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Géographie Économie Société : Article pp.143-155 du Vol.17 n°1 (2015)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 17 (2015) 143-155

Comptes Rendus

Olivier Piron, 2014, L’Urbanisme de la vie privée, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 202 p.

Ceux qui ont lu les divers ouvrages et articles d’Olivier Piron connaissent son ton parfois provocateur et son goût pour les questions décalées. L’ouvrage qu’il nous livre ici, L’urbanisme de la vie privée, ne déroge pas à ses habitudes. L’auteur y propose, sous une écriture fluide, sous des propos tantôt acerbes, tantôt drôles, tantôt revendicatifs, de poser un regard nouveau sur la place des logiques privées dans la structuration actuelle des territoires de la France métropolitaine.

Faisant état d’une idéologie urbaine dominante, qui valorise la densité, le logement collectif, la coprésence urbaine et la mixité sociale, Olivier Piron montre qu’elle n’a que peu influencé les dynamiques territoriales, plutôt orientées par les préférences des ménages et des entreprises. De ce constat, il tire la conclusion que l’urbanisme doit avant tout prendre en compte ces logiques privées pour espérer peser dans l’évolution des ter- ritoires et du parc résidentiel. Disons-le tout de suite, l’intérêt de L’urbanisme de la vie privée ne réside pas dans la nouveauté des faits rapportés, largement connus, mais dans la manière de les présenter et de les articuler.

L’ouvrage, agréable à lire en raison d’une écriture fluide et de rappels réguliers des arguments et conclusions de l’auteur, totalise 202 pages et est organisé en neuf chapitres.

Le premier chapitre présente ce que l’auteur appelle l’idéologie urbaine. Il s’agit d’un ensemble de discours qui mettent en avant la densité, l’idéal de coprésence urbaine et de mixité sociale justifiant cette densité, et qui présentent le tout urbain comme un fait, voire une chance, en s’appuyant sur des discours scientifiques. Mais cette idéologie urbaine oublie les particularités des territoires en dehors des villes centres. Face à ce discours venant du haut (mais d’où exactement ? On ne le saura pas), l’auteur propose dans le deuxième chapitre de partir du bas, des préférences des ménages et des entreprises pour

« refonder l’urbanisme » (p. 48). Puisque, et il entend le démontrer par la suite, c’est la demande privée qui structure les territoires et non la planification ou les incitations de l’idéologie urbaine, il est nécessaire de penser un « urbanisme de la vie privée ». Pour sa démonstration, Olivier Piron s’appuie sur un corpus de données nationales, fournies par l’Insee, qu’il présente dans le troisième chapitre. Ce corpus de données sociodémo- graphiques générales (densité communale, taille des logements, taille des ménages, âges, etc.) est appliqué au découpage en aires urbaines de 1999 et à un découpage ad hoc, pro- posé par l’auteur, s’appuyant sur les densités communales.

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Dans les chapitres quatre, cinq et six, l’auteur examine donc les évolutions territoriales au regard des préférences des ménages. Notons tout de suite que, malheureusement, les entreprises disparaissent complètement du propos après les premiers chapitres : l’auteur se contente de présenter ses analyses sur les ménages sans évoquer les autres acteurs privés, pourtant mis sur le même plan en introduction. C’est d’autant plus dommage que les don- nées concernant les entreprises et l’emploi sont tout aussi facilement accessibles que celles concernant les ménages et leurs logements. Se concentrant uniquement sur les ménages, l’auteur montre ainsi que confort domestique (surface de logement disponible par per- sonne), confort spatial (densité) et confort paysager (accès aux espaces ouvert) ont globale- ment augmenté depuis les années 1970. Pour lui, cette demande de confort a été le principal moteur de la constitution du parc résidentiel actuel et s’est traduite par le phénomène de périurbanisation et plus récemment de revitalisation rurale. Dans les territoires denses (les villes centre et leurs banlieues), le départ de populations en périphéries a permis de ne pas dépasser un seuil de « densité pivot », autour de 4 000 habitants par kilomètre carré, seuil au-delà duquel la densité n’est plus acceptée. Le chapitre six est consacré essentiellement à la maison individuelle, qui est le produit immobilier qui a permis de satisfaire la demande de confort des ménages dans des conditions économiques acceptables.

Les deux chapitres suivants sont consacrés à l’étude des configurations territoriales résultant des critères de choix des ménages en matière de localisation résidentielle et de produits immobiliers. Les cadres et élites étant les populations qui valorisent le plus la densité et la proximité spatiale, les villes centre les accueillent prioritairement, et excluent les autres populations, au budget plus limité et aux attentes différentes. Cela explique en partie la portée de l’idéologie urbaine décrite au premier chapitre, puisque les élites, qui vivent dans la ville dense en font le seul prisme de lecture des territoires. L’auteur porte une attention particulière aux immigrés : leur présence massive dans la ville dense s’explique par l’absolue nécessité dans laquelle ils se trouvent, faute de capital social, culturel et économique suffisant, de rester à proximité des pôles offrant des opportunités d’emplois très peu qualifiés. Eux seuls ne sont pas en mesure de se déplacer pour échap- per à des densités trop élevées, que l’on rencontre notamment en Seine-Saint-Denis. Si cette idée est intéressante et mériterait des travaux plus poussés, on ne peut qu’être surpris que l’auteur mette dans le même panier tous les immigrés, en les réduisant à une « immi- gration visible » (p. 127), sous-entendu originaire d’Afrique. Or un rapide coup d’œil sur les données de l’Insee montre que si 43 % des immigrés viennent d’Afrique, 38 % sont originaires de pays Européens. Les conditions sociales de ces populations peuvent ainsi être très variées. Ce n’est d’ailleurs pas le seul passage où la manipulation des don- nées par l’auteur est quelque peu approximative (confusion des moyennes et des valeurs absolues, absence de sources, etc.), ce qui enlève une partie de la force des arguments et interroge certaines conclusions. C’est toutefois dans le chapitre huit que l’auteur apporte ses arguments les plus intéressants et où le lecteur saisit la portée de son changement de regard. Pour Olivier Piron, le développement périurbain n’est pas un problème, mais

« une solution aux problèmes posés par les villes dont les habitants ne veulent pas être densifiés, ou qui entendent maîtriser leur développement spatial » (p. 147). Ainsi, les dif- férenciations territoriales issues des évolutions de ces quarante dernières années, qui ne gomment ni l’unité territoriale républicaine ni les risques de fracture sociale, ont pro- duit un système qui fonctionne relativement bien : « en définitive, la prise en main de

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l’urbanisme par les Français a débouché sur un résultat cohérent, mais loin des intentions initiales de l’idéologie urbaine » (p. 151). Les logiques privées ont donc créé un fonction- nement relativement satisfaisant au regard des critères de confort domestique et spatial des ménages, de besoins de mobilité des actifs et de localisation des entreprises dans des bassins d’emplois permettant un recrutement adéquat.

Le dernier chapitre présente trois « interpellations », qui sont autant de problématiques actuelles que l’entrée par les logiques privées doit permettre de (re) considérer. Il s’agit d’abord de la transition énergétique, qui ne fera pas qu’imposer des évolutions techniques mais peut peser sur les formes d’urbanisation futures, notamment parce que certaines techniques néces- sitent des densités relativement faibles. Il s’agit ensuite du mal logement, puisque la hausse continue des normes techniques et de confort risque de renforcer les phénomènes d’exclusion.

Enfin il s’agit du développement d’internet, qui limite les besoins de coprésence. Après ces trois interpellations, l’auteur propose une courte conclusion, qui reprend ses principaux argu- ments et met en avant la nécessité d’un urbanisme « partant des demandes actuelles liées à la vie privée, mais sachant intégrer les valeurs comme les exigences collectives » (p. 175).

Cet ouvrage vaut surtout pour le renversement du regard proposé par l’auteur, en déca- lage avec les discours habituels, et pour certaines idées fortes qui pourraient faire l’objet d’analyses plus poussées, comme la notion de densité pivot ou l’étude des logiques pri- vées dans les structurations territoriales des agglomérations ou des territoires régionaux.

Mais il laisse le lecteur avec quelques regrets, notamment parce que certaines pistes ouvertes ne sont pas réellement explorées.

Le principal regret est que, bien que le terme d’urbanisme soit présent dans le titre et parsème l’ouvrage de l’introduction à la conclusion, il n’est pratiquement jamais véritablement question d’urbanisme au sens le plus communément admis, celui d’« un champ d’action [...] qui vise à créer dans le temps une disposition ordonnée de l’espace en recherchant harmonie, bien-être et économie » (Merlin, 2013, p. 4)1. La réflexion de l’auteur porte plutôt sur l’urbanisation, sur les formes de la croissance urbaine à l’échelle des agglomérations, voire à une échelle plus large. Cela est d’autant plus étonnant que, finalement, la question centrale de l’ouvrage interroge fondamentalement l’urbanisme : l’urbanisme (et plus largement l’action publique) doit-il accompagner et encadrer les ini- tiatives privées, en adaptant la réalité pour que ces initiatives n’aillent pas à rebours de certains grands principes, ou doit-il définir ce que doit être la ville à partir de ces grands principes, et contraindre les initiatives individuelles et privées dans un cadre prédéfini ? En d’autres termes, l’urbanisme doit-il permettre aux modes de vie de s’exprimer au mieux ou au contraire façonner ces modes de vie en transformant l’espace ? Si l’on com- prend que l’auteur est très critique vis-à-vis de la seconde approche, il n’affirme pas com- plètement la nécessité de la première en dehors de son appel à un « urbanisme de la vie privée », et propose encore moins une vision concrète de ce nouvel urbanisme : quel est le rôle de l’urbaniste ? Quelle doit être la position de la puissance publique ? À quelle(s) échelles faut-il intervenir ? Comment déterminer les attentes ? C’est d’autant plus regret- table qu’à la lecture de l’ensemble de l’ouvrage on pourrait penser que finalement, il n’est nul besoin d’urbanisme puisque les logiques privées suffisent à produire des territoires qui répondent aux attentes privées. Est-ce vraiment là le point de vue de l’auteur ?

1 Merlin, P., 2013. L’urbanisme, Que-sais-je ?, Paris, Presses universitaires de France.

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Le second regret renvoie également au titre : alors que la « vie privée » est mise en avant comme un élément fondamental, cette notion n’est pas véritablement explorée. En intro- duction, l’auteur semble réduire la vie privée aux activités individuelles, familiales et éco- nomiques s’exprimant dans l’espace privé. Mais il existe pourtant une multitude d’activités privées qui ont lieu dans l’espace public. On sait de plus que les rapports entre sphère publique et sphère privée, tant du point de vue des individus que des acteurs économiques et des insti- tutions publiques, ne cessent de se recomposer, que les porosités se multiplient, en particulier dans le champ de l’urbanisme, ce qui rend difficile une lecture aussi tranchée que celle propo- sée ici. L’auteur en est ainsi pratiquement conduit à identifier l’idéologie urbaine au discours public émanant d’une puissance publique monolithique (sans pour autant le dire aussi claire- ment), oubliant que de nombreux acteurs privés véhiculent également, dans la sphère publique comme privée, les valeurs de coprésence spatiale, de densité, de mixité sociale.

Enfin, on peut regretter que l’analyse des choix des ménages se fasse uniquement sous le prisme des préférences, omettant largement la dimension des contraintes, pour- tant essentielles en matière de choix résidentiels. Si l’auteur rappelle quelquefois que les choix sont économiquement contraints, ces contraintes n’entrent pas dans la construction de l’argumentaire. On aurait ainsi presque l’impression que la périurbanisation ou l’éloi- gnement des ménages des villes centre sont des phénomènes uniquement guidés par les désirs des ménages. On sent derrière cela un positionnement théorique considérant que les choix économiques des acteurs privés sont toujours optimisés, et que les contraintes n’offrent donc pas une lecture adéquate des comportements privés. Ce point de vue peut être défendable, mais il aurait été bienvenu qu’il soit clairement exprimé.

L’urbanisme de la vie privée est donc un ouvrage intéressant, qui ouvre bien des pistes de réflexion et qui mérite d’être lu pour la fraîcheur de certaines idées, mais qui, n’allant pas au fond des questions qu’il pose, pourra laisser sur leur faim certains lecteurs.

Nicolas Persyn IUAR – Aix-Marseille Université / LIEU UMR Géographie-Cités / Équipe CRIA Réseau des Jeunes Chercheurs du Foncier :

www.rjcfoncier.hypotheses.org

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Sylvie Fol, Sonia Lehman-Frisch et Marianne Morange (sous la dir.), 2013, Ségrégation et justice spatiale, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 352 p.

Se fier à la 1re et à la 4e couverture de cet ouvrage s’avère trompeur, car rien n’indique que, pour pas moins de huit chapitres, la langue de Shakespeare s’impose. Le bilinguisme fait l’objet de trois chapitres alors que le français fait figure de langue minoritaire ne trou- vant place que dans trois autres chapitres. Si l’expression « justice spatiale » porte à confu- sion, voire à discussion, cependant, le mot « ségrégation » respecte bien le contenu de cet ouvrage collectif. Les deux premières lignes de la présentation du volume apprennent à ceux qui, comme moi, ont été privés durant leur scolarité de la culture latine, que le mot segregare signifie « mettre un animal à l’écart du troupeau ». D’aucuns se demanderont si

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Himmler et sa Reichssicherheitshauptamt en étaient conscients… Pour tout lecteur, si le mot ségrégation fait penser aux ghettos, il évoque également la ségrégation raciale encore très prégnante aux États-Unis et surtout dans les États ayant eu à affronter les Yankees lors de la guerre de Sécession. Celle dont il est question dans ce volume se situe en milieu urbain. Reste à savoir si elle s’accompagne d’injustice. L’exemple de Montréal, où l’ouest et l’est de la ville jusqu’à il y a trente ans partageaient au couteau les communautés anglo- phones et francophones, ne milite pas dans le sens de l’injustice. Il en va de même de nos jours avec ses quartiers où se retrouvent d’une part les Maghrébins et les Haïtiens d’autre part. Comme le dit l’adage : qui se ressemble se rassemble. Vraisemblablement, chez les humains, la ségrégation se veut parfois volontaire et bien inoffensive.

Mais, comme ici il faut évoquer l’injustice urbaine, les responsables de l’ouvrage, en entrée de jeu, citent Henri Lefebvre pour qui la ségrégation est fondamentalement injuste dans la mesure où elle se présente comme un obstacle au droit à la ville. Ainsi, l’ouvrage ambitionne d’apporter une contribution aux réflexions sur les liens entre ségrégation et justice en tirant profit de l’échange entre chercheurs d’origine variée, soit de France, d’Ir- lande, des États-Unis, d’Afrique du Sud, d’Israël et d’Argentine. Comme on le devine, le tout fait suite à un colloque ayant pour titre Justice et injustices spatiales tenu à l’Uni- versité Paris Ouest Nanterre La Défense en mars 2008. Avec un tel sujet, il n’y avait pas urgence à publier, car ce qui était vrai à l’époque l’est toujours aujourd’hui.

La première des quatre parties intitulée Gentrification, régénération urbaine et urba- nisme néolibéral mondialisé débute avec une contribution d’un géographe de la School of Geography of University of Leeds, Stuart Hodkinson, qui se demande si, en Grande Bretagne, avec l’évolution que prennent certaines villes, il n’y a pas lieu d’évoquer l’oc- currence d’une New Urban Enclosure en référence à celles ayant eu lieu durant les années de braise de la révolution industrielle. Il s’agit donc ici, à partir de l’exemple de Leeds, de mettre en cause la volonté des élus locaux de donner un nouveau visage aux quartiers populaires dont les conséquences ont eu pour effet de favoriser une gentrification aux dépens des classes moins favorisées. Pour l’auteur, le danger existe de voir la ville deve- nir graduellement enclosed étant donné que les services publics, les espaces et certaines infrastructures se trouvent placés sous le contrôle de grandes corporations soumises au jeu du marché. Vient ensuite Projet néo-libéral et coût social de l’urbanisme entrepre- neurial à Dublin de trois auteurs dont deux sont du Department of Geography de Trinity College, l’autre étant géographe à la National University of Ireland. On doit la traduc- tion aux trois responsables de l’ouvrage. Par ce chapitre, les auteurs veulent souligner le caractère, à leurs yeux très contestable, d’une culture entrepreneuriale qui a pris forme au sein des pouvoirs locaux. La planification urbaine qui en découle - on évoque des plans d’urbanisme intégrés - donne lieu à des déplacements de populations prenant la forme de

« nettoyage social » qui offre aux promoteurs mobiliers de très lucratives opportunités.

Dans un chapitre subséquent, une auteure appartenant à un organisme d’Oakland, en face de San Francisco, Miriam Chion, traite de cette dernière sous l’angle de la vitalité. Un chapitre qui n’a pas manqué de me rappeler des souvenirs, ayant été visiting scholar à l’UCB de Berkeley en 1980. À l’époque, c’est le quartier gay Castro qui se distinguait par sa ségrégation on ne peut plus volontaire. Il est ici, trente ans plus tard, question du concept de smarth growth mis de l’avant dans le quartier Eastern Neighborhood qui ne fait pas, là également, que des heureux en particulier parmi des citoyens hispanophones.

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La partie suivante Espaces publics et exclusion spatiale débute par un chapitre, que l’on doit à une géographe du cru, Teresa Dirsuweit, et qui se rapporte à la politique dite de proxi- mité à Johannesburg. Comme il est question de tolérance, l’enfer étant pavé de bonnes inten- tions, l’auteure se demande si les classes les moins favorisées, au nom de la vertu, doivent payer les frais des politiques d’urbanisme mises en œuvre. Le lecteur se voit ensuite inviter à traverser l’océan en passant par la Patagonie pour retrouver dans la capitale argentine à la faveur d’un chapitre dans lequel une chercheure de l’Universidade de Buenos Aires, Maria Carman, à son tour, en adoptant un point de vue anthropologique, s’interroge sur les consé- quences des land depurationpractices. Au bénéfice de qui doit-on organiser l’espace et à qui revient le droit d’en faire usage ? On trouve comme étude de cas la situation du village Gay, lequel n’a rien à voir avec le village du même nom de Montréal, ou le quartier Castro de San Francisco. Il doit son nom à la gaieté des cartoneros, ces récolteurs de rebus destinés au recy- clage qui gagneraient leur pitance en démontrant une certaine… gaieté (sic).

La troisième partie, Ségrégation et reconnaissance politique, débute par un texte en français de Frederick Douzet de l’Institut français de géopolitique (Paris 8) qui traite de la ségrégation résidentielle en Californie. Le tout commence par une allusion au célèbre slogan révolutionnaire No taxation without representation. S’en suit un rappel d’une série de propositions à caractère très conservateur qui ne manquent pas d’étonner l’auteur avec raison. La Californie, encore durant les années 80, n’était-elle pas considérée comme un laboratoire social ? L’auteur se demande comment jauger la ségrégation dans un État où les Blancs sont devenus minoritaires et où, elle aurait pu ajouter, on s’est déjà inspiré des lois linguistiques du Québec pour préserver… l’anglais. Aujourd’hui, l’auteur fait observer que les tensions sociales existantes rappellent l’époque où la Constitution améri- caine fut élaborée par les Pères fondateurs : les anti-fédéralistes soucieux de défendre les pouvoirs locaux s’opposent aux fédéralistes favorables à une démocratie représentative à partir de l’équilibre des pouvoirs. Le dernier chapitre de cette partie L’espace, le politique et l’injustice débute par la contribution d’un géographe de la Royal Holloway, University of London, Mustafa Dikeç, qui, malgré des allusions à la Politique de la Ville en France, aborde son sujet sous un angle théorique. Pour l’auteur, l’espace ne doit pas se concevoir comme un support passif du politique. Étant en devenir, il joue un rôle causal, voire trans- formateur. Reprenant les idées de Lefebvre, l’espace social, selon ce géographe d’outre- Manche, pour naturaliser autant soit-il, n’est pas naturellement donné.

La dernière partie Ségrégation spatiale, équité territoriale et accès aux ressources urbaines s’ouvre avec la contribution de Emre Korsu et de Sandrine Wenglensky de Paris- Est Marne - la -Vallée qui traite des inégalités face au chômage par le constat que chacun connaît : les ouvriers non-qualifiés sont victimes d’un taux de chômage 5 fois plus élevé que les cadres supérieurs. La faible accessibilité à l’emploi s’expliquerait par un spatial mismatch vu comme la dissolution croissante entre lieux d’habitat et lieux de travail. Il suffit de visionner régulièrement le 20 heures de France 2 pour comprendre de quoi il s’agit. Trois raisons feraient comprendre pourquoi le fait de vivre dans des quartiers déva- lorisés rend difficile l’accès à l’emploi. Comme on le devine aisément je m’en tiendrai ici qu’à l’absence d’intégration dans des réseaux sociaux (rien à voir avec les Facebook de ce monde) susceptibles de fournir l’information pouvant conduire à l’emploi. Le tout dernier chapitre qui s’interroge sur l’immobilité comme facteur d’injustice sociale est l’œuvre de Marie Hélène Bacqué et de Sylvie Fol respectivement de Paris Ouest et de Paris 1. La

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thèse du spatial mismatch soulève ici la controverse tout en reprenant des éléments du précédent chapitre, telle l’allusion aux réseaux sociaux. Ces derniers existent bel et bien et favorisent une certaine cohésion sociale. Les gens s’identifiant les uns aux autres n’ont pas une forte propension à aller ailleurs à la recherche d’emploi.

Un ouvrage rédigé par des géographes qui, par son sérieux et sa rigueur, ne s’adresse pas uniquement aux disciples d’Élisée Reclus, les économistes et les sociologues pouvant y puiser d’importantes sources d’information et de réflexion.

André Joyal Chercheur au Centre de recherche

en développement territorial Université du Québec

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Laurent Davezies et Magali Talandier, 2014, L’émergence de systèmes productivo- résidentiels. Territoires productifs – territoires résidentiels, quelles interactions ? Paris, La documentation française, CGET, Travaux n° 19, 132 p.

De dimension modeste, cet ouvrage doit être abordé pour ce qu’il est vraiment : un rapport commandité en 2010 par la DATAR aux deux auteurs dont L. Davezies est le plus connu pour ses travaux sur l’économie résidentielle. Professeur au CNAM et titulaire de la chaire « Économie et développement des territoires », il fait ici œuvre commune avec M. Talandier, maître de conférences à l’Université Joseph-Fourier de Grenoble avec qui il a créé l’ŒIL (Observatoire de l’économie et des institutions locales). Ce dernier, tel que précisé, fait appel à une méthode originale qui donne à voir une nouvelle géographie des territoires français. Une telle responsabilité, on le comprendra, oblige à se mettre en garde contre toute forme de myopie.

La toute première ligne de l’introduction fait allusion aux termes d’économie « rési- dentielle » ou « présentielle » qui auraient - rien de moins (!) - envahi récemment le pay- sage de l’analyse territoriale. J’admets que c’est en effet ce qui m’a fait connaître l’auteur de La République et ses territoires (2008). Pour la suite des choses, les auteurs prennent pour acquis que le lecteur se trouve déjà bien au fait de la portée d’un concept dont ils n’ont pas jugé nécessaire de fournir une explication détaillée.

Fidèle à elle-même, La documentation française a invité les auteurs à présenter sur papier glacé les résultats de leur étude à l’aide d’une cinquantaine de figures montrant l’Hexagone sous toutes ses couleurs, au sens propre du terme, accompagnées d’un grand nombre de tableaux dont certains laissent perplexes malgré les efforts requis pour en tirer l’information pertinente. Ainsi, toujours en introduction, un premier tableau intitulé « La décomposition des éléments des bases économiques des territoires étudiés (ZE) » nous apprend que la moyenne arithmétique des territoires ( %) en ce qui regarde l’AHH est 0,2, alors que l’aide des dépar- tements - ASE se situe à 0,4. Disons que l’on connaît des introductions moins brutales. Il me faudra atteindre la moitié du volume pour comprendre que « ZE » signifie zone d’emplois.

Tel qu’ils le précisent, les auteurs ont pour objectif de dépasser les oppositions binaires entre économie résidentielle et économie productive, entre grandes régions métropoli-

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taines, responsables de la croissance et régions périphériques (comme on dit au Québec) susceptibles de bénéficier des revenus résidentiels. Pour ce faire, il s’agissait de véri- fier l’hypothèse d’interaction impliquant l’existence d’une relation réciproque qui évite le « parasitage » du résidentiel sur le productif. Hypothèse vérifiée : on peut parler en termes de synergie « productivo-résidentielle » qui caractériserait l’évolution solidaire des territoires français. C’est cette synergie qui jouerait au sein de systèmes productivo- résidentiels (SPR) que l’ouvrage définit et caractérise.

Dans une section portant sur la redistribution spatiale des revenus par les budgets publics, on lit que dans tous les pays du monde, passé un niveau élémentaire de déve- loppement, les régions les plus riches et productives redistribuent d’importants montants de revenus vers les espaces moins développés de leur pays par le jeu des prélèvements et des dépenses publiques. Ou encore, comme l’a démontré Mario Polèse en relation avec la Gaspésie (la région la plus périphérique du Québec), par la redistribution des revenus sous la forme d’allocations sociales. En relation avec ce qui a fait connaître L.

Davezies parmi les spécialistes des sciences régionales, l’autre extrémité du Canada offre un intéressant exemple des conséquences de l’économie résidentielle. En pleine crise du début des années 1980 marqué par la stagflation en Occident2, lors d’un colloque tenu à Montréal, j’ai pu entendre un représentant de Nainamo brosser un tableau très sombre de cette ville située sur l’Île de Vancouver. Suite à la fermeture de plusieurs entreprises œuvrant dans le secteur des ressources naturelles, le taux de chômage frôlait les 20 %.

Quelque vingt ans plus tard j’ai pu constater sur place un changement radical de situation.

De nombreux retraités de Toronto ayant vendu leur maison à un prix très élevé sont venus s’y établir en achetant une maison équivalente pour le cinquième du montant obtenu à Toronto. Leur pouvoir d’achat a grandement stimulé l’économie locale de même que leur épargne, transformée en épargne de proximité, dont ont bénéficié les entrepreneurs locaux pour diversifier l’économie locale. C’est en quelque sorte une telle évolution dont les auteurs font part en ce qui regarde la France.

En effet, on évoque le million d’emplois perdus dans la « fabrication » de 1982 à 2006 et presque autant dans l’agriculture. Or, ces pertes ont été plus que compensées par des créations d’emplois liées à la « présence » des populations : 1,1 million en « santé action sociale », 1 mil- lion d’emplois en « services de proximité », et 800 000 emplois d’« administration publique ».

Ainsi, les emplois de l’hôtellerie et de la restauration ont augmenté de façon spectaculaire.

Alors, est-il pertinent de se demander si l’économie résidentielle pénalise l’économie pro- ductive ? En d’autres mots, le succès des territoires résidentiels explique-t-il les difficultés de (certains) territoires productifs ? L’exemple de cette ville de la Colombie britannique tend à répondre par la négative. C’est d’ailleurs ce que répondent les auteurs pour qui l’objectif prin- cipal de leur étude consiste précisément à démontrer l’existence d’une synergie positive entre les deux types de territoires. S’il ne faut pas tirer sur le pianiste, il en est de même ici : tirer sur les territoires résidentiels peut tuer les territoires productifs soulignent-ils.

Un passage sur les résidences secondaires (expression typiquement franco-française)3 précise que posséder une telle résidence est une spécialité des descendants des Gaulois et ce serait surtout une spécialité francilienne. C’est ici que j’ai pu me familiariser avec le

2 Mon prêt hypothécaire s’élevait à 17 % alors que mon prêt auto se situait à 16 %.

3 Au Québec on dit posséder un chalet au pied d’une montagne ou au bord d’un lac.

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sigle « ZE » en lisant que la ZE de Lille se singularise avec un taux de résidences secon- daires de seulement 5 %. Non, tout en reconnaissant la métamorphose qu’a connue cette ville ces trente dernières années, on ne part pas de Paris ou de Bruxelles pour aller dans sa résidence secondaire au pays de Martine Aubry.

La deuxième partie porte sur les systèmes productivo-résidentiels. Si, comme le veut l’adage « quand le bâtiment va, tout va », pour les auteurs il en est également ainsi avec les territoires résidentiels et leurs effets sur les territoires productifs. La bonne forme des uns bénéficie aux autres. Pour le démontrer, on fait appel à trois types de flux : les navettes domicile-travail, la mobilité résidentielle des retraités, le fichier des résidences secondaires. Seize grandes agglomérations firent l’objet de la recherche. Elles vont de Paris, Lyon, Marseille - Aix-en-Provence à Montpellier, Metz et Clermont-Ferrand en passant par Strasbourg et Grenoble. En termes d’étendue de leur SPR des écarts impor- tants sont enregistrés, c’est dire que les SPR varient considérablement. Pour y voir plus clair, les chercheurs ont eu recours à une typologie qui permet de croiser et de visualiser les SPR dans leur environnement local.

Avant de conclure, les auteurs soulèvent une dernière question : les villes et leur hinter- land font-ils preuve d’une synergie productivo-résidentielle ? Afin d’apporter une réponse, on juge opportun de préciser que la notion d’hinterland introduit une idée de proximité et de contiguïté. L’hinterland se situe entre 1h ou 2 h de route en offrant un cadre de vie récréatif facile d’accès. Avec toutes les démonstrations qui précèdent cette dernière section, c’est sans surprise que l’on lit que, de façon générale, les aires urbaines et leur hinterland marchent la main dans la main. Oui, comme larrons en foire on croirait lire…

Dans la conclusion on insiste pour souligner que la qualité de l’hinterland a des effets positifs sur la dynamique de l’aire urbaine qui lui retourne l’ascenseur sous la forme de flux de revenus. Enfin, je note que l’adage Big is beautiful laisse place à Beautiful is beautiful dû au fait que les dynamiques métropolitaines sont plus vives dans les villes plus attractives en termes de conditions de vie et sur le plan touristique. On l’aurait deviné.

André Joyal Chercheur au Centre de recherche

en développement territorial Université du Québec

© 2015 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

André Torre et Frédéric Wallet (eds.) (2014). Regional Developpement and Proximity Relations. Collection New Horizons in Regional Science. Edward Elgar, Cheltenham (UK), 375 pages.

L’ouvrage collectif « Regional Development and Proximity Development », coordonné par André Torre et Frédéric Wallet, s’inscrit dans la littérature sur les proximités. Ce champ théorique a connu des développements importants au cours des deux dernières décennies et s’est intéressé à des phénomènes comme les processus d’innovation ou les dynamiques indus- trielles. Cependant, il est fort probable que cet ouvrage fera date dans la mesure où il confronte l’analyse par les proximités à la question fondamentale du développement territorial, un thème qui n’a, jusqu’à présent, été que peu abordé au prisme de ce champ théorique.

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Cet ouvrage est composé de quatre parties complémentaires faisant suite à un texte introductif. La première partie vise à confronter de manière globale l’analyse par les proximités aux différentes approches du développement territorial dans une optique endogène. Les parties suivantes se proposent d’inspecter plus en détail le rôle joué par les proximités sur les principaux déterminants du développement territorial : les processus d’innovation spatialisée (partie deux), les dynamiques de réseaux (partie trois) et les poli- tiques territorialisées (partie quatre).

L’introduction, proposée par André Torre et Frédéric Wallet, prend une forme particu- lière. Contrairement à bon nombre d’introductions visant essentiellement à positionner l’ouvrage dans le débat scientifique et à présenter son contenu, l’ambition des auteurs est plus grande en proposant en outre un état des lieux général de la littérature sur les proxi- mités et son lien avec les questions de développement territorial. Dans un premier temps, elle fournit l’occasion d’effectuer un rappel sur le positionnement épistémologique de la littérature sur les proximités dans l’histoire de l’analyse des relations économiques et des processus de développement. Dans un second temps, il est proposé une synthèse des fondements communs de la littérature (qu’elle soit d’inspiration anglo-saxonne ou française) ainsi que des principales avancées permises par les proximités en insistant plus particulièrement sur ses apports sur le développement territorial. Ainsi, à elle seule, cette introduction très dense bien qu’agréable à lire fournit une porte d’entrée excellente pour tout chercheur, jeune ou confirmé, désirant investir l’analyse par les proximités.

La première partie de l’ouvrage adopte une posture globale en traitant des apports conceptuels que peut apporter l’approche par les proximités sur le développement ter- ritorial. Cette partie est composée de trois chapitres écrits respectivement par Robert J.

Stimson, André Torre et Phil Cooke. S’appuyant sur un corpus large conjuguant les diffé- rentes dimensions liées à la localisation des activités (agglomération des activités, déve- loppement de liens entre les différentes catégories d’acteurs, développement d’un cadre institutionnel), Stimson parvient à montrer de manière tout à fait convaincante le rôle joué par la mobilisation des proximités dans les processus endogènes de développement régional. En faisant cela, il parvient à démontrer le rôle pouvant (et devant) être joué par les décideurs publics dans le cadre d’une politique de développement régional. Ces der- niers doivent non seulement s’appuyer sur une compréhension fine des proximités mais aussi parvenir à les manipuler dans le sens voulu par le biais de négociations avec les acteurs. Le chapitre de Torre est complémentaire dans la mesure où il parvient à exposer de manière convaincante de quelles manières les proximités peuvent intervenir dans le processus de développement régional. Ces dernières permettent en effet de se distancier d’une approche simplement technologique du développement territorial. Elles permettent aussi d’introduire dans l’analyse la gouvernance territoriale, comprise comme un proces- sus dynamique impliquant différents types d’acteurs à différents niveaux et donnant lieu à l’expression de relations de coopération et de conflits. Le texte de Cooke reprend un argument complémentaire des deux précédents en postulant que le développement d’un territoire dépend de sa capacité à développer des bases de connaissances connexes. Cette connexité dépend elle-même de la capacité de combiner différents types de proximité au niveau régional. Un enjeu de politique territoriale réside donc dans la capacité à promou- voir la connexité entre les bases de connaissances. Pour conclure, cette partie est mar- quée par une grande cohérence dans l’argument avancé dans chaque texte en insistant sur

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l’importance des différentes dimensions des proximités (relationnelle, institutionnelle, organisationnelle). Surtout, elle insiste sur le rôle fondamental joué par les processus de gouvernance collective dans le développement territorial. Ce facteur a été traditionnelle- ment quelque peu mésestimé dans la littérature sur les proximités mais revient actuelle- ment au cœur des préoccupations, notamment dans les travaux développant les conflits et négociations associés aux proximités.

La deuxième partie traite des processus d’innovation spatialisés, un thème ayant fait l’objet d’une attention toute particulière dans la littérature sur les proximités. Cette partie est constituée de trois chapitres écrits respectivement par Roberta Capello, Rune Dahl Fitjar et Andrés Rodriguez-Pose et Olivier Bouba-Olga, Michel Grossetti et Marie Ferru.

Le papier de Capello propose une analyse du développement du concept de proximité dans une perspective historique depuis les premiers modèles d’agglomération des années 1960 jusqu’à nos jours. Cette analyse se base sur une décomposition du processus d’innovation en différentes phases et les conditions qui lui sont associées : création de connaissances, innovation, adoption de l’innovation et conséquences économiques. Par ce biais, elle par- vient à mettre en avant le fait que chacune de ces étapes est susceptible de s’inscrire de différentes manières dans des échelles spatiales différentes et de mobiliser les proximités de façon différenciée. Le chapitre de Fitjar et Rodriguez-Pose propose un modèle théo- rique complémentaire à l’analyse précédente. Il met en question la relation couramment établie entre buzz local/innovation incrémentale et pipelines globaux/innovation radicale en mettant en avant le fait que cette relation n’est pas observée. Ainsi, ils parviennent à montrer que le buzz ne donne pas nécessairement lieu à des innovations alors que les pipelines (surtout internationaux) favorisent aussi bien des innovations radicales qu’in- crémentales. Enfin, la contribution de Bouba-Olga, Grossetti et Ferru vise à expliquer la formation des relations entre les organisations. Ces relations sont expliquées par le par- tage de ressources relationnelles : relations individuelles entre les membres de différentes organisations, médiation par une organisation tierce, recours à des systèmes de médiation.

Il est étudié le poids de chaque type de ressource et ses conséquences sur la géographie des relations organisationnelles. Ce dernier papier se trouve être quelque peu en décalage par rapport aux deux autres dans la mesure où il se focalise sur la phase d’initialisation de la relation et sans inspecter significativement les conséquences en termes d’innova- tion. En mettant en avant la nécessaire complémentarité dans les échelles spatiales et en adoptant une approche de l’innovation ne se cantonnant pas à sa simple dimension technologique, le grand intérêt de cette partie est de montrer l’apport que peut représenter l’approche par les proximités dans l’analyse des chaînes de valeur globalisées.

La troisième partie traite du rôle des différentes formes de proximité dans l’analyse des réseaux. Globalement cette partie est plus hétérogène que les précédentes, et le lecteur a du mal à saisir le lien entre les différents chapitres proposés ainsi que les liens qu’entretiennent ces chapitres avec la problématique du développement régional, exception faite du papier de Boschma et al. Néanmoins, ces chapitres sont de grande qualité et mettent en exergue toute la richesse du concept de proximité pour l’analyse économique au sens large. Cette partie est constituée de trois chapitres écrits respec- tivement par Ron Bochma, Pierre-Alexandre Balland et Mathijs de Vaan, Emmanouil Tranos et Peter Nijkamp, Rachael Gibson et Harald Bathelt. Si dans le premier chapitre, on comprend immédiatement les enjeux en termes de développement régional au sein

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d’une industrie donnée, la question du développement régional est abordée de manière moins explicite dans les deux chapitres suivants. Cependant, cette hétérogénéité met également en lumière les multiples facettes du concept de proximité… pour l’analyse géographique ou politique, au-delà du concept purement économique du développement régional. Plus spécifiquement, le chapitre coécrit par Ron Boschma, Pierre-Alexandre Balland et Mathijs de Vaan propose un modèle qui estime la probabilité de créer des liens entre deux acteurs (dans le secteur des jeux vidéo) en fonction des cinq formes de proximité, des caractéristiques structurelles des réseaux et des caractéristiques indi- viduelles des acteurs. Les auteurs présentent une définition claire de toutes les formes de proximité (géographique, cognitive, social, organisationnelle et institutionnelle) et – point intéressant – proposent des outils opérationnels de mesure de ces différentes proximités. Si les résultats sont assez standards, (toutes les formes de proximités ont un effet positif excepté la proximité institutionnelle), la méthode d’estimation retenue (Stochastic Actor Oriented Models) est à la fois originale et intéressante pour ce type de problème. Le papier de d’Emmanouil Tranos et Peter Nijkamp s’intéresse à l’impact de la distance physique sur la structure d’un système internet. L’hypothèse de travail est que la demande de liaisons IP est négativement corrélée avec la distance géographique.

Les auteurs proposent un modèle de gravité dans lequel ils testent la demande d’IP entre 2 régions (NUTS 3) en fonction de critères de proximité (géographique, institu- tionnelle et sociale). Les résultats mettent en évidence l’impact négatif de la distance géographique ainsi qu’un effet institutionnel et social positif. Enfin, Rachael Gibson et Harald Bathelt s’intéressent au rôle des foires internationales (et de la proximité géographique temporaire) dans le processus de développement et de convergence des différentes formes de capitalisme. Pour ces deux derniers papiers, force est de constater que la thématique du développement régional n’apparaît qu’en filigrane.

La quatrième partie traite du rôle des proximités dans les politiques publiques. Si globalement cette partie est intéressante, le lien avec l’école française de la proximité apparaît très « distendu ». Par exemple, le premier chapitre de Roberto Camagni se présente comme un plaidoyer pour une politique territoriale « bottom up » de l’EU. Il propose une perspective historique de l’intégration européenne (avec mise en lumière des effets initiaux négatifs de l’intégration qui a amené à davantage de concentration spatiale et de disparités [Italie, Irlande, Espagne et Portugal]). Il montre comment les objectifs de la politique régionale européenne ont évolué (objectif de cohésion territo- riale) en relation avec les apports théoriques (Nouvelle Économie Géographique, ana- lyse des externalités, SRI, milieux innovateurs, clusters, réseaux) et propose une vision renouvelée de cette politique, de ses objectifs et des outils à mettre en œuvre. L’idée défendue dans le second texte, que l’on doit à Teodora Dogaru, Frank van Oort et Mark Thissen, est séduisante : l’impact des économies d’agglomération (Marshall-Arrow- Romer, Jacobs, externalités de connaissance) diffère selon la taille des régions ou des villes considérées. En conséquence, il devient nécessaire de se poser la question du type de politique territoriale et de stratégie de développement à mettre en œuvre en Europe :

« place-based strategy » versus « place-neutral strategy ». Autrement dit, la politique à mettre en œuvre doit-elle être différenciée selon la taille de l’agglomération consi- dérée ? Le modèle proposé montre que les effets MAR et Jacobs, la R&D publique et privée ainsi que l’éducation, la productivité et l’emploi affectent différemment la crois-

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sance et l’emploi selon la taille de l’agglomération en considération. Pour les auteurs, ces résultats militent en faveur d’une « place-based development strategy » plutôt que d’une « place-neutral development strategy ».

Enfin, dans un chapitre conclusif court, Antoine Bailly expose brillamment l’intérêt du concept de proximité, les perspectives ouvertes par la prise en compte de ce concept et les liens ténus de ce concept avec le développement régional. D’une certaine façon, il répond par l’affirmative à la question de savoir si les concepts de proximités sont utiles pour comprendre le développement endogène des régions. En ce sens il fait une apologie brillante et synthétique de l’ouvrage d’André Torre et de Fréderic Wallet.

Paul Muller, CESAER, UMR AgroSup Dijon

Patrick Rondé BETA, UMR 7522, Université de Strasbourg

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