statut d’occu- pation, influence directement les possibilités de mobilités ainsi que le maintien, ou non, dans une situation de mal logement. Dans le second chapitre, François Cusin montre de quelle façon la mobilité résidentielle est un enjeu majeur pour les villes et induit une spécialisation dans l’attraction de certaines populations (retraités, cadres, étudiants). Afin de mesurer les dynamiques d’attractivité des villes, l’auteur propose plusieurs indica- teurs : soldes migratoires, mesure des mobilités longues et analyse du flux des entrants et sortants qui permet à la fois de mesurer la capacité de ces villes à attirer de nouveaux habitants et à maintenir ceux qui sont déjà présents. Ces indicateurs permettent de mettre en évidence le processus de métropolisation, qu’il définit comme un « processus qui tend à renforcer la concentration des populations, des emplois et des richesses dans un nombre limité de villes. » (p. 65), à l’œuvre dans certaines villes françaises. Marie-Paul Thomas analyse les arbitrages et les hiérarchisations des critères qu’effectuent les ménages lors de leurs choix résidentiels. Elle établit une typologie des ménages interrogés (selon leurs ressources économiques, culturelles et leurs modes de vie) et de leurs quartiers de prédi- lections à partir du cas de deux villes suisses : Berne et Lausanne.

La deuxième partie s’intéresse principalement aux injonctions à la mobilité émises par les politiques publiques à l’encontre des classes populaires. À partir d’une approche com- préhensive, Christine Lelévrier construit une typologie permettant de saisir les différentes attentes et stratégies mises en œuvre lors d’une mobilité contrainte, à savoir la démolition de logements sociaux. En effet, l’accès à un logement social et le départ de celui-ci sont perçus différemment selon les profils sociaux et l’avancée dans la trajectoire résidentielle.

Alors que certains voient dans le relogement une opportunité pour quitter un environne- ment dévalorisé, d’autres y voient un risque de voir ce poste de dépense augmenter ou de perdre des ressources locales. Le cinquième chapitre s’intéresse aux effets escomptés et réels des politiques publiques pour attirer des populations extérieures aux quartiers en cours de rénovation. Émilie Saint-Macary pointe le fait que, contrairement aux acteurs publics qui cherchent à attirer de nouvelles populations en vue d’une plus forte mixité sociale, les promoteurs, eux, ont intérêt à élargir leur marché et donc à également propo- ser des biens immobiliers aux ménages locaux, souhaitant rester dans « leurs » quartiers.

Les chapitres suivants s’intéressent principalement au manque d’approche « sociale » et

« humaine » des organismes chargés du relogement lors de programmes de rénovation urbaine. Pour Joël Messonier, ces organismes ne prennent pas suffisamment en compte les critères d’accès au lieu de travail ou aux réseaux de sociabilité, au détriment des personnes relogées et particulièrement de celles qui ne sont pas motorisées et perdent leurs repères spatiaux. Sophie Lauden Angotti, quant à elle, montre que les personnes relogées suite aux programmes de démolition dans deux quartiers de Tourcoing sont plus pauvres, plus précaires et plus vulnérables que la moyenne des personnes logées dans le

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parc HLM. Par ailleurs, elles sont touchées par l’augmentation de leurs dépenses consa- crées au logement puisque les loyers des logements démolis étaient plus bas que ceux des nouvelles constructions. Le dernier chapitre de cette partie, souligne la nécessité du

« volet humain » lors de l’accompagnement des relogements, qui a été trop souvent mis de côté par rapport au volet « ingénierie ». Ainsi, pour Élise Gassiat Henu, les praticiens de l’urbain ont une connaissance trop mince des habitants, que ce soit concernant leurs attentes, leurs désirs de mobilité ou encore les ancrages dont ils peuvent bénéficier dans ces quartiers perçus comme « repoussoirs ».

La question des ancrages et ressources locales dont disposent les classes populaires est principalement développée dans la troisième et dernière partie de l’ouvrage. Alors que les politiques publiques souhaitent répondre à la ségrégation socio-spatiale en favorisant la venue des classes moyennes et moyennes supérieures dans des quartiers populaires, elles font « sortir » une partie des classes populaires qui y habitent. Or, pour Cécile Vignal, les classes populaires tirent des ressources (politiques, sociales, familiales, professionnelles) de leur ancrage local et durable dans ces quartiers et « les politiques urbaines peuvent faire éclater des ressources de proximité essentielles aux groupes domi- nés et précarisés. » (p. 206) Le chapitre co-écrit par Sylvie Fol et Yoan Miot poursuit la réflexion du chapitre précédent en traitant des politiques de mobilité résidentielle, que cette mobilité soit entrante en ce qui concerne les « couches moyennes » ou sortante pour les classes populaires au sein des Shrinking cities, villes en décroissance. Le chapitre de Martin Omhovère présente une étude qualitative réalisée dans le quartier de Gambetta à Montpellier jouant depuis longtemps le rôle de lieu d’accueil des nouveaux immigrés.

Il montre de quelle façon la proximité spatiale avec les commerces et les pairs permet aux catégories populaires et immigrées qui y résident de bénéficier de réelles ressources sociales et professionnelles, pourtant perdues suite à la migration. Cette troisième partie permet aux auteurs, dans la continuité de leurs travaux, de montrer de quelle façon l’an- crage local permet aux classes populaires de bénéficier de ressources multiples malgré l’injonction à la mobilité à laquelle ils doivent faire face.

Cet ouvrage permet de rassembler de nombreuses réflexions et études sur les politiques publiques de rénovation urbaine ainsi que sur les pratiques spatiales des classes popu- laires. Cela en fait un ouvrage avec des parties assez disparates et principalement porté sur le cas français. La description et l’analyse des mobilités résidentielles des classes moyennes et moyennes supérieures sont les grandes absentes de ce livre bien que certains chapitres cherchent à comprendre les politiques publiques ayant pour but de faire venir celles-ci dans les quartiers populaires. Cet ouvrage est cependant une porte d’entrée inté- ressante pour toute personne s’intéressant, avec un point de vue critique, aux politiques urbaines des dix dernières années. De plus, il s’avère être une ressource instructive pour ceux qui travaillent sur les quartiers populaires et leurs habitants.

Claire Gellereau Doctorante en Sociologie, Clersé-Université Lille

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Nathalie Ortar, 2015, La vie en deux. Familles françaises et britanniques face à la mobilité géographie et professionnelle, Paris, Editions PETRA, 374 pages.

Le livre de Nathalie Ortar a l’originalité de s’intéresser à un groupe de travailleurs mobiles peu étudiés par la littérature. Ni expatriés ou impatriés de grandes entreprises ni hauts fonctionnaires en mobilité à l’étranger, sa recherche porte sur la mobilité spa- tiale de salariés, cadres et non cadres, en couple biactif. Souvent contrainte, parfois choi- sie, la mobilité est dans le cas présent peu associée à un projet de mobilité sociale. Elle recouvre des situations professionnelles et des statuts sociaux très hétérogènes. Trois groupes se distinguent néanmoins dans l’enquête : des travailleurs mobiles dont la pro- fession implique des déplacements réguliers, des salariés dont l’emploi a été délocalisé, des personnes travaillant loin de leur domicile alors que leur activité ne nécessite pas de déplacements. Dans les deux premiers cas, il s’agit plutôt d’une mobilité imposée par l’activité elle-même, comme pour les techniciens ou ouvriers travaillant sur des chantiers éloignés de leur domicile, les cadres commerciaux ou les salariés obligés d’être mobiles pour conserver leur emploi en contexte de restructuration. Dans le troisième cas de figure, la mobilité est un choix à l’initiative des salariés, souvent qualifiés, qui décident d’être mobiles soit en vue d’une promotion professionnelle soit dans l’optique d’un choix de vie impliquant un déménagement dans un autre pays, comme dans le cas des couples britanniques étudiés, avec le maintien d’une activité en Grande-Bretagne pour l’un des conjoints. Alors que les femmes constituent 49% des migrants, l’essentiel des travailleurs mobiles interviewés sont des hommes, à l’exception d’un petit nombre de femmes plus âgées sans enfants ou avec des enfants adolescents ou jeunes adultes. Comme le souligne l’auteure, cette surreprésentation des hommes peut s’expliquer par la rentabilité différen- tielle de l’absence de l’homme ou de la femme en fonction des revenus, mais à statut pro- fessionnel identique, ce sont les hommes qui sont plus mobiles et les femmes qui restent les organisatrices du quotidien.

De manière originale, l’enquête s’intéresse au vécu professionnel et personnel de cette mobilité pour les deux conjoints – ceux qui bougent et ceux qui restent. A l’instar d’autres enquêtes sur le temps partiel ou le télétravail, souvent négociés comme contrepartie à une grande mobilité, l’auteure souligne la surcharge de travail, les difficultés d’organisation et la culpabilité associées à cette « posture d’obligé » vis-à-vis de l’employeur. De manière plus originale, elle souligne l’effet de l’absence physique sur l’accès aux coulisses de l’organisation et sur la participation aux temps de sociabilité, avec pour effet une forme de désocialisation et d’isolement peu propice à la promotion professionnelle. De manière moins systématique, mais très importante pour les salariés les moins qualifiés, le coût financier des déplacements vient grever de manière significative la rentabilité de la mobi- lité. Sur un plan plus personnel, cette mobilité quasi-permanente ne constitue pas une opportunité de voyage et de dépaysement. Loin de révéler un désir de détachement ou d’affaiblissement des lieux comme supports de l’identité sociale et personnelle, l’enquête de Nathalie Ortar souligne, au contraire, l’effort constant des travailleurs mobiles pour

« habiter » leurs déplacements et apprivoiser les lieux de transits (hôtels, gares, trains, voiture). Loin de s’épanouir dans une « vie à soi », les travailleurs mobiles s’enferment souvent dans un mode de vie ascétique consacré au travail et tentent tant bien que mal de participer à distance à la vie familiale. Le retour à la maison comporte d’autres difficultés.

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Retrouver sa place dans la famille, avoir l’énergie de s’occuper des enfants et d’aider le conjoint dans les tâches ménagères dans un temps très court contribuent à accroitre le sentiment de fatigue physique et morale. Comme le souligne l’auteure, le « risque est de devenir un visiteur partout » (p.168).

Du côté de ceux (et surtout celles) qui restent, le coût de la mobilité du conjoint est également conséquent, tant sur la charge familiale qu’elles sont seules à assumer que sur la perte d’emploi et/ou le maintien dans l’emploi, mais avec des contraintes horaires très strictes et sans l’aide des proches ou sans capacité à créer un réseau relationnel local, par manque de temps, d’énergie et/ou de compétences linguistiques. Vivre ensemble séparé- ment génère de nombreuses tensions et souligne l’importance pour les familles de conser- ver des rituels et des lieux partagés, comme par exemple une maison secondaire, pour continuer de faire exister une identité familiale partagée. Loin de présenter une image positive de la mobilité, cette enquête souligne au contraire comment mobilité rime avec instabilité. Certains individus sont plus équipés pour y faire face, ont plus de revenus pour se faire aider ou ont été davantage socialisés à ce mode de vie, mais pour la plupart, il s’agit d’une expérience manifestement très pénible sur le long terme.

De ce point de vue, cette recherche contribue à désenchanter le mythe du salarié mobile comme nouvelle figure « heureuse » de la modernité. On peut regretter que la compa- raison entre familles britanniques et françaises n’est pas fait l’objet d’une analyse plus systématique. De même que l’on ne comprend pas bien à quoi correspond la méthode de

« l’ethnographie itinérante » adoptée par l’auteure ni quelles ont été les conditions de ren- contre et les critères de sélection des interviewés, le choix d’interroger des Britanniques est peu justifié. Cela dit, le zoom sur la mobilité des Britanniques est intéressant à plu- sieurs titres. Elle montre l’attrait spécifique de la maison à la campagne associé à un projet parental pour les citadins britanniques (qualifiés), mais aussi la sous-estimation des contraintes liées à cette expatriation dans des zones rurales où l’emploi qualifié est rare et le coût de la vie plus élevé que celui anticipé. L’enquête révèle aussi le coût professionnel de la mobilité familiale en France pour les femmes britanniques, souvent associée à une inactivité forcée ou un déclassement professionnel. Si la diversité des situations étudiées, y compris dans une dimension comparative, fait la richesse du livre, quelques enseigne- ments plus généraux auraient peut-être permis de mieux saisir ce qui est commun dans l’expérience de la mobilité et ce qui fait varier son vécu.

Cécile Guillaume Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques Université des Sciences et Technologies de Lille (USTL)

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

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